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Le temps d'un hiver

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Le temps d'un hiver Empty Le temps d'un hiver

Message par Jessica Ven 3 Juin - 14:27

Bonjour à tous !!

Alors je commence également à publier ici mon second roman que je commençais déjà à publier sur PE.
Donc voilà le second roman qui me tien à coeur (le premier étant Sorcellerie).
Ce roman a gentiment été corrigé par Marie Fontaine (que je ne remercierai jamais assez pour ça !!)

Les commentaires, c'est par ici ==> Commentez!!! <==





-------------------------------------------------------------
Genre : Tranche de vie / Amour
Nombre de pages : 297 pages ordinateur, FINI
Nombre de chapitres : Pas de chapitres...
Nombre de livres : 1

Résumé: Jenna retrouve ses parents, après 8 ans d'absence. Pour ses parents, c'est un choc. La voilà seule, un petit être grandissant dans son giron. Mais que s'est-il passé?





-------------------------------------------------------------
Ici, les liens menant directement aux textes :






1ère partie : Plus bas, sur cette même page
parties : 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10
11 - 12 - 13 - 14 - 15 - 16 - 17 - 18 - 19 - 20
-------------------------------------------------------------

Ce roman a été corrigé par BLACKFONTAINE et ALISSA. Je ne pourrais jamais les remercier autant que je le devrais. Merci de me suivre depuis si longtemps.



-------------------------------------------------------------




L'air, en ce lundi 7 décembre 2010, embaumait de senteurs hivernales. Cette date, à marquer au fer rouge, restera gravée en moi comme un malheureux retour aux sources après huit ans d'absence. À chaque expiration, une brume de vapeur se forme devant mes lèvres, en un fin nuage que je m'amuse à chasser d'un mouvement rapide de la main. Le froid s'était installé depuis mi-novembre, anormalement tôt pour la saison. Et emmitouflée dans mon épais blouson, les mains, la tête et le cou enveloppés dans de chaudes laines, je remonte la rue bordée de neige. Le poids de mon corps m'impose un rythme lent et régulier tandis que j'avance courbée. Les muscles tendus, les membres courbatus, je suis fatiguée de ce trop-plein d'exercices. Mais cette lassitude physique, cette douleur du corps, vaut mieux que l’étau qui enserre violemment mon cœur et m'asphyxie. Cette douleur, je tente de la refouler par tous les moyens – l'apaiser serait impossible, voilà longtemps que je l'ai réalisé.

Avancer, toujours plus loin, suivre un but fixé au préalable, trouver le courage de mettre un pied devant l'autre. Tout cela me donne la sensation de marcher jusqu'à la potence. Je me sens lourde, lourde de tout ce poids qui nous sépare, toute cette tristesse, lourde de toutes ces années révolues.

La neige crisse sous mes pas, faisant ressurgir de lointains et fugaces souvenirs d'une enfance trop tôt oubliée. Les maisons alentour, bordées d'arbres effeuillés, sont recouvertes d'une fine couche blanche, comme si la neige avait déposé son doux manteau sur le toit du monde.

La rue, que j'avais empruntée si souvent par le passé, me semble aujourd'hui interminable. Longue et tortueuse, serpentant entre les demeures. Je traîne des pieds, incapable d'accélérer la cadence.

Dans ma poitrine, mon cœur joue des timbales violemment, cognant fort. Je perçois presque le son qu'il fait : po-dom, po-dom, po-dom... ; tandis que le sang bat contre mes tempes, résonnant dans mes oreilles. J'inspire profondément, ravalant ce flot d'émotions, de sensations et de souvenirs qui m'envahit encore.

Bientôt, je vois se dessiner les contours familiers de mon ancien foyer. Celui d'une enfance pas toujours facile – un père absent et effacé ; une mère autoritaire – mais qui m'avait fuie sans prévenir, et qu'il m'arrive de regretter. Non pas que cette période me manque, bien au contraire, mais il m'arrive parfois d'avoir le sentiment désagréable de n'avoir point profité. Si on m'en avait donné l'occasion, j'aurais sûrement souhaité recommencer de zéro, tout effacer, gommer les imperfections de la vie et redessiner mon passé, en y changeant les règles.

Je m'arrête. Je suis arrivée. Seule la grille en fer forgé du jardin me sépare de mon enfance. Cette maison, dans laquelle j'ai vécu durant presque treize ans, se détache, victorieuse, droite sous la neige. Dix mètres d'une allée pavée, que l'herbe folle recouvrait d'ordinaire, me séparent d'elle, quatre marches de perron, et enfin le porche, la porte d'entrée, la chaleur du domicile...

Malineski. Ce sont encore les mêmes neuf lettres qui ornent la boîte aux lettres, celles de mon propre nom que j'ai souhaité si souvent abandonné. Malheureusement, aujourd'hui encore, âgée de vingt-six ans, je m'en trouve affublé.

Je revoie tant de jeux dans ce jardin, tant d'amis derrière ces fenêtres, mais aussi tant de cris, d'amour, de larmes et de rires. Une image fugitive glisse devant mes yeux, comme pour me remémorer mon triste passé, un film un peu flou que je revois pourtant précisément : le bruit sourd de la porte en chêne claquant contre ses gonds, et moi, fraîchement majeure, dévalant à toute vitesse les quelques marches, un sac de randonnée vissé sur l'épaule, les larmes inondant mon visage... Je contemple cette apparition, telle un fantôme, angoissante réminiscence d'un autre temps qui n'a de place que dans ma mémoire, alors même que déjà le spectre s'en va sans un regard.

