C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
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C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
EDIT : à ceux qui viendraient lire ce sujet maintenant (et qui ne l'ont jamais lu), filez directement en page 2, car je veins de poster deux messages interminables qui reprennent ce texte.
Voilà, tut est dans le titre. Le texte qui suit est l'intro d'une nouvelle que je suis en train d'écrire, ou plutôt de réécrire. J'aimerais avoir votre avis : style, vocabulaire, ressenti, etc. Et surtout, est-ce-que cela vous donne envie de connaitre la suite, et que ce soit oui ou non, pourquoi?
Merci d'avance
NB : texte mis à jour suite aux remarques des Gallingham.
Même pas un murmure. Un souffle. Quelques mots qui s’évanouissent à peine ont-ils été prononcés. La voix est douce, féminine, du genre de celle qu’on aimerait entendre un soir de déprime, accoudé au comptoir d’un bar délabré, après avoir descendu une demi-bouteille d’un whisky infect.
Voilà, tut est dans le titre. Le texte qui suit est l'intro d'une nouvelle que je suis en train d'écrire, ou plutôt de réécrire. J'aimerais avoir votre avis : style, vocabulaire, ressenti, etc. Et surtout, est-ce-que cela vous donne envie de connaitre la suite, et que ce soit oui ou non, pourquoi?
Merci d'avance
NB : texte mis à jour suite aux remarques des Gallingham.
Même pas un murmure. Un souffle. Quelques mots qui s’évanouissent à peine ont-ils été prononcés. La voix est douce, féminine, du genre de celle qu’on aimerait entendre un soir de déprime, accoudé au comptoir d’un bar délabré, après avoir descendu une demi-bouteille d’un whisky infect.
« Arrête ça ! » hurle l’homme.
Il grimace de douleur et ferme les yeux. Les mains plaquées sur les oreilles, il serre son crâne comme pour en éjecter le cerveau de la même manière qu’il chercherait à vider un gigantesque furoncle de son pus.
« Sors de ma tête ! Sale garce ! Je ne veux plus t’entendre. Sors de moi !»
Sous ses pieds, la vieille chaise gémit au moindre de ses mouvements.
« Je vais le faire si tu continues ! Je vais le faire ! »
Une de ses mains s’écarte avec hésitation et palpe l’air à la recherche d’un objet. Les doigts rencontrent la trame grossière des fibres et remontent jusqu’au nœud coulant. L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle passe autour du cou.
Toujours aussi calme, presque soumise, la voix éthérée reprend :
« Cela ne servira à rien, tu le sais. Je t’en sup… »
« Non, toi, arrête ! ARRÊTE ! »
Il s’étrangle dans ses larmes et balbutie des mots que lui seul entend, ultime prière à sa raison qui le fuit. Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire, puis la gauche fait coulisser le nœud jusqu’à sa nuque. Chaque mouvement de sa pomme d’Adam lui donne la nausée. La tension de la corde l’oblige à lever la tête. Il se met sur la pointe des pieds pour pouvoir baisser les yeux et regarder vers le bas.
Un soleil de fin d’après-midi entre par les vasistas dans le sous-sol de la maison. L’or de ses rayons saturés de poussières embrase l’œil de la créature qui se tient à genoux devant lui sur le sol maculé de traces d’huile. Penchée en avant et en appui sur ses coudes, elle semble attendre une terrible punition ou s’offrir sexuellement. Ses vêtements bleu et blanc soulignent chaque courbe de son corps ferme et élancé. Sa voix est plus douce que jamais lorsqu’elle parle à nouveau, mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme fait basculer la chaise.
Le dossier claque contre le sol. Les jambes s’affolent. Les pieds battent l’air avec frénésie tandis que le corps est secoué de spasmes et que les mains agrippent le noeud, mais il est déjà trop tard. Après quelques secondes, le calme revient, à peine troublé par le grincement sinistre et régulier de la corde contre le rebord de la poutre.
Des tentacules d'ombre s'étirent le long des murs alors que le soleil continue sa course, imperturbable. Lorsque plus aucune lumière ne fait étinceler l’iris de son œil, la créature se fond dans l’obscurité pour muer. Elle redevient alors ce qu’elle n’a jamais cessé d’être.
C’est la factrice qui alerte les secours le lendemain matin. Les pompiers la trouvent quelques minutes plus tard, prostrée derrière la porte du garage, trop horrifiée pour pleurer, le téléphone portable encore à la main. Elle est d’une pâleur cadavérique, hypnotisée par la langue hideuse et bouffie qui sort de la bouche du pendu dans une grimace obscène.
Guidé par un réflexe purement professionnel, le premier gendarme arrivé sur les lieux remarque tout de suite le morceau de papier sur l’établi. Il s’attend à lire quelques phrases désespérées mais à sa grande surprise, seul un mot est écrit en gros caractères maladroits visiblement tracés dans un état second : Suzie.
Il grimace de douleur et ferme les yeux. Les mains plaquées sur les oreilles, il serre son crâne comme pour en éjecter le cerveau de la même manière qu’il chercherait à vider un gigantesque furoncle de son pus.
« Sors de ma tête ! Sale garce ! Je ne veux plus t’entendre. Sors de moi !»
Sous ses pieds, la vieille chaise gémit au moindre de ses mouvements.
« Je vais le faire si tu continues ! Je vais le faire ! »
Une de ses mains s’écarte avec hésitation et palpe l’air à la recherche d’un objet. Les doigts rencontrent la trame grossière des fibres et remontent jusqu’au nœud coulant. L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle passe autour du cou.
Toujours aussi calme, presque soumise, la voix éthérée reprend :
« Cela ne servira à rien, tu le sais. Je t’en sup… »
« Non, toi, arrête ! ARRÊTE ! »
Il s’étrangle dans ses larmes et balbutie des mots que lui seul entend, ultime prière à sa raison qui le fuit. Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire, puis la gauche fait coulisser le nœud jusqu’à sa nuque. Chaque mouvement de sa pomme d’Adam lui donne la nausée. La tension de la corde l’oblige à lever la tête. Il se met sur la pointe des pieds pour pouvoir baisser les yeux et regarder vers le bas.
Un soleil de fin d’après-midi entre par les vasistas dans le sous-sol de la maison. L’or de ses rayons saturés de poussières embrase l’œil de la créature qui se tient à genoux devant lui sur le sol maculé de traces d’huile. Penchée en avant et en appui sur ses coudes, elle semble attendre une terrible punition ou s’offrir sexuellement. Ses vêtements bleu et blanc soulignent chaque courbe de son corps ferme et élancé. Sa voix est plus douce que jamais lorsqu’elle parle à nouveau, mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme fait basculer la chaise.
Le dossier claque contre le sol. Les jambes s’affolent. Les pieds battent l’air avec frénésie tandis que le corps est secoué de spasmes et que les mains agrippent le noeud, mais il est déjà trop tard. Après quelques secondes, le calme revient, à peine troublé par le grincement sinistre et régulier de la corde contre le rebord de la poutre.
Des tentacules d'ombre s'étirent le long des murs alors que le soleil continue sa course, imperturbable. Lorsque plus aucune lumière ne fait étinceler l’iris de son œil, la créature se fond dans l’obscurité pour muer. Elle redevient alors ce qu’elle n’a jamais cessé d’être.
C’est la factrice qui alerte les secours le lendemain matin. Les pompiers la trouvent quelques minutes plus tard, prostrée derrière la porte du garage, trop horrifiée pour pleurer, le téléphone portable encore à la main. Elle est d’une pâleur cadavérique, hypnotisée par la langue hideuse et bouffie qui sort de la bouche du pendu dans une grimace obscène.
Guidé par un réflexe purement professionnel, le premier gendarme arrivé sur les lieux remarque tout de suite le morceau de papier sur l’établi. Il s’attend à lire quelques phrases désespérées mais à sa grande surprise, seul un mot est écrit en gros caractères maladroits visiblement tracés dans un état second : Suzie.
Dernière édition par Demi-Tour le Mer 28 Mai - 5:46, édité 6 fois
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Wooo!
Donc, pour répondre à tes questions, le style est bref, concis, un peu comme à ton habitude (du moins, le seul autre texte que j'ai lu de toi). Ca fait tout de même ressortir la détresse et la folie du personnage central.
Puisqu'il faut faire quelques remarques:
"L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle amène autour du cou."
=> Je ne sais pas, le verbe amener me perturbe ici. J'aurais plutôt vu une autre expression. enroule? descend? passe?... Je ne sais pas, je n'en ai pas d'autres qui me viennent à l'esprit
"la gauche fait coulisser le nœud jusqu’àsa nuque"
=> Juste pour signaler l'espace manquant
" mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme prend une grande impulsion"
=> Ici, c'est la fin de la phrase qui me gène. Il est déjà sur la pointe des pieds, alors prendre une grande impulsion... Aussi, je ne sais pas, peut-être juste dire qu'il rejette la chaise en arrière.
La deuxième partie du texte (la découverte du corps) me semble en décalage par rapport au reste. C'est peut-être voulu. Il y a moins de description, c'est plus rapide, on ne s'attarde pas... peut-être pas assez. Elle aurait peut-être mérité un poil plus de développement, non?
Alors, pour la suite, c'est vrai que ce texte pourrait se suffir à lui-même et être une petite nouvelle se voulant mystérieuse, sans réelle explication... ça se pourrait.
Maintenant, si tu dis que ce n'est qu'une introduction et qu'il y a une suite, oui j'ai envie de connaître pour voir où tu veux nous conduire, savoir s'il y a quelque chose de plus gros qui se cache derrière cette petite scène et ce qu'on pourrait découvrir. Peut-être une petite part de fantastique?
Donc, pour répondre à tes questions, le style est bref, concis, un peu comme à ton habitude (du moins, le seul autre texte que j'ai lu de toi). Ca fait tout de même ressortir la détresse et la folie du personnage central.
Puisqu'il faut faire quelques remarques:
"L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle amène autour du cou."
=> Je ne sais pas, le verbe amener me perturbe ici. J'aurais plutôt vu une autre expression. enroule? descend? passe?... Je ne sais pas, je n'en ai pas d'autres qui me viennent à l'esprit
"la gauche fait coulisser le nœud jusqu’àsa nuque"
=> Juste pour signaler l'espace manquant
" mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme prend une grande impulsion"
=> Ici, c'est la fin de la phrase qui me gène. Il est déjà sur la pointe des pieds, alors prendre une grande impulsion... Aussi, je ne sais pas, peut-être juste dire qu'il rejette la chaise en arrière.
La deuxième partie du texte (la découverte du corps) me semble en décalage par rapport au reste. C'est peut-être voulu. Il y a moins de description, c'est plus rapide, on ne s'attarde pas... peut-être pas assez. Elle aurait peut-être mérité un poil plus de développement, non?
Alors, pour la suite, c'est vrai que ce texte pourrait se suffir à lui-même et être une petite nouvelle se voulant mystérieuse, sans réelle explication... ça se pourrait.
Maintenant, si tu dis que ce n'est qu'une introduction et qu'il y a une suite, oui j'ai envie de connaître pour voir où tu veux nous conduire, savoir s'il y a quelque chose de plus gros qui se cache derrière cette petite scène et ce qu'on pourrait découvrir. Peut-être une petite part de fantastique?
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Gallingham a écrit:Wooo!
Maintenant, si tu dis que ce n'est qu'une introduction et qu'il y a une suite, oui j'ai envie de connaître pour voir où tu veux nous conduire, savoir s'il y a quelque chose de plus gros qui se cache derrière cette petite scène et ce qu'on pourrait découvrir. Peut-être une petite part de fantastique?
Du fantastique? Oui. C'est la première nouvelle du genre que j'écris, et ça me fait suer .Quoi que je ne sais pas encore si je reste dans le fantastique, ou si je pars dans la folie... C'est pour cela, d'ailleurs, que je suis en train de réécrire ce texte.
Mon style est, il est vrai, très concis. D'ailleurs, si tu lis mes commentaires sur les textes des autres, je n'arrive pas vraiment à m'en détacher, et donc j'invite systématiquement à "élaguer".
Pour le personnage, c'est sa seule et unique apparition; idem pour le lieu. C'est pour cela que je ne me suis pas attardé. Donc si le peu de description qu'il y a suffit, c'est impeccable.
Pour le coup de "la grande impulsion", bien vu. Comme quoi, il est toujours bon de faire relire un texte par un oeil neuf.
Quant à la main qui "amène" la boucle, maintenant que tu me parles de "passe (autour du coup", je trouve que ça colle mieux, en effet.
M'en vais faire 2-3 modifs
Dernière édition par Demi-Tour le Mar 28 Mai - 19:33, édité 1 fois
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Gallingham a écrit:Il faut un début à tout
J'ai complété mon message précédent pendant que tu postais le tien...
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Eheh! Ouais! Donc, en gros, tu te poses la même question que moi: folie ou fantastique?
Juste que c'est toi l'auteur
Juste que c'est toi l'auteur
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Attention, la folie colle parfaitement au fantastique. Dans les nouvelles de Poe, ou celle de Maupassant, on est toujours dans l'hésitation entre naturel et surnaturel. Si, Demi-Tour, tu amènes dans ta nouvelle cette hésitation, alors tu es ni plus ni moins dans le fantastique. En revanche, si tu confirmes qu'il s'agit bien de magie ou de surnaturel, sans laisser le doute au lecteur, il s'agira de merveilleux ou de fantasy.
En ce qui concerne le texte, j'ai vraiment bien aimé. J'avais bien remarqué que tu ne cessais de dire à qui voulait bien entendre : "tu peux alléger de 50%", "pourquoi veux-tu préciser cela ?". Cela fonctionne avec ton style, très concis et très précis, et qui demande beaucoup d'attention (après tout, le lecteur, dans ce texte, invente la pièce, invente le personnage, invente la créature, se fait sa propre image. Étant donné que tu n'expliques rien, le lecteur lui-même est contraint de s'expliquer les évènements par un film qu'il réalise). Chez un auteur comme Proust, Butor, Hugo ou Zola - de grands auteurs ! - le détail est primordial, et leurs textes fourmillent de petites choses qui renforcent l'idée de réel.
Ton introduction te correspond, et tout comme Gallingham, si tu prétends qu'il y a une suite, alors oui ! cette introduction nous pousse à la lire. Mais s'il y en avait pas, on resterait dans cet univers fantastique qui donne un charme à ton texte. En bref, j'ai vraiment bien aimé, et j'attends de voir.
En ce qui concerne le texte, j'ai vraiment bien aimé. J'avais bien remarqué que tu ne cessais de dire à qui voulait bien entendre : "tu peux alléger de 50%", "pourquoi veux-tu préciser cela ?". Cela fonctionne avec ton style, très concis et très précis, et qui demande beaucoup d'attention (après tout, le lecteur, dans ce texte, invente la pièce, invente le personnage, invente la créature, se fait sa propre image. Étant donné que tu n'expliques rien, le lecteur lui-même est contraint de s'expliquer les évènements par un film qu'il réalise). Chez un auteur comme Proust, Butor, Hugo ou Zola - de grands auteurs ! - le détail est primordial, et leurs textes fourmillent de petites choses qui renforcent l'idée de réel.
Ton introduction te correspond, et tout comme Gallingham, si tu prétends qu'il y a une suite, alors oui ! cette introduction nous pousse à la lire. Mais s'il y en avait pas, on resterait dans cet univers fantastique qui donne un charme à ton texte. En bref, j'ai vraiment bien aimé, et j'attends de voir.
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Merci pour ces éloges, je vais finir par rougir
L'absence de descriptions est volontaire dans cette partie du texte. Il y en a plus par la suite (que je suis en train de réécrire, donc) pour mieux ancrer l'histoire dans le réel.
Pour ce qui est de la folie, j'ai déjà écrit un texte dessus (qui est dans mon recueil), et je crois que je vais essayer de louvoyer à la frontière entre "la réalité de la folie" et le fantastique, tout en sachant que cela ne va pas être facile.
Je vais mettre sur le forum un extrait d'un autre texte. De l'avis de mes lecteurs, le style est (comme tu le dis) "rapide et concis", sans pour autant empêcher les précisions à tel point que, comme la écrit une journaliste, il suffit de fermer les yeux pour voir la scène se dérouler (sacré compliment soit dit en passant). Mais pour mes prochains textes, je veux affiner tout ça. Il me reste beaucoup de chemin à faire, mais ça occupe!
L'absence de descriptions est volontaire dans cette partie du texte. Il y en a plus par la suite (que je suis en train de réécrire, donc) pour mieux ancrer l'histoire dans le réel.
Pour ce qui est de la folie, j'ai déjà écrit un texte dessus (qui est dans mon recueil), et je crois que je vais essayer de louvoyer à la frontière entre "la réalité de la folie" et le fantastique, tout en sachant que cela ne va pas être facile.
Je vais mettre sur le forum un extrait d'un autre texte. De l'avis de mes lecteurs, le style est (comme tu le dis) "rapide et concis", sans pour autant empêcher les précisions à tel point que, comme la écrit une journaliste, il suffit de fermer les yeux pour voir la scène se dérouler (sacré compliment soit dit en passant). Mais pour mes prochains textes, je veux affiner tout ça. Il me reste beaucoup de chemin à faire, mais ça occupe!
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Oui, attention, je ne disais pas qu'il n'y avait pas de description. Quand je dis concis ici, il s'agit surtout d'une remarque sur les phrases: elles sont courtes, vont à l'essentiel, ne s'encombrent pas (ou très rarement) d'adjectifs et autres à foison. J'aime bien. Je crois même que je suis plutôt dans ce style aussi. Quoique des fois, je dois me laisser emporter.
On peut avoir un style concis et rentrer dans les descriptions.
Dans cette première partie, Demi-Tour nous amène surtout dans la tête du personnage et décrit ses actions. La description minimaliste mais suffisante de l'environnement ne me gène pas du tout.
Le seul truc, comme je l'ai dit, c'est la deuxième partie, ça me semble complètement en décalage. J'aurais préféré un tout petit peu plus de détails sur les personnes et surtout le gendarme qui découvre le papier. Ici, on a l'impression de suivre la scène de loin, comme si finalement elle n'avait aucune importance, comme si elle était à la limite inutile. Peut-être relever le tout en se glissant dans la peau du gendarme ou un truc comme ça.
Après, je ne donne bien sûr que mon avis. C'est l'auteur qui fait ses choix.
On peut avoir un style concis et rentrer dans les descriptions.
Dans cette première partie, Demi-Tour nous amène surtout dans la tête du personnage et décrit ses actions. La description minimaliste mais suffisante de l'environnement ne me gène pas du tout.
Le seul truc, comme je l'ai dit, c'est la deuxième partie, ça me semble complètement en décalage. J'aurais préféré un tout petit peu plus de détails sur les personnes et surtout le gendarme qui découvre le papier. Ici, on a l'impression de suivre la scène de loin, comme si finalement elle n'avait aucune importance, comme si elle était à la limite inutile. Peut-être relever le tout en se glissant dans la peau du gendarme ou un truc comme ça.
Après, je ne donne bien sûr que mon avis. C'est l'auteur qui fait ses choix.
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Gallingham a écrit:Oui, attention, je ne disais pas qu'il n'y avait pas de description. Quand je dis concis ici, il s'agit surtout d'une remarque sur les phrases: elles sont courtes, vont à l'essentiel, ne s'encombrent pas (ou très rarement) d'adjectifs et autres à foison.
J'ai bien compris cela ainsi.
Pour la deuxième partie du texte, elle n'a en effet pas grande importance, mais est cependant nécessaire (surtout un élément bien précis, à savoir le prénom); je l'ai donc écrite volontairement ainsi, mais d'ici à ce que je change d'avis, il y a un pas que je franchis souvent à la relecture de mes textes.
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Quelques modestes conseils,
J'ai bien aimé le descriptif de la scène et la montée en puissance de l'action.
Pour la forme et pour ma part, je conserverai le verbe "amener" qui précède et annonce le geste final....."Passer auour du cou"....un peu banal !
"accoudé au comptoir d’un bar délabré, après avoir descendu une demi-bouteille d’un whisky infect." Demi-Tour
Cette phrase, trop stéréotypée rappelle les polars de J.H. Chase.... Je la re travaillerai...
J'ai bien aimé le descriptif de la scène et la montée en puissance de l'action.
Pour la forme et pour ma part, je conserverai le verbe "amener" qui précède et annonce le geste final....."Passer auour du cou"....un peu banal !
"accoudé au comptoir d’un bar délabré, après avoir descendu une demi-bouteille d’un whisky infect." Demi-Tour
Cette phrase, trop stéréotypée rappelle les polars de J.H. Chase.... Je la re travaillerai...
surfeur- Date d'inscription : 29/05/2013
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Bon, allez, on reprend tout depuis le début
Tout juste un murmure, quelques mots qui s’évanouissent à peine ont-ils été prononcés. La voix est douce, féminine, du genre de celle qu’on aimerait entendre un soir de déprime, accoudé au comptoir d’un bar délabré, après avoir descendu une demi-bouteille d’un whisky infect.
« Arrête ça ! » hurle l’homme.
Les yeux fermés, il serre son crâne avec ses mains comme pour en éjecter le cerveau de la même manière qu’il chercherait à vider un gigantesque furoncle de son pus.
« Tais-toi, je ne veux plus t’entendre ! »
Sous ses pieds, la vieille chaise gémit au moindre de ses mouvements.
« Je vais le faire si tu continues ! JE VAIS LE FAIRE ! »
Une de ses mains s’écarte avec hésitation et palpe l’air à la recherche d’un objet. Les doigts rencontrent la trame grossière des fibres et remontent jusqu’au nœud coulant. L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle passe autour du cou. Toujours aussi calme, presque soumise, la voix reprend :
« Cela ne servira à rien, tu le sais. Arrête, je t’en sup… »
- Non, toi, arrête ! ARRÊTE ! »
Il s’étrangle dans ses larmes et balbutie des mots que lui seul entend, ultime prière à sa raison qui le fuit. Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire, puis la gauche fait coulisser le nœud jusqu’à sa nuque. Les mouvements de sa pomme d’Adam lui donnent la nausée. La tension de la corde l’oblige à lever la tête. Il se met sur la pointe des pieds pour pouvoir baisser les yeux et regarder vers le bas.
Un soleil de fin d’après-midi entre par les vasistas dans le sous-sol de la maison. L’or de ses rayons saturés de poussières embrase l’œil de la créature qui se tient à genoux devant lui. Penchée en avant et en appui sur ses coudes, elle semble attendre une terrible punition ou s’offrir sexuellement. Ses vêtements bleu et blanc soulignent chaque courbe de son corps ferme et élancé. Sa voix est plus douce que jamais lorsqu’elle parle à nouveau, mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme fait basculer la chaise.
Le dossier claque contre le sol. Les jambes s’affolent. Les pieds battent l’air avec frénésie tandis que le corps est secoué de spasmes et que les mains agrippent le nœud, mais il est déjà trop tard. Après quelques secondes, le calme revient, à peine troublé par le grincement sinistre et régulier de la corde contre le rebord de la poutre.
Des tentacules d’ombre s’étirent en silence pour recouvrir complètement les murs tandis que le soleil continue sa course, imperturbable. Lorsqu’enfin plus aucune lumière ne fait étinceler l’iris de son œil, la créature se fond dans l’obscurité pour muer. Elle redevient alors ce qu’elle n’a jamais cessé d’être.
C’est la factrice qui alerte les secours le lendemain matin. Elle apporte un recommandé, et lorsqu’elle aperçoit la porte du garage entrebâillée, elle n’hésite pas à la pousser pour demander s’il y a quelqu’un. Elle n’a que le temps d’ouvrir la bouche pour parler avant que ses yeux s’écarquillent d’horreur. A l’arrivée des pompiers quelques minutes plus tard, elle tient encore son téléphone portable à la main. Immobile dans l’embrasure de la porte, elle est d’une pâleur cadavérique, hypnotisée par la langue hideuse et bouffie qui sort de la bouche du pendu dans une grimace obscène.
