Extrait du tome 2 (page 35)
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Extrait du tome 2 (page 35)
C'est un extrait un peu long, mais tant pis. Peut-être y aura t-il, parmis ceux qui passent ici sans laisser de commentaire, une personne qui le lira avec intérêt et plaisir, ou qui en retirera quelque chose. Il s'agit de la description de ce qui se passe entre un Maître authentique et son élève, dans les tous premiers temps, quand l'élève n'a pas encore "grandi".
Le 13 Octobre 2007 - R. a reçu l’ordre intérieur de passer à la maison au lieu d’aller travailler. Il était installé devant un thé avec Y. quand je suis revenue du travail.
Nous avons longuement parlé, de lui, de moi, du monde… Il m’expliquait que toutes les religions semblaient reléguer les femmes à une place inférieure. Cette interprétation provient par exemple de ce qu’elles sont exclues de la prêtrise. Voilà ce qu’il disait : « Les hommes sont très faibles. Si une femme dirigeait la prière ou enseignait dans une église, un temple, une mosquée ou ailleurs, elle se tiendrait devant l’assemblée. Les hommes seraient perturbés par la vision que son corps offrirait si elle se prosternait en leur tournant le dos. Ils seraient troublés si elle était jolie. Ils ne pourraient plus prier. C’est pour cela qu’on leur interdit la prêtrise. Elles en sont pourtant plus dignes que les hommes. C’est par égards pour la faiblesse des hommes que les religions ont donné à ceux-ci une place qui a été ensuite interprétée comme supérieure. »
Je me suis mise à penser l’évolution de l’Église Réformée* (qui accepte les femmes pasteurs, depuis 1949 en Alsace pour répondre à la pénurie d’hommes, et depuis 1960 un peu partout. Leur nombre augmente constamment depuis cette date. Elles représentent à l’heure actuelle en Allemagne un quart des effectifs !) Depuis plusieurs décennies, les théologiens catholiques sont très occupés à trouver dans les Écritures des arguments pour défendre leur position, pour ou contre l’ordination des femmes. En une phrase, R. a rendu pour moi inutile la lecture des centaines de livres et d’articles sur le sujet.
J’aimerais bien aller à la messe une fois avec R. pour qu’il m’explique ce qu’il y voit et comment il le comprend.
Il a fait une digression : « Ce que je te dis, c’est la vérité. Ce qui sort de là (il montre sa tête) n’a pas de valeur. C’est entaché d’erreurs et ça entraîne toujours des souffrances pour quelqu’un. Ce qui sort de là (il montre la région de l’estomac ou du plexus solaire) est toujours juste. De cet endroit là jaillissent toutes les réponses, toutes les connaissances dont j’ai besoin pour enseigner, tous les mots que ma bouche prononce pour corriger, apaiser et consoler. On peut facilement éveiller cet endroit chez un enfant. Donner des ordres à un enfant tue cet endroit. La tête, c’est un agenda, un réveil. Le cœur, c’est la vie. »
Il s’est interrompu pour s’enquérir de la raison du passage constant d’hélicoptères. Qu’il pose cette question a suffi pour que je remarque qu’il y en avait justement un non loin. J’en avais entendu un ou deux, puis mon esprit n’avait plus rien enregistré. R. a été une fois de plus choqué par la surdité de mon cerveau. Il m’était clair que mes oreilles avaient été stimulées par leur vrombissement qu’on peut estimer à cette faible distance à au moins cinquante décibels. Mes tympans ont vibré, les osselets ont transmis les vibrations à l’organe de Corti et je suppose que le nerf auditif a conduit correctement l’information au cerveau… qui était déconnecté !