C'était une autre époque. Une étape de ma vie trop importante pour l'oublier, mais que je m'évertue à mettre de côté, quelque part dans ma mémoire, à l'abri des colères du temps.

Pour chasser mes amères pensées, je pose ma main sur la poignée incrustée du portail et l'actionne. La porte glisse en ouvrant le passage, me laissant perplexe. Un panaché de sentiments divers m'envahit : la peur, l'appréhension, le soulagement aussi.

Franchir le seuil de cette porte, c'est comme faire un pas en territoire inconnu, avec l'impossibilité de faire demi-tour. Les années, longues et heureuses, ont laissé un vide dans nos vies. Dans la mienne, du moins. Et je ne sais pas ce qui m'attend derrière cette porte. La famille, l'amour, la chaleur d'un foyer, tout ce dont j'ai été privée plus jeune, sont un lointain rêve. Un rêve que je n'ose plus espérer. Je n'ai plus l'âge de croire au Père Noël, pourtant, il m'est souvent arrivé d'espérer un miracle, d'enfin entendre mes parents prononcer des mots magiques qui auraient effacé les erreurs, raccommodé nos cœurs, et m'auraient fait réaliser la profondeur de leurs sentiments. Mais jamais un mot d'excuse n'a franchi les lèvres de ma mère ; jamais un mot d'amour, celles de mon père. L'attente tue à petit feu l'espoir, le poignardant sans vergogne, et je n'ai d'autre choix que de vivre avec.

Passer cette porte, c'est passer outre nos conflits, outre cette haine rongeant mon cœur. Qu'il est doux et facile de franchir le seuil de l'amour, de transformer des sentiments passionnés en une animosité terrible qui ronge lentement, mais aussi sûrement qu'un chien son os !

Il me faut beaucoup de courage pour pousser cette porte. Un courage que je n'ai pas, et que je tente désespérément de trouver. Mes jambes me mènent lentement dans le jardin, laissant des empreintes de mon trente-neuf fillette dans la neige immaculée, tandis que mon cerveau réfléchit à vive allure à toutes les possibilités. Et presque comme un automate, je gravis les marches du perron et de nouveau m'arrête. Il n'y a plus que la porte en chêne entre moi et l'inconnu.

Il m'a fallu quelques minutes pour me résigner, et décidée, je tourne la poignée. Aussitôt, Caramel, le chat du foyer, s'échappe, tel un courant d'air, ne me laissant pas l'occasion de le rattraper. Ce petit animal n'avait que trois ans lorsque j'ai quitté la maison. Aujourd'hui, huit ans plus tard, il ne me semble pas beaucoup plus gros, juste un chouia, mais toujours aussi avide de pouvoir sortir à l'air libre. D'ici une dizaine de minutes, il reviendra miauler à la porte pour se remettre au chaud. Aussi, je le laisse là et referme la porte derrière moi.

L'odeur qui m'assaille – un mélange de tabac froid et de vanille – ravive des souvenirs que je pensais à jamais oubliés. Cette odeur, typique de chez eux, que je m'étais évertuée à ne jamais reproduire depuis ma fuite, et que j'esquivais par tous les moyens.

Il règne une chaleur réconfortante dans l'entrée, qui me soulève le cœur. Je me rends compte que j'ai soudain besoin d'une épaule sur laquelle poser ma tête, une main apaisante pour calmer mes soucis. Je sais pourtant que ce n'est pas la bonne adresse pour une telle requête. Pourtant, je ne peux plus faire comme s'ils étaient de parfaits étrangers, des inconnus sans noms, sans même d'image. À force de vouloir effacer leur présence, je suis parvenue à partiellement les oublier.

Malgré tout, je sens poindre à mes yeux des perles d'eau qu'il m'est désormais facile de contenir. Il s'agit là de mois entiers de faux-semblants, d'un visage digne à garder devant autrui, alors qu'au fond de moi, le cœur suinte d'une vive douleur, et l'envie me prend de baisser les bras, d'abandonner toute résistance, et de me laisser submerger.

Personne ne vient m'accueillir. Je n'entends même aucun bruit dans la maison. Il n'est cependant pas très tard. Dix-sept, dix-huit heures tout au plus. Je sens pourtant l'épuisement d'une journée d'efforts physiques et mentaux m'atteindre, et un bâillement m'échappe. Je n'ose me manifester, de peur de n'avoir rien à dire. Repousser les conflits, encore et toujours.

Je pénètre dans le couloir. Les deux portes à ma droite, anciennement mon bureau et ma chambre, sont closes, mais je ne me risque pas à les ouvrir. En face, une porte menant aux escaliers, un montant jusque dans la chambre des parents, l'autre descendant au garage. Là encore, je n'entre pas. Sur la gauche, un couloir menant au salon, puis à la cuisine. Des meubles l'encombrent, empêchant d'y circuler aisément. Dans le salon, le téléviseur est éteint, le canapé vide. Les meubles ont tous changé, si bien que j'ai l'impression d'être chez des étrangers. Seules les photographies dans les cadres posés çà et là m'apprennent que j'ai bel et bien frappé à la bonne porte. La cuisine est également vide. À croire qu'il n'y a personne en ces lieux.

Prise d'une soudaine envie de m'allonger, je reviens lentement sur mes pas, et me poste devant ce qui fut la porte de ma chambre. Mais j'hésite à entrer. Et si, ici aussi, toute trace de mon existence avait disparu, au profit d'un quelconque hobby de ma mère. M'armant de courage, j'ouvre la porte.