Guidé par un réflexe purement professionnel, le premier gendarme arrivé sur les lieux remarque tout de suite le morceau de papier sur l’établi. Il s’attend à lire quelques phrases désespérées comme il en a lu des dizaines au cours de sa carrière, mais à sa grande surprise, seul un mot est écrit en gros caractères maladroits visiblement tracés dans un état second : Suzie.
1
« Alors, tu sais quelque chose ? » demande sa mère.
Elle ne l’a pas salué, trop excitée de l’avoir vu à la une du journal local, même s’il apparait noyé dans la manifestation, et comme si regarder l’objectif à l’instant précis où le photographe a appuyé sur le bouton prouve qu’il peut lui faire des révélations sur les trois motards disparus dans la région depuis le début de l’été.
Ben retient un soupir avant de basculer son portable en mode haut-parleur. Il le pose sur l’établi pour répondre tout en continuant à nettoyer ses outils. Depuis le départ de Marie, ses rapports avec sa mère se sont tendus, comme si elle cherchait à lui faire comprendre qu’il a mal agi sans oser le lui dire ouvertement.
« Non maman, je ne sais rien. »
Il a parlé presque sèchement et s’en veut aussitôt. Il prend un ton conciliant pour continuer :
« Ecoute, je suis en train de bricoler dans le garage, et en plus ça passe mal… Je te rappelle dans quelques minutes si tu veux ? »
Sa mère s’excuse de l’avoir dérangé et raccroche, persuadée qu’il ne la rappellera pas.
Nouveau soupir. Même si Eric et surtout Suzie ont su se montrer convaincants, pourquoi a-t-il accepté de participer à cette manifestation avant-hier ? Il connait très bien une partie de la réponse, qui l’agace profondément : sa timidité qui, comme souvent, l’a empêché de refuser. Par contre, il n’ose pas s’avouer qu’à l’instar du millier d’autres motards présents, la peur de ne laisser derrière lui qu’une moto béquillée moteur en marche au bord d’une route comme dernier signe de vie le terrorise. Et comme pour le lui cracher à la figure, son visage se retrouve en première page du journal.
Peut-être est-ce un signe après tout. C’est en tout cas ce que lui chuchote une voix dans sa tête. Elle appartient à la créature de cauchemar au pelage noir corbeau et à la gueule hérissée de lames de rasoir qui ronge le bois de la vieille charpente certaines nuits, dans les combles, juste au-dessus de sa tête. Ben ne l’a jamais aperçue ailleurs que dans ses rêves les plus délirants, même si depuis le départ de Marie, il l’entend régulièrement ramper sous son lit, ses griffes trop longues grinçant sur le parquet. Une fois, il a osé se pencher sous le matelas pour regarder. Il s’est retrouvé face à deux braises incandescentes flottant dans les ténèbres de leurs orbites sans fond. Il s’est alors réveillé en sueur, le cœur martelant dans la poitrine comme une pompe qui tourne à vide.
De toute façon, de telles créatures n’existent pas dans le monde réel. Alors à quoi bon vérifier pour de vrai? Il n’a plus l’âge de ces bêtises.
« Tu as bientôt fini ? » demande Suzie, le coupant net dans ses réflexions.
Elle se tient de l’autre côté du garage, juste à côté de la porte qui mène au salon. Il la rejoint du même pas maladroit que celui d’un garçon d’une dizaine d’années qui s’approche de la plus jolie fille de la classe pour lui demander s’il peut s’assoir à côté d’elle. Il a voulu la faire sourire mais Suzie affiche une mine boudeuse ce soir.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demande-t-il.
Il se penche pour lui glisser un baiser.
« Dis, un jour, tu seras tout à moi ? fait-elle.
- Mais je le suis déjà.
- Non… Je veux dire vraiment tout à moi. A moi seule, tu comprends ?
- Tu sais bien que c’est une passion pour moi et…
- Et moi, je ne suis pas une passion pour toi ?
- Si, mais… »
Il ne peut s’empêcher de se mordre les lèvres lorsqu’il se tourne vers la vieille Triumph. Combien de fois s’est-il disputé avec Marie à son sujet, et combien de fois, à bout d’arguments, lui a-t-il promis de la vendre ? Il ferme les yeux pour se concentrer et trouver le ton juste, mais lorsqu’il parle, il se rend compte qu’il cède une fois de plus.
« Dès le week-end prochain, je m’en occupe, finit-il par dire.
- Juré ?
- Oui, juré.
- Je t’aime.
- Moi aussi, Suzie, je t’aime. »
***
Pause-déjeuner. L’atelier de meubles s’est tu, les Fenwicks ont arrêté leur ballet entre le quai de réception et le fond de la réserve.
Depuis une bonne demi-heure que Ben et lui sont assis sur quelques palettes empilées à l’abri du vieil auvent en tôle pour discuter et manger tranquillement, Eric n’a rien dit ou presque. Il se contente de banalités et allume cigarette sur cigarette, signe chez lui que quelque chose le tracasse et qu’il n’ose pas en parler. Ben s’en est rendu compte mais ne souhaite pas lui tendre la perche pour la simple et bonne raison qu’il se doute très bien du sujet en question, qui ne doit certainement pas être la photo dans le journal. Et il ne se trompe pas. Il soupire quand son ami, après avoir rangé les restes de son casse-croûte dans son sac plastique et allumé une nouvelle cigarette, se lance enfin.
« Tu as des nouvelles de Marie? »
Ben lui a fait part des tensions dans son couple dès qu’elles sont apparues, comme si se confier à un célibataire endurci de dix ans son ainé pouvait l’aider à les résoudre. Il lui a parlé de Suzie également et de la place de plus en plus importante qu’elle prend dans sa vie. Sur le coup, Eric n’a rien dit, se contentant de légers signes de tête comme pour montrer qu’il comprend son point de vue sans pour autant approuver.
Ben ne sait pas trop quoi répondre, et c’est une phrase sans grand rapport avec la question qui franchit ses lèvres.
« La conseillère d’éducation des garçons m’a appelé hier en fin d’après-midi car le portable de Marie ne répond pas. Elle s’étonne de ne pas voir les gamins.
- Et tu lui as dit quoi ?
- Que Marie m’a quitté il y a bientôt deux mois, début juillet, et qu’elle les a certainement inscrits ailleurs. J’ai essayé de l’appeler tout à l’heure mais je suis tombé sur sa messagerie.
- Et tes gosses ? »
Ben regarde son sandwich au jambon, qui lui parait soudain insipide. Il le pose sur la serviette après avoir écarté les deux moitiés de pain pour récupérer un cornichon qu’il croque à pleine dent. L’acidité le fait grimacer. Un véritable coup de fouet, exactement ce dont il a besoin.
« Je vais vendre la Bonneville » annonce-t-il.
La phrase est tombée d’un coup, comme un fruit trop mûr qui vient s’écraser sur le sol. Un instant décontenancé par ce deuxième brusque changement de sujet, Eric tire sur sa cigarette pour ne rien laisser paraitre.
« Tu es sérieux ? Tu m’as dit que ça fait au moins quinze ans que tu l’entretiens, cette bécane. »
Ben s’abandonne dans la contemplation de ses chaussures de sécurité. Une nouvelle éraflure sur le cuir au niveau du renfort en métal absorbe son attention. Bien piètre excuse pour ne pas relever les yeux.
« Je sais, mais ça ne peut pas durer ainsi. Déjà, avec Marie… C’est elle ou Suzie, et j’ai choisi.
- Tu ne crois pas que tout ça est allé un peu trop loin ? » insiste Eric en donnant un léger coup de menton en direction de la camionnette de Ben, garée à une vingtaine de mètres d’eux, juste à côté du bureau des réceptions.
Ben se raidit. Il sent un regard lourd peser sur lui et il garde la tête baissée. Cet utilitaire, il l’a échangé fin juin contre la voiture familiale et une bonne partie de leur budget vacances. Une idée de Suzie pour qu’elle puisse l’accompagner. Il n’a pas su dire non. Il se rappelle la scène que Marie lui a faite en cette fin d’après-midi quand il a franchi le portail à son volant, des cris qui ont fusé et des portes qui ont claqué. Heureusement que les garçons étaient chez des copains à eux, sinon ils auraient vu et entendu des choses qu’aucun gosse ne devrait jamais voir et entendre, et Marie a disparu de sa vie. Quand ils sont rentrés en fin d’après-midi, Ben leur a simplement dit que leur mère n’était plus là et qu’ils devaient la rejoindre. Et eux aussi ont disparu. Fin d’une époque.
« Et le crédit de la maison et le reste, tu y as pensé ? reprend Eric. Comment tu vas faire si Marie décide de garder son salaire ?
- Je ne sais pas, mais comment dire ? Je me sens bien, maintenant, tu comprends ? Libéré. »
Eric se contente d’un léger mouvement de la tête. Il attend quelques secondes pour parler à nouveau, mais un éclat de voix derrière eux leur fait remarquer que la pause est finie depuis cinq bonnes minutes et qu’ils doivent se bouger le cul. Ce qu’ils font sans échanger un mot.
***
A peine rentré chez lui en fin d’après-midi, Ben sort la Bonneville du garage. Il a promis à Suzie de la mettre en vente en fin de semaine, mais pourquoi attendre ?
Armé de son portable, il en fait le tour pour la photographier sous tous les angles. Alors qu’il a longtemps craint d’éprouver un sentiment de culpabilité ou, pire, l’impression qu’il allait se mutiler, il réalise qu’il a simplement trop attendu. Marie avait raison sur ce point : cette moto a pris une place trop importante dans leur vie. Mais elle se trompait en répétant que cette passion nuisait à leur couple. Loin d’être un handicap, la moto lui a permis de fuir. Coincé entre son travail et ses obligations de père, il n’aurait pas tenu si longtemps sans elle. Et tout a changé depuis sa rencontre avec Suzie.
« Ben, ça te dirait qu’on sorte ce soir ? »
La voix le surprend à peine. Il fait une dernière photo avant de rejoindre Suzie devant le garage. Sa main se pose d’elle-même sur sa hanche, juste à l’endroit où la courbe se fait plus marquée. Une soudaine envie lui donne une bouffée de chaleur.
« Mais on est en semaine, fait-il remarquer, s’en voulant aussitôt de ne rien avoir trouvé de plus stupide à répondre.
- Et alors ? Il y aura moins de monde. Et avec le temps qu’il fait, on pourra même se balader en amoureux. Demain, tu es d’après-midi, je te rappelle, ce qui nous laisse toute la nuit. »
Il en éprouve presque un vertige. Oui, une grasse matinée, en pleine semaine, après une nuit de douceurs.
« File mettre ton annonce en ligne, dit-elle, et après, on y va. »
Il manque d’objecter que les jumeaux n’ont pas encore mangé, puis il réalise que cela fait désormais partie de son passé. Tout comme Marie. Il éclate de rire, heureux de se sentir vivre.
***
Neuf heures du matin. Dans son sommeil, Ben sourit. Une sonnerie de téléphone résonne au loin. Par reflexe, il tend le bras vers la table de nuit en marmonnant, mais la petite musique s’interrompt au bout de quelques secondes. Le sommeil l’enveloppe à nouveau. Il sursaute soudain lorsque la sonnerie reprend, beaucoup plus proche. Et pour cause. Il a dû rêver la première, mais cette fois, c’est bien celle de son portable qui lui vrille les tympans. Il attrape le minuscule téléphone à côté du radioréveil et décroche à la volée. Lorsqu’il le plaque contre son oreille, il entend une femme parler. Encore abruti de sommeil, il met plusieurs secondes à comprendre les mots.
« … ous appelle à nouveau. »
Ben passe en revue à toute vitesse les voix qu’il connait. Le visage plein de sévérité de la conseillère d’éducation du collège des garçons s’affiche devant ses yeux.
« Vous avez compris ce que j’ai dit ? s’inquiète la voix.
- Oui, oui, ment-il.
- Pouvez-vous alors me dire si votre femme les a inscrits dans une autre école ? »
Ben se frotte la figure pour se réveiller complètement. Il se redresse contre la tête du lit.
« Je l’ignore, mais elle l’a certainement fait. Comme je vous l’ai dit avant-hier, nous nous sommes séparés il y a deux mois et...
- Et vous ignorez où elle se trouve ?
- Oui. Enfin non. Elle est partie chez ses parents, mais je suppose que si quelque chose n’allait pas, elle m’aurait appelé de toute façon. »
Le silence qui suit est si lourd de reproches que Ben croit s’entendre dire qu’il est le père le plus indigne de la Terre.
« Vous comprenez tout de même que je ne peux pas laisser deux enfants de quatorze ans non scolarisés ? reprend la conseillère. Ce serait contraire à… »
Les yeux fermés, Ben la laisse parler sans plus lui prêter d’attention et finit par lui raccrocher au nez sans s’en rendre compte. Comme à chaque fois qu’il doit affronter son air supérieur, il a eu une terrible envie de lui hurler d’aller se faire foutre, sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas sa timidité qui l’en a empêché mais le fait qu’il est trop fatigué pour simplement s’énerver. Suzie l’a épuisé, vidé. Il ouvre soudain les yeux. Sa main vient de glisser vers son caleçon et il se rend compte qu’il a une érection. Depuis quand, après une nuit avec Marie, ne l’a-t-il pas désirée à nouveau dès le lendemain matin ? Depuis quand, d’ailleurs, n’a-t-il pas baisé avec elle ?
Un sourire illumine son visage, du genre de ceux qu’il faisait en discothèque à ses potes en leur demandant les clefs de leur voiture pour disposer de la banquette arrière. Mais le sourire s’étiole. Son reflet dans la glace de l’armoire le renvoie ce samedi soir de juin, alors qu’il n’a que dix-neuf ans et qu’il fête son baccalauréat. A l’arrière de la vieille Alfa-Roméo, le boum-boum de la discothèque lui semble terriblement loin, surtout que la fille qui enlève maintenant sa petite culotte et qui vient de l’exciter avec une pipe d’enfer dans un recoin du parking est trop bourrée pour prêter attention à certains détails, détails qui expliquent qu’il se retrouve à trente-quatre ans à s’user la santé en retapant une vieille ferme décrépie dans un hameau d’un village paumé - parce qu’elle a voulu une maison à la campagne qu’il ne pouvait pas lui payer - ou qu’il encaisse sans broncher les remontrances sur l’argent que leur coûte l’entretien de ses motos - parce qu’il y a tellement mieux à faire avec. De toute façon, pense alors Ben, elle n’est que le coup d’un soir. Cela fait trois semaines qu’il la drague, et enfin il atteint son but. Il la baise, fier de l’entendre gémir sous lui et heureux de prendre son pied comme jamais jusqu’alors. Pourtant, dès le lendemain, chez ses parents, à peine émerge-t-il de sous les draps que le doute vient s’immiscer dans son esprit encore abruti d’alcool et de musique. Et quand deux mois plus tard, il décroche le téléphone et entend une voix qu’il a déjà oubliée en pleurs à l’autre bout du fil, il comprend que sa vie vient de basculer.
Mais tout cela est loin maintenant. Et avec Suzie, c’est différent. En fait, tout est différent avec Suzie, et face à son reflet, Ben retrouve le sourire car il sait que rien ne l’empêche de la rejoindre tout de suite pour lui dire combien il l’aime, caresser avec douceur son visage du revers de la main, parcourir ses formes du bout des doigts, et sentir sa peau, lisse et fraiche, son doux parfum enivrant, et se laisser aller à beaucoup plus…
Non, rien ne l’en empêche, et il la rejoint en courant, sans même s’habiller.
***
Une semaine s’écoule, pendant laquelle Ben voit les messages laissés par la conseillère d’éducation s’accumuler sur sa messagerie, qu’il ne consulte pas. Il a souvent failli décrocher, mais à chaque fois, son pouce est resté suspendu au-dessus de la touche. Tapie dans les ténèbres de son esprit, la créature lui a murmuré de ne pas le faire et il a obéi. Il sait pourtant que cette situation ne peut durer éternellement et que cette sale fouineuse de fonctionnaire ne va pas le laisser tranquille. Elle est même capable de venir chez lui. D’ailleurs, elle l’a déjà fait l’année dernière, accompagnée d’une assistante sociale, le jour où un des jumeaux est arrivé en classe avec un méchant coquard et des bleus sur les bras. Ben a eu le plus grand mal à les convaincre qu’il était tombé dans les escaliers.
Oui, il doit régler ce problème. Suzie lui en a d’ailleurs parlé. Elle lui a également fait remarquer qu’il devrait replanter du gazon sur les trois bandes de terre retournée sur le côté de la villa. La haie a beau être suffisamment haute à cet endroit pour que même le voisin ne voie rien depuis son premier étage, cela ne fait pas très propre.
« On dirait des tombes », a-t-elle conclu avec une certaine ironie dans la voix avant de l’attirer contre elle.
Suzie a raison, elles ressemblent à s’y méprendre à ces petits monticules de pierres qu’on voit dans les westerns quand le héros vient d’enterrer sa famille massacrée par des Indiens. Ben ne veut pas se souvenir pour quelle raison il a creusé à cet endroit, car il devine que s’il essaye, il va entendre la porte du placard de la chambre s’entrebâiller cette nuit ou une autre pour laisser apparaitre deux braises d’un rouge infernal qui vont le regarder dans l’obscurité.
La lumière du crépuscule qui entre par la petite lucarne du garage teinte son visage et ses yeux en un gris malsain. De grosses gouttes de sueur commencent à perler à son front. Sous lui, Suzie râle de plaisir, mais déjà Ben ne l’entend plus. En une poignée de secondes, elle l’a propulsé bien au-delà de la jouissance et de ce qu’il peut décrire. Lancé à pleine vitesse, il parcourt des routes entre fantasmes et folie.
***
Il est 6h00 lorsque le radioréveil se met en route le lendemain matin. Ben ouvre péniblement les yeux. Une fois de plus, il est crevé. Mais aujourd’hui, c’est bien plus qu’une simple fatigue physique; son dos et ses épaules ne sont qu’un nœud de courbatures et de douleurs diverses.
« Tu deviens vieux » se marmonne-t-il à lui-même.
Il se fait violence pour aller jusqu’à la douche. Eau chaude, puis glacée, puis de nouveau chaude. Son esprit s’éclaircit, les courbatures s’atténuent. Il s’essuie rapidement et n’enfile que ses sous-vêtements pour prendre son petit-déjeuner. Il se contente d’une tasse de café noir et de deux biscottes qu’il grignote sans même les beurrer. Cuisiner n’a jamais été son truc, et ce n’est pas celui de Suzie. D’ailleurs, Suzie ne met jamais la table et ne fait jamais la vaisselle non plus.
Brossage succinct des dents. Il finit de s’habiller et sort sur l’allée en terre battue. L’air frais réveille ses courbatures.
Il s’installe au volant de la camionnette. Face à lui, les premières lueurs du jour éclaircissent un ciel sans nuage par-dessus les collines. Le village s’anime doucement en cette mi-septembre.
« Tu n’as rien oublié ? » fait une voix dans son dos.
Ben sent son cœur bondir dans sa poitrine. Il saisit le volant à pleines mains pour se maitriser. Dans le rétroviseur intérieur, le reflet de Suzie le fixe droit dans les yeux.
« Putain, tu m’as fait une de ces peurs ! » lâche-t-il en tentant de reprendre sa respiration.
Il se retourne pour regarder à l’arrière de la camionnette.
« Moi, reprend Suzie, tu m’as oubliée. Oubliée ! »
Son ton n’a rien de pleurnichard, bien au contraire, et l’angoisse recouvre les épaules de Ben comme un linge trempé dans l’eau glacée lorsqu’elle ajoute :
« Tu sais ce que cela mérite ? »
Non, il l’ignore, mais il l’imagine sans problème, car le petit tac-tac-tac qu’il entend soudain dans son dos provoque en lui un irrépressible tremblement. Il sait que s’il se retourne, il va voir une griffe jaunâtre en forme de serre tapoter contre le bas de la vitre de sa portière.
« J’étais crevé, implore Ben. Je ne me rappelle même plus comment on est rentré hier soir et…
- Tu m’as oubliée ! Et tu ne serais même pas venu me dire un petit au-revoir.
- Mais non, Suzie, je… Je suis désolé. C’est la première et dernière fois que ça se…
- Et Bonnie?
- Quoi, Bonnie ?
- Oui, ta Bonneville ! Pourquoi est-elle encore ici ? Tu es sûr de bien avoir mis l’annonce ? Pas un coup de fil, pas un contact, rien !
- Mais j’ai mis l’annonce il n’y a même pas dix jours…
- Et alors ? Tu veux vraiment t’en séparer ou bien tu hésites encore, comme avec Marie ?
- Tu me fais une crise de jalousie ? s’étonne soudain Ben. Mais je t’ai dit que…
- Ta gueule ! »
La violence de la dernière phrase le renvoie vers le volant. Ses yeux papillonnent, comme sous le coup d’un terrible direct du droit. Il lui faut plusieurs secondes pour réaliser que Suzie continue de parler.
« Comment as-tu pu m’oublier ? »
Ben se frotte les paupières. Il a l’étrange impression de se réveiller d’un KO, ou plutôt d’une longue période de léthargie.
« Tout ça n’est pas réel… » murmure-t-il soudain.
Il lève la tête vers Suzie.
« Non, tout ça n’est pas réel, répète-t-il. Ce n’est pas réel car...
- Regarde tes mains, l’interrompt Suzie.
-… tu n’es qu’une putain de…
- Regarde tes mains ! aboie-t-elle avec rage.
- Quoi, mes mains ? » hurle Ben à son tour.
Il les exhibe devant son visage pour bien les lui montrer.
« Alors, qu’est-ce qu’elles ont, mes mains, hein ? Tu les vois bien, là, mes… »
Sa voix se brise. Il vient de remarquer de petites écorchures au bout de ses doigts. Alors qu’il tourne les paumes vers lui, il en voit d’autres, ainsi que deux ampoules qui ne demandent qu’à gonfler sur son index et son majeur. Il replie ses doigts et de minuscules traces sombres à la base de ses ongles attirent son attention : de la terre séchée que la douche n’a pas réussi à désincruster des replis de sa peau.
« Qu’est-ce-que tu m’as fait faire ? » demande-t-il à Suzie alors qu’il devine déjà la réponse.
Il déverrouille sa portière et descend de la camionnette. Dans la panique, ses jambes se sont mises à courir malgré lui pour l’emmener sur le côté de la villa. Il tombe à genoux lorsqu’il aperçoit une quatrième bande de terre fraichement retournée. Il regarde à nouveau ses mains, puis la terre qui brille encore de l’humidité de la nuit.
« Mon Dieu… » murmure-t-il.
Il se jette sur la bande de terre et se met à creuser, indifférent au bruit de griffes qui courent avec excitation sur les tuiles au-dessus de lui. Ses doigts s’écorchent sur les pierres, ses ongles se fendillent, mais il continue, de plus en plus acharné, de plus en plus horrifié. Il s’épuise en quelques secondes à creuser ainsi et il est sur le point de s’effondrer, à bout de souffle, lorsque ses doigts rencontrent autre chose que de la terre. Brusque regain d’énergie. Il écarte les derniers amas de terre et constate qu’il tient la manche d’un blouson en cuir. Une main en décomposition s’effrite lorsqu’il la soulève, tout comme l’avant-bras déjà rendu flasque par l’humidité du sol. Ben s’en débarrasse avec une grimace de dégoût, comme s’il venait de saisir un serpent, avant de comprendre que ce qu’il a pris pour de la chair n’est que la terre rentrée à l’intérieur de la manche.