Que R. ait attiré mon attention sur les hélicoptères a eu pour effet de me rendre immédiatement consciente du bruit des rotors. Il y a un an, ou seulement six mois, j’aurais eu honte de mon état d’endormissement. Plus maintenant. Le phénomène même de l’assoupissement et du réveil des sens est un des nœuds du problème. Quand R. dit que notre système nerveux est endommagé, c’est cela qu’il tente de dire. Notre surdité, notre cécité, notre baisse des sensibilités olfactives, gustatives et somesthésiques sont physiologiques et non psychologiques. Pour lui, la vie des villes (pas seulement) détruit le système nerveux de ses habitants. Ceux des campagnes sont en meilleure santé parce que leur système nerveux est moins endommagé. Les petits enfants sont encore très sensibles. Nous ne remarquons pas que nous leur faisons du mal parce que nous ne sentons presque plus rien. C’est comme les sourds de naissance qui sont des gens très bruyants, parce qu’ils n’imaginent pas une seconde qu’une porte qui claque fait sursauter les entendants.
J’ai raconté à R. ce que j’avais vu en sortant de la gare : une vingtaine de petits cars de police, des policiers casqués et armés de matraques un peu partout, et d'autres à cheval. Des rues étaient barrées. Je m’étais enquise de la raison d’un tel déploiement de forces. Une manifestation de groupes d’extrême droite et une contre manifestation de groupes d’extrême gauche étaient sur le point de commencer. Les hélicoptères étaient ceux de la police. R. m’a dit : « Je comprends pourquoi ma voiture est arrivée presque toute seule chez toi. Ma tête me disait que je devais travailler. La Source me disait que je devais rester à l’intérieur. Elle ne veut pas qu’il m’arrive quelque chose. C’est trop tôt. J’ai déjà été menacé par des néonazis qui m’ont insulté puis averti qu’ils allaient un jour chasser tous les étrangers d’Allemagne après leur avoir d’abord tiré une balle dans le genoux pour qu’ils quittent le pays en rampant. « Nous te laissons la vie sauve, ont-ils dit, pour que tu préviennes les autres métèques de ton espèce. » Lors de ces manifestations, ils s’en prennent souvent aux chauffeurs de taxi.
Longtemps, je n’ai pas compris pourquoi je ne pouvais pas obéir à ce que ma tête disait et qui était raisonnable. Mes Gefühle sont très forts. Je suis prisonnier des ordres qui viennent de là (il montre la même région de sa poitrine). Je ne peux pas aller contre. »
Il s’est levé sans me dire un mot pour demander à Y. de bien vouloir commander quatre repas chez un petit traiteur chinois (quatre, parce que Y. avait la visite d’un ami avec lequel il jouait de la guitare.) L’après-midi était bien avancée. En revenant à sa place il m’a regardée avec les yeux subitement un peu plus noirs : « Comment peux-tu dire que tu m’aimes ou que tu aimes ton fils ? Tu ne peux aimer personne ! Tu ne t’aimes pas toi-même. C’est la dernière fois que tu es assise à côté de moi en ayant faim ! »
J’étais interloquée. Mon estomac était vide en effet. Je n’avais pas eu le temps de déjeuner et j’avoue que j’aurais bien mangé quelque chose. J’ai risqué une timide explication : « Tu étais là quand je suis rentrée du travail. Je ne voulais pas avoir l’impolitesse de te dire d’attendre une demi-heure que je cuisine et que je déjeune avant que je m’asseye avec toi. Quand je t’ai demandé si tu voulais manger, j’avais en tête que si tu disais « oui » j’aurai préparé un repas pour nous tous ».