Mon cœur se soulève tandis que mes yeux scrutent la pénombre. Rien n'a changé. Comme si ces huit ans n'avaient jamais existé. Je me retrouve dans ma chambre, telle que je l'ai laissée ce fameux jour d'été, avant de prendre la fuite. C'est comme un retour aux sources, étrangement apaisant. Les murs me semblent toujours aussi ensoleillés, peints ainsi en jaune orangé – cette couleur dont je désirais plus jeune parsemer les murs de mon futur appartement, et que j'avais peinte moi-même. Mon lit, défait, est un témoin de mon ancienne présence. Chaque chose, chaque objet, est à l'emplacement exact où j'avais l'habitude de le ranger.

Près de la fenêtre, un rocking-chair tangue lentement, comme de lui-même, seul meuble étranger à la pièce. Je m'avance doucement, traînant des pieds, et réalise que la chaise à bascule est occupée. La lumière de cette fin de journée éclaire ses traits tirés, l'illuminant d'un halo, telle la représentation qu'on se ferait d'un ange. Elle dort à poings fermés, cette femme qui me semble presque une étrangère. Celle qui m'a mise au monde et contre qui je me suis autrefois rebellée. Tant de conflits, par le passé, nous ont séparées ! Aujourd'hui, je suis là pour les dépasser.

Ses frêles épaules sont cachées sous une fine couverture, tandis que sa tête repose sur un oreiller. N'osant pas la réveiller, je rejoins le lit et m'y installe, soudain lourde d'un poids nouveau.

Je laisse aller ma tête sur l'oreiller, qui sent le renfermé. À croire que même les draps n'avaient pas été changés.

Je retrouve ma chambre d'enfance, mon univers de petite fille. Celui que j'ai quitté huit ans auparavant. Mais je ne suis plus la même. Plus cette enfant rebelle qui tentait désespérément de se trouver, de trouver un but, quelque chose à quoi se raccrocher. Aujourd'hui, je me sens vieille, comme si ma jeunesse m'avait été dérobée.

Je ferme les yeux. Et comme chaque fois, une image s'impose à mon esprit. Une douce image qui pourtant me fait souffrir. Un visage que je tente désespérément d'oublier. Je les rouvre rapidement. Depuis cinq mois, je crains le sommeil. Des démons, qui dévorent mes nuits, m'empêchent de fermer les yeux. Mon cœur, atrophié, ne supporte plus tous ces souvenirs, tous ces doux rêves qui hantent mes nuits, me laissant seule et désespérée au réveil. Si je dois continuer à rêver, c'est pour ne jamais plus m'éveiller, toujours rester auprès de lui. Est-ce trop demander ?






© Jessica Lumbroso

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Le temps d'un hiver Empty Partie 2

Message par Jessica Mar 7 Juin - 20:50

CORRIGÉ PAR BLACKFONTAINE ET MOI-MÊME





Jenna avait rencontré Élisabeth pour la première fois en 1996, l'année de ses quatorze ans. Déjà, à l'époque, Jenna, garçon manqué, était intriguée par cette jeune fille bien sous tous rapports qui entrait progressivement dans sa vie. Et c'est deux ans plus tard qu'à l'initiative de Baptiste – surnommé affectueusement Baba – les deux filles devinrent véritablement amies. Il les réunit pour former Machination, un groupe de rock'n'roll.

Étant les deux seules filles du groupe, leurs différences les rapprochèrent.

Élisabeth représentait tout ce que Jenna n'était pas, et aurait souhaité, au plus profond d'elle-même, être : épanouie, belle, féminine, le cœur sur la main et attirant tous les regards. Mais Élisabeth, trop naïve et frivole pour le voir, regardait le monde d'un autre œil, en perpétuelle protection, sous les ailes des cinq garçons qui partageaient leur temps.

En ce jour du 21 décembre 2001, elles étaient devenues inséparables. La fin de ce mois marquait, pour l'une et l'autre, le passage à la majorité.

Elles s'étaient octroyé le luxe de passer un peu de temps toutes les deux, loin des oreilles indiscrètes des mecs de la bande, tous les vendredis soirs après les cours. Elles se retrouvaient chaque semaine à la sortie du lycée et rentraient toutes deux chez Élisabeth, qui avait toujours quelques égards pour son amie. Elle savait si bien la recevoir !

Depuis quelques années, Jenna passait autant de temps chez son amie que dans sa propre maison. Ses parents, souvent absents pour leur propre plaisir, la laissait à la garde de Laurence, qui veillait sur Jenna comme sur sa propre fille. Patrice et Sibylle n'accordaient pas assez foi à leur fille, qui avait de place que dans leur cœur. S'il n'y avait pas eu Caramel, Élisabeth ne savait pas ce qu'il serait advenu de Jenna.

Les deux jeunes filles étaient confortablement installées dans le canapé – de couleur crème si moelleux qu'une fois assises, il était difficile de s'en extirper. D'être ainsi, ici, en compagnie de son amie semblait à Jenna être la chose la plus naturelle au monde. Leur petit aparté durait maintenant depuis près de quatre mois.

Jenna aimait être chez son amie. C'était comme se sentir enfin elle-même, cette jeune femme qu'elle aurait dû être. Et ici, elle pouvait enfin respirer, loin de la tutelle parentale.

Ce jour-là, l'appartement était étrangement vide. Li et Laurence, les parents d'Élisabeth, auraient déjà dû être rentrés. Leur retour, réglé comme une horloge, sonnait le début du weekend et de la belle vie. Élisabeth, enfant unique et désirée, était choyée.