« Mais qu’est-ce-que c’est que ce bordel ? » balbutie-t-il en dégageant le reste.
Il secoue le blouson pour en faire tomber la terre et le regarde, incapable de réaliser qu’il tient dans ses mains le vintage qu’il met lorsqu’il part faire une balade avec la Bonneville.
Il se tourne vers la bande de terre, bien trop grande pour ne contenir qu’un vêtement. Un petit reflet métallique au fond du trou attire alors son attention. Ben tend la main et commence à gratter doucement autour avec les gestes d’un archéologue. La forme chromée qui se dégage petit à petit est fine, arrondie, de la taille d’une sous-tasse, et lorsque les doigts rencontrent le verre du rétroviseur de la Bonneville, Ben sent soudain l’air lui manquer. Les pièces d’un puzzle aussi démoniaque que bancal s’assemblent à toute vitesse dans son esprit ravagé. Si sa moto est enterrée là, si Suzie l’a obligé à le faire pour assouvir sa jalousie, alors…
« Marie ! » hurle Ben à s’en déchirer les cordes vocales.
Il s’est jeté sur la première bande de terre. Au-dessus de lui, les griffes crissent de plus en plus frénétiquement sur les tuiles en cadence avec ses mains qui ont repris leur manège. Mais cette fois le sol est sec et bien trop dur. Ben essaye pourtant pendant de longues secondes malgré le sang qui suinte de ses ongles à moitié arrachés. En vain. De toute façon, il n’a plus la force ni la volonté d’affronter ce qu’il va découvrir.
« Tu ne m’a jamais vraiment aimée, lui lance Suzie dans la camionnette. Et maintenant, tu ne m’es plus d’aucune utilité. Après toi, il y en aura d’autres. Il y en a toujours eu d’autres. Je croyais que tu étais le bon mais… Je ne veux plus de toi ! Crève ! »
Ben lui hurle de se taire. Il se relève et marche jusqu’à la camionnette pour ouvrir les portes arrières dans un geste rageur, indifférent à l’ombre bondissante qui le suit depuis le toit. Dans le garage, il aperçoit le bidon d’essence juste à côté de la tondeuse à gazon.
« Non, c’est toi qui vas crever ! »
- Que fais-tu ? s’inquiète Suzie.
- A ton avis, espèce de salope, hein ? lance-t-il en prenant le bidon.
- Non, arrête… »
Le ton est presque implorant, même si elle ajoute une poignée de secondes plus tard qu’elle va devoir le tuer.
« Et comment, hein ? Dis-moi comment tu vas faire ? grogne-t-il en fouillant les étagères à la recherche d’un briquet ou d’une boite d’allumettes.
Il aperçoit enfin ce qu’il lui faut sur l’établi au fond du garage. Un étrange rictus de satisfaction se dessine sur son visage lorsqu’il prend le briquet.
« Arrête ! crie Suzie.
- C’est ça, parle toujours !
- Je t’aurais prévenu…
- Eh bien vas-y, tue-moi ! Comment comptes-tu t’y prendre ? »
Avec le bruit flasque d’un linge humide tombant sur le sol, la créature vient de se laisser tomber devant la porte du garage depuis le rebord du toit. Ben laisse échapper un rire dément.
« Toi, dit-il, tu n’existes pas ! »
Pourtant, son bras se tend vers l’étagère la plus proche à la recherche du premier objet qui pourrait lui servir d’arme. Ses doigts se ferment sur la forme familière du cutter. Nouvel éclat de rire.
« Oh non, tu n’existes pas, et quand bien même tu existerais, tu vas crever toi aussi ! »
Il se retourne d’un coup, la main tenant le cutter levée comme s’il s’apprêtait à frapper avec une hache, et la dernière chose qu’il voit est la gueule béante, démesurément grande et hérissée de lames de rasoir qui scintillent sur le rose des gencives lui sauter au visage.
***
« C’est elle que tu voulais me montrer ? »
Il s’appelle Marc, est jeune diplômé et vient d’intégrer la police scientifique.
« Ouais. Belle bête, hein ? fait remarquer Antoine, son tuteur. Toi qui veux passer ton permis moto, j’étais persuadé que tu n’allais pas y être insensible.
- Ça, tu peux le dire ! Elle doit dater du milieu des années 90. Mais qu’est-ce qu’elle fout là ?
- Tu te souviens, l’été dernier, l’affaire des trois motards assassinés dans la région ? Ben c’est sa moto.
- A un des motards ?
- Non, au débile qui les a tués. Il l’avait achetée même pas cinq mois avant.
- Et pourquoi il a fait ça ? »
Antoine hausse les épaules.
« Complètement siphonné, faut pas chercher plus loin. De toute façon, maintenant qu’il est mort, on ne saura jamais. Sa femme n’a rien pu dire, elle venait de le quitter. Une sacrée chance qu’elle a eue. Elle a juste expliqué qu’il n’en avait que pour cette bécane. On a retrouvé l’ADN des trois victimes sur la selle, si tu vois ce que je veux dire.
- Tu me charries, là ?
- Même pas. »
Si vingt-cinq ans de métier ont blindé son tuteur contre ce genre de choses, Marc ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine curiosité morbide. Mais après tout, s’il n’était pas curieux, s’il n’avait pas envie de comprendre, aurait-il choisi ce métier ?
« Un de ses voisins qui partait au travail a entendu des cris, reprend Antoine. Quand il est arrivé, il a trouvé le type en train de se taillader le visage au cutter. J’ai vu les photos, c’était vraiment pas beau.
- J’imagine… »
Marc s’approche de la moto. Un détail vient d’attirer son attention.
« Pourquoi il manque des lettres à la marque? demande-t-il.
- Va savoir. Peut-être une chute qui les a effacées, qu’est-ce-que j’en sais. »
Le stagiaire s’accroupit pour mieux voir. Aucune trace d’abrasion n’est visible. Du bout des doigts, il parcourt les espaces laissés vides dans le nom. Un délicieux frisson remonte le long de son avant-bras.
« Suz--i, lit-il à voix haute. C’est bizarre, on dirait un prénom de femme… »
Il lève alors la tête vers Antoine, le regard soudain brillant.
« Dis, tu crois que je peux la récupérer ? »
« Arrête ça ! » hurle l’homme.
Les yeux fermés, il serre son crâne avec ses mains comme pour en éjecter le cerveau de la même manière qu’il chercherait à vider un gigantesque furoncle de son pus.
« Tais-toi, je ne veux plus t’entendre ! »
Sous ses pieds, la vieille chaise gémit au moindre de ses mouvements.
« Je vais le faire si tu continues ! JE VAIS LE FAIRE ! »
Une de ses mains s’écarte avec hésitation et palpe l’air à la recherche d’un objet. Les doigts rencontrent la trame grossière des fibres et remontent jusqu’au nœud coulant. L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle passe autour du cou. Toujours aussi calme, presque soumise, la voix reprend :
« Cela ne servira à rien, tu le sais. Arrête, je t’en sup… »
- Non, toi, arrête ! ARRÊTE ! »
Il s’étrangle dans ses larmes et balbutie des mots que lui seul entend, ultime prière à sa raison qui le fuit. Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire, puis la gauche fait coulisser le nœud jusqu’à sa nuque. Les mouvements de sa pomme d’Adam lui donnent la nausée. La tension de la corde l’oblige à lever la tête. Il se met sur la pointe des pieds pour pouvoir baisser les yeux et regarder vers le bas.
Un soleil de fin d’après-midi entre par les vasistas dans le sous-sol de la maison. L’or de ses rayons saturés de poussières embrase l’œil de la créature qui se tient à genoux devant lui. Penchée en avant et en appui sur ses coudes, elle semble attendre une terrible punition ou s’offrir sexuellement. Ses vêtements bleu et blanc soulignent chaque courbe de son corps ferme et élancé. Sa voix est plus douce que jamais lorsqu’elle parle à nouveau, mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme fait basculer la chaise.
Le dossier claque contre le sol. Les jambes s’affolent. Les pieds battent l’air avec frénésie tandis que le corps est secoué de spasmes et que les mains agrippent le nœud, mais il est déjà trop tard. Après quelques secondes, le calme revient, à peine troublé par le grincement sinistre et régulier de la corde contre le rebord de la poutre.
Des tentacules d’ombre s’étirent en silence pour recouvrir complètement les murs tandis que le soleil continue sa course, imperturbable. Lorsqu’enfin plus aucune lumière ne fait étinceler l’iris de son œil, la créature se fond dans l’obscurité pour muer. Elle redevient alors ce qu’elle n’a jamais cessé d’être.
C’est la factrice qui alerte les secours le lendemain matin. Elle apporte un recommandé, et lorsqu’elle aperçoit la porte du garage entrebâillée, elle n’hésite pas à la pousser pour demander s’il y a quelqu’un. Elle n’a que le temps d’ouvrir la bouche pour parler avant que ses yeux s’écarquillent d’horreur. A l’arrivée des pompiers quelques minutes plus tard, elle tient encore son téléphone portable à la main. Immobile dans l’embrasure de la porte, elle est d’une pâleur cadavérique, hypnotisée par la langue hideuse et bouffie qui sort de la bouche du pendu dans une grimace obscène.
Guidé par un réflexe purement professionnel, le premier gendarme arrivé sur les lieux remarque tout de suite le morceau de papier sur l’établi. Il s’attend à lire quelques phrases désespérées comme il en a lu des dizaines au cours de sa carrière, mais à sa grande surprise, seul un mot est écrit en gros caractères maladroits visiblement tracés dans un état second : Suzie.
1
« Alors, tu sais quelque chose ? » demande sa mère.
Elle ne l’a pas salué, trop excitée de l’avoir vu à la une du journal local, même s’il apparait noyé dans la manifestation, et comme si regarder l’objectif à l’instant précis où le photographe a appuyé sur le bouton prouve qu’il peut lui faire des révélations sur les trois motards disparus dans la région depuis le début de l’été.
Ben retient un soupir avant de basculer son portable en mode haut-parleur. Il le pose sur l’établi pour répondre tout en continuant à nettoyer ses outils. Depuis le départ de Marie, ses rapports avec sa mère se sont tendus, comme si elle cherchait à lui faire comprendre qu’il a mal agi sans oser le lui dire ouvertement.
« Non maman, je ne sais rien. »
Il a parlé presque sèchement et s’en veut aussitôt. Il prend un ton conciliant pour continuer :
« Ecoute, je suis en train de bricoler dans le garage, et en plus ça passe mal… Je te rappelle dans quelques minutes si tu veux ? »
Sa mère s’excuse de l’avoir dérangé et raccroche, persuadée qu’il ne la rappellera pas.
Nouveau soupir. Même si Eric et surtout Suzie ont su se montrer convaincants, pourquoi a-t-il accepté de participer à cette manifestation avant-hier ? Il connait très bien une partie de la réponse, qui l’agace profondément : sa timidité qui, comme souvent, l’a empêché de refuser. Par contre, il n’ose pas s’avouer qu’à l’instar du millier d’autres motards présents, la peur de ne laisser derrière lui qu’une moto béquillée moteur en marche au bord d’une route comme dernier signe de vie le terrorise. Et comme pour le lui cracher à la figure, son visage se retrouve en première page du journal.
Peut-être est-ce un signe après tout. C’est en tout cas ce que lui chuchote une voix dans sa tête. Elle appartient à la créature de cauchemar au pelage noir corbeau et à la gueule hérissée de lames de rasoir qui ronge le bois de la vieille charpente certaines nuits, dans les combles, juste au-dessus de sa tête. Ben ne l’a jamais aperçue ailleurs que dans ses rêves les plus délirants, même si depuis le départ de Marie, il l’entend régulièrement ramper sous son lit, ses griffes trop longues grinçant sur le parquet. Une fois, il a osé se pencher sous le matelas pour regarder. Il s’est retrouvé face à deux braises incandescentes flottant dans les ténèbres de leurs orbites sans fond. Il s’est alors réveillé en sueur, le cœur martelant dans la poitrine comme une pompe qui tourne à vide.
De toute façon, de telles créatures n’existent pas dans le monde réel. Alors à quoi bon vérifier pour de vrai? Il n’a plus l’âge de ces bêtises.
« Tu as bientôt fini ? » demande Suzie, le coupant net dans ses réflexions.
Elle se tient de l’autre côté du garage, juste à côté de la porte qui mène au salon. Il la rejoint du même pas maladroit que celui d’un garçon d’une dizaine d’années qui s’approche de la plus jolie fille de la classe pour lui demander s’il peut s’assoir à côté d’elle. Il a voulu la faire sourire mais Suzie affiche une mine boudeuse ce soir.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demande-t-il.
Il se penche pour lui glisser un baiser.
« Dis, un jour, tu seras tout à moi ? fait-elle.
- Mais je le suis déjà.
- Non… Je veux dire vraiment tout à moi. A moi seule, tu comprends ?
- Tu sais bien que c’est une passion pour moi et…
- Et moi, je ne suis pas une passion pour toi ?
- Si, mais… »
Il ne peut s’empêcher de se mordre les lèvres lorsqu’il se tourne vers la vieille Triumph. Combien de fois s’est-il disputé avec Marie à son sujet, et combien de fois, à bout d’arguments, lui a-t-il promis de la vendre ? Il ferme les yeux pour se concentrer et trouver le ton juste, mais lorsqu’il parle, il se rend compte qu’il cède une fois de plus.
« Dès le week-end prochain, je m’en occupe, finit-il par dire.
- Juré ?
- Oui, juré.
- Je t’aime.
- Moi aussi, Suzie, je t’aime. »
***
Pause-déjeuner. L’atelier de meubles s’est tu, les Fenwicks ont arrêté leur ballet entre le quai de réception et le fond de la réserve.
Depuis une bonne demi-heure que Ben et lui sont assis sur quelques palettes empilées à l’abri du vieil auvent en tôle pour discuter et manger tranquillement, Eric n’a rien dit ou presque. Il se contente de banalités et allume cigarette sur cigarette, signe chez lui que quelque chose le tracasse et qu’il n’ose pas en parler. Ben s’en est rendu compte mais ne souhaite pas lui tendre la perche pour la simple et bonne raison qu’il se doute très bien du sujet en question, qui ne doit certainement pas être la photo dans le journal. Et il ne se trompe pas. Il soupire quand son ami, après avoir rangé les restes de son casse-croûte dans son sac plastique et allumé une nouvelle cigarette, se lance enfin.
« Tu as des nouvelles de Marie? »
Ben lui a fait part des tensions dans son couple dès qu’elles sont apparues, comme si se confier à un célibataire endurci de dix ans son ainé pouvait l’aider à les résoudre. Il lui a parlé de Suzie également et de la place de plus en plus importante qu’elle prend dans sa vie. Sur le coup, Eric n’a rien dit, se contentant de légers signes de tête comme pour montrer qu’il comprend son point de vue sans pour autant approuver.
Ben ne sait pas trop quoi répondre, et c’est une phrase sans grand rapport avec la question qui franchit ses lèvres.
« La conseillère d’éducation des garçons m’a appelé hier en fin d’après-midi car le portable de Marie ne répond pas. Elle s’étonne de ne pas voir les gamins.
- Et tu lui as dit quoi ?
- Que Marie m’a quitté il y a bientôt deux mois, début juillet, et qu’elle les a certainement inscrits ailleurs. J’ai essayé de l’appeler tout à l’heure mais je suis tombé sur sa messagerie.
- Et tes gosses ? »
Ben regarde son sandwich au jambon, qui lui parait soudain insipide. Il le pose sur la serviette après avoir écarté les deux moitiés de pain pour récupérer un cornichon qu’il croque à pleine dent. L’acidité le fait grimacer. Un véritable coup de fouet, exactement ce dont il a besoin.
« Je vais vendre la Bonneville » annonce-t-il.
La phrase est tombée d’un coup, comme un fruit trop mûr qui vient s’écraser sur le sol. Un instant décontenancé par ce deuxième brusque changement de sujet, Eric tire sur sa cigarette pour ne rien laisser paraitre.
« Tu es sérieux ? Tu m’as dit que ça fait au moins quinze ans que tu l’entretiens, cette bécane. »
Ben s’abandonne dans la contemplation de ses chaussures de sécurité. Une nouvelle éraflure sur le cuir au niveau du renfort en métal absorbe son attention. Bien piètre excuse pour ne pas relever les yeux.
« Je sais, mais ça ne peut pas durer ainsi. Déjà, avec Marie… C’est elle ou Suzie, et j’ai choisi.
- Tu ne crois pas que tout ça est allé un peu trop loin ? » insiste Eric en donnant un léger coup de menton en direction de la camionnette de Ben, garée à une vingtaine de mètres d’eux, juste à côté du bureau des réceptions.
Ben se raidit. Il sent un regard lourd peser sur lui et il garde la tête baissée. Cet utilitaire, il l’a échangé fin juin contre la voiture familiale et une bonne partie de leur budget vacances. Une idée de Suzie pour qu’elle puisse l’accompagner. Il n’a pas su dire non. Il se rappelle la scène que Marie lui a faite en cette fin d’après-midi quand il a franchi le portail à son volant, des cris qui ont fusé et des portes qui ont claqué. Heureusement que les garçons étaient chez des copains à eux, sinon ils auraient vu et entendu des choses qu’aucun gosse ne devrait jamais voir et entendre, et Marie a disparu de sa vie. Quand ils sont rentrés en fin d’après-midi, Ben leur a simplement dit que leur mère n’était plus là et qu’ils devaient la rejoindre. Et eux aussi ont disparu. Fin d’une époque.
« Et le crédit de la maison et le reste, tu y as pensé ? reprend Eric. Comment tu vas faire si Marie décide de garder son salaire ?
- Je ne sais pas, mais comment dire ? Je me sens bien, maintenant, tu comprends ? Libéré. »
Eric se contente d’un léger mouvement de la tête. Il attend quelques secondes pour parler à nouveau, mais un éclat de voix derrière eux leur fait remarquer que la pause est finie depuis cinq bonnes minutes et qu’ils doivent se bouger le cul. Ce qu’ils font sans échanger un mot.
***
A peine rentré chez lui en fin d’après-midi, Ben sort la Bonneville du garage. Il a promis à Suzie de la mettre en vente en fin de semaine, mais pourquoi attendre ?
Armé de son portable, il en fait le tour pour la photographier sous tous les angles. Alors qu’il a longtemps craint d’éprouver un sentiment de culpabilité ou, pire, l’impression qu’il allait se mutiler, il réalise qu’il a simplement trop attendu. Marie avait raison sur ce point : cette moto a pris une place trop importante dans leur vie. Mais elle se trompait en répétant que cette passion nuisait à leur couple. Loin d’être un handicap, la moto lui a permis de fuir. Coincé entre son travail et ses obligations de père, il n’aurait pas tenu si longtemps sans elle. Et tout a changé depuis sa rencontre avec Suzie.
« Ben, ça te dirait qu’on sorte ce soir ? »
La voix le surprend à peine. Il fait une dernière photo avant de rejoindre Suzie devant le garage. Sa main se pose d’elle-même sur sa hanche, juste à l’endroit où la courbe se fait plus marquée. Une soudaine envie lui donne une bouffée de chaleur.
« Mais on est en semaine, fait-il remarquer, s’en voulant aussitôt de ne rien avoir trouvé de plus stupide à répondre.
- Et alors ? Il y aura moins de monde. Et avec le temps qu’il fait, on pourra même se balader en amoureux. Demain, tu es d’après-midi, je te rappelle, ce qui nous laisse toute la nuit. »
Il en éprouve presque un vertige. Oui, une grasse matinée, en pleine semaine, après une nuit de douceurs.
« File mettre ton annonce en ligne, dit-elle, et après, on y va. »
Il manque d’objecter que les jumeaux n’ont pas encore mangé, puis il réalise que cela fait désormais partie de son passé. Tout comme Marie. Il éclate de rire, heureux de se sentir vivre.
***
Neuf heures du matin. Dans son sommeil, Ben sourit. Une sonnerie de téléphone résonne au loin. Par reflexe, il tend le bras vers la table de nuit en marmonnant, mais la petite musique s’interrompt au bout de quelques secondes. Le sommeil l’enveloppe à nouveau. Il sursaute soudain lorsque la sonnerie reprend, beaucoup plus proche. Et pour cause. Il a dû rêver la première, mais cette fois, c’est bien celle de son portable qui lui vrille les tympans. Il attrape le minuscule téléphone à côté du radioréveil et décroche à la volée. Lorsqu’il le plaque contre son oreille, il entend une femme parler. Encore abruti de sommeil, il met plusieurs secondes à comprendre les mots.
« … ous appelle à nouveau. »
Ben passe en revue à toute vitesse les voix qu’il connait. Le visage plein de sévérité de la conseillère d’éducation du collège des garçons s’affiche devant ses yeux.
« Vous avez compris ce que j’ai dit ? s’inquiète la voix.
- Oui, oui, ment-il.
- Pouvez-vous alors me dire si votre femme les a inscrits dans une autre école ? »
Ben se frotte la figure pour se réveiller complètement. Il se redresse contre la tête du lit.
« Je l’ignore, mais elle l’a certainement fait. Comme je vous l’ai dit avant-hier, nous nous sommes séparés il y a deux mois et...
- Et vous ignorez où elle se trouve ?
- Oui. Enfin non. Elle est partie chez ses parents, mais je suppose que si quelque chose n’allait pas, elle m’aurait appelé de toute façon. »
Le silence qui suit est si lourd de reproches que Ben croit s’entendre dire qu’il est le père le plus indigne de la Terre.
« Vous comprenez tout de même que je ne peux pas laisser deux enfants de quatorze ans non scolarisés ? reprend la conseillère. Ce serait contraire à… »
Les yeux fermés, Ben la laisse parler sans plus lui prêter d’attention et finit par lui raccrocher au nez sans s’en rendre compte. Comme à chaque fois qu’il doit affronter son air supérieur, il a eu une terrible envie de lui hurler d’aller se faire foutre, sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas sa timidité qui l’en a empêché mais le fait qu’il est trop fatigué pour simplement s’énerver. Suzie l’a épuisé, vidé. Il ouvre soudain les yeux. Sa main vient de glisser vers son caleçon et il se rend compte qu’il a une érection. Depuis quand, après une nuit avec Marie, ne l’a-t-il pas désirée à nouveau dès le lendemain matin ? Depuis quand, d’ailleurs, n’a-t-il pas baisé avec elle ?
Un sourire illumine son visage, du genre de ceux qu’il faisait en discothèque à ses potes en leur demandant les clefs de leur voiture pour disposer de la banquette arrière. Mais le sourire s’étiole. Son reflet dans la glace de l’armoire le renvoie ce samedi soir de juin, alors qu’il n’a que dix-neuf ans et qu’il fête son baccalauréat. A l’arrière de la vieille Alfa-Roméo, le boum-boum de la discothèque lui semble terriblement loin, surtout que la fille qui enlève maintenant sa petite culotte et qui vient de l’exciter avec une pipe d’enfer dans un recoin du parking est trop bourrée pour prêter attention à certains détails, détails qui expliquent qu’il se retrouve à trente-quatre ans à s’user la santé en retapant une vieille ferme décrépie dans un hameau d’un village paumé - parce qu’elle a voulu une maison à la campagne qu’il ne pouvait pas lui payer - ou qu’il encaisse sans broncher les remontrances sur l’argent que leur coûte l’entretien de ses motos - parce qu’il y a tellement mieux à faire avec. De toute façon, pense alors Ben, elle n’est que le coup d’un soir. Cela fait trois semaines qu’il la drague, et enfin il atteint son but. Il la baise, fier de l’entendre gémir sous lui et heureux de prendre son pied comme jamais jusqu’alors. Pourtant, dès le lendemain, chez ses parents, à peine émerge-t-il de sous les draps que le doute vient s’immiscer dans son esprit encore abruti d’alcool et de musique. Et quand deux mois plus tard, il décroche le téléphone et entend une voix qu’il a déjà oubliée en pleurs à l’autre bout du fil, il comprend que sa vie vient de basculer.