Il m’a répondu un peu froidement : « Je ne veux pas de quelqu’un qui s’oublie pour moi ! Je veux quelqu’un qui soit en bonne santé pour travailler avec moi ! »
Nous avons repris la conversation où nous l’avions laissée : « Les hommes ont dirigé le monde et on voit le résultat. Ils ont totalement échoué. Il est temps de laisser la place aux femmes. Mais ces femmes devront être des mères, et des mères en bonne santé. Je peux répondre à toutes les questions. Je peux résoudre tous les problèmes. La réponse vient de là (le même endroit). Je ne prépare jamais rien à l’avance. Mais aucune réponse ne se présente quand on me pose une question sur moi… A celles là, c’est la tête qui répond. Ma femme se fâche contre moi, parce que je ne prépare pas ce que je vais dire quand je dois passer un coup de fil important ou quand je dois aller à un rendez-vous. Elle est persuadée que je ne saurais pas vivre sans elle. Elle pense qu’elle doit me diriger comme un enfant parce qu’elle estime que je suis irresponsable. Elle me donne des ordres… »
R. m’a raconté des exemples de sa vie quotidienne où les gens se sont mépris sur lui. Je lui ai dit que si je n’avais jamais rien lu sur la vie des différents sages connus, je l’aurais aussi mal jugé. J’aurais sévèrement critiqué son manque de prévoyance par exemple. Je lui ai raconté l’histoire de Ramdas et du manteau*. Il a approuvé, puis a dit : « Donner son manteau, c’est du jardin d’enfants… Ma seule joie est de soulager les souffrances. Tant qu’une seule personne sur la terre souffrira, je ne pourrai pas dormir. Je ne m’endors que quand je tombe d’épuisement. Je me réveille le cœur en pleurs. La moelle de mes os est transpercée par vos souffrances. Je suis tout seul et la terre compte des milliards d’habitants. S’il y en a un seul comme moi quelque part, je lui souhaite la mort de tout mon cœur… Il n’y en a pas d’autre comme moi. J’ai interrogé la Source. »
Il s’est levé, est allé faire un tour à la cuisine en cherchant quelque chose des yeux. Il a frappé à la porte de Y. et a fait le tour de la pièce du regard. Il a répondu à mon interrogation muette : « Il y quelque chose qui brûle quelque part ! » Brusquement très attentive à ce que mon nez pouvait capter, j’ai cru deviner une odeur presque imperceptible d’allumette enflammée qui s’est aussitôt estompée… Nous sommes retournés nous asseoir.
« Toi, tu me crois. On m’a si souvent dit que je n’étais pas normal, que j’étais psychiquement dérangé parce que je voyais, j’entendais, je sentais ce que personne d’autre ne percevait. J’ai appris à me taire. »
Nous avons mangé en silence. Son cerveau à lui était vacant. Le mien me racontait combien terrible ce serait s’il était contraint de vivre de l’aide sociale. Il était là depuis deux heures, peut-être trois, sans gagner un centime, et il devait déposer une somme énorme à la banque mardi prochain. Lui, il mangeait avec appétit. Il était parfaitement conscient du goût des aliments. Il savourait manifestement son repas. Mon cerveau embrumait mes perceptions gustatives parce qu’il se refusait au repos.
Son assiette vidée, il s’est levé pour prendre sa veste. On entendait encore les hélicoptères. Il a compris mes pensées puisqu’il m’a répondu : « Je vais prendre telle route qui est maintenant libre. »
Comment le savait-il ? La Source lui avait intimé l’ordre de se remettre au travail et lui avait indiqué quelle route était pour lui la plus sûre. Même si elle est la plus longue et impose éventuellement des détours incompréhensibles à la logique de l’intelligence du cerveau, c’est celle là qu’il prendra. Si une personne qui ne le connaissait pas devait monter avec lui dans la voiture, elle demanderait des explications sur le trajet parfaitement ahurissant, à ses yeux à elle, qu’il prend. Il répondrait laconiquement ou pas du tout. Cette personne le prendrait pour un dérangé mental. Si cette personne était un de ses proches (parents ou amis) elle lui rabattrait les oreilles avec ses commentaires : « Tu ne vas quand même pas prendre cette route, elle nous rallonge de tant de kilomètres, de tant de temps… » Il se pourrait même qu’elle se fâche et le traite d’imbécile têtu. Il se tairait, comme toujours.
Comme d’habitude quand R. est venu passer un long moment avec moi, mon cerveau laisse défiler ce qui a été dit, fait des commentaires, des comparaisons, trouve des analogies… Cette fois-ci, mes pensées parlaient de « la descente de l’esprit dans le cœur » ou de « l’union de l’esprit et du cœur » qui est clairement défini comme le but de la prière chez les hésychastes*. Cette union s’accompagne toujours des dons de l’Esprit Saint* (des siddhis). Cet état de conscience, qui se produit dans des cas rarissimes après une ascèse à la fois intense et longue de plusieurs décennies, est vécu spontanément et en permanence par R. depuis sa naissance. La Source, c’est le cœur (dans le sens spirituel; pas l’organe qui bat à gauche.) qu’il dit occuper toute la place dans sa poitrine. Ramana Maharshi*, lui, le localisait du côté droit.