Cette dernière tenait un bol rempli de fraises dans une main et un petit paquet emballé dans l'autre.

— Tiens ! lança-t-elle en le lui tendant, tandis qu'elle posait le bol sur la table basse.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ouvre ! Te fais pas prier ! Et encore, bon anniversaire !

Avec un sourire, Jenna déballa le cadeau. Elle en sortit bientôt un petit cadre avec une photographie les représentant encore, eux sept, dans leurs plus beaux habits, lors d'une soirée organisée en début d'année.

— Ça viendra grossir ta collection. D'ailleurs, tu nous réserves ton weekend prochain, Jen. Les mecs se sont pliés en quatre pour nous organiser une belle fête.
— Comme tous les ans...

Jenna sourit. Par un heureux hasard, les deux filles étaient nées à neuf jours d'intervalle, si bien que chaque année, les cinq garçons organisaient une belle soirée pour célébrer leurs deux anniversaires, l'occasion de faire d'une pierre deux coups.

— C'était censé être une surprise ? demanda Jenna tout sourire.
— Si bien gardée...

Elles éclatèrent de rire. Jenna savait déjà ce qui les attendait. Ils se retrouveraient chez Alec, il y aurait de la musique, de quoi manger, boire, et eux sept, comme toujours, ensemble, rigolant, parlant...

— Tu as prévu quelque chose pour les vacances ? demanda Jenna.
— Comme toujours. C'est beau, Noël ici !
— Donc, pas de voyage aux État-Unis, cette année non plus.
— Non... Et puis, il y a le concert !
— C'est vrai...

Jenna les avait elle-même inscrits à ce concert amateur. Il se déroulait dans la cour d'un hôpital de Paris, pour égayer le Noël des enfants n'ayant pu rejoindre leur famille pour les fêtes. Il s'agissait d'un concert de charité dont les dons seraient reversés à la lutte contre la mucoviscidose. Mais c'était surtout l'occasion de donner leur première représentation publique, et ils étaient tous un peu tendus à cette perspective.

Mais Jenna ne parvenait pas réellement à se réjouir de l'évènement. La participation à ce concert, le lundi suivant, en date du 24, était également une opportunité pour chacun des adolescents de se retrouver en famille, de partager avec elle leur passion. Mais ses parents à elle, partis aux Seychelles dans l'après-midi, n'y assisteraient pas. Et à quoi bon, de toute façon ? Sa mère désapprouvait son penchant pour la musique. Comme elle le disait si bien : « Ce n'est pas avec cette musique de trottoir que tu gagneras ta vie ! Trouve-toi un job, un vrai, paie tes factures, et arrête de nous casser les oreilles ! »

Bien sûr qu'elle avait raison. Mais Jenna profitait de son adolescence pour faire de ce dont elle serait privée une fois entrée dans la vie active. Elle n'était pas bête, et savait très bien que la musique ne payait pas. Elle n'avait même jamais envisagé en faire une vraie carrière. C'était un loisir, une passion, une bonne occasion de passer du temps avec ses amis. Quand d'autres fumaient, buvaient, sortaient, eux se réunissaient et battaient la mesure ensemble. Et ça lui suffisait.

Pourtant, en ce jour – qui aurait dû les réunir – elle aurait souhaité être auprès de ses parents. Mais ils s'offraient de magnifiques vacances au soleil. Et s'ils avaient trouvé quelqu'un pour nourrir Caramel, Jenna aurait été envoyée par colis postal chez sa grand-mère maternelle, qui la méprisait tout autant.

Elle savait déjà ce qui l'attendait durant les vacances. Pas un coup de téléphone. Pas même la plus petite carte postale, pour lui souhaiter de bonnes fêtes. Ou un bon anniversaire. Elle trouverait sur son oreiller un paquet cadeau en rentrant chez elle, ce soir-là, sans le moindre mot. Interdiction également de rester à la maison. Elle ne devait rentrer que pour nourrir le chat, puis retourner chez Élisabeth. Ses parents appelleraient ceux de son amie pour s'assurer qu'elle suivait bien les instructions.

Quant à ce concert, ils n'étaient pas au courant. Et elle ne leur en parlerait pas. S'ils l'avaient su, jamais elle n'aurait eu l'autorisation de rester en ville.

Sa mère, qui contrôlait ainsi chaque pan de son existence, décidait de ce qui était bon pour elle. À commencer par les études qu'elle devait faire. Sans lui laisser droit de regard. Jenna avait bien des fois tenté une objection, mais c'était alors la pension qu'on lui présentait sur un plateau. Et s'il n'y avait pas eu ses amis, et la musique, pour la dissuader de tenter une rébellion, elle y serait déjà depuis longtemps.

Dans ces conditions, comment se persuader de l'amour parental ?

Jenna ne souhaitait pas ressasser ses mauvaises pensées. Elle reporta son attention sur son amie, qui piochait avec délectation une fraise dans le bol.

— Quand le reverras-tu ? demanda-t-elle.

Elles savaient toutes deux de qui Jenna voulait parler. Il y avait trois ans, Élisabeth était partie, bien malgré elle, aux États-Unis, un pays qui lui faisait pourtant horreur. Ses parents, en visite chez de vieux amis qui avaient quitté la France voilà bien longtemps, l'avaient traînée dans leurs bagages pour lui changer les idées. Et elle y avait fait la connaissance de quelqu'un.

Élisabeth n'en avait jamais vraiment parlé. Pourtant, quand elle était rentrée, Jenna avait réalisé qu'une chose avait changé. Elle était amoureuse.