Mais tout cela est loin maintenant. Et avec Suzie, c’est différent. En fait, tout est différent avec Suzie, et face à son reflet, Ben retrouve le sourire car il sait que rien ne l’empêche de la rejoindre tout de suite pour lui dire combien il l’aime, caresser avec douceur son visage du revers de la main, parcourir ses formes du bout des doigts, et sentir sa peau, lisse et fraiche, son doux parfum enivrant, et se laisser aller à beaucoup plus…
Non, rien ne l’en empêche, et il la rejoint en courant, sans même s’habiller.
***
Une semaine s’écoule, pendant laquelle Ben voit les messages laissés par la conseillère d’éducation s’accumuler sur sa messagerie, qu’il ne consulte pas. Il a souvent failli décrocher, mais à chaque fois, son pouce est resté suspendu au-dessus de la touche. Tapie dans les ténèbres de son esprit, la créature lui a murmuré de ne pas le faire et il a obéi. Il sait pourtant que cette situation ne peut durer éternellement et que cette sale fouineuse de fonctionnaire ne va pas le laisser tranquille. Elle est même capable de venir chez lui. D’ailleurs, elle l’a déjà fait l’année dernière, accompagnée d’une assistante sociale, le jour où un des jumeaux est arrivé en classe avec un méchant coquard et des bleus sur les bras. Ben a eu le plus grand mal à les convaincre qu’il était tombé dans les escaliers.
Oui, il doit régler ce problème. Suzie lui en a d’ailleurs parlé. Elle lui a également fait remarquer qu’il devrait replanter du gazon sur les trois bandes de terre retournée sur le côté de la villa. La haie a beau être suffisamment haute à cet endroit pour que même le voisin ne voie rien depuis son premier étage, cela ne fait pas très propre.
« On dirait des tombes », a-t-elle conclu avec une certaine ironie dans la voix avant de l’attirer contre elle.
Suzie a raison, elles ressemblent à s’y méprendre à ces petits monticules de pierres qu’on voit dans les westerns quand le héros vient d’enterrer sa famille massacrée par des Indiens. Ben ne veut pas se souvenir pour quelle raison il a creusé à cet endroit, car il devine que s’il essaye, il va entendre la porte du placard de la chambre s’entrebâiller cette nuit ou une autre pour laisser apparaitre deux braises d’un rouge infernal qui vont le regarder dans l’obscurité.
La lumière du crépuscule qui entre par la petite lucarne du garage teinte son visage et ses yeux en un gris malsain. De grosses gouttes de sueur commencent à perler à son front. Sous lui, Suzie râle de plaisir, mais déjà Ben ne l’entend plus. En une poignée de secondes, elle l’a propulsé bien au-delà de la jouissance et de ce qu’il peut décrire. Lancé à pleine vitesse, il parcourt des routes entre fantasmes et folie.
***
Il est 6h00 lorsque le radioréveil se met en route le lendemain matin. Ben ouvre péniblement les yeux. Une fois de plus, il est crevé. Mais aujourd’hui, c’est bien plus qu’une simple fatigue physique; son dos et ses épaules ne sont qu’un nœud de courbatures et de douleurs diverses.
« Tu deviens vieux » se marmonne-t-il à lui-même.
Il se fait violence pour aller jusqu’à la douche. Eau chaude, puis glacée, puis de nouveau chaude. Son esprit s’éclaircit, les courbatures s’atténuent. Il s’essuie rapidement et n’enfile que ses sous-vêtements pour prendre son petit-déjeuner. Il se contente d’une tasse de café noir et de deux biscottes qu’il grignote sans même les beurrer. Cuisiner n’a jamais été son truc, et ce n’est pas celui de Suzie. D’ailleurs, Suzie ne met jamais la table et ne fait jamais la vaisselle non plus.
Brossage succinct des dents. Il finit de s’habiller et sort sur l’allée en terre battue. L’air frais réveille ses courbatures.
Il s’installe au volant de la camionnette. Face à lui, les premières lueurs du jour éclaircissent un ciel sans nuage par-dessus les collines. Le village s’anime doucement en cette mi-septembre.
« Tu n’as rien oublié ? » fait une voix dans son dos.
Ben sent son cœur bondir dans sa poitrine. Il saisit le volant à pleines mains pour se maitriser. Dans le rétroviseur intérieur, le reflet de Suzie le fixe droit dans les yeux.
« Putain, tu m’as fait une de ces peurs ! » lâche-t-il en tentant de reprendre sa respiration.
Il se retourne pour regarder à l’arrière de la camionnette.
« Moi, reprend Suzie, tu m’as oubliée. Oubliée ! »
Son ton n’a rien de pleurnichard, bien au contraire, et l’angoisse recouvre les épaules de Ben comme un linge trempé dans l’eau glacée lorsqu’elle ajoute :
« Tu sais ce que cela mérite ? »
Non, il l’ignore, mais il l’imagine sans problème, car le petit tac-tac-tac qu’il entend soudain dans son dos provoque en lui un irrépressible tremblement. Il sait que s’il se retourne, il va voir une griffe jaunâtre en forme de serre tapoter contre le bas de la vitre de sa portière.
« J’étais crevé, implore Ben. Je ne me rappelle même plus comment on est rentré hier soir et…
- Tu m’as oubliée ! Et tu ne serais même pas venu me dire un petit au-revoir.
- Mais non, Suzie, je… Je suis désolé. C’est la première et dernière fois que ça se…
- Et Bonnie?
- Quoi, Bonnie ?
- Oui, ta Bonneville ! Pourquoi est-elle encore ici ? Tu es sûr de bien avoir mis l’annonce ? Pas un coup de fil, pas un contact, rien !
- Mais j’ai mis l’annonce il n’y a même pas dix jours…
- Et alors ? Tu veux vraiment t’en séparer ou bien tu hésites encore, comme avec Marie ?
- Tu me fais une crise de jalousie ? s’étonne soudain Ben. Mais je t’ai dit que…
- Ta gueule ! »
La violence de la dernière phrase le renvoie vers le volant. Ses yeux papillonnent, comme sous le coup d’un terrible direct du droit. Il lui faut plusieurs secondes pour réaliser que Suzie continue de parler.
« Comment as-tu pu m’oublier ? »
Ben se frotte les paupières. Il a l’étrange impression de se réveiller d’un KO, ou plutôt d’une longue période de léthargie.
« Tout ça n’est pas réel… » murmure-t-il soudain.
Il lève la tête vers Suzie.
« Non, tout ça n’est pas réel, répète-t-il. Ce n’est pas réel car...
- Regarde tes mains, l’interrompt Suzie.
-… tu n’es qu’une putain de…
- Regarde tes mains ! aboie-t-elle avec rage.
- Quoi, mes mains ? » hurle Ben à son tour.
Il les exhibe devant son visage pour bien les lui montrer.
« Alors, qu’est-ce qu’elles ont, mes mains, hein ? Tu les vois bien, là, mes… »
Sa voix se brise. Il vient de remarquer de petites écorchures au bout de ses doigts. Alors qu’il tourne les paumes vers lui, il en voit d’autres, ainsi que deux ampoules qui ne demandent qu’à gonfler sur son index et son majeur. Il replie ses doigts et de minuscules traces sombres à la base de ses ongles attirent son attention : de la terre séchée que la douche n’a pas réussi à désincruster des replis de sa peau.
« Qu’est-ce-que tu m’as fait faire ? » demande-t-il à Suzie alors qu’il devine déjà la réponse.
Il déverrouille sa portière et descend de la camionnette. Dans la panique, ses jambes se sont mises à courir malgré lui pour l’emmener sur le côté de la villa. Il tombe à genoux lorsqu’il aperçoit une quatrième bande de terre fraichement retournée. Il regarde à nouveau ses mains, puis la terre qui brille encore de l’humidité de la nuit.
« Mon Dieu… » murmure-t-il.
Il se jette sur la bande de terre et se met à creuser, indifférent au bruit de griffes qui courent avec excitation sur les tuiles au-dessus de lui. Ses doigts s’écorchent sur les pierres, ses ongles se fendillent, mais il continue, de plus en plus acharné, de plus en plus horrifié. Il s’épuise en quelques secondes à creuser ainsi et il est sur le point de s’effondrer, à bout de souffle, lorsque ses doigts rencontrent autre chose que de la terre. Brusque regain d’énergie. Il écarte les derniers amas de terre et constate qu’il tient la manche d’un blouson en cuir. Une main en décomposition s’effrite lorsqu’il la soulève, tout comme l’avant-bras déjà rendu flasque par l’humidité du sol. Ben s’en débarrasse avec une grimace de dégoût, comme s’il venait de saisir un serpent, avant de comprendre que ce qu’il a pris pour de la chair n’est que la terre rentrée à l’intérieur de la manche.
« Mais qu’est-ce-que c’est que ce bordel ? » balbutie-t-il en dégageant le reste.
Il secoue le blouson pour en faire tomber la terre et le regarde, incapable de réaliser qu’il tient dans ses mains le vintage qu’il met lorsqu’il part faire une balade avec la Bonneville.
Il se tourne vers la bande de terre, bien trop grande pour ne contenir qu’un vêtement. Un petit reflet métallique au fond du trou attire alors son attention. Ben tend la main et commence à gratter doucement autour avec les gestes d’un archéologue. La forme chromée qui se dégage petit à petit est fine, arrondie, de la taille d’une sous-tasse, et lorsque les doigts rencontrent le verre du rétroviseur de la Bonneville, Ben sent soudain l’air lui manquer. Les pièces d’un puzzle aussi démoniaque que bancal s’assemblent à toute vitesse dans son esprit ravagé. Si sa moto est enterrée là, si Suzie l’a obligé à le faire pour assouvir sa jalousie, alors…
« Marie ! » hurle Ben à s’en déchirer les cordes vocales.
Il s’est jeté sur la première bande de terre. Au-dessus de lui, les griffes crissent de plus en plus frénétiquement sur les tuiles en cadence avec ses mains qui ont repris leur manège. Mais cette fois le sol est sec et bien trop dur. Ben essaye pourtant pendant de longues secondes malgré le sang qui suinte de ses ongles à moitié arrachés. En vain. De toute façon, il n’a plus la force ni la volonté d’affronter ce qu’il va découvrir.
« Tu ne m’a jamais vraiment aimée, lui lance Suzie dans la camionnette. Et maintenant, tu ne m’es plus d’aucune utilité. Après toi, il y en aura d’autres. Il y en a toujours eu d’autres. Je croyais que tu étais le bon mais… Je ne veux plus de toi ! Crève ! »
Ben lui hurle de se taire. Il se relève et marche jusqu’à la camionnette pour ouvrir les portes arrières dans un geste rageur, indifférent à l’ombre bondissante qui le suit depuis le toit. Dans le garage, il aperçoit le bidon d’essence juste à côté de la tondeuse à gazon.
« Non, c’est toi qui vas crever ! »
- Que fais-tu ? s’inquiète Suzie.
- A ton avis, espèce de salope, hein ? lance-t-il en prenant le bidon.
- Non, arrête… »
Le ton est presque implorant, même si elle ajoute une poignée de secondes plus tard qu’elle va devoir le tuer.
« Et comment, hein ? Dis-moi comment tu vas faire ? grogne-t-il en fouillant les étagères à la recherche d’un briquet ou d’une boite d’allumettes.
Il aperçoit enfin ce qu’il lui faut sur l’établi au fond du garage. Un étrange rictus de satisfaction se dessine sur son visage lorsqu’il prend le briquet.
« Arrête ! crie Suzie.
- C’est ça, parle toujours !
- Je t’aurais prévenu…
- Eh bien vas-y, tue-moi ! Comment comptes-tu t’y prendre ? »
Avec le bruit flasque d’un linge humide tombant sur le sol, la créature vient de se laisser tomber devant la porte du garage depuis le rebord du toit. Ben laisse échapper un rire dément.
« Toi, dit-il, tu n’existes pas ! »
Pourtant, son bras se tend vers l’étagère la plus proche à la recherche du premier objet qui pourrait lui servir d’arme. Ses doigts se ferment sur la forme familière du cutter. Nouvel éclat de rire.
« Oh non, tu n’existes pas, et quand bien même tu existerais, tu vas crever toi aussi ! »
Il se retourne d’un coup, la main tenant le cutter levée comme s’il s’apprêtait à frapper avec une hache, et la dernière chose qu’il voit est la gueule béante, démesurément grande et hérissée de lames de rasoir qui scintillent sur le rose des gencives lui sauter au visage.
***
« C’est elle que tu voulais me montrer ? »
Il s’appelle Marc, est jeune diplômé et vient d’intégrer la police scientifique.
« Ouais. Belle bête, hein ? fait remarquer Antoine, son tuteur. Toi qui veux passer ton permis moto, j’étais persuadé que tu n’allais pas y être insensible.
- Ça, tu peux le dire ! Elle doit dater du milieu des années 90. Mais qu’est-ce qu’elle fout là ?
- Tu te souviens, l’été dernier, l’affaire des trois motards assassinés dans la région ? Ben c’est sa moto.
- A un des motards ?
- Non, au débile qui les a tués. Il l’avait achetée même pas cinq mois avant.
- Et pourquoi il a fait ça ? »
Antoine hausse les épaules.
« Complètement siphonné, faut pas chercher plus loin. De toute façon, maintenant qu’il est mort, on ne saura jamais. Sa femme n’a rien pu dire, elle venait de le quitter. Une sacrée chance qu’elle a eue. Elle a juste expliqué qu’il n’en avait que pour cette bécane. On a retrouvé l’ADN des trois victimes sur la selle, si tu vois ce que je veux dire.
- Tu me charries, là ?
- Même pas. »
Si vingt-cinq ans de métier ont blindé son tuteur contre ce genre de choses, Marc ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine curiosité morbide. Mais après tout, s’il n’était pas curieux, s’il n’avait pas envie de comprendre, aurait-il choisi ce métier ?
« Un de ses voisins qui partait au travail a entendu des cris, reprend Antoine. Quand il est arrivé, il a trouvé le type en train de se taillader le visage au cutter. J’ai vu les photos, c’était vraiment pas beau.
- J’imagine… »
Marc s’approche de la moto. Un détail vient d’attirer son attention.
« Pourquoi il manque des lettres à la marque? demande-t-il.
- Va savoir. Peut-être une chute qui les a effacées, qu’est-ce-que j’en sais. »
Le stagiaire s’accroupit pour mieux voir. Aucune trace d’abrasion n’est visible. Du bout des doigts, il parcourt les espaces laissés vides dans le nom. Un délicieux frisson remonte le long de son avant-bras.
« Suz--i, lit-il à voix haute. C’est bizarre, on dirait un prénom de femme… »
Il lève alors la tête vers Antoine, le regard soudain brillant.
« Dis, tu crois que je peux la récupérer ? »
FIN
Dernière édition par Demi-Tour le Ven 4 Oct - 12:03, édité 2 fois
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Je n'ai pas eu encore le temps de tout lire, mais j'ai envie de savoir la suite.
Pour moi, cette histoire relève du fantastique. Mais il est vrai que toute hallucination ou délire donne un effet fantastique au récit. Sinon, comme toujours, j'aime ta description. Elle est fluide, précise et permet de suite au lecteur de s'imaginer la scène.
J'ai tout de suite reconnu que ce texte était le tien ! Pas seulement à cause des motards, mais plutôt pour tes personnages (leur personnalité sont souvent torturée, et très recherchée)
Donc oui, ça me donne envie de lire la suite.
Pour moi, cette histoire relève du fantastique. Mais il est vrai que toute hallucination ou délire donne un effet fantastique au récit. Sinon, comme toujours, j'aime ta description. Elle est fluide, précise et permet de suite au lecteur de s'imaginer la scène.
J'ai tout de suite reconnu que ce texte était le tien ! Pas seulement à cause des motards, mais plutôt pour tes personnages (leur personnalité sont souvent torturée, et très recherchée)
Donc oui, ça me donne envie de lire la suite.
Malicie- Date d'inscription : 07/06/2013
Age : 30
Localisation : 81
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Ben t'attends quoi? (nb : le texte est en entier dans le message précédent)Malicie a écrit:Je n'ai pas eu encore le temps de tout lire, mais j'ai envie de savoir la suite.
Merci du compliment.Malicie a écrit: Sinon, comme toujours, j'aime ta description. Elle est fluide, précise et permet de suite au lecteur de s'imaginer la scène.
Cependant, mon style "bref et concis" (pour reprendre une remarque de "je ne sais plus qui un peu plus haut", j'ai la flemme de regarder ) trouve là sa limite : réussir à expliquer. Tout auteur a une idée de son récit dans sa tête, de l'allure des personnages, des situations, des lieux, etc, et trop synthétiser, comme j'ai tendance à le faire, peut parfois nuire car je ne retranscris pas tout, du coup, dans mes textes...
Merci du compliment, car pour moi, cette personnalité est un élément primordial du texte. Mais... tu t'es arrêtée où? (je demande car la personnalité et ce qui l'a forgée se dévoile au fur et à mesure).Malicie a écrit:
J'ai tout de suite reconnu que ce texte était le tien ! Pas seulement à cause des motards, mais plutôt pour tes personnages (leur personnalité sont souvent torturée, et très recherchée)
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
J'en suis là :
Son ton n’a rien de pleurnichard, bien au contraire, et l’angoisse recouvre les épaules de Ben comme un linge trempé dans l’eau glacée lorsqu’elle ajoute :
« Tu sais ce que cela mérite ? »
Malicie- Date d'inscription : 07/06/2013
Age : 30
Localisation : 81
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Je l'ai finie ! La fin est super, sans déc' !
En tous cas moi, à la place d'Antoine, je n'aurais pas récupérer la moto ! C'est mon avis, mais je ne prendrais jamais des affaires qui auraient appartenu à un tueur ou une victime. C'est peut-être de la superstition, mais ça me ferait un peu flippé ^^
Ensuite, j'aime bien ce côté mystique que tu insuffles à ton histoire. Cela laisse planer un doute, une incertitude : on ne saura jamais si la créature était une hallucination, ou pas.
Après, au niveau des fautes et de la structure des phrases, ce n'est pas moi qui vais te conseiller ^^ (J'ai déjà dû mal à écrire deux phrases sans des fautes, alors...) En tous cas, aucun souci de compréhension. Ah, oui, j'aime bien aussi tes dialogues. Je sais pas, ils font naturels, ce que j'ai dû mal à faire avec mes propres textes.
En tous cas moi, à la place d'Antoine, je n'aurais pas récupérer la moto ! C'est mon avis, mais je ne prendrais jamais des affaires qui auraient appartenu à un tueur ou une victime. C'est peut-être de la superstition, mais ça me ferait un peu flippé ^^
Ensuite, j'aime bien ce côté mystique que tu insuffles à ton histoire. Cela laisse planer un doute, une incertitude : on ne saura jamais si la créature était une hallucination, ou pas.
Après, au niveau des fautes et de la structure des phrases, ce n'est pas moi qui vais te conseiller ^^ (J'ai déjà dû mal à écrire deux phrases sans des fautes, alors...) En tous cas, aucun souci de compréhension. Ah, oui, j'aime bien aussi tes dialogues. Je sais pas, ils font naturels, ce que j'ai dû mal à faire avec mes propres textes.
Malicie- Date d'inscription : 07/06/2013
Age : 30
Localisation : 81
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
MerciMalicie a écrit:Je l'ai finie ! La fin est super, sans déc' !
Ben ça tombe bien, c'est Marc qui se pose la question.Malicie a écrit:
En tous cas moi, à la place d'Antoine, je n'aurais pas récupérer la moto ! C'est mon avis, mais je ne prendrais jamais des affaires qui auraient appartenu à un tueur ou une victime. C'est peut-être de la superstition, mais ça me ferait un peu flippé ^^
Ah ben voilà... Comme quoi, la bêta-lecture, ça permet bel et bien d'affiner un texte. En l'occurrence, pour moi, cela ne faisait (presque ) aucun doute, mais étant l'auteur du texte, je n'ai pas toujours le recul nécessaire pour voir et surtout comprendre ce que le lecteur voit et comprend de son côté. Et donc, j'ai relu la partie "clé" du texte, et j'ai juste changé un mot : "léger", que j'ai remplacé par "délicieux", en parlant du frisson ressenti par Marc (c'est pratiquement à la fin du texte).Malicie a écrit:
Ensuite, j'aime bien ce côté mystique que tu insuffles à ton histoire. Cela laisse planer un doute, une incertitude : on ne saura jamais si la créature était une hallucination, ou pas.
Du coup, cela change-t-il quelque chose pour toi ?
Ben écoute, je ne fais rien pourMalicie a écrit: En tous cas, aucun souci de compréhension. Ah, oui, j'aime bien aussi tes dialogues. Je sais pas, ils font naturels, ce que j'ai dû mal à faire avec mes propres textes.
Pour tes dialogues, il faudra qu'on regarde ça ensemble pour voir si on peut y faire quelque chose.
En tout cas, merci pour tes commentaires!
Sinon, pour en revenir au texte en soi. Je crois bien que c'est celui qui m'a le plus fait suer (en fait, j'en suis sûr!). C'est la première fois que j'écris du fantastique, et je m'aperçois que c'est loin d'être évident. D'ailleurs, une question à ce sujet : les scènes avec la créatures, ou les "braises" sont-elles "crédibles", pas trop lourdes, etc? La bestiole inspire-t-elle de la crainte? Bref, qui en a pensé quoi?
Je demande car cette créature m'a posé énormément de problèmes
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
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Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Ah mince, je me suis trompé dans les prénoms, désolée ^^
En tous cas, pour moi, la créature est bien définie et crédible. Je veux dire, même si elle est complètement irréelle, son apparence ne semble ni grotesque, ni inimaginable. Après, c'est vrai que c'est dur d'écrire du fantastique. Parfois, j'ai une créature dans la tête, je me la suis bien représenté, mais une fois la description faite, ça ne ressemble pas à ce que j'imagine. Et le pire, c'est quand je le fais lire à des amis, et qui comprennent complètement l'inverse !
En tous cas, pour moi, la créature est bien définie et crédible. Je veux dire, même si elle est complètement irréelle, son apparence ne semble ni grotesque, ni inimaginable. Après, c'est vrai que c'est dur d'écrire du fantastique. Parfois, j'ai une créature dans la tête, je me la suis bien représenté, mais une fois la description faite, ça ne ressemble pas à ce que j'imagine. Et le pire, c'est quand je le fais lire à des amis, et qui comprennent complètement l'inverse !
Malicie- Date d'inscription : 07/06/2013
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Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Ah voilà. Ca faisait un moment que je me disais, faut que je la lise...
Eh bien, je ne suis pas déçu d'avoir pris le temps.
La fin est bien amené, le tout, pour une première incursion dans le fantastique, bien maîtrisé.
On est bien dans la folie du personnage.
Bon, mais quand même, quelques petites remarques, parce qu'il le faut bien.
Il y a aussi une phrase, quand tu racontes la rencontre de ton personnage avec sa femme en boîte de nuit. L'alpha roméo et tout ça. La phrase est longue longue (4 lignes sur mon écran et pourtant il est grand)... Pas l'habitude venant de toi. Elle ne pourrait pas être coupée?
Voilà voilà
Eh bien, je ne suis pas déçu d'avoir pris le temps.