Krishnamurti* enseigne que notre conditionnement nous transforme en « ré-acteurs », en machine (bien qu’il n’utilise pas ce mot) alors que nous devrions être des « acteurs »; il nous montre que nous sommes sourds et aveugles à notre environnement. Il dit que si nous sommes incapables de regarder un arbre sans que nos pensées se mettent immédiatement à nous raconter tout un tas de choses, alors nous serons de toutes façons incapables d’accueillir une personne, parce qu’avoir le cerveau qui se tait devant une personne est incomparablement plus difficile que d’avoir le cerveau qui se tait devant un arbre. Il nous supplie de voir, d’entendre… mais ne nous dit pas COMMENT voir et entendre. C’est comme s’il suppliait un aveugle de voir les couleurs.
Gurdjieff*, lui, disait carrément que nous étions des machines.
R. n’analyse pas notre mode de fonctionnement. Il nous dit : « Fais ceci comme cela, dit exactement ces mots là, à ce moment là, à cette personne ci, et tu verras les améliorations. »
J’étais au milieu de mes cogitations quand mon téléphone a sonné. C’était R.. Il me demandait si j’avais remarqué que l’eau avec laquelle j’avais rempli les bouteilles qu’il voulait emporter était tiédasse. Bien sûr que non, je n’avais pas remarqué. Je les avais pourtant moi-même placées sous le robinet, tenues à la main pendant toute la durée de l’opération et je les avais même essuyées ensuite avec un torchon. Le robinet n’avait sans doute pas été complètement basculé sur « froid ». Il était choqué par le seuil élevé de mes perceptions tactiles.
Je n’avais pas eu l’intention de mal le servir. Et cela, il le savait. Il savait que je faisais toujours particulièrement de mon mieux quand je remplissais une tâche pour lui. Et pourtant, la température de l’eau m’avait échappée.
Le seuil de mes perceptions sensorielles s’abaisse quand je suis attentive et s’élève notablement quand je suis inattentive, comme chez tout le monde.
Comment être sans cesse attentive ? Tant que l’attention est le fruit de l’effort, elle ne peut qu’être entrecoupée de périodes d’inattention plus ou moins longues. J’aurais besoin d’une clochette qui m’avertisse dès que mes pensées m’entraînent !
R. n’était pas fâché. Il était seulement très triste pour moi, pour nous tous. Nous sommes très "malades" et rares sont ceux qui ont pris conscience de leur "maladie", dont les chrétiens parlent en disant que nous sommes "pécheurs par nature".
Le 13 Octobre 2007 - R. a reçu l’ordre intérieur de passer à la maison au lieu d’aller travailler. Il était installé devant un thé avec Y. quand je suis revenue du travail.
Nous avons longuement parlé, de lui, de moi, du monde… Il m’expliquait que toutes les religions semblaient reléguer les femmes à une place inférieure. Cette interprétation provient par exemple de ce qu’elles sont exclues de la prêtrise. Voilà ce qu’il disait : « Les hommes sont très faibles. Si une femme dirigeait la prière ou enseignait dans une église, un temple, une mosquée ou ailleurs, elle se tiendrait devant l’assemblée. Les hommes seraient perturbés par la vision que son corps offrirait si elle se prosternait en leur tournant le dos. Ils seraient troublés si elle était jolie. Ils ne pourraient plus prier. C’est pour cela qu’on leur interdit la prêtrise. Elles en sont pourtant plus dignes que les hommes. C’est par égards pour la faiblesse des hommes que les religions ont donné à ceux-ci une place qui a été ensuite interprétée comme supérieure. »
Je me suis mise à penser l’évolution de l’Église Réformée* (qui accepte les femmes pasteurs, depuis 1949 en Alsace pour répondre à la pénurie d’hommes, et depuis 1960 un peu partout. Leur nombre augmente constamment depuis cette date. Elles représentent à l’heure actuelle en Allemagne un quart des effectifs !) Depuis plusieurs décennies, les théologiens catholiques sont très occupés à trouver dans les Écritures des arguments pour défendre leur position, pour ou contre l’ordination des femmes. En une phrase, R. a rendu pour moi inutile la lecture des centaines de livres et d’articles sur le sujet.