C'était comme un secret, qu'il ne fallait pas bafouer. Mais le visage resplendissant d'Élisabeth ne laissait aucun doute quant à ses propres sentiments.

— Je ne sais pas. Ce n'est pas important.

Elles entendirent une clé tourner dans la serrure. Aussitôt, un courant d'air frais pénétra la pièce. Les deux filles se levèrent pour accueillir Laurence et Li. La première embrassa à peine Élisabeth, salua rapidement Jenna et fila à la cuisine, les mains prises dans les poignées de sacs de courses. Li n'était pas avec elle.

Les amies aidèrent Laurence à ranger les courses. Il y avait là de quoi faire un somptueux festin, et Élisabeth s'en étonna. Mais lorsqu'elle interrogea sa mère, celle-ci évinça la question sans plus de cérémonie.

— J'espère que la dinde te plaît, Jenna. J'en préparerai pour le réveillon.
— Bien sûr !

À vrai dire, elle était même enchantée à cette idée. Sa mère, trouvant en Noël une fête uniquement commerciale, ne le fêtait jamais. Aussi, elle ne cuisinait pas non plus de somptueux repas – pour le peu qu'il lui arrivait de cuisiner. L'idée de dîner en famille, assortie d'un appétissant festin, était l'unique chose qui parvenait à lui redonner le sourire.

— Il y aura également une bûche.
— Tu verras, prévint Élisabeth, celles de Maman sont les meilleures.
— Je t'en prie, Élise ! Les filles, j'aurais besoin de votre aide pour ranger un peu la maison. Je tiens à ce que tout soit parfait. Je peux compter sur vous ? Vous trouverez bien quelques minutes à m'accorder avant votre précieux concert, non ?

Le ton, ironique, fit sourire Jenna. Laurence, qui tenait particulièrement à son repas de Noël, avait décidé de le préparer après le concert. Les estomacs devraient en attendre la fin, tard dans la soirée.

— Maman, tu sais qu'on n'est plus des enfants ? Alors pourquoi continuer à mettre les cadeaux sous le sapin ? Tu sais qu'il perd ses épines !
— J'aime les traditions. Et puis, on a toujours décoré le sapin ensemble ! Cette année, Jenna nous aidera. Bon, les filles, sortez les poubelles, s'il vous plaît.

Laurence leur tendit deux sacs, un fermé, l'autre ouvert, empli de boîtes en carton, de bouteilles de plastique... Elles les attrapèrent et sortirent de la maison.

— C'est la première fois que je vais décorer un sapin, avoua Jenna.
— Quoi ?
— Mes parents ont un rituel : partir en vacances durant cette période. Comme il est plus important pour moi d'étudier que de m'amuser, je ne les accompagne jamais. Ils m'envoient tous les ans chez cette vieille bourrique de Germaine. Elle passe les vacances à me faire faire son ménage. Aussi, Noël n'existe pas dans ma famille. Tout au plus, il leur arrive parfois de m'offrir un cadeau.

Germaine était sa grand-mère maternelle, une vieille femme aigrie et sans amour. Elle aimait rester seule, et passait son temps à houspiller les jeunes enfants. Seule Lucette, sa grand-mère paternelle, avait à son égard des comportements qui s'apparentaient beaucoup à de l'amour. Elle avait toujours un cadeau caché dans un tiroir pour elle, lui envoyait souvent de l'argent, l'appelait pour les fêtes et son anniversaire. Elle ne l'oubliait jamais. Mais c'était pourtant sa grand-mère qu'elle voyait le moins. Cette bonne femme aux joues roses et aux cheveux grisonnants qui vivait à Nice !



Les deux amies venaient de terminer le tri des déchets quand une voiture se gara dans l'allée. Élizabeth vit son père en descendre bientôt. Elle et Jenna s'approchèrent pour le saluer.

Alors, Pierre sortit également, par
la portière passager. Élisabeth s'arrêta dans son élan, un sourire figé sur les lèvres. Pierre, qu'elle n'avait pas vu depuis trois ans. L’homme était grand, les cheveux poivres et sel et un ventre étirait légèrement son blouson. Son visage, rayonnant, affichait un ravissement qui fit sourire plus encore Élizabeth.

La jeune fille se demanda soudain
s’il était venu seul. Elle aurait préféré.

— Comme tu as grandi, Lisa !
s'exclama Julie.

Une femme élancée, blonde et
sophistiquée, rejoignit Pierre sur le trottoir.

— Tu es toute belle !


Comme Élisabeth ne bougeait pas, trop
étonnée de les voir là, elle continua :

— Viens dans mes bras, ma grande.


Avec un sourire, la jeune fille
s'exécuta enfin. Julie était comme une seconde mère pour elle, une femme qu'elle respectait énormément. Et alors qu'elle l'enlaçait, la portière arrière de la voiture claqua et un jeune homme d’une vingtaine d’années en descendit. Élisabeth sourit de plus belle, le cœur s'accélérant.

— Ryan...


Le prendre dans ses bras, c'était
comme se sentir enfin chez elle. Elle y était bien, à l'abri, comme intouchable. Et elle aurait souhaité ne jamais plus en sortir.

Malgré les années, Ryan n'avait pas
changé. Toujours aussi grand – il la dominait de vingt bons centimètres –, toujours aussi brun, la peau aussi mâte. Également toujours aussi costaud, un peu trop à son goût d'ailleurs. Avec un peu de force, il pourrait la briser aisément.

— Qu'est-ce que... Comment ? balbutia
Élisabeth.
— Les vacances...
— Mais...