La fin est bien amené, le tout, pour une première incursion dans le fantastique, bien maîtrisé.
On est bien dans la folie du personnage.
Bon, mais quand même, quelques petites remarques, parce qu'il le faut bien.
"plaque" me paraît bizarre dans le contexte. Ca donne l'impression qu'après il ne peut plus bouger. "positionne"?Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire
Répétition de "côté" => "tout près de la porte"?Elle se tient de l’autre côté du garage, juste à côté de la porte qui mène au salon.
Un oubli quelque part, non? "... à ce samedi soirSon reflet dans la glace de l’armoire le renvoie ce samedi soir de juin
Il y a aussi une phrase, quand tu racontes la rencontre de ton personnage avec sa femme en boîte de nuit. L'alpha roméo et tout ça. La phrase est longue longue (4 lignes sur mon écran et pourtant il est grand)... Pas l'habitude venant de toi. Elle ne pourrait pas être coupée?
Voilà voilà
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Gallingham : merci pour tes commentaires et pour avoir pris le temps de lire ce texte, qui mine de rien, fait 20 pages au format "édition" (15x21).
Comme tu le soulignes, c'est ma première incursion dans le fantastique, et comme je l'ai dit plus haut, cela m'a sacrément fait suer. Quoi? Eh bien trouver le juste équilibre entre décrire les sensations du personnage et ce qui est plausible, et surtout, amener le fantastique sans en faire trop.
Par exemple, la créature aux yeux de braise, qui a été au début un genre de double diabolique du Chat du Chester, puis une vraie créature de cauchemar, etc. Et puis, à force de m'user le cerveau, j'ai adopté ce que je conseille à tout le monde ou presque : synthétiser pour éviter de se noyer dans le texte et en faire trop.
Bref, la créature n'est pratiquement pas décrite, mais cela m'a pis du temps... à ne pas la décrire
Sinon, pour les remarques en soi :
- "plaque la corde" --> ouais, à la relecture, et maintenant que tu le soulignes, le verbe est un peu "sec" (si je puis dire); je vais donc aller fouiller dans mon bon vieux dictionnaire des synonymes
- répétition de "à côté " : ben voilà, un grand merci, car après je ne sais pas combien de lectures de ma part, je ne l'ai même pas vue (et maintenant, je ne vois plus que ça, c'est malin!)
- "le revoie (à) ce samedi..." : vais me renseigner, car ça me parait noraml, mais maintenant que tu en parles, j'ai un gros doute...
Enfin, pour la phrase de la discothèque : oui, elle est trèèèèèèèèèèèèèèèèèès longue, et c'est voulu ainsi, pour montrer que tout un tas d'évènements ou de faits s'enchainent un peu sans contrôle. Je crains qu'en la découpant, cet effet soit perdu (bon, d'un autre côté, il n'est peut-être pas non plus super bien retranscrit ). Mais d'un autre côté, je partage ton avis sur cette longueur. Je vais laisser le texte "mûrir"au fond de mon disque dur et le relire à tête reposer dans 2 ou 3 semaines.
Comme tu le soulignes, c'est ma première incursion dans le fantastique, et comme je l'ai dit plus haut, cela m'a sacrément fait suer. Quoi? Eh bien trouver le juste équilibre entre décrire les sensations du personnage et ce qui est plausible, et surtout, amener le fantastique sans en faire trop.
Par exemple, la créature aux yeux de braise, qui a été au début un genre de double diabolique du Chat du Chester, puis une vraie créature de cauchemar, etc. Et puis, à force de m'user le cerveau, j'ai adopté ce que je conseille à tout le monde ou presque : synthétiser pour éviter de se noyer dans le texte et en faire trop.
Bref, la créature n'est pratiquement pas décrite, mais cela m'a pis du temps... à ne pas la décrire
Sinon, pour les remarques en soi :
- "plaque la corde" --> ouais, à la relecture, et maintenant que tu le soulignes, le verbe est un peu "sec" (si je puis dire); je vais donc aller fouiller dans mon bon vieux dictionnaire des synonymes
- répétition de "à côté " : ben voilà, un grand merci, car après je ne sais pas combien de lectures de ma part, je ne l'ai même pas vue (et maintenant, je ne vois plus que ça, c'est malin!)
- "le revoie (à) ce samedi..." : vais me renseigner, car ça me parait noraml, mais maintenant que tu en parles, j'ai un gros doute...
Enfin, pour la phrase de la discothèque : oui, elle est trèèèèèèèèèèèèèèèèèès longue, et c'est voulu ainsi, pour montrer que tout un tas d'évènements ou de faits s'enchainent un peu sans contrôle. Je crains qu'en la découpant, cet effet soit perdu (bon, d'un autre côté, il n'est peut-être pas non plus super bien retranscrit ). Mais d'un autre côté, je partage ton avis sur cette longueur. Je vais laisser le texte "mûrir"au fond de mon disque dur et le relire à tête reposer dans 2 ou 3 semaines.
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Salut à tous!
Je déterre ce texte car je l'ai retravaillé quelques mois après. J'ai pensé que ce serait sympa de le partager à nouveau pour montrer de quelle manière il a évolué, surtout sur la forme, le fond de l'histoire étant le même. A noter cependant que la première partie, celle du suicide dans le garage, a été purement et simplement éliminée dans la nouvelle version, car j'ai jugée qu'elle n'apportait rien.
Le texte nouvelle version est mis en "spoiler" (barres jaune clair sur lesquelles il suffit de cliquer pour voir apparaître le texte), partie par partie, afin de bien voir l'évolution. Pour ceux qui n'ont jamais lu cette nouvelle, je leur conseille de commencer par la nouvelle version, que je trouve bien mieux (j'espère que je ne me berce pas d'illusions ); d'ailleurs, s'ils veulent s'en tenir à celle-ci, je ne leur en voudrais pas, hein
Pour info, le texte original comporte 5615 mots. Je les ai comptabilisés au fur et à mesure de mon travail de réécriture, et j'ai atteint les 5930 (première partie "suicide" effacée!), avant de redescendre à 5726 (version "spoiler").
Voilà, vous savez tout.
Comme d'habitude, n'hésitez pas à commenter!
Je déterre ce texte car je l'ai retravaillé quelques mois après. J'ai pensé que ce serait sympa de le partager à nouveau pour montrer de quelle manière il a évolué, surtout sur la forme, le fond de l'histoire étant le même. A noter cependant que la première partie, celle du suicide dans le garage, a été purement et simplement éliminée dans la nouvelle version, car j'ai jugée qu'elle n'apportait rien.
Le texte nouvelle version est mis en "spoiler" (barres jaune clair sur lesquelles il suffit de cliquer pour voir apparaître le texte), partie par partie, afin de bien voir l'évolution. Pour ceux qui n'ont jamais lu cette nouvelle, je leur conseille de commencer par la nouvelle version, que je trouve bien mieux (j'espère que je ne me berce pas d'illusions ); d'ailleurs, s'ils veulent s'en tenir à celle-ci, je ne leur en voudrais pas, hein
Pour info, le texte original comporte 5615 mots. Je les ai comptabilisés au fur et à mesure de mon travail de réécriture, et j'ai atteint les 5930 (première partie "suicide" effacée!), avant de redescendre à 5726 (version "spoiler").
Voilà, vous savez tout.
Comme d'habitude, n'hésitez pas à commenter!
Tout juste un murmure, quelques mots qui s’évanouissent à peine ont-ils été prononcés. La voix est douce, féminine, du genre de celle qu’on aimerait entendre un soir de déprime, accoudé au comptoir d’un bar délabré, après avoir descendu une demi-bouteille d’un whisky infect.
« Arrête ça ! » hurle l’homme.
Les yeux fermés, il serre son crâne avec ses mains comme pour en éjecter le cerveau de la même manière qu’il chercherait à vider un gigantesque furoncle de son pus.
« Tais-toi, je ne veux plus t’entendre ! »
Sous ses pieds, la vieille chaise gémit au moindre de ses mouvements.
« Je vais le faire si tu continues ! JE VAIS LE FAIRE ! »
Une de ses mains s’écarte avec hésitation et palpe l’air à la recherche d’un objet. Les doigts rencontrent la trame grossière des fibres et remontent jusqu’au nœud coulant. L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle passe autour du cou. Toujours aussi calme, presque soumise, la voix reprend :
« Cela ne servira à rien, tu le sais. Arrête, je t’en sup… »
- Non, toi, arrête ! ARRÊTE ! »
Il s’étrangle dans ses larmes et balbutie des mots que lui seul entend, ultime prière à sa raison qui le fuit. Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire, puis la gauche fait coulisser le nœud jusqu’à sa nuque. Les mouvements de sa pomme d’Adam lui donnent la nausée. La tension de la corde l’oblige à lever la tête. Il se met sur la pointe des pieds pour pouvoir baisser les yeux et regarder vers le bas.
Un soleil de fin d’après-midi entre par les vasistas dans le sous-sol de la maison. L’or de ses rayons saturés de poussières embrase l’œil de la créature qui se tient à genoux devant lui. Penchée en avant et en appui sur ses coudes, elle semble attendre une terrible punition ou s’offrir sexuellement. Ses vêtements bleu et blanc soulignent chaque courbe de son corps ferme et élancé. Sa voix est plus douce que jamais lorsqu’elle parle à nouveau, mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme fait basculer la chaise.
Le dossier claque contre le sol. Les jambes s’affolent. Les pieds battent l’air avec frénésie tandis que le corps est secoué de spasmes et que les mains agrippent le nœud, mais il est déjà trop tard. Après quelques secondes, le calme revient, à peine troublé par le grincement sinistre et régulier de la corde contre le rebord de la poutre.
Des tentacules d’ombre s’étirent en silence pour recouvrir complètement les murs tandis que le soleil continue sa course, imperturbable. Lorsqu’enfin plus aucune lumière ne fait étinceler l’iris de son œil, la créature se fond dans l’obscurité pour muer. Elle redevient alors ce qu’elle n’a jamais cessé d’être.
C’est la factrice qui alerte les secours le lendemain matin. Elle apporte un recommandé, et lorsqu’elle aperçoit la porte du garage entrebâillée, elle n’hésite pas à la pousser pour demander s’il y a quelqu’un. Elle n’a que le temps d’ouvrir la bouche pour parler avant que ses yeux s’écarquillent d’horreur. A l’arrivée des pompiers quelques minutes plus tard, elle tient encore son téléphone portable à la main. Immobile dans l’embrasure de la porte, elle est d’une pâleur cadavérique, hypnotisée par la langue hideuse et bouffie qui sort de la bouche du pendu dans une grimace obscène.
Guidé par un réflexe purement professionnel, le premier gendarme arrivé sur les lieux remarque tout de suite le morceau de papier sur l’établi. Il s’attend à lire quelques phrases désespérées comme il en a lu des dizaines au cours de sa carrière, mais à sa grande surprise, seul un mot est écrit en gros caractères maladroits visiblement tracés dans un état second : Suzie.
« Alors, tu sais quelque chose ? » demande sa mère.
Elle ne l’a pas salué, trop excitée de l’avoir vu à la une du journal local, même s’il apparait noyé dans la manifestation, et comme si regarder l’objectif à l’instant précis où le photographe a appuyé sur le bouton prouve qu’il peut lui faire des révélations sur les trois motards disparus dans la région depuis le début de l’été.
Ben retient un soupir avant de basculer son portable en mode haut-parleur. Il le pose sur l’établi pour répondre tout en continuant à nettoyer ses outils. Depuis le départ de Marie, ses rapports avec sa mère se sont tendus, comme si elle cherchait à lui faire comprendre qu’il a mal agi sans oser le lui dire ouvertement.
« Non maman, je ne sais rien. »
Il a parlé presque sèchement et s’en veut aussitôt. Il prend un ton conciliant pour continuer :
« Ecoute, je suis en train de bricoler dans le garage, et en plus ça passe mal… Je te rappelle dans quelques minutes si tu veux ? »
Sa mère s’excuse de l’avoir dérangé et raccroche, persuadée qu’il ne la rappellera pas.
Nouveau soupir. Même si Eric et surtout Suzie ont su se montrer convaincants, pourquoi a-t-il accepté de participer à cette manifestation avant-hier ? Il connait très bien une partie de la réponse, qui l’agace profondément : sa timidité qui, comme souvent, l’a empêché de refuser. Par contre, il n’ose pas s’avouer qu’à l’instar du millier d’autres motards présents, la peur de ne laisser derrière lui qu’une moto béquillée moteur en marche au bord d’une route comme dernier signe de vie le terrorise. Et comme pour le lui cracher à la figure, son visage se retrouve en première page du journal.
Peut-être est-ce un signe après tout. C’est en tout cas ce que lui chuchote une voix dans sa tête. Elle appartient à la créature de cauchemar au pelage noir corbeau et à la gueule hérissée de lames de rasoir qui ronge le bois de la vieille charpente certaines nuits, dans les combles, juste au-dessus de sa tête. Ben ne l’a jamais aperçue ailleurs que dans ses rêves les plus délirants, même si depuis le départ de Marie, il l’entend régulièrement ramper sous son lit, ses griffes trop longues grinçant sur le parquet. Une fois, il a osé se pencher sous le matelas pour regarder. Il s’est retrouvé face à deux braises incandescentes flottant dans les ténèbres de leurs orbites sans fond. Il s’est alors réveillé en sueur, le cœur martelant dans la poitrine comme une pompe qui tourne à vide.
De toute façon, de telles créatures n’existent pas dans le monde réel. Alors à quoi bon vérifier pour de vrai? Il n’a plus l’âge de ces bêtises.
« Tu as bientôt fini ? » demande Suzie, le coupant net dans ses réflexions.
Elle se tient de l’autre côté du garage, juste à côté de la porte qui mène au salon. Il la rejoint du même pas maladroit que celui d’un garçon d’une dizaine d’années qui s’approche de la plus jolie fille de la classe pour lui demander s’il peut s’assoir à côté d’elle. Il a voulu la faire sourire mais Suzie affiche une mine boudeuse ce soir.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demande-t-il.
Il se penche pour lui glisser un baiser.
« Dis, un jour, tu seras tout à moi ? fait-elle.
- Mais je le suis déjà.
- Non… Je veux dire vraiment tout à moi. A moi seule, tu comprends ?
- Tu sais bien que c’est une passion pour moi et…
- Et moi, je ne suis pas une passion pour toi ?
- Si, mais… »
Il ne peut s’empêcher de se mordre les lèvres lorsqu’il se tourne vers la vieille Triumph. Combien de fois s’est-il disputé avec Marie à son sujet, et combien de fois, à bout d’arguments, lui a-t-il promis de la vendre ? Il ferme les yeux pour se concentrer et trouver le ton juste, mais lorsqu’il parle, il se rend compte qu’il cède une fois de plus.
« Dès le week-end prochain, je m’en occupe, finit-il par dire.
- Juré ?
- Oui, juré.
- Je t’aime.
- Moi aussi, Suzie, je t’aime. »
Pause-déjeuner. L’atelier de meubles s’est tu, les Fenwicks ont arrêté leur ballet entre le quai de réception et le fond de la réserve.
Depuis une bonne demi-heure que Ben et lui sont assis sur quelques palettes empilées à l’abri du vieil auvent en tôle pour discuter et manger tranquillement, Eric n’a rien dit ou presque. Il se contente de banalités et allume cigarette sur cigarette, signe chez lui que quelque chose le tracasse et qu’il n’ose pas en parler. Ben s’en est rendu compte mais ne souhaite pas lui tendre la perche pour la simple et bonne raison qu’il se doute très bien du sujet en question, qui ne doit certainement pas être la photo dans le journal. Et il ne se trompe pas. Il soupire quand son ami, après avoir rangé les restes de son casse-croûte dans son sac plastique et allumé une nouvelle cigarette, se lance enfin.
« Tu as des nouvelles de Marie? »
Ben lui a fait part des tensions dans son couple dès qu’elles sont apparues, comme si se confier à un célibataire endurci de dix ans son ainé pouvait l’aider à les résoudre. Il lui a parlé de Suzie également et de la place de plus en plus importante qu’elle prend dans sa vie. Sur le coup, Eric n’a rien dit, se contentant de légers signes de tête comme pour montrer qu’il comprend son point de vue sans pour autant approuver.
Ben ne sait pas trop quoi répondre, et c’est une phrase sans grand rapport avec la question qui franchit ses lèvres.
« La conseillère d’éducation des garçons m’a appelé hier en fin d’après-midi car le portable de Marie ne répond pas. Elle s’étonne de ne pas voir les gamins.
- Et tu lui as dit quoi ?
- Que Marie m’a quitté il y a bientôt deux mois, début juillet, et qu’elle les a certainement inscrits ailleurs. J’ai essayé de l’appeler tout à l’heure mais je suis tombé sur sa messagerie.
- Et tes gosses ? »
Ben regarde son sandwich au jambon, qui lui parait soudain insipide. Il le pose sur la serviette après avoir écarté les deux moitiés de pain pour récupérer un cornichon qu’il croque à pleine dent. L’acidité le fait grimacer. Un véritable coup de fouet, exactement ce dont il a besoin.
« Je vais vendre la Bonneville » annonce-t-il.
La phrase est tombée d’un coup, comme un fruit trop mûr qui vient s’écraser sur le sol. Un instant décontenancé par ce deuxième brusque changement de sujet, Eric tire sur sa cigarette pour ne rien laisser paraitre.
« Tu es sérieux ? Tu m’as dit que ça fait au moins quinze ans que tu l’entretiens, cette bécane. »
Ben s’abandonne dans la contemplation de ses chaussures de sécurité. Une nouvelle éraflure sur le cuir au niveau du renfort en métal absorbe son attention. Bien piètre excuse pour ne pas relever les yeux.
« Je sais, mais ça ne peut pas durer ainsi. Déjà, avec Marie… C’est elle ou Suzie, et j’ai choisi.
- Tu ne crois pas que tout ça est allé un peu trop loin ? » insiste Eric en donnant un léger coup de menton en direction de la camionnette de Ben, garée à une vingtaine de mètres d’eux, juste à côté du bureau des réceptions.
Ben se raidit. Il sent un regard lourd peser sur lui et il garde la tête baissée. Cet utilitaire, il l’a échangé fin juin contre la voiture familiale et une bonne partie de leur budget vacances. Une idée de Suzie pour qu’elle puisse l’accompagner. Il n’a pas su dire non. Il se rappelle la scène que Marie lui a faite en cette fin d’après-midi quand il a franchi le portail à son volant, des cris qui ont fusé et des portes qui ont claqué. Heureusement que les garçons étaient chez des copains à eux, sinon ils auraient vu et entendu des choses qu’aucun gosse ne devrait jamais voir et entendre, et Marie a disparu de sa vie. Quand ils sont rentrés en fin d’après-midi, Ben leur a simplement dit que leur mère n’était plus là et qu’ils devaient la rejoindre. Et eux aussi ont disparu. Fin d’une époque.
« Et le crédit de la maison et le reste, tu y as pensé ? reprend Eric. Comment tu vas faire si Marie décide de garder son salaire ?
- Je ne sais pas, mais comment dire ? Je me sens bien, maintenant, tu comprends ? Libéré. »
Eric se contente d’un léger mouvement de la tête. Il attend quelques secondes pour parler à nouveau, mais un éclat de voix derrière eux leur fait remarquer que la pause est finie depuis cinq bonnes minutes et qu’ils doivent se bouger le cul. Ce qu’ils font sans échanger un mot.
A peine rentré chez lui en fin d’après-midi, Ben sort la Bonneville du garage. Il a promis à Suzie de la mettre en vente en fin de semaine, mais pourquoi attendre ?
Armé de son portable, il en fait le tour pour la photographier sous tous les angles. Alors qu’il a longtemps craint d’éprouver un sentiment de culpabilité ou, pire, l’impression qu’il allait se mutiler, il réalise qu’il a simplement trop attendu. Marie avait raison sur ce point : cette moto a pris une place trop importante dans leur vie. Mais elle se trompait en répétant que cette passion nuisait à leur couple. Loin d’être un handicap, la moto lui a permis de fuir. Coincé entre son travail et ses obligations de père, il n’aurait pas tenu si longtemps sans elle. Et tout a changé depuis sa rencontre avec Suzie.
« Ben, ça te dirait qu’on sorte ce soir ? »
La voix le surprend à peine. Il fait une dernière photo avant de rejoindre Suzie devant le garage. Sa main se pose d’elle-même sur sa hanche, juste à l’endroit où la courbe se fait plus marquée. Une soudaine envie lui donne une bouffée de chaleur.
« Mais on est en semaine, fait-il remarquer, s’en voulant aussitôt de ne rien avoir trouvé de plus stupide à répondre.
- Et alors ? Il y aura moins de monde. Et avec le temps qu’il fait, on pourra même se balader en amoureux. Demain, tu es d’après-midi, je te rappelle, ce qui nous laisse toute la nuit. »
Il en éprouve presque un vertige. Oui, une grasse matinée, en pleine semaine, après une nuit de douceurs.
« File mettre ton annonce en ligne, dit-elle, et après, on y va. »
Il manque d’objecter que les jumeaux n’ont pas encore mangé, puis il réalise que cela fait désormais partie de son passé. Tout comme Marie. Il éclate de rire, heureux de se sentir vivre.
Neuf heures du matin. Dans son sommeil, Ben sourit. Une sonnerie de téléphone résonne au loin. Par reflexe, il tend le bras vers la table de nuit en marmonnant, mais la petite musique s’interrompt au bout de quelques secondes. Le sommeil l’enveloppe à nouveau. Il sursaute soudain lorsque la sonnerie reprend, beaucoup plus proche. Et pour cause. Il a dû rêver la première, mais cette fois, c’est bien celle de son portable qui lui vrille les tympans. Il attrape le minuscule téléphone à côté du radioréveil et décroche à la volée. Lorsqu’il le plaque contre son oreille, il entend une femme parler. Encore abruti de sommeil, il met plusieurs secondes à comprendre les mots.
« … ous appelle à nouveau. »
Ben passe en revue à toute vitesse les voix qu’il connait. Le visage plein de sévérité de la conseillère d’éducation du collège des garçons s’affiche devant ses yeux.
« Vous avez compris ce que j’ai dit ? s’inquiète la voix.
- Oui, oui, ment-il.
- Pouvez-vous alors me dire si votre femme les a inscrits dans une autre école ? »
Ben se frotte la figure pour se réveiller complètement. Il se redresse contre la tête du lit.
« Je l’ignore, mais elle l’a certainement fait. Comme je vous l’ai dit avant-hier, nous nous sommes séparés il y a deux mois et...
- Et vous ignorez où elle se trouve ?
- Oui. Enfin non. Elle est partie chez ses parents, mais je suppose que si quelque chose n’allait pas, elle m’aurait appelé de toute façon. »
Le silence qui suit est si lourd de reproches que Ben croit s’entendre dire qu’il est le père le plus indigne de la Terre.
« Vous comprenez tout de même que je ne peux pas laisser deux enfants de quatorze ans non scolarisés ? reprend la conseillère. Ce serait contraire à… »
Les yeux fermés, Ben la laisse parler sans plus lui prêter d’attention et finit par lui raccrocher au nez sans s’en rendre compte. Comme à chaque fois qu’il doit affronter son air supérieur, il a eu une terrible envie de lui hurler d’aller se faire foutre, sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas sa timidité qui l’en a empêché mais le fait qu’il est trop fatigué pour simplement s’énerver. Suzie l’a épuisé, vidé. Il ouvre soudain les yeux. Sa main vient de glisser vers son caleçon et il se rend compte qu’il a une érection. Depuis quand, après une nuit avec Marie, ne l’a-t-il pas désirée à nouveau dès le lendemain matin ? Depuis quand, d’ailleurs, n’a-t-il pas baisé avec elle ?