J’aimerais bien aller à la messe une fois avec R. pour qu’il m’explique ce qu’il y voit et comment il le comprend.
Il a fait une digression : « Ce que je te dis, c’est la vérité. Ce qui sort de là (il montre sa tête) n’a pas de valeur. C’est entaché d’erreurs et ça entraîne toujours des souffrances pour quelqu’un. Ce qui sort de là (il montre la région de l’estomac ou du plexus solaire) est toujours juste. De cet endroit là jaillissent toutes les réponses, toutes les connaissances dont j’ai besoin pour enseigner, tous les mots que ma bouche prononce pour corriger, apaiser et consoler. On peut facilement éveiller cet endroit chez un enfant. Donner des ordres à un enfant tue cet endroit. La tête, c’est un agenda, un réveil. Le cœur, c’est la vie. »
Il s’est interrompu pour s’enquérir de la raison du passage constant d’hélicoptères. Qu’il pose cette question a suffi pour que je remarque qu’il y en avait justement un non loin. J’en avais entendu un ou deux, puis mon esprit n’avait plus rien enregistré. R. a été une fois de plus choqué par la surdité de mon cerveau. Il m’était clair que mes oreilles avaient été stimulées par leur vrombissement qu’on peut estimer à cette faible distance à au moins cinquante décibels. Mes tympans ont vibré, les osselets ont transmis les vibrations à l’organe de Corti et je suppose que le nerf auditif a conduit correctement l’information au cerveau… qui était déconnecté !
Que R. ait attiré mon attention sur les hélicoptères a eu pour effet de me rendre immédiatement consciente du bruit des rotors. Il y a un an, ou seulement six mois, j’aurais eu honte de mon état d’endormissement. Plus maintenant. Le phénomène même de l’assoupissement et du réveil des sens est un des nœuds du problème. Quand R. dit que notre système nerveux est endommagé, c’est cela qu’il tente de dire. Notre surdité, notre cécité, notre baisse des sensibilités olfactives, gustatives et somesthésiques sont physiologiques et non psychologiques. Pour lui, la vie des villes (pas seulement) détruit le système nerveux de ses habitants. Ceux des campagnes sont en meilleure santé parce que leur système nerveux est moins endommagé. Les petits enfants sont encore très sensibles. Nous ne remarquons pas que nous leur faisons du mal parce que nous ne sentons presque plus rien. C’est comme les sourds de naissance qui sont des gens très bruyants, parce qu’ils n’imaginent pas une seconde qu’une porte qui claque fait sursauter les entendants.
J’ai raconté à R. ce que j’avais vu en sortant de la gare : une vingtaine de petits cars de police, des policiers casqués et armés de matraques un peu partout, et d'autres à cheval. Des rues étaient barrées. Je m’étais enquise de la raison d’un tel déploiement de forces. Une manifestation de groupes d’extrême droite et une contre manifestation de groupes d’extrême gauche étaient sur le point de commencer. Les hélicoptères étaient ceux de la police. R. m’a dit : « Je comprends pourquoi ma voiture est arrivée presque toute seule chez toi. Ma tête me disait que je devais travailler. La Source me disait que je devais rester à l’intérieur. Elle ne veut pas qu’il m’arrive quelque chose. C’est trop tôt. J’ai déjà été menacé par des néonazis qui m’ont insulté puis averti qu’ils allaient un jour chasser tous les étrangers d’Allemagne après leur avoir d’abord tiré une balle dans le genoux pour qu’ils quittent le pays en rampant. « Nous te laissons la vie sauve, ont-ils dit, pour que tu préviennes les autres métèques de ton espèce. » Lors de ces manifestations, ils s’en prennent souvent aux chauffeurs de taxi.