Élisabeth était bien placée pour
savoir que leurs vacances ne duraient pas assez longtemps pour un voyage de cette ampleur. Voilà combien de temps qu'ils n'étaient pas revenus en France ? Cinq, six, peut-être dix ans ?

— Pourrais-je participer à la fête ?


Élisabeth se retourna. Du trottoir,
Connor, le petit frère de Ryan, la dévisageait, tout sourire. Le cœur de la jeune fille se souleva. Connor était ici. Connor dont elle n'arrivait à oublier le sourire, le regard, la voix si douce... même trois ans plus tard, elle sentait son cœur battre toujours aussi fort la chamade. Connor était là.

— Eh bien ? Je n'ai pas le droit à un
câlin ?

Sans attendre de réponse, il
l'attrapa et la serra contre lui, fort, plus fort peut-être qu'il ne l'aurait fallu. Pendant un bref instant, Élisabeth ferma les yeux, heureuse, enfin. Mais bientôt, une sourde souffrance qu'elle pensait disparue l'envahit, et elle se ressaisit.

— Tiens, Jenna ! s'exclama Li. Tu vas
bien ?

Cette dernière hocha la tête, quelque
peu intimidée, tandis qu'elle voyait son amie rompre son étreinte et la dévisager, une étrange lueur dans le regard.

— Laisse-moi te présenter Pierre, un
ami de longue date, ajouta Li. Et voici Julie, sa femme.
— Enchantée.

Ils avaient tous trois parlé en même temps. Julie sourit et l'embrassa. Jenna trouva étrange cette proximité avec cette femme qu'elle ne connaissait pas et dont elle avait pourtant entendu si souvent parler.

— On ne vous dérange pas plus longtemps. Où est donc Laurence, que j'aille la saluer ?
— À la cuisine, répondit Élisabeth.
— Les garçons, aidez-moi à décharger, demanda Li.

Élisabeth vint rejoindre Jenna, chancelante, et toutes deux détaillèrent les nouveaux venus, intriguées.

— Est-ce que ça va ? demanda Jenna.

Élisabeth émit un son presque inaudible, acquiesçant silencieusement.

— Connor ?
— Connor...

Elle était chamboulée. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ? Elle n'aurait jamais imaginé le revoir en de telles circonstances. Et c'est avec étonnement qu'elle vit son père attraper deux sacs et pénétrer dans la maison.

— Ne me dis pas qu'ils vont rester ici ? murmura-t-elle.
— Ça m'en a tout l'air.

Il ne restait plus désormais que les quatre adolescents sur le trottoir. Jenna leur proposa son aide, qu'ils refusèrent poliment. Elle réalisa, agréablement surprise, qu'ils avaient, l'un comme l'autre, un léger accent tout à fait charmant.

— Allez, fais pas cette tête ! s'exclama Ryan à l'adresse d'Élisabeth. Tu n'es pas contente de nous voir ?

Sans attendre de réponse, il lui
embrassa la joue et la doubla pour entrer également se mettre au chaud. Connor la dévisagea quelques instant avant de suivre son frère.

— Les vacances ne seront peut-être
pas aussi prévisibles, lança Jenna. Ça ira, ne t'en fais pas.


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Le temps d'un hiver Empty Partie 3

Message par Jessica Mar 7 Juin - 21:11

CORRIGÉ PAR BLACKFONTAINE ET MOI-MÊME

— C'est Baba qui nous a tous réunis il y a deux ans. On se connaissait tous de vue, et il pouvait arriver parfois que certains d'entre nous jouent ensemble à l'occasion de fêtes, la plupart organisées par le lycée. Mais Baptiste a toujours voulu monter son propre groupe de musique, travailler avec les meilleurs. Et il nous considérait tous, Al, Jen, Max, Jeff, Chris et moi, comme tels.
« Jenna et Alec ont grandi ensemble. Déjà, durant l'enfance, ils étaient inséparables. Je ne sais pas trop comment ça a commencé. Lui a deux ans de plus que nous, pourtant, il s'occupe de Jenna comme de sa propre sœur. Il a toujours veillé sur elle, dans les cours d'école, en dehors, la protégeant contre quiconque s'approcherait d'un peu trop près. C'est tout naturellement ensemble qu'ils ont commencé la musique. Lui s'est vite découvert un don pour la guitare. Il pouvait jouer des heures durant, et Jenna l'écoutait tout du long. Puis, il a commencé à fredonner, et à chanter réellement. Et il le faisait bien. Jenna, elle, a très tôt pris goût aux percussions, et c'est vers la batterie qu'elle s'est dirigée.
« Moi, j'ai grandi avec Maxime. Il est mon meilleur ami. C'est quelqu'un qui parle peu, mais qui observe beaucoup. Il est posé et sait me canaliser. Parfois, il me fait penser à toi, Ryan. Il apaise mon extravagance. Il est mon opposé, comme mon Yin. C'est grâce à lui que je suis tombée dans la musique. Pour faire comme. Il faisait beaucoup de guitare, plus jeune. Il a fini par me donner des cours. Tout ce que je sais, je le lui dois. Depuis qu'on est dans ce groupe, il s'est mis à la basse, et moi, je perfectionne ma guitare.
« Il y a enfin Jeffrey et Christophe, deux pièces rapportées. Tous deux sont également des amis de longue date. Avant leur arrivée, on n’était pas vraiment au top, on le sentait. Et Baba a rencontré Jeff, qu'il nous a présenté. Jeff est un super pianiste. Chris est également guitariste, mais c'est le meilleur soliste que je connaisse.
« Ce groupe de musique représente tout, il me semble... Sans lui, on ne se serait jamais tous trouvés. Malheureusement, Jeff, Chris, Baba et Alec étant plus âgés, ils sont en deuxième année de licence. Il nous est donc un peu plus compliqué de se voir. Heureusement pour nous, leur emploi du temps allégé nous permet encore de pas mal répéter. Il est juste un peu difficile de trouver un créneau horaire qui convienne à tout le monde. Heureusement, la musique est plus importante que tout.
— Et Baptiste ? De quel instrument joue-t-il ? interrogea Connor.
— Eh bien... C'est assez compliqué. On est tous un peu polyvalents. Il arrive parfois qu'on tourne, notamment quand Jen chante en duo avec Alec. Alors, Baba peut soit reprendre la batterie, soit le synthé, ou bien une guitare. Il fait un peu de tout.
— Pourquoi ne nous en as-tu jamais parlé auparavant ? questionna Ryan.
— Je ne sais pas. Ça n'était pas important, je pense. Je ne vous connaissais pas assez.