Un sourire illumine son visage, du genre de ceux qu’il faisait en discothèque à ses potes en leur demandant les clefs de leur voiture pour disposer de la banquette arrière. Mais le sourire s’étiole. Son reflet dans la glace de l’armoire le renvoie ce samedi soir de juin, alors qu’il n’a que dix-neuf ans et qu’il fête son baccalauréat. A l’arrière de la vieille Alfa-Roméo, le boum-boum de la discothèque lui semble terriblement loin, surtout que la fille qui enlève maintenant sa petite culotte et qui vient de l’exciter avec une pipe d’enfer dans un recoin du parking est trop bourrée pour prêter attention à certains détails, détails qui expliquent qu’il se retrouve à trente-quatre ans à s’user la santé en retapant une vieille ferme décrépie dans un hameau d’un village paumé - parce qu’elle a voulu une maison à la campagne qu’il ne pouvait pas lui payer - ou qu’il encaisse sans broncher les remontrances sur l’argent que leur coûte l’entretien de ses motos - parce qu’il y a tellement mieux à faire avec. De toute façon, pense alors Ben, elle n’est que le coup d’un soir. Cela fait trois semaines qu’il la drague, et enfin il atteint son but. Il la baise, fier de l’entendre gémir sous lui et heureux de prendre son pied comme jamais jusqu’alors. Pourtant, dès le lendemain, chez ses parents, à peine émerge-t-il de sous les draps que le doute vient s’immiscer dans son esprit encore abruti d’alcool et de musique. Et quand deux mois plus tard, il décroche le téléphone et entend une voix qu’il a déjà oubliée en pleurs à l’autre bout du fil, il comprend que sa vie vient de basculer.
Mais tout cela est loin maintenant. Et avec Suzie, c’est différent. En fait, tout est différent avec Suzie, et face à son reflet, Ben retrouve le sourire car il sait que rien ne l’empêche de la rejoindre tout de suite pour lui dire combien il l’aime, caresser avec douceur son visage du revers de la main, parcourir ses formes du bout des doigts, et sentir sa peau, lisse et fraiche, son doux parfum enivrant, et se laisser aller à beaucoup plus…
Non, rien ne l’en empêche, et il la rejoint en courant, sans même s’habiller.
Une semaine s’écoule, pendant laquelle Ben voit les messages laissés par la conseillère d’éducation s’accumuler sur sa messagerie, qu’il ne consulte pas. Il a souvent failli décrocher, mais à chaque fois, son pouce est resté suspendu au-dessus de la touche. Tapie dans les ténèbres de son esprit, la créature lui a murmuré de ne pas le faire et il a obéi. Il sait pourtant que cette situation ne peut durer éternellement et que cette sale fouineuse de fonctionnaire ne va pas le laisser tranquille. Elle est même capable de venir chez lui. D’ailleurs, elle l’a déjà fait l’année dernière, accompagnée d’une assistante sociale, le jour où un des jumeaux est arrivé en classe avec un méchant coquard et des bleus sur les bras. Ben a eu le plus grand mal à les convaincre qu’il était tombé dans les escaliers.
Oui, il doit régler ce problème. Suzie lui en a d’ailleurs parlé. Elle lui a également fait remarquer qu’il devrait replanter du gazon sur les trois bandes de terre retournée sur le côté de la villa. La haie a beau être suffisamment haute à cet endroit pour que même le voisin ne voie rien depuis son premier étage, cela ne fait pas très propre.
« On dirait des tombes », a-t-elle conclu avec une certaine ironie dans la voix avant de l’attirer contre elle.
Suzie a raison, elles ressemblent à s’y méprendre à ces petits monticules de pierres qu’on voit dans les westerns quand le héros vient d’enterrer sa famille massacrée par des Indiens. Ben ne veut pas se souvenir pour quelle raison il a creusé à cet endroit, car il devine que s’il essaye, il va entendre la porte du placard de la chambre s’entrebâiller cette nuit ou une autre pour laisser apparaitre deux braises d’un rouge infernal qui vont le regarder dans l’obscurité.
La lumière du crépuscule qui entre par la petite lucarne du garage teinte son visage et ses yeux en un gris malsain. De grosses gouttes de sueur commencent à perler à son front. Sous lui, Suzie râle de plaisir, mais déjà Ben ne l’entend plus. En une poignée de secondes, elle l’a propulsé bien au-delà de la jouissance et de ce qu’il peut décrire. Lancé à pleine vitesse, il parcourt des routes entre fantasmes et folie.
« Arrête ça ! » hurle l’homme.
Les yeux fermés, il serre son crâne avec ses mains comme pour en éjecter le cerveau de la même manière qu’il chercherait à vider un gigantesque furoncle de son pus.
« Tais-toi, je ne veux plus t’entendre ! »
Sous ses pieds, la vieille chaise gémit au moindre de ses mouvements.
« Je vais le faire si tu continues ! JE VAIS LE FAIRE ! »
Une de ses mains s’écarte avec hésitation et palpe l’air à la recherche d’un objet. Les doigts rencontrent la trame grossière des fibres et remontent jusqu’au nœud coulant. L’autre main s’écarte à son tour pour attraper l’extrémité de la boucle, qu’elle passe autour du cou. Toujours aussi calme, presque soumise, la voix reprend :
« Cela ne servira à rien, tu le sais. Arrête, je t’en sup… »
- Non, toi, arrête ! ARRÊTE ! »
Il s’étrangle dans ses larmes et balbutie des mots que lui seul entend, ultime prière à sa raison qui le fuit. Sa main droite plaque la corde sous sa mâchoire, puis la gauche fait coulisser le nœud jusqu’à sa nuque. Les mouvements de sa pomme d’Adam lui donnent la nausée. La tension de la corde l’oblige à lever la tête. Il se met sur la pointe des pieds pour pouvoir baisser les yeux et regarder vers le bas.
Un soleil de fin d’après-midi entre par les vasistas dans le sous-sol de la maison. L’or de ses rayons saturés de poussières embrase l’œil de la créature qui se tient à genoux devant lui. Penchée en avant et en appui sur ses coudes, elle semble attendre une terrible punition ou s’offrir sexuellement. Ses vêtements bleu et blanc soulignent chaque courbe de son corps ferme et élancé. Sa voix est plus douce que jamais lorsqu’elle parle à nouveau, mais à peine entend-il les premiers mots que l’homme fait basculer la chaise.
Le dossier claque contre le sol. Les jambes s’affolent. Les pieds battent l’air avec frénésie tandis que le corps est secoué de spasmes et que les mains agrippent le nœud, mais il est déjà trop tard. Après quelques secondes, le calme revient, à peine troublé par le grincement sinistre et régulier de la corde contre le rebord de la poutre.
Des tentacules d’ombre s’étirent en silence pour recouvrir complètement les murs tandis que le soleil continue sa course, imperturbable. Lorsqu’enfin plus aucune lumière ne fait étinceler l’iris de son œil, la créature se fond dans l’obscurité pour muer. Elle redevient alors ce qu’elle n’a jamais cessé d’être.
C’est la factrice qui alerte les secours le lendemain matin. Elle apporte un recommandé, et lorsqu’elle aperçoit la porte du garage entrebâillée, elle n’hésite pas à la pousser pour demander s’il y a quelqu’un. Elle n’a que le temps d’ouvrir la bouche pour parler avant que ses yeux s’écarquillent d’horreur. A l’arrivée des pompiers quelques minutes plus tard, elle tient encore son téléphone portable à la main. Immobile dans l’embrasure de la porte, elle est d’une pâleur cadavérique, hypnotisée par la langue hideuse et bouffie qui sort de la bouche du pendu dans une grimace obscène.
Guidé par un réflexe purement professionnel, le premier gendarme arrivé sur les lieux remarque tout de suite le morceau de papier sur l’établi. Il s’attend à lire quelques phrases désespérées comme il en a lu des dizaines au cours de sa carrière, mais à sa grande surprise, seul un mot est écrit en gros caractères maladroits visiblement tracés dans un état second : Suzie.
« Alors, tu sais quelque chose ? » demande sa mère.
Elle ne l’a pas salué, trop excitée de l’avoir vu à la une du journal local, même s’il apparait noyé dans la manifestation, et comme si regarder l’objectif à l’instant précis où le photographe a appuyé sur le bouton prouve qu’il peut lui faire des révélations sur les trois motards disparus dans la région depuis le début de l’été.
Ben retient un soupir avant de basculer son portable en mode haut-parleur. Il le pose sur l’établi pour répondre tout en continuant à nettoyer ses outils. Depuis le départ de Marie, ses rapports avec sa mère se sont tendus, comme si elle cherchait à lui faire comprendre qu’il a mal agi sans oser le lui dire ouvertement.
« Non maman, je ne sais rien. »
Il a parlé presque sèchement et s’en veut aussitôt. Il prend un ton conciliant pour continuer :
« Ecoute, je suis en train de bricoler dans le garage, et en plus ça passe mal… Je te rappelle dans quelques minutes si tu veux ? »
Sa mère s’excuse de l’avoir dérangé et raccroche, persuadée qu’il ne la rappellera pas.
Nouveau soupir. Même si Eric et surtout Suzie ont su se montrer convaincants, pourquoi a-t-il accepté de participer à cette manifestation avant-hier ? Il connait très bien une partie de la réponse, qui l’agace profondément : sa timidité qui, comme souvent, l’a empêché de refuser. Par contre, il n’ose pas s’avouer qu’à l’instar du millier d’autres motards présents, la peur de ne laisser derrière lui qu’une moto béquillée moteur en marche au bord d’une route comme dernier signe de vie le terrorise. Et comme pour le lui cracher à la figure, son visage se retrouve en première page du journal.
Peut-être est-ce un signe après tout. C’est en tout cas ce que lui chuchote une voix dans sa tête. Elle appartient à la créature de cauchemar au pelage noir corbeau et à la gueule hérissée de lames de rasoir qui ronge le bois de la vieille charpente certaines nuits, dans les combles, juste au-dessus de sa tête. Ben ne l’a jamais aperçue ailleurs que dans ses rêves les plus délirants, même si depuis le départ de Marie, il l’entend régulièrement ramper sous son lit, ses griffes trop longues grinçant sur le parquet. Une fois, il a osé se pencher sous le matelas pour regarder. Il s’est retrouvé face à deux braises incandescentes flottant dans les ténèbres de leurs orbites sans fond. Il s’est alors réveillé en sueur, le cœur martelant dans la poitrine comme une pompe qui tourne à vide.
De toute façon, de telles créatures n’existent pas dans le monde réel. Alors à quoi bon vérifier pour de vrai? Il n’a plus l’âge de ces bêtises.
« Tu as bientôt fini ? » demande Suzie, le coupant net dans ses réflexions.
Elle se tient de l’autre côté du garage, juste à côté de la porte qui mène au salon. Il la rejoint du même pas maladroit que celui d’un garçon d’une dizaine d’années qui s’approche de la plus jolie fille de la classe pour lui demander s’il peut s’assoir à côté d’elle. Il a voulu la faire sourire mais Suzie affiche une mine boudeuse ce soir.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demande-t-il.
Il se penche pour lui glisser un baiser.
« Dis, un jour, tu seras tout à moi ? fait-elle.
- Mais je le suis déjà.
- Non… Je veux dire vraiment tout à moi. A moi seule, tu comprends ?
- Tu sais bien que c’est une passion pour moi et…
- Et moi, je ne suis pas une passion pour toi ?
- Si, mais… »
Il ne peut s’empêcher de se mordre les lèvres lorsqu’il se tourne vers la vieille Triumph. Combien de fois s’est-il disputé avec Marie à son sujet, et combien de fois, à bout d’arguments, lui a-t-il promis de la vendre ? Il ferme les yeux pour se concentrer et trouver le ton juste, mais lorsqu’il parle, il se rend compte qu’il cède une fois de plus.
« Dès le week-end prochain, je m’en occupe, finit-il par dire.
- Juré ?
- Oui, juré.
- Je t’aime.
- Moi aussi, Suzie, je t’aime. »
- Spoiler:
- À bientôt soixante ans, la mère de Ben reste persuadée que tout là-haut, un être à l’intelligence supérieure ou un super ordinateur tire les ficelles, façonne les vies, et s’arrange donc pour que rien n’arrive par hasard. Aussi, lorsqu’en se rendant au marché ce dimanche matin, elle aperçoit la une du quotidien local glissée dans le présentoir devant la Maison de la Presse, elle est prise d’un vertige qui lui fait monter le rouge aux joues et lui affole le cœur au point qu’elle en échappe sa monnaie quelques instants plus tard en payant le journal. Ce n’est pas le titre écrit en énormes lettres capitales – DISPARITIONS DE MOTARDS DANS LE RHÔNE : UN MILLIER D’ENTRE EUX SE REUNISSENT PLACE BELLECOUR – qui a retenu son attention mais une photo de la manifestation juste en-dessous. En fait, son regard a été comme aimanté par un visage noyé dans la foule. Alors que toutes les personnes sur la photo tournaient le dos, sans doute pour écouter un orateur quelconque crier des revendications à l’autre bout de la place, une seule fixait l’objectif au moment précis où le photographe a appuyé sur le bouton, ce qui bien évidemment ne peut avoir qu’une signification : ce type-là sait quelque chose. Et en l’occurrence, ce type-là se trouve être Ben. Aussi, à peine sort-elle de la librairie qu’elle prend son téléphone pour l'appeler. Elle craint de tomber sur la messagerie mais il finit par décrocher.
« Alors, qu’est-ce-que tu peux me dire ? » lui demande-t-elle sans même le saluer, trop excitée.
Il retient un soupir avant de basculer son portable en mode haut-parleur puis le pose sur l’établi tout en continuant à nettoyer ses outils.
Ce coup de fil, il s’y attendait. Sans réel intérêt, il a regardé la revue de presse de la chaîne-info ce matin, et quand la une du Progrès est apparue à l’écran, il a retenu un juron car il a compris à l’instant même que sa mère allait l’appeler si jamais elle tombait dessus. Et il n’a aucune envie de lui parler, ni de ça, ni d’autre chose. Depuis qu’il est redevenu célibataire, leurs rapports se sont tendus, car il sait qu’elle cherche à lui faire comprendre qu’il a mal agi avec Marie sans oser le lui dire ouvertement.
« Mais de quoi tu parles ? »
Il a répondu sèchement et s’en veut aussitôt. Il prend un ton conciliant pour continuer :
« Écoute, je suis en train de bricoler dans le garage, et ça passe mal. Je te rappelle dans quelques minutes si tu veux ? »
Sa mère s’excuse de l’avoir dérangé et raccroche, bien consciente qu’il ne la rappellera pas aujourd’hui.
Nouveau soupir. Même si Eric et Suzie ont su se montrer convaincants, pourquoi a-t-il accepté de participer à cette manifestation hier ? Il connaît très bien une partie de la réponse, qui l’agace profondément : sa timidité l’a empêché de refuser, comme souvent. Par contre, il n’ose pas s’avouer qu'il avait besoin d'y être, de se sentir entouré et de voir que d'autres partagent sa détresse, car la peur de ne laisser derrière lui qu’une moto béquillée au bord d’une route comme dernier signe de vie le terrorise. Et comme pour le lui cracher à la figure, son visage se retrouve en première page du journal.
Peut-être est-ce un signe après tout. C’est ce que lui a chuchoté une voix dans sa tête, et Ben a cru entendre celle de sa mère, mais il a reconnu sa propre voix, ou plutôt de celle qui lui répond quand il réfléchit trop ou qu'il a un coup de blues. De toute façon, elle s’est tue au bout de quelques secondes. Il ne la laisse plus parler depuis qu’il a compris que chacune de ses interventions provoque l’apparition de la créature de cauchemar au pelage noir corbeau et à la gueule hérissée de lames de rasoir qui ronge le bois de la vieille charpente dans les combles la nuit, juste au-dessus de sa tête. Il ne l’a jamais aperçue ailleurs que dans ses rêves les plus délirants, même si depuis le départ de Marie, il l’entend régulièrement ramper sous son lit, ses griffes trop longues grinçant sur le parquet.
Une fois, il a osé se pencher sous le matelas pour regarder. Il s’est alors retrouvé face à deux braises incandescentes flottant dans les ténèbres de leurs orbites sans fond. Il s’est réveillé en sueur, le cœur martelant dans la poitrine comme une pompe qui tourne à vide. Le drap remonté jusque sous le menton, il est resté au milieu du lit, incapable de simplement tourner la tête, et surtout sans aucune intention ni raison valable de le faire. De toute façon, de telles créatures n’existent pas dans le monde réel, alors à quoi bon vérifier pour de vrai ? Il n’a plus l’âge pour ces bêtises.
« Tu as bientôt fini ? » demande Suzie, le coupant net dans ses réflexions.
Elle se tient à l’autre bout du garage, juste à côté de la porte qui mène au salon. Il la rejoint du même pas maladroit que celui d’un écolier qui s’approche de la plus jolie fille de la classe pour lui demander s’il peut s’asseoir à côté d’elle. Il a voulu la faire sourire mais Suzie affiche une mine boudeuse ce soir.
« Qu’est-ce qu’il y a ? » demande-t-il.
Il se penche pour lui glisser un baiser.
« Dis, un jour, tu seras tout à moi ? fait-elle.
- Mais je le suis déjà.
- Non… Je veux dire vraiment tout à moi. À moi seule, tu comprends ?
- Tu sais bien que c’est une passion pour moi et…
- Et moi, je ne suis pas une passion pour toi ?
- Si, mais… »
Il ne peut s’empêcher de se mordre les lèvres en se tournant vers la vieille Triumph. Combien de fois s’est-il disputé avec Marie à son sujet, et combien de fois, à bout d’arguments, lui a-t-il promis de la vendre ?
Il ferme les yeux pour se concentrer et trouver le ton juste, mais lorsqu’il parle, il se rend compte qu’il cède une fois de plus.
« Dès le week-end prochain, je m’en occupe, finit-il par dire.
- Juré ?
- Oui, juré.
- Je t’aime.
- Moi aussi, Suzie, je t’aime. »
Pause-déjeuner. L’atelier de meubles s’est tu, les Fenwicks ont arrêté leur ballet entre le quai de réception et le fond de la réserve.
Depuis une bonne demi-heure que Ben et lui sont assis sur quelques palettes empilées à l’abri du vieil auvent en tôle pour discuter et manger tranquillement, Eric n’a rien dit ou presque. Il se contente de banalités et allume cigarette sur cigarette, signe chez lui que quelque chose le tracasse et qu’il n’ose pas en parler. Ben s’en est rendu compte mais ne souhaite pas lui tendre la perche pour la simple et bonne raison qu’il se doute très bien du sujet en question, qui ne doit certainement pas être la photo dans le journal. Et il ne se trompe pas. Il soupire quand son ami, après avoir rangé les restes de son casse-croûte dans son sac plastique et allumé une nouvelle cigarette, se lance enfin.
« Tu as des nouvelles de Marie? »
Ben lui a fait part des tensions dans son couple dès qu’elles sont apparues, comme si se confier à un célibataire endurci de dix ans son ainé pouvait l’aider à les résoudre. Il lui a parlé de Suzie également et de la place de plus en plus importante qu’elle prend dans sa vie. Sur le coup, Eric n’a rien dit, se contentant de légers signes de tête comme pour montrer qu’il comprend son point de vue sans pour autant approuver.
Ben ne sait pas trop quoi répondre, et c’est une phrase sans grand rapport avec la question qui franchit ses lèvres.
« La conseillère d’éducation des garçons m’a appelé hier en fin d’après-midi car le portable de Marie ne répond pas. Elle s’étonne de ne pas voir les gamins.
- Et tu lui as dit quoi ?
- Que Marie m’a quitté il y a bientôt deux mois, début juillet, et qu’elle les a certainement inscrits ailleurs. J’ai essayé de l’appeler tout à l’heure mais je suis tombé sur sa messagerie.
- Et tes gosses ? »
Ben regarde son sandwich au jambon, qui lui parait soudain insipide. Il le pose sur la serviette après avoir écarté les deux moitiés de pain pour récupérer un cornichon qu’il croque à pleine dent. L’acidité le fait grimacer. Un véritable coup de fouet, exactement ce dont il a besoin.
« Je vais vendre la Bonneville » annonce-t-il.
La phrase est tombée d’un coup, comme un fruit trop mûr qui vient s’écraser sur le sol. Un instant décontenancé par ce deuxième brusque changement de sujet, Eric tire sur sa cigarette pour ne rien laisser paraitre.
« Tu es sérieux ? Tu m’as dit que ça fait au moins quinze ans que tu l’entretiens, cette bécane. »
Ben s’abandonne dans la contemplation de ses chaussures de sécurité. Une nouvelle éraflure sur le cuir au niveau du renfort en métal absorbe son attention. Bien piètre excuse pour ne pas relever les yeux.
« Je sais, mais ça ne peut pas durer ainsi. Déjà, avec Marie… C’est elle ou Suzie, et j’ai choisi.
- Tu ne crois pas que tout ça est allé un peu trop loin ? » insiste Eric en donnant un léger coup de menton en direction de la camionnette de Ben, garée à une vingtaine de mètres d’eux, juste à côté du bureau des réceptions.
Ben se raidit. Il sent un regard lourd peser sur lui et il garde la tête baissée. Cet utilitaire, il l’a échangé fin juin contre la voiture familiale et une bonne partie de leur budget vacances. Une idée de Suzie pour qu’elle puisse l’accompagner. Il n’a pas su dire non. Il se rappelle la scène que Marie lui a faite en cette fin d’après-midi quand il a franchi le portail à son volant, des cris qui ont fusé et des portes qui ont claqué. Heureusement que les garçons étaient chez des copains à eux, sinon ils auraient vu et entendu des choses qu’aucun gosse ne devrait jamais voir et entendre, et Marie a disparu de sa vie. Quand ils sont rentrés en fin d’après-midi, Ben leur a simplement dit que leur mère n’était plus là et qu’ils devaient la rejoindre. Et eux aussi ont disparu. Fin d’une époque.
« Et le crédit de la maison et le reste, tu y as pensé ? reprend Eric. Comment tu vas faire si Marie décide de garder son salaire ?
- Je ne sais pas, mais comment dire ? Je me sens bien, maintenant, tu comprends ? Libéré. »
Eric se contente d’un léger mouvement de la tête. Il attend quelques secondes pour parler à nouveau, mais un éclat de voix derrière eux leur fait remarquer que la pause est finie depuis cinq bonnes minutes et qu’ils doivent se bouger le cul. Ce qu’ils font sans échanger un mot.
- Spoiler:
- Lundi. Pause-déjeuner.
L’atelier de meubles s’est tu, les Fenwicks ont arrêté leur ballet entre le quai de réception et le fond de la réserve. Depuis une bonne demi-heure que Ben et lui sont assis sur quelques palettes empilées à l’abri du vieil auvent pour discuter et manger tranquillement, Eric n’a rien dit ou presque. Il se contente de banalités et allume cigarette sur cigarette, signe que quelque chose le tracasse. Mais Ben ne souhaite pas lui tendre la perche pour la simple et bonne raison qu’il se doute très bien du sujet en question, qui n'est certainement pas la photo dans le journal. Et il ne se trompe pas. Il soupire quand son ami, après avoir rangé les restes de son casse-croûte dans son sac plastique, allume une nouvelle cigarette et se lance enfin.
« Tu as des nouvelles de Marie ? »
Ben lui a fait part des tensions dans son couple dès qu’elles sont apparues, comme si se confier à un célibataire endurci de dix ans son aîné pouvait l’aider à les résoudre. Il lui a parlé de Suzie également et de la place de plus en plus importante qu’elle prend dans sa vie. Sur le coup, Eric n’a rien dit, se contentant de légers signes de tête pour montrer qu’il comprend son point de vue sans pour autant approuver.