Longtemps, je n’ai pas compris pourquoi je ne pouvais pas obéir à ce que ma tête disait et qui était raisonnable. Mes Gefühle sont très forts. Je suis prisonnier des ordres qui viennent de là (il montre la même région de sa poitrine). Je ne peux pas aller contre. »
Il s’est levé sans me dire un mot pour demander à Y. de bien vouloir commander quatre repas chez un petit traiteur chinois (quatre, parce que Y. avait la visite d’un ami avec lequel il jouait de la guitare.) L’après-midi était bien avancée. En revenant à sa place il m’a regardée avec les yeux subitement un peu plus noirs : « Comment peux-tu dire que tu m’aimes ou que tu aimes ton fils ? Tu ne peux aimer personne ! Tu ne t’aimes pas toi-même. C’est la dernière fois que tu es assise à côté de moi en ayant faim ! »
J’étais interloquée. Mon estomac était vide en effet. Je n’avais pas eu le temps de déjeuner et j’avoue que j’aurais bien mangé quelque chose. J’ai risqué une timide explication : « Tu étais là quand je suis rentrée du travail. Je ne voulais pas avoir l’impolitesse de te dire d’attendre une demi-heure que je cuisine et que je déjeune avant que je m’asseye avec toi. Quand je t’ai demandé si tu voulais manger, j’avais en tête que si tu disais « oui » j’aurai préparé un repas pour nous tous ».
Il m’a répondu un peu froidement : « Je ne veux pas de quelqu’un qui s’oublie pour moi ! Je veux quelqu’un qui soit en bonne santé pour travailler avec moi ! »
Nous avons repris la conversation où nous l’avions laissée : « Les hommes ont dirigé le monde et on voit le résultat. Ils ont totalement échoué. Il est temps de laisser la place aux femmes. Mais ces femmes devront être des mères, et des mères en bonne santé. Je peux répondre à toutes les questions. Je peux résoudre tous les problèmes. La réponse vient de là (le même endroit). Je ne prépare jamais rien à l’avance. Mais aucune réponse ne se présente quand on me pose une question sur moi… A celles là, c’est la tête qui répond. Ma femme se fâche contre moi, parce que je ne prépare pas ce que je vais dire quand je dois passer un coup de fil important ou quand je dois aller à un rendez-vous. Elle est persuadée que je ne saurais pas vivre sans elle. Elle pense qu’elle doit me diriger comme un enfant parce qu’elle estime que je suis irresponsable. Elle me donne des ordres… »
R. m’a raconté des exemples de sa vie quotidienne où les gens se sont mépris sur lui. Je lui ai dit que si je n’avais jamais rien lu sur la vie des différents sages connus, je l’aurais aussi mal jugé. J’aurais sévèrement critiqué son manque de prévoyance par exemple. Je lui ai raconté l’histoire de Ramdas et du manteau*. Il a approuvé, puis a dit : « Donner son manteau, c’est du jardin d’enfants… Ma seule joie est de soulager les souffrances. Tant qu’une seule personne sur la terre souffrira, je ne pourrai pas dormir. Je ne m’endors que quand je tombe d’épuisement. Je me réveille le cœur en pleurs. La moelle de mes os est transpercée par vos souffrances. Je suis tout seul et la terre compte des milliards d’habitants. S’il y en a un seul comme moi quelque part, je lui souhaite la mort de tout mon cœur… Il n’y en a pas d’autre comme moi. J’ai interrogé la Source. »
Il s’est levé, est allé faire un tour à la cuisine en cherchant quelque chose des yeux. Il a frappé à la porte de Y. et a fait le tour de la pièce du regard. Il a répondu à mon interrogation muette : « Il y quelque chose qui brûle quelque part ! » Brusquement très attentive à ce que mon nez pouvait capter, j’ai cru deviner une odeur presque imperceptible d’allumette enflammée qui s’est aussitôt estompée… Nous sommes retournés nous asseoir.
« Toi, tu me crois. On m’a si souvent dit que je n’étais pas normal, que j’étais psychiquement dérangé parce que je voyais, j’entendais, je sentais ce que personne d’autre ne percevait. J’ai appris à me taire. »
Nous avons mangé en silence. Son cerveau à lui était vacant. Le mien me racontait combien terrible ce serait s’il était contraint de vivre de l’aide sociale. Il était là depuis deux heures, peut-être trois, sans gagner un centime, et il devait déposer une somme énorme à la banque mardi prochain. Lui, il mangeait avec appétit. Il était parfaitement conscient du goût des aliments. Il savourait manifestement son repas. Mon cerveau embrumait mes perceptions gustatives parce qu’il se refusait au repos.