Les choses avaient changé. Depuis toutes ces années, Élisabeth s'était rapprochée de Ryan, qu'elle considérait désormais comme un frère. La joie d'Internet, qui leur avait permis de rester en contact, malgré la distance.

Pourtant, alors que les mails de Ryan se faisaient de plus en plus fréquents, ceux de Connor s'estompaient. Elle qui n'en avait déjà pas beaucoup, n'avait quasiment plus de nouvelles du jeune homme. Elle ne savait pas encore réellement comment l'appréhender. Son absence avait duré si longtemps ! Elle ne se l'expliquait pas. Elle aurait souhaité qu'il en soit autrement, qu'il lui laisse de minces espoirs. Au lieu de quoi, il l'avait repoussée à tel point qu'elle en était malade, encore aujourd'hui.

— Ça m'a l'air au contraire très important, avança Ryan. Mais je comprends.

Lui-même avait tendance à garder pour lui ses propres ressentiments. Depuis son enfance, il n'avait plus confiance en la nature humaine. Enfant obèse, il avait été la cible de railleries constantes qui lui avaient fait prendre ses distances. Aujourd'hui, il s'était bien rattrapé. La nature avait voulu qu'il devienne quelqu'un de très grand, élancé et musclé, si bien que son passé d'obèse n'était plus qu'une ombre dans sa mémoire. Mais encore aujourd'hui, il avait du mal à faire confiance.

— Et donc, là, on va chez...? intervint Connor.
— Jenna... Je suis désolée de vous traîner là-bas, mais on participe à un concert le 24 au soir, alors on doit répéter un peu plus que d'habitude. Eh tiens ! Vous viendrez ?
— Sûrement.
— Tu vas adorer, Ryan, j'en suis sûre !

Lui en doutait sérieusement. Il n'avait jamais aimé la foule, alors aller à ce genre de réunions n'était pas du tout sa tasse de thé.

Ils arrivèrent bientôt devant une petite maison au portail vert. Élisabeth poussa la grille sans sonner et vint frapper à la porte, après avoir monté les quatre marches. Il ne fallut que quelques secondes avant que Jenna ne leur ouvre, des baguettes de batterie à la main.

— Tu es venue ? Ce n'était pas la peine !
— Tu plaisantes ? J'ai un trac de tous les diables et tu veux que je fasse l'impasse sur l'entraînement ?

Jenna sourit. Liz était de nature angoissée, et depuis leur inscription au concert, son amie battait des records.

Elle lui fit un signe de tête pour l'inciter à entrer et les laissa passer. Jenna leur offrit à boire, mais ils refusèrent poliment. Alors, ils empruntèrent l'escalier menant à l'étage inférieur, dans le garage où le groupe s'installait toujours pour répéter. Il y avait là déjà cinq garçons, qu'Élisabeth présenta aux deux nouveaux venus, tandis que Jenna allait rejoindre Alec.

Connor sympathisa immédiatement. Il était de nature très ouverte, si bien qu'il avait des facilités à se faire de nouveaux amis. Pour son frère, les choses étaient différentes. Ryan, qui observait plus qu'il ne parlait, préféra rester à l'écart. Mais cette distance ne le gêna pas le moins du monde. Il observa Élisabeth, telle qu'elle était réellement dans sa vie quotidienne. Et il la trouva changée. Plus sûre d'elle, plus belle également. Plus ouverte. Il appréciait de la savoir en de si bonnes mains.

Ryan délaissa donc sa contemplation pour reporter son attention sur la pièce dans laquelle il se trouvait. Elle était plutôt vaste, les murs blanc cassé, des meubles de bricolage poussés dans les angles. Il découvrit sur une étagère de grandes coupes dorées.

— Elles sont belles, n'est-ce pas ?

Ryan se retourna. Jenna s'était plantée à ses côtés et observait l'étagère. De profil, elle semblait sereine, pensive. Quelque chose, indéchiffrable, lui fit perdre ses moyens, alors il détourna le regard.

— Elles sont à toi ?
— Non, dit Jenna en le dévisageant. À mon père. Il a toujours été très sportif. Et il excelle, ou du moins il excellait, dans tous les sports qu'il a entrepris.

Ryan resta silencieux, mettant quelque peu Jenna mal à l'aise. Hormis Maxime, tous les garçons de son entourage étaient de grands bavards. Elle n'avait pas l'habitude de se trouver face à quelqu'un d'aussi peu loquace.

— Ryan, c'est ça ?

Ce dernier hocha la tête.

— Vous êtes ici pour longtemps ?
— Quelques semaines. Trois, je crois.