Ben ne sait pas trop quoi répondre, et c’est une phrase sans grand rapport avec la question qui franchit ses lèvres.
« La conseillère d’éducation des garçons m’a appelé vendredi en fin d’après-midi car le portable de Marie ne répond pas. Elle s’étonne de ne pas voir les gamins.
- Et tu lui as dit quoi ?
- Que Marie m’a quitté il y a bientôt deux mois, début juillet, et qu’elle les a certainement inscrits ailleurs. J’ai essayé de l’appeler tout à l’heure mais je suis tombé sur sa messagerie.
- Et tes gosses ? »
Ben regarde son sandwich au jambon, qui lui parait soudain insipide. Il le pose sur la serviette après avoir écarté les deux moitiés de pain pour récupérer un cornichon qu’il croque à pleine dent. L’acidité le fait grimacer. Un véritable coup de fouet, exactement ce dont il a besoin.
« Je vais vendre la Bonneville » annonce-t-il.
La phrase est tombée d’un coup, comme un fruit trop mûr qui vient s’écraser sur le sol. Un instant décontenancé par ce nouveau brusque changement de sujet, Eric tire sur sa cigarette pour ne rien laisser paraître.
« Tu es sérieux ? Ça fait au moins dix ans que tu l’entretiens, cette bécane. »
Ben s’abandonne dans la contemplation de ses chaussures de sécurité. Une nouvelle éraflure sur le cuir au niveau du renfort en métal absorbe son attention. Bien piètre excuse pour ne pas relever les yeux.
« Je sais, mais ça ne peut pas durer ainsi. Déjà, avec Marie… C’est elle ou Suzie, et j’ai choisi.
- Tu ne crois pas que tout ça est allé un peu trop loin ? » insiste Eric en donnant un léger coup de menton en direction de la camionnette garée à côté du bureau des réceptions.
Ben se raidit. Il sent un regard lourd peser sur lui. Ce vieil utilitaire, il l’a échangé fin juin contre la voiture familiale et une bonne partie de leur budget vacances. Une idée de Suzie pour qu’elle puisse l’accompagner. Il n’a pas su dire non. Il se rappelle la scène que Marie lui a faite en cette fin d’après-midi quand il a franchi le portail à son volant, des cris qui ont fusé et des portes qui ont claqué. Heureusement que les garçons étaient chez des copains à eux, sinon ils auraient vu et entendu des choses qu’aucun gosse ne devrait jamais voir ni entendre, et Marie a disparu de sa vie. Quand les jumeaux sont rentrés, Ben leur a simplement dit que leur mère n’était plus là et qu’ils devaient la rejoindre. Et eux aussi ont disparu. Fin d’une époque.
« Et le crédit de la maison et le reste, tu y as pensé ? reprend Eric. Comment tu vas faire si Marie décide de garder son salaire ?
- Je l'ignore, mais comment dire ? Je me sens bien, maintenant, tu comprends ? Libéré. »
Eric se contente d’un léger mouvement de la tête. Un éclat de voix derrière eux leur fait soudain remarquer que la pause est finie depuis cinq bonnes minutes et qu’ils doivent se bouger le cul. Ce qu’ils font sans échanger un mot.
A peine rentré chez lui en fin d’après-midi, Ben sort la Bonneville du garage. Il a promis à Suzie de la mettre en vente en fin de semaine, mais pourquoi attendre ?
Armé de son portable, il en fait le tour pour la photographier sous tous les angles. Alors qu’il a longtemps craint d’éprouver un sentiment de culpabilité ou, pire, l’impression qu’il allait se mutiler, il réalise qu’il a simplement trop attendu. Marie avait raison sur ce point : cette moto a pris une place trop importante dans leur vie. Mais elle se trompait en répétant que cette passion nuisait à leur couple. Loin d’être un handicap, la moto lui a permis de fuir. Coincé entre son travail et ses obligations de père, il n’aurait pas tenu si longtemps sans elle. Et tout a changé depuis sa rencontre avec Suzie.
« Ben, ça te dirait qu’on sorte ce soir ? »
La voix le surprend à peine. Il fait une dernière photo avant de rejoindre Suzie devant le garage. Sa main se pose d’elle-même sur sa hanche, juste à l’endroit où la courbe se fait plus marquée. Une soudaine envie lui donne une bouffée de chaleur.
« Mais on est en semaine, fait-il remarquer, s’en voulant aussitôt de ne rien avoir trouvé de plus stupide à répondre.
- Et alors ? Il y aura moins de monde. Et avec le temps qu’il fait, on pourra même se balader en amoureux. Demain, tu es d’après-midi, je te rappelle, ce qui nous laisse toute la nuit. »
Il en éprouve presque un vertige. Oui, une grasse matinée, en pleine semaine, après une nuit de douceurs.
« File mettre ton annonce en ligne, dit-elle, et après, on y va. »
Il manque d’objecter que les jumeaux n’ont pas encore mangé, puis il réalise que cela fait désormais partie de son passé. Tout comme Marie. Il éclate de rire, heureux de se sentir vivre.
- Spoiler:
- À peine rentré chez lui, Ben sort la Bonneville du garage. Il a promis à Suzie de la mettre en vente en fin de semaine, mais pourquoi attendre ? Armé de son portable, il en fait le tour pour la photographier sous tous les angles.
Alors qu’il a longtemps craint d’éprouver un sentiment de culpabilité ou pire, l’impression qu’il allait se mutiler, il réalise qu’il a simplement trop attendu. Marie avait raison sur ce point : cette moto a pris une place trop importante dans leur vie. Mais elle se trompait en répétant que cette passion nuisait à leur couple. Loin d’être un handicap, la moto lui a permis de fuir. Coincé entre son travail et ses obligations de père, il n’aurait pas tenu si longtemps sans elle. Et tout a changé depuis sa rencontre avec Suzie.
« Ben, ça te dirait qu’on sorte ce soir ? »
La voix le surprend à peine. Il fait une dernière photo avant de rejoindre Suzie devant le garage. Sa main se pose d’elle-même sur sa hanche, juste à l’endroit où la courbe se fait plus marquée. Une soudaine envie lui donne une bouffée de chaleur.
« Mais on est en semaine, fait-il remarquer, s’en voulant aussitôt de ne rien avoir trouvé de plus stupide à répondre.
- Et alors ? Il y aura moins de monde. Et avec le temps qu’il fait, on pourra même se balader en amoureux. Demain, tu es d’après-midi, je te rappelle, ce qui nous laisse toute la nuit. »
Il en éprouve presque un vertige. Oui, une grasse matinée, en pleine semaine, après une nuit de douceurs.
« File mettre ton annonce en ligne, dit-elle, et après, on y va. »
Il manque d’objecter que les jumeaux n’ont pas encore mangé, puis il réalise que cela fait désormais partie de son passé. Tout comme Marie. Il éclate alors de rire, heureux de se sentir vivre.
Neuf heures du matin. Dans son sommeil, Ben sourit. Une sonnerie de téléphone résonne au loin. Par reflexe, il tend le bras vers la table de nuit en marmonnant, mais la petite musique s’interrompt au bout de quelques secondes. Le sommeil l’enveloppe à nouveau. Il sursaute soudain lorsque la sonnerie reprend, beaucoup plus proche. Et pour cause. Il a dû rêver la première, mais cette fois, c’est bien celle de son portable qui lui vrille les tympans. Il attrape le minuscule téléphone à côté du radioréveil et décroche à la volée. Lorsqu’il le plaque contre son oreille, il entend une femme parler. Encore abruti de sommeil, il met plusieurs secondes à comprendre les mots.
« … ous appelle à nouveau. »
Ben passe en revue à toute vitesse les voix qu’il connait. Le visage plein de sévérité de la conseillère d’éducation du collège des garçons s’affiche devant ses yeux.
« Vous avez compris ce que j’ai dit ? s’inquiète la voix.
- Oui, oui, ment-il.
- Pouvez-vous alors me dire si votre femme les a inscrits dans une autre école ? »
Ben se frotte la figure pour se réveiller complètement. Il se redresse contre la tête du lit.
« Je l’ignore, mais elle l’a certainement fait. Comme je vous l’ai dit avant-hier, nous nous sommes séparés il y a deux mois et...
- Et vous ignorez où elle se trouve ?
- Oui. Enfin non. Elle est partie chez ses parents, mais je suppose que si quelque chose n’allait pas, elle m’aurait appelé de toute façon. »
Le silence qui suit est si lourd de reproches que Ben croit s’entendre dire qu’il est le père le plus indigne de la Terre.
« Vous comprenez tout de même que je ne peux pas laisser deux enfants de quatorze ans non scolarisés ? reprend la conseillère. Ce serait contraire à… »
Les yeux fermés, Ben la laisse parler sans plus lui prêter d’attention et finit par lui raccrocher au nez sans s’en rendre compte. Comme à chaque fois qu’il doit affronter son air supérieur, il a eu une terrible envie de lui hurler d’aller se faire foutre, sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas sa timidité qui l’en a empêché mais le fait qu’il est trop fatigué pour simplement s’énerver. Suzie l’a épuisé, vidé. Il ouvre soudain les yeux. Sa main vient de glisser vers son caleçon et il se rend compte qu’il a une érection. Depuis quand, après une nuit avec Marie, ne l’a-t-il pas désirée à nouveau dès le lendemain matin ? Depuis quand, d’ailleurs, n’a-t-il pas baisé avec elle ?
Un sourire illumine son visage, du genre de ceux qu’il faisait en discothèque à ses potes en leur demandant les clefs de leur voiture pour disposer de la banquette arrière. Mais le sourire s’étiole. Son reflet dans la glace de l’armoire le renvoie ce samedi soir de juin, alors qu’il n’a que dix-neuf ans et qu’il fête son baccalauréat. A l’arrière de la vieille Alfa-Roméo, le boum-boum de la discothèque lui semble terriblement loin, surtout que la fille qui enlève maintenant sa petite culotte et qui vient de l’exciter avec une pipe d’enfer dans un recoin du parking est trop bourrée pour prêter attention à certains détails, détails qui expliquent qu’il se retrouve à trente-quatre ans à s’user la santé en retapant une vieille ferme décrépie dans un hameau d’un village paumé - parce qu’elle a voulu une maison à la campagne qu’il ne pouvait pas lui payer - ou qu’il encaisse sans broncher les remontrances sur l’argent que leur coûte l’entretien de ses motos - parce qu’il y a tellement mieux à faire avec. De toute façon, pense alors Ben, elle n’est que le coup d’un soir. Cela fait trois semaines qu’il la drague, et enfin il atteint son but. Il la baise, fier de l’entendre gémir sous lui et heureux de prendre son pied comme jamais jusqu’alors. Pourtant, dès le lendemain, chez ses parents, à peine émerge-t-il de sous les draps que le doute vient s’immiscer dans son esprit encore abruti d’alcool et de musique. Et quand deux mois plus tard, il décroche le téléphone et entend une voix qu’il a déjà oubliée en pleurs à l’autre bout du fil, il comprend que sa vie vient de basculer.
Mais tout cela est loin maintenant. Et avec Suzie, c’est différent. En fait, tout est différent avec Suzie, et face à son reflet, Ben retrouve le sourire car il sait que rien ne l’empêche de la rejoindre tout de suite pour lui dire combien il l’aime, caresser avec douceur son visage du revers de la main, parcourir ses formes du bout des doigts, et sentir sa peau, lisse et fraiche, son doux parfum enivrant, et se laisser aller à beaucoup plus…
Non, rien ne l’en empêche, et il la rejoint en courant, sans même s’habiller.
- Spoiler:
- Neuf heures du matin. Dans son sommeil, Ben sourit. Une sonnerie de téléphone résonne au loin. Par réflexe, il tend le bras vers la table de nuit en marmonnant, mais la petite musique s’interrompt au bout de quelques secondes. Le sommeil l’enveloppe à nouveau. Il sursaute soudain lorsque la sonnerie reprend, beaucoup plus proche. Et pour cause. Il a dû rêver la première, mais cette fois, c’est bien celle de son portable qui lui vrille les tympans. Il attrape le minuscule téléphone à côté du réveil et décroche à la volée. Lorsqu’il le plaque contre son oreille, il entend une femme parler. Encore abruti de sommeil, il met plusieurs secondes à comprendre les mots.
« … ous appelle à nouveau. »
Ben passe en revue à toute vitesse les voix qu’il connaît. Le visage plein de sévérité de la conseillère d’éducation du collège des garçons s’affiche devant ses yeux.
« Vous avez compris ce que j’ai dit ? s’inquiète la voix.
- Oui, oui, ment-il.
- Pouvez-vous alors me dire si votre femme les a inscrits dans une autre école ? »
Ben se frotte la figure pour se réveiller complètement puis se redresse contre la tête du lit.
« Je l’ignore, mais elle l’a certainement fait. Comme je vous l’ai dit la semaine dernière, nous nous sommes séparés il y a deux mois et...
- Et vous ignorez où elle se trouve ?
- Oui. Enfin non. Elle est partie chez ses parents, mais je suppose que si quelque chose n’allait pas, elle m’aurait appelé de toute façon. »
Le silence qui suit est si lourd de reproches que Ben croit s’entendre dire qu’il est le père le plus indigne de la Terre.
« Vous comprenez tout de même que je ne peux pas laisser deux enfants de quatorze ans non scolarisés ? reprend la conseillère. Ce serait contraire à… »
Les yeux fermés, Ben la laisse parler et finit par lui raccrocher au nez sans s’en rendre compte. Comme à chaque fois qu’il doit affronter son air supérieur, une terrible envie de lui hurler d’aller se faire foutre s'est emparé de lui, sauf qu’aujourd’hui ce n’est pas sa timidité qui l’en a empêché mais le fait qu’il est trop fatigué pour simplement s’énerver. Suzie l’a épuisé, vidé. Il ouvre soudain les yeux. Sa main vient de glisser vers son caleçon et il se rend compte qu’il a une érection. Depuis quand, après une nuit avec Marie, ne l’a-t-il pas désirée à nouveau dès le lendemain matin ? D'ailleurs, depuis quand n’a-t-il pas baisé avec elle ? Un sourire illumine son visage, du genre de ceux qu’il faisait en discothèque à ses potes en leur demandant les clefs de leur voiture pour disposer de la banquette arrière. Mais le sourire s’étiole. Son reflet dans la glace de l’armoire de l'autre côté de la chambre le renvoie ce samedi soir de juin, alors qu’il n’a que dix-neuf ans et qu’il fête son baccalauréat. À l’arrière de la vieille Alfa-Roméo, le boum-boum de la piste de danse lui semble terriblement loin, surtout que la fille qui enlève maintenant sa petite culotte et qui vient de l’exciter avec une pipe d’enfer dans un recoin du parking est trop bourrée pour prêter attention à certains détails, détails qui expliquent qu’il se retrouve à trente-quatre ans à s’user la santé pour retaper une vieille ferme décrépie dans un hameau d’un village paumé - parce qu’elle a voulu une maison à la campagne qu’il ne pouvait pas lui payer - ou qu’il encaisse sans broncher les remontrances sur l’argent que leur coûte l’entretien de ses motos - parce qu’il y a tellement mieux à faire avec. De toute façon, pense alors Ben, elle n’est que le coup d’un soir. Cela fait trois semaines qu’il la drague et enfin il atteint son but. Il la baise, fier de l’entendre gémir sous lui et heureux de prendre son pied comme jamais jusqu’alors. Pourtant, dès le lendemain, à peine émerge-t-il de sous les draps chez ses parents que le doute vient s’immiscer dans son esprit encore abruti d’alcool et de musique. Et quand à peine deux mois plus tard, il décroche le téléphone et entend une voix qu’il a déjà oubliée en pleurs à l’autre bout du fil, il comprend que sa vie vient de basculer.
Tout cela est loin maintenant. Et avec Suzie, c’est différent. En fait, tout est différent avec Suzie, et face à son reflet, Ben retrouve le sourire car il sait que rien ne l’empêche de la rejoindre tout de suite pour lui dire combien il l’aime, caresser avec douceur son visage du revers de la main, parcourir ses formes du bout des doigts, sentir sa peau, lisse et fraîche, son doux parfum enivrant, et se laisser aller à beaucoup plus…
Non, rien ne l’en empêche, et il la rejoint en courant, sans même s’habiller.
Une semaine s’écoule, pendant laquelle Ben voit les messages laissés par la conseillère d’éducation s’accumuler sur sa messagerie, qu’il ne consulte pas. Il a souvent failli décrocher, mais à chaque fois, son pouce est resté suspendu au-dessus de la touche. Tapie dans les ténèbres de son esprit, la créature lui a murmuré de ne pas le faire et il a obéi. Il sait pourtant que cette situation ne peut durer éternellement et que cette sale fouineuse de fonctionnaire ne va pas le laisser tranquille. Elle est même capable de venir chez lui. D’ailleurs, elle l’a déjà fait l’année dernière, accompagnée d’une assistante sociale, le jour où un des jumeaux est arrivé en classe avec un méchant coquard et des bleus sur les bras. Ben a eu le plus grand mal à les convaincre qu’il était tombé dans les escaliers.
Oui, il doit régler ce problème. Suzie lui en a d’ailleurs parlé. Elle lui a également fait remarquer qu’il devrait replanter du gazon sur les trois bandes de terre retournée sur le côté de la villa. La haie a beau être suffisamment haute à cet endroit pour que même le voisin ne voie rien depuis son premier étage, cela ne fait pas très propre.
« On dirait des tombes », a-t-elle conclu avec une certaine ironie dans la voix avant de l’attirer contre elle.
Suzie a raison, elles ressemblent à s’y méprendre à ces petits monticules de pierres qu’on voit dans les westerns quand le héros vient d’enterrer sa famille massacrée par des Indiens. Ben ne veut pas se souvenir pour quelle raison il a creusé à cet endroit, car il devine que s’il essaye, il va entendre la porte du placard de la chambre s’entrebâiller cette nuit ou une autre pour laisser apparaitre deux braises d’un rouge infernal qui vont le regarder dans l’obscurité.
La lumière du crépuscule qui entre par la petite lucarne du garage teinte son visage et ses yeux en un gris malsain. De grosses gouttes de sueur commencent à perler à son front. Sous lui, Suzie râle de plaisir, mais déjà Ben ne l’entend plus. En une poignée de secondes, elle l’a propulsé bien au-delà de la jouissance et de ce qu’il peut décrire. Lancé à pleine vitesse, il parcourt des routes entre fantasmes et folie.
- Spoiler:
- Une semaine s’écoule, pendant laquelle Ben voit les messages de la conseillère d’éducation s’accumuler sur sa messagerie. Il a souvent failli décrocher, mais à chaque fois, son pouce est resté suspendu au-dessus de la touche. Tapie dans les ténèbres de son esprit, la créature lui a murmuré de ne pas le faire et il a obéi. Il sait pourtant que cette situation ne peut pas durer éternellement et que cette sale fouineuse de fonctionnaire ne va pas le laisser tranquille. Elle est même capable de venir chez lui. Elle l’a déjà fait l’année dernière, accompagnée d’une assistante sociale, le jour où un des garçons est arrivé en classe avec un méchant coquard et des bleus sur les bras. Ben a eu le plus grand mal à les convaincre qu’il avait chuté dans les escaliers.
Oui, il doit régler ce problème. Suzie lui en a d’ailleurs parlé. Elle lui a également fait remarquer qu’il devrait replanter du gazon sur les trois bandes de terre retournée sur le côté de la villa. La haie a beau être suffisamment haute à cet endroit pour empêcher quiconque d'apercevoir quoi que ce soit, cela ne fait pas très propre.
« On dirait des tombes », a-t-elle conclu avec ironie avant de l’attirer contre elle.
Suzie a raison, elles ressemblent à s’y méprendre à ces petits monticules de pierres qu'on voit dans les westerns quand le héros vient d’enterrer sa famille massacrée par des Indiens. Ben ne veut pas se souvenir pourquoi il a creusé là, car il devine que s’il essaye, il va entendre des griffes rayer le parquet sous son lit cette nuit ou une autre, et que deux braises couleur de lave en fusion vont attendre dans l'obscurité qu'il se penche sous le matelas pour lui sauter au visage.
La lumière du crépuscule qui entre par la petite lucarne du garage teinte son visage et ses yeux en un gris malsain. De grosses gouttes de sueur commencent à perler sur son front. Sous lui, Suzie râle de plaisir, mais déjà Ben ne l’entend plus. En une poignée de secondes, elle l’a propulsé bien au-delà de la jouissance et de ce qu’il peut décrire. Lancé à pleine vitesse, il parcourt des routes entre fantasmes et folie...
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: C'est juste une intro, mais vous en pensez quoi?
Il est 6h00 lorsque le radioréveil se met en route le lendemain matin. Ben ouvre péniblement les yeux. Une fois de plus, il est crevé. Mais aujourd’hui, c’est bien plus qu’une simple fatigue physique; son dos et ses épaules ne sont qu’un nœud de courbatures et de douleurs diverses.
« Tu deviens vieux » se marmonne-t-il à lui-même.
Il se fait violence pour aller jusqu’à la douche. Eau chaude, puis glacée, puis de nouveau chaude. Son esprit s’éclaircit, les courbatures s’atténuent. Il s’essuie rapidement et n’enfile que ses sous-vêtements pour prendre son petit-déjeuner. Il se contente d’une tasse de café noir et de deux biscottes qu’il grignote sans même les beurrer. Cuisiner n’a jamais été son truc, et ce n’est pas celui de Suzie. D’ailleurs, Suzie ne met jamais la table et ne fait jamais la vaisselle non plus.
Brossage succinct des dents. Il finit de s’habiller et sort sur l’allée en terre battue. L’air frais réveille ses courbatures.
Il s’installe au volant de la camionnette. Face à lui, les premières lueurs du jour éclaircissent un ciel sans nuage par-dessus les collines. Le village s’anime doucement en cette mi-septembre.
« Tu n’as rien oublié ? » fait une voix dans son dos.
Ben sent son cœur bondir dans sa poitrine. Il saisit le volant à pleines mains pour se maitriser. Dans le rétroviseur intérieur, le reflet de Suzie le fixe droit dans les yeux.
« Putain, tu m’as fait une de ces peurs ! » lâche-t-il en tentant de reprendre sa respiration.
Il se retourne pour regarder à l’arrière de la camionnette.
« Moi, reprend Suzie, tu m’as oubliée. Oubliée ! »
Son ton n’a rien de pleurnichard, bien au contraire, et l’angoisse recouvre les épaules de Ben comme un linge trempé dans l’eau glacée lorsqu’elle ajoute :
« Tu sais ce que cela mérite ? »
Non, il l’ignore, mais il l’imagine sans problème, car le petit tac-tac-tac qu’il entend soudain dans son dos provoque en lui un irrépressible tremblement. Il sait que s’il se retourne, il va voir une griffe jaunâtre en forme de serre tapoter contre le bas de la vitre de sa portière.
« J’étais crevé, implore Ben. Je ne me rappelle même plus comment on est rentré hier soir et…
- Tu m’as oubliée ! Et tu ne serais même pas venu me dire un petit au-revoir.
- Mais non, Suzie, je… Je suis désolé. C’est la première et dernière fois que ça se…
- Et Bonnie?
- Quoi, Bonnie ?
- Oui, ta Bonneville ! Pourquoi est-elle encore ici ? Tu es sûr de bien avoir mis l’annonce ? Pas un coup de fil, pas un contact, rien !
- Mais j’ai mis l’annonce il n’y a même pas dix jours…
- Et alors ? Tu veux vraiment t’en séparer ou bien tu hésites encore, comme avec Marie ?