Son assiette vidée, il s’est levé pour prendre sa veste. On entendait encore les hélicoptères. Il a compris mes pensées puisqu’il m’a répondu : « Je vais prendre telle route qui est maintenant libre. »
Comment le savait-il ? La Source lui avait intimé l’ordre de se remettre au travail et lui avait indiqué quelle route était pour lui la plus sûre. Même si elle est la plus longue et impose éventuellement des détours incompréhensibles à la logique de l’intelligence du cerveau, c’est celle là qu’il prendra. Si une personne qui ne le connaissait pas devait monter avec lui dans la voiture, elle demanderait des explications sur le trajet parfaitement ahurissant, à ses yeux à elle, qu’il prend. Il répondrait laconiquement ou pas du tout. Cette personne le prendrait pour un dérangé mental. Si cette personne était un de ses proches (parents ou amis) elle lui rabattrait les oreilles avec ses commentaires : « Tu ne vas quand même pas prendre cette route, elle nous rallonge de tant de kilomètres, de tant de temps… » Il se pourrait même qu’elle se fâche et le traite d’imbécile têtu. Il se tairait, comme toujours.
Comme d’habitude quand R. est venu passer un long moment avec moi, mon cerveau laisse défiler ce qui a été dit, fait des commentaires, des comparaisons, trouve des analogies… Cette fois-ci, mes pensées parlaient de « la descente de l’esprit dans le cœur » ou de « l’union de l’esprit et du cœur » qui est clairement défini comme le but de la prière chez les hésychastes*. Cette union s’accompagne toujours des dons de l’Esprit Saint* (des siddhis). Cet état de conscience, qui se produit dans des cas rarissimes après une ascèse à la fois intense et longue de plusieurs décennies, est vécu spontanément et en permanence par R. depuis sa naissance. La Source, c’est le cœur (dans le sens spirituel; pas l’organe qui bat à gauche.) qu’il dit occuper toute la place dans sa poitrine. Ramana Maharshi*, lui, le localisait du côté droit.
Krishnamurti* enseigne que notre conditionnement nous transforme en « ré-acteurs », en machine (bien qu’il n’utilise pas ce mot) alors que nous devrions être des « acteurs »; il nous montre que nous sommes sourds et aveugles à notre environnement. Il dit que si nous sommes incapables de regarder un arbre sans que nos pensées se mettent immédiatement à nous raconter tout un tas de choses, alors nous serons de toutes façons incapables d’accueillir une personne, parce qu’avoir le cerveau qui se tait devant une personne est incomparablement plus difficile que d’avoir le cerveau qui se tait devant un arbre. Il nous supplie de voir, d’entendre… mais ne nous dit pas COMMENT voir et entendre. C’est comme s’il suppliait un aveugle de voir les couleurs.
Gurdjieff*, lui, disait carrément que nous étions des machines.
R. n’analyse pas notre mode de fonctionnement. Il nous dit : « Fais ceci comme cela, dit exactement ces mots là, à ce moment là, à cette personne ci, et tu verras les améliorations. »
J’étais au milieu de mes cogitations quand mon téléphone a sonné. C’était R.. Il me demandait si j’avais remarqué que l’eau avec laquelle j’avais rempli les bouteilles qu’il voulait emporter était tiédasse. Bien sûr que non, je n’avais pas remarqué. Je les avais pourtant moi-même placées sous le robinet, tenues à la main pendant toute la durée de l’opération et je les avais même essuyées ensuite avec un torchon. Le robinet n’avait sans doute pas été complètement basculé sur « froid ». Il était choqué par le seuil élevé de mes perceptions tactiles.
Je n’avais pas eu l’intention de mal le servir. Et cela, il le savait. Il savait que je faisais toujours particulièrement de mon mieux quand je remplissais une tâche pour lui. Et pourtant, la température de l’eau m’avait échappée.
Le seuil de mes perceptions sensorielles s’abaisse quand je suis attentive et s’élève notablement quand je suis inattentive, comme chez tout le monde.