- Tu me fais une crise de jalousie ? s’étonne soudain Ben. Mais je t’ai dit que…
- Ta gueule ! »
La violence de la dernière phrase le renvoie vers le volant. Ses yeux papillonnent, comme sous le coup d’un terrible direct du droit. Il lui faut plusieurs secondes pour réaliser que Suzie continue de parler.
« Comment as-tu pu m’oublier ? »
Ben se frotte les paupières. Il a l’étrange impression de se réveiller d’un KO, ou plutôt d’une longue période de léthargie.
« Tout ça n’est pas réel… » murmure-t-il soudain.
Il lève la tête vers Suzie.
« Non, tout ça n’est pas réel, répète-t-il. Ce n’est pas réel car...
- Regarde tes mains, l’interrompt Suzie.
-… tu n’es qu’une putain de…
- Regarde tes mains ! aboie-t-elle avec rage.
- Quoi, mes mains ? » hurle Ben à son tour.
Il les exhibe devant son visage pour bien les lui montrer.
« Alors, qu’est-ce qu’elles ont, mes mains, hein ? Tu les vois bien, là, mes… »
Sa voix se brise. Il vient de remarquer de petites écorchures au bout de ses doigts. Alors qu’il tourne les paumes vers lui, il en voit d’autres, ainsi que deux ampoules qui ne demandent qu’à gonfler sur son index et son majeur. Il replie ses doigts et de minuscules traces sombres à la base de ses ongles attirent son attention : de la terre séchée que la douche n’a pas réussi à désincruster des replis de sa peau.
« Qu’est-ce-que tu m’as fait faire ? » demande-t-il à Suzie alors qu’il devine déjà la réponse.
Il déverrouille sa portière et descend de la camionnette. Dans la panique, ses jambes se sont mises à courir malgré lui pour l’emmener sur le côté de la villa. Il tombe à genoux lorsqu’il aperçoit une quatrième bande de terre fraichement retournée. Il regarde à nouveau ses mains, puis la terre qui brille encore de l’humidité de la nuit.
« Mon Dieu… » murmure-t-il.
Il se jette sur la bande de terre et se met à creuser, indifférent au bruit de griffes qui courent avec excitation sur les tuiles au-dessus de lui. Ses doigts s’écorchent sur les pierres, ses ongles se fendillent, mais il continue, de plus en plus acharné, de plus en plus horrifié. Il s’épuise en quelques secondes à creuser ainsi et il est sur le point de s’effondrer, à bout de souffle, lorsque ses doigts rencontrent autre chose que de la terre. Brusque regain d’énergie. Il écarte les derniers amas de terre et constate qu’il tient la manche d’un blouson en cuir. Une main en décomposition s’effrite lorsqu’il la soulève, tout comme l’avant-bras déjà rendu flasque par l’humidité du sol. Ben s’en débarrasse avec une grimace de dégoût, comme s’il venait de saisir un serpent, avant de comprendre que ce qu’il a pris pour de la chair n’est que la terre rentrée à l’intérieur de la manche.
« Mais qu’est-ce-que c’est que ce bordel ? » balbutie-t-il en dégageant le reste.
Il secoue le blouson pour en faire tomber la terre et le regarde, incapable de réaliser qu’il tient dans ses mains le vintage qu’il met lorsqu’il part faire une balade avec la Bonneville.
Il se tourne vers la bande de terre, bien trop grande pour ne contenir qu’un vêtement. Un petit reflet métallique au fond du trou attire alors son attention. Ben tend la main et commence à gratter doucement autour avec les gestes d’un archéologue. La forme chromée qui se dégage petit à petit est fine, arrondie, de la taille d’une sous-tasse, et lorsque les doigts rencontrent le verre du rétroviseur de la Bonneville, Ben sent soudain l’air lui manquer. Les pièces d’un puzzle aussi démoniaque que bancal s’assemblent à toute vitesse dans son esprit ravagé. Si sa moto est enterrée là, si Suzie l’a obligé à le faire pour assouvir sa jalousie, alors…
« Marie ! » hurle Ben à s’en déchirer les cordes vocales.
Il s’est jeté sur la première bande de terre. Au-dessus de lui, les griffes crissent de plus en plus frénétiquement sur les tuiles en cadence avec ses mains qui ont repris leur manège. Mais cette fois le sol est sec et bien trop dur. Ben essaye pourtant pendant de longues secondes malgré le sang qui suinte de ses ongles à moitié arrachés. En vain. De toute façon, il n’a plus la force ni la volonté d’affronter ce qu’il va découvrir.
« Tu ne m’a jamais vraiment aimée, lui lance Suzie dans la camionnette. Et maintenant, tu ne m’es plus d’aucune utilité. Après toi, il y en aura d’autres. Il y en a toujours eu d’autres. Je croyais que tu étais le bon mais… Je ne veux plus de toi ! Crève ! »
Ben lui hurle de se taire. Il se relève et marche jusqu’à la camionnette pour ouvrir les portes arrières dans un geste rageur, indifférent à l’ombre bondissante qui le suit depuis le toit. Dans le garage, il aperçoit le bidon d’essence juste à côté de la tondeuse à gazon.
« Non, c’est toi qui vas crever ! »
- Que fais-tu ? s’inquiète Suzie.
- A ton avis, espèce de salope, hein ? lance-t-il en prenant le bidon.
- Non, arrête… »
Le ton est presque implorant, même si elle ajoute une poignée de secondes plus tard qu’elle va devoir le tuer.
« Et comment, hein ? Dis-moi comment tu vas faire ? grogne-t-il en fouillant les étagères à la recherche d’un briquet ou d’une boite d’allumettes.
Il aperçoit enfin ce qu’il lui faut sur l’établi au fond du garage. Un étrange rictus de satisfaction se dessine sur son visage lorsqu’il prend le briquet.
« Arrête ! crie Suzie.
- C’est ça, parle toujours !
- Je t’aurais prévenu…
- Eh bien vas-y, tue-moi ! Comment comptes-tu t’y prendre ? »
Avec le bruit flasque d’un linge humide tombant sur le sol, la créature vient de se laisser tomber devant la porte du garage depuis le rebord du toit. Ben laisse échapper un rire dément.
« Toi, dit-il, tu n’existes pas ! »
Pourtant, son bras se tend vers l’étagère la plus proche à la recherche du premier objet qui pourrait lui servir d’arme. Ses doigts se ferment sur la forme familière du cutter. Nouvel éclat de rire.
« Oh non, tu n’existes pas, et quand bien même tu existerais, tu vas crever toi aussi ! »
Il se retourne d’un coup, la main tenant le cutter levée comme s’il s’apprêtait à frapper avec une hache, et la dernière chose qu’il voit est la gueule béante, démesurément grande et hérissée de lames de rasoir qui scintillent sur le rose des gencives lui sauter au visage.
- Spoiler:
- Il est 6h00 lorsque le réveil se met en route le lendemain matin. Ben ouvre péniblement les yeux. Une fois de plus, il est crevé. Mais aujourd’hui, c’est bien plus qu’une simple fatigue physique; son dos et ses épaules ne sont qu’un nœud de courbatures et de douleurs diverses.
« Tu deviens vieux » se marmonne-t-il à lui-même.
Il se fait violence pour aller jusqu’à la douche. Eau chaude, puis glacée, puis de nouveau chaude. Son esprit s’éclaircit, les courbatures s’atténuent. Il s’essuie rapidement et n’enfile que ses sous-vêtements pour prendre son petit-déjeuner. Il se contente d’une tasse de café noir et de deux biscottes qu’il grignote sans même les beurrer. Cuisiner n'est pas son truc, et ce n’est pas celui de Suzie. D’ailleurs, Suzie ne met jamais la table et ne fait jamais la vaisselle non plus.
Brossage succinct des dents. Il finit de s’habiller et sort sur l’allée en terre battue. L’air frais réveille ses courbatures.. Face à lui, les premières lueurs du jour éclaircissent un ciel sans nuage par-dessus les collines. Le village s’anime doucement en cette mi-septembre. Ben s’installe au volant de la camionnette.
« Tu n’as rien oublié ? » fait une voix dans son dos.
Ben sent son cœur bondir dans sa poitrine. Il saisit le volant à pleines mains pour se maîtriser. Dans le rétroviseur intérieur, le reflet de Suzie le fixe droit dans les yeux.
« Putain, tu m’as fait une de ces peurs ! » lâche-t-il en tentant de reprendre sa respiration.
Il se retourne pour regarder à l’arrière du véhicule.
« Moi, reprend Suzie, tu m’as oubliée. Oubliée ! »
Son ton n’a rien de pleurnichard, bien au contraire, et l’angoisse recouvre les épaules de Ben comme un linge trempé dans l’eau glacée lorsqu’elle ajoute :
« Tu sais ce que cela mérite ? »
Non, il l’ignore, mais il l’imagine sans problème, car le petit tac-tac-tac qu’il entend soudain dans son dos provoque en lui un irrépressible tremblement. Il sait que s’il se retourne, il va voir une griffe jaunâtre en forme de serre au bout d'un doigt velu tapoter contre le bas de la vitre de sa portière.
« J’étais crevé, implore Ben. Je ne me rappelle même plus ce qu’on a fait hier soir et…
- Et tu m’as oubliée ! Tu ne serais même pas venu me dire un petit au-revoir.
- Mais non, Suzie, je… Je suis désolé. C’est la première et dernière fois que ça se…
- Et Bonnie?
- Quoi, Bonnie ?
- Oui, ta Bonneville ! Pourquoi est-elle encore ici ? Tu es sûr de bien avoir mis l’annonce ? Pas un coup de fil, pas un contact, rien !
- Mais j’ai mis l’annonce il n’y a même pas dix jours…
- Et alors ? Tu veux vraiment t’en séparer ou bien tu hésites encore, comme avec Marie ?
- Tu me fais une crise de jalousie ? s’étonne soudain Ben. Mais je t’ai dit que…
- Ta gueule ! »
La violence des mots le repousse vers le volant. Ses yeux papillonnent comme sous le coup d’un terrible direct du droit. Il lui faut plusieurs secondes pour réaliser que Suzie continue à parler.
« Comment as-tu pu m’oublier ? »
Ben se frotte les paupières. Il a l’étrange impression de se réveiller d’un KO, ou plutôt d’une longue période de léthargie.
« Tout ça n’est pas réel… » murmure-t-il soudain.
Il lève la tête vers Suzie.
« Non, tout ça n’est pas réel, répète-t-il. Ce n’est pas réel car...
- Regarde tes mains, l’interrompt Suzie.
-… tu n’es qu’une putain de…
- Regarde tes mains ! aboie-t-elle avec rage.
- Quoi, mes mains ? » hurle Ben à son tour.
Il les exhibe devant son visage pour bien les lui montrer.
« Alors, qu’est-ce qu’elles ont, mes mains, hein ? Tu les vois bien, là, mes… »
Sa voix se brise. Il vient de remarquer de petites écorchures au bout de ses doigts. Alors qu’il tourne les paumes vers lui, il en voit d’autres, ainsi que deux ampoules qui ne demandent qu’à gonfler sur son index et son majeur. Il replie ses doigts et de minuscules traces sombres à la base de ses ongles attirent son attention : de la terre séchée que la douche n’a pas réussi à désincruster des replis de sa peau.
« Qu’est-ce-que tu m’as fait faire ? » demande-t-il à Suzie alors qu’il devine déjà la réponse.
Il descend de la camionnette. Dans la panique, ses jambes se sont mises à courir malgré lui pour l’emmener sur le côté de la villa. Il tombe à genoux lorsqu’il aperçoit une quatrième bande de terre, fraîchement retournée celle-ci. Il regarde à nouveau ses mains, puis la terre qui brille encore de l’humidité de la nuit.
« Mon Dieu… » murmure-t-il.
Il se jette sur la bande de terre et se met à creuser, indifférent au bruit de griffes qui courent avec excitation sur les tuiles au- dessus de lui. Ses doigts s’écorchent sur les pierres, ses ongles se fendillent, mais il continue, de plus en plus acharné, de plus en plus horrifié. Il s’épuise en quelques secondes à creuser ainsi et il est sur le point de s’effondrer, à bout de souffle, lorsque ses doigts rencontrent enfin autre chose que de la terre. Brusque regain d’énergie. Il écarte les derniers amas et constate qu’il tient la manche d’un blouson en cuir. Une main en décomposition s’effrite lorsqu’il la soulève, tout comme l’avant-bras déjà rendu flasque par l’humidité du sol. Ben s’en débarrasse avec une grimace de dégoût, comme s’il venait de saisir un serpent, avant de comprendre que ce qu’il a pris pour de la chair n’est que la terre rentrée à l’intérieur de la manche.
« Mais qu’est-ce-que c’est que ce bordel ? » balbutie-t-il en dégageant le reste.
Il secoue le blouson pour l’épousseter et le regarde, incapable de réaliser qu’il tient dans ses mains le vintage qu’il met quand il part en balade avec la Bonneville. Il se tourne vers la bande de terre, bien trop grande pour ne contenir qu’un vêtement. Un petit reflet métallique au fond attire alors son attention. Ben tend la main et commence à gratter doucement autour à la manière d’un archéologue. La forme chromée qui se dégage petit à petit est fine, arrondie, de la taille d’une sous-tasse, et lorsque les doigts rencontrent le verre du rétroviseur de la Bonneville, Ben sent soudain l’air lui manquer. Les pièces d’un puzzle aussi démoniaque que bancal s’assemblent à toute vitesse dans son esprit ravagé. Si sa moto est enterrée là, si Suzie l’a obligé à le faire pour assouvir sa jalousie, alors…
« Marie ! » hurle-t-il à s’en déchirer les cordes vocales.
Il s’est jeté sur ce qu’il doit maintenant appeler la première tombe. Au-dessus de lui, les griffes crissent de plus en plus frénétiquement sur les tuiles en cadence avec ses mains qui ont repris leur manège. Mais cette fois le sol est sec et bien trop dur. Ben essaye pourtant pendant de longues secondes malgré ses ongles à moitié arrachés et le bout de ses doigts à vif. En vain. Il court chercher une pelle dans la garage, mais lorsque la lame se plante dans la terre, il réalise qu'il n’a plus la force d’affronter ce qu’il va découvrir.
« Tu ne m’as jamais vraiment aimée, lui lance Suzie. Et maintenant, tu ne m’es plus d’aucune utilité. Après toi, il y en aura d’autres. Il y en a toujours eu d’autres. Je croyais que tu étais le bon mais… Je ne veux plus de toi ! Crève ! »
Ben lui hurle de se taire. Il se relève et marche jusqu’à la camionnette pour ouvrir les portes arrières dans un geste rageur, indifférent à l’ombre bondissante qui le suit depuis le toit. Dans le garage, il aperçoit le bidon d’essence juste à côté de la tondeuse à gazon.
« Non, c’est toi qui vas crever !
- Que fais-tu ? s’inquiète soudain Suzie.
- À ton avis, espèce de salope, hein ? lance-t-il en prenant le jerrican.
- Non, arrête… »
Le ton est presque implorant, même si elle ajoute une poignée de secondes plus tard qu’elle va devoir le tuer.
« Et comment ? Dis-moi comment tu vas faire ? » grogne-t-il en fouillant les étagères à la recherche d’un briquet ou d’une boite d’allumettes.
Il aperçoit enfin ce qu’il lui faut sur l’établi au fond du garage. Un étrange rictus de satisfaction se dessine sur son visage lorsqu’il prend le briquet.
« Arrête ! s'écrie Suzie.
- C’est ça, parle toujours !
- Je t’aurais prévenu…
- Eh bien vas-y, tue-moi ! Mais comment comptes-tu t’y prendre, hein ? »
Avec le bruit flasque d’un linge humide tombant sur le sol, la créature vient de se laisser tomber devant la porte du garage depuis le rebord du toit. Le dos tourné, Ben laisse échapper un rire dément.
« Toi, dit-il, tu n’existes pas ! »
Pourtant, son bras se tend vers l’étagère la plus proche à la recherche du premier objet qui pourrait lui servir d’arme. Ses doigts se ferment sur la forme familière du cutter.
Nouvel éclat de rire.
« Oh non, tu n’existes pas, et quand bien même tu existerais, tu vas crever toi aussi ! »
Il se retourne d’un coup, la main tenant le cutter levée comme s’il s’apprêtait à frapper avec une hache, et la dernière chose qu’il voit est la gueule béante, démesurément grande et hérissée de lames de rasoir qui scintillent sur le rose des gencives lui sauter dessus. Dans la fraction de seconde qui précède sa mort, la photo du journal s’affiche soudain sur les ténèbres ensanglantées de ses paupières, bientôt suivie par une multitude d’images qui s’impriment dans son esprit comme autant de marques au fer rouge. Elles arrivent pêle-mêle, se croisent, se chevauchent, le frappent, repartent…
Il se revoit descendre de la camionnette et aborder des gars, discuter avec eux et leur proposer de voir Suzie, ce qu’ils acceptent. Ils montent à l’arrière sans même se demander pourquoi un type qu’ils ne connaissent pas se balade en utilitaire avec leur ancienne bécane, déjà subjugués par le chant des sirènes qu’elle leur fredonne. Et quand les portes se referment dans leurs dos comme une gigantesque mâchoire, ils ne bronchent pas, car l’orgasme qu’ils éprouvent soudain les emmène bien au-delà de leurs fantasmes les plus fous. Darwin avait raison. La fonction crée l’organe, et Suzie a eu tout le temps d’évoluer et de ruminer sa vengeance sous la bâche au fond de la casse dans laquelle Ben l’a trouvée par hasard.
Avant, ils l’aimaient. Tous l’aimaient. Ils la chevauchaient et elle laissait échapper de longs cris rageurs, toujours plus vite, toujours plus loin, le vent sifflant le long de son carénage et le goudron défilant à une allure démente si près qu’ils pouvaient l'effleurer du bout des doigts en tendant la main lorsqu’elle s’inclinait dans les virages. Et puis ils l’ont rejetée. Ils se l’a sont refilée comme une putain, l’éreintant un peu plus à chaque fois. Alors autant qu’elle en devienne une vraie, surtout qu’elle a compris que ce plaisir qu’elle leur procure est le prix à payer pour désormais ressentir à travers eux le frisson que sa mécanique fatiguée ne peut plus lui apporter, même si pour cela elle les épuise jusqu’à la mort. C’est son but de toute façon : les sentir se vider de toute force vitale, les voir mourir, leur rendre la monnaie de leur pièce. Et Ben lui a obéi car il l’aime, ou croit l’aimer, et surtout qu’elle le possède, ce qui ne fait guère de différence. Il a quitté une servitude pour une autre, jusqu’à en mourir.
Et il en meurt…
« C’est elle que tu voulais me montrer ? »
Il s’appelle Marc, est jeune diplômé et vient d’intégrer la police scientifique.
« Ouais. Belle bête, hein ? fait remarquer Antoine, son tuteur. Toi qui veux passer ton permis moto, j’étais persuadé que tu n’allais pas y être insensible.
- Ça, tu peux le dire ! Elle doit dater du milieu des années 90. Mais qu’est-ce qu’elle fout là ?
- Tu te souviens, l’été dernier, l’affaire des trois motards assassinés dans la région ? Ben c’est sa moto.
- A un des motards ?
- Non, au débile qui les a tués. Il l’avait achetée même pas cinq mois avant.
- Et pourquoi il a fait ça ? »
Antoine hausse les épaules.
« Complètement siphonné, faut pas chercher plus loin. De toute façon, maintenant qu’il est mort, on ne saura jamais. Sa femme n’a rien pu dire, elle venait de le quitter. Une sacrée chance qu’elle a eue. Elle a juste expliqué qu’il n’en avait que pour cette bécane. On a retrouvé l’ADN des trois victimes sur la selle, si tu vois ce que je veux dire.
- Tu me charries, là ?
- Même pas. »
Si vingt-cinq ans de métier ont blindé son tuteur contre ce genre de choses, Marc ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine curiosité morbide. Mais après tout, s’il n’était pas curieux, s’il n’avait pas envie de comprendre, aurait-il choisi ce métier ?
« Un de ses voisins qui partait au travail a entendu des cris, reprend Antoine. Quand il est arrivé, il a trouvé le type en train de se taillader le visage au cutter. J’ai vu les photos, c’était vraiment pas beau.
- J’imagine… »
Marc s’approche de la moto. Un détail vient d’attirer son attention.
« Pourquoi il manque des lettres à la marque? demande-t-il.
- Va savoir. Peut-être une chute qui les a effacées, qu’est-ce-que j’en sais. »
Le stagiaire s’accroupit pour mieux voir. Aucune trace d’abrasion n’est visible. Du bout des doigts, il parcourt les espaces laissés vides dans le nom. Un délicieux frisson remonte le long de son avant-bras.
« Suz--i, lit-il à voix haute. C’est bizarre, on dirait un prénom de femme… »
Il lève alors la tête vers Antoine, le regard soudain brillant.
« Dis, tu crois que je peux la récupérer ? »
- Spoiler:
- « C’est elle que tu voulais me montrer ? »
Il s’appelle Marc, est jeune diplômé et vient d’intégrer la police scientifique.
« Ouais. Belle bête, hein ? fait remarquer Antoine, son tuteur, qui lui a demandé de le rejoindre dans le garage du laboratoire. Toi qui veux passer ton permis moto, j’étais persuadé que tu n’allais pas y être insensible.
- Ça, tu peux le dire ! Elle doit dater du début des années 90, ou de la fin des 80. Mais qu’est-ce qu’elle fout là ?
- Tu te souviens, l’été dernier, l’affaire des trois motards assassinés dans la région ? Ben c’est la moto.
- À un des motards ?
- Non, aux trois, et au débile qui les a tués.
- Et pourquoi il a fait ça ? »
Antoine hausse les épaules.
« Complètement siphonné, faut pas chercher plus loin. De toute façon, maintenant qu’il est mort, on n’aura jamais la réponse. On sait tout juste que les types étaient les anciens proprios, mais de là à trouver une explication rationnelle. »
Il marque une pause, comme s'il hésitait à formuler une supposition, puis il reprend :
« Sa femme n’a rien pu dire, elle venait de le quitter. Une sacrée veine qu’elle a eue. Elle a juste expliqué qu’il n’en avait que pour cette bécane. On a retrouvé l’ADN des trois victimes sur la selle, et pas les cheveux, si tu vois ce que je veux dire.
- Tu me charries, là ?
- Même pas. »
Si vingt-cinq ans de métier ont blindé son tuteur contre ce genre de choses, Marc ne peut s’empêcher d’éprouver une certaine curiosité morbide. Mais après tout, s’il n’était pas curieux, s’il n’avait pas envie de comprendre, aurait-il choisi ce métier ?
« Un de ses voisins qui partait au travail a entendu des cris, reprend Antoine. Quand il est arrivé, il a trouvé le type en train de se taillader le visage au cutter. J’ai vu les photos, c’était pas joli.
- J’imagine… »
Marc s’approche de la moto. Un détail vient d’attirer son attention.
« Pourquoi il manque des lettres à la marque ? demande-t-il.
- Va savoir. Peut-être une chute qui les a effacées, qu’est-ce- que j’en sais. »
Le stagiaire s’accroupit pour mieux voir. Aucune trace d’abrasion n’est visible. Du bout des doigts, il parcourt les espaces laissés vides dans le nom. Un délicieux frisson remonte le long de son avant-bras.
« Suz--i, lit-il à voix haute. C’est bizarre, on dirait un prénom de femme. »
Il lève alors la tête vers Antoine, les yeux soudain brillants.
« Dis, tu crois que je peux la récupérer ? Ça me dirait bien de finir de la retaper. Une moto comme ça, ça se respecte…»
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
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