Comment être sans cesse attentive ? Tant que l’attention est le fruit de l’effort, elle ne peut qu’être entrecoupée de périodes d’inattention plus ou moins longues. J’aurais besoin d’une clochette qui m’avertisse dès que mes pensées m’entraînent !
R. n’était pas fâché. Il était seulement très triste pour moi, pour nous tous. Nous sommes très "malades" et rares sont ceux qui ont pris conscience de leur "maladie", dont les chrétiens parlent en disant que nous sommes "pécheurs par nature".
Amiedetous- Date d'inscription : 28/06/2012
Re: Extrait du tome 2 (page 35)
tu as oublié de renseigner les astérisque
comme par exemple :
ceci dit, R n'est pas toujours très zen avec toi d'après ce que j'ai lu. mais il a raison de dire que notre esprit doit vivre dans le présent sans se laisser sans cesse parasiter par des pensées... parasites.
j'ai trouvé un "truc" qui me détend perso, je regarde mes pensées comme si je suivais un film, donc je me sens détachée de lui (la plupart du temps)
comme par exemple :
chez les hésychastes*. Cette union s’accompagne toujours des dons de l’Esprit Saint* (des siddhis)
ceci dit, R n'est pas toujours très zen avec toi d'après ce que j'ai lu. mais il a raison de dire que notre esprit doit vivre dans le présent sans se laisser sans cesse parasiter par des pensées... parasites.
j'ai trouvé un "truc" qui me détend perso, je regarde mes pensées comme si je suivais un film, donc je me sens détachée de lui (la plupart du temps)
Re: Extrait du tome 2 (page 35)
Merci d'avoir lu tout ça.
Non, R n'est pas zen. Vous avez raison, mais en même temps, il l'est. Il peut être en colère parce qu'il veut secouer notre flemme, mais sa colère ne ressemble pas à la nôtre. Saint Paul dit, quelque part dans une épître, "Si vous vous mettez en colère, ne péchez point". R. est le seul de ma connaissance à en être capable. Sa "colère" ne voile jamais sa patience ni son amour.
Il est "hors catégorie". Il n'a rien lu, rien appris, sait tout juste lire, à peine écrire, et ne parle jamais de spiritualité (il ne sait pas ce que c'est) ni de religion (il est allergique à cause de ce qu'il voit qui se passe sous cette étiquette).
Les astérisques renvoient à un glossaire à la fin du livre. Je n'ai, c'est vrai, rien expliqué en bas de ce texte. Je le ferai si cela vous intéresse.
Non, R n'est pas zen. Vous avez raison, mais en même temps, il l'est. Il peut être en colère parce qu'il veut secouer notre flemme, mais sa colère ne ressemble pas à la nôtre. Saint Paul dit, quelque part dans une épître, "Si vous vous mettez en colère, ne péchez point". R. est le seul de ma connaissance à en être capable. Sa "colère" ne voile jamais sa patience ni son amour.
Il est "hors catégorie". Il n'a rien lu, rien appris, sait tout juste lire, à peine écrire, et ne parle jamais de spiritualité (il ne sait pas ce que c'est) ni de religion (il est allergique à cause de ce qu'il voit qui se passe sous cette étiquette).
Les astérisques renvoient à un glossaire à la fin du livre. Je n'ai, c'est vrai, rien expliqué en bas de ce texte. Je le ferai si cela vous intéresse.
Amiedetous- Date d'inscription : 28/06/2012
Re: Extrait du tome 2 (page 35)
J'ai donné les explications de tous les mots accompagnés d'une astérisque, mais j'ai ouvert une nouvelle page pour cela, parce que ça aurait été trop long à la suite de ce texte. Bonne lecture Extialis.
Une petite question: pourquoi ce pseudonyme qui, pour moi, n'a pas de sens?
Une petite question: pourquoi ce pseudonyme qui, pour moi, n'a pas de sens?
Amiedetous- Date d'inscription : 28/06/2012
Re: Extrait du tome 2 (page 35)
extialis est le prénom d'une femme d'un de mes romans dont je n'ai écrit que le synopsis d'ailleurs
je vais aller voir ces explications, merci
je vais aller voir ces explications, merci
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