La réponse était froide, sans sentiment, presque expéditive. Jenna sentait qu'il n'avait pas envie de parler. Pourtant, elle se hasarda à continuer :

— Ça fait longtemps que vous n'êtes pas revenus en France ?
— Assez, oui. À vrai dire, je n'ai que de très vagues souvenirs.
— Je sais que ce n'est pas si grand, mais... je pense qu'il y a quand même pas mal de choses à voir, par ici. Ce serait dommage de repartir sans faire de tourisme.
— On y pensera.

La brusquerie des réponses de Ryan décontenança Jenna, qui sourit malgré tout, sans perdre son calme. Mais elle comprenait bien qu'il ne désirait pas s'épancher sur sa vie. Surtout pas avec une parfaite inconnue. Soit. Elle n'y reviendrait plus.

Elle allait retourner auprès des autres quand Ryan l'attrapa par le poignet. Un geste qui l'étonna lui-même. Étrangement, Jenna sentit son cœur battre par ce simple contact. Il émanait de sa main une douce chaleur qui l'envahit.

Vivement, il la retira.

— Où sont les waters ?

Jenna lui indiqua comment s'y rendre et revint vers Alec. Ryan eut à peine le temps de l'entendre demander :

— On commence ?

Il disparut dans les escaliers. Il déboucha bientôt dans le couloir de l'entrée. L'escalier se poursuivait encore à l'étage supérieur, mais selon les indications de Jenna, les toilettes se trouvaient sur sa droite, à cet étage-même.

Le couloir se prolongeait d'un bout à l'autre, avec la cuisine à l'extrémité droite, une porte blanche entrouverte à l'extrémité gauche. Il y avait dessus des photographies collées. Intrigué, il s'en approcha. La curiosité était sûrement un de ses plus grands défauts.

Comme il s'y attendait, il s'agissait de photographies les représentant, tous les sept, amis, animés, riant, se chamaillant. Des photos plus ou moins vieilles, certaines de quelques années, d'autres de quelques mois. Mais toujours, les mêmes personnes. Quelques photographies n'en représentant que deux, d'autres plus. Il repéra vite Élisabeth, toujours en compagnie de Maxime, ou de Jenna. Cette dernière, elle, était le plus souvent accompagnée d'un garçon, dont il ne se souvenait pas du nom. Il réalisa que sur certaines photos, ils étaient même plus jeunes encore, en primaire, au collège... Elle n'avait pas changé. Toujours aussi jolie, de belles boucles couleur caramel, un énorme sourire, des yeux rieurs... et cette espèce d'espièglerie dans le regard.

Il se redressa. Encore une fois, ses idées le trahissaient, lui qui savait si bien garder son calme. Il s'appuya sur la porte, qui s'ouvrit en grand, le faisant chanceler. Il se rattrapa de justesse à un meuble.

Il n'avait pas voulu entrer dans cette pièce, pourtant ce fut plus fort que lui. Les murs orangés étaient parsemés de posters, de nouvelles photographies, certaines encore d'eux sept, d'autres dédicacées par des chanteurs, groupes musicaux que Jenna devait beaucoup aimer. La plupart étaient en noir et blanc, ou en sépia. Il y en avait tout juste assez pour que cela reste raisonnable.

Contre le mur de droite se trouvait une commode, surmontée d'une télévision, et d'un nombre impressionnant de peluches. C'était presque touchant. Il y avait à côté de la porte un bureau en désordre. On ne décelait réellement que l'écran d'ordinateur. Le lit, en travers de la pièce, mais collé contre le mur de gauche, était défait, la couette sens dessus dessous. Quelques blocs, livres, stylos et autres, traînaient en vrac sur le sol. Enfin, contre le dernier mur, il y avait deux bibliothèques, rassemblant une collection impressionnante de livres, DVD et CD audio.

On sentait la vie dans cette pièce, et Ryan apprécia l'ambiance. Malgré tout, il se sentait légèrement indiscret, surtout lorsqu'il découvrit des sous-vêtements à moitié pliés sur le lit. Il fit rapidement demi-tour. Il n'aurait jamais dû pénétrer l'antre de Jenna.

Après être passé au WC, il emprunta de nouveau l'escalier. À mesure qu'il descendait, il discerna une douce mélodie, sur laquelle chantait une voix masculine. Ce devait être le meilleur ami de Jenna, celui qu'elle ne quittait jamais. Ryan devait reconnaître qu'il avait un certain style dans la voix, quelque chose d'unique.

Il en était à ces réflexions quand une seconde voix s'ajouta à la première, s'accordant parfaitement, une voix féminine, rauque, envoûtante, qui lui donna la chair de poule. Se pouvait-il que cette voix puissante sorte de la poitrine de Jenna ? Il se souvenait d'avoir entendu Lisa lui expliquer que Jenna chantait parfois.

Il en eut confirmation en pénétrant dans le garage. Elle était là, au centre de la pièce. Il n'entendait qu'elle, il ne voyait qu'elle, qui chantait les yeux fermés. Plus rien ne comptait. Ni la musique, ni les autres membres du groupe. Ni même son propre regard qu'il ne pouvait détourner. Il ne pouvait seulement que fixer cette inconnue intensément, comme jamais il n'avait regardé quelqu'un.

**


Les deux semaines à venir étaient placées sous le signe de la joie. Jenna tentait de faire abstraction de l'absence de ses parents pour profiter pleinement de ses amis, ainsi que d'Élisabeth, avec qui elle allait passer tout son temps.

Elle ne s'accorderait le droit de rentrer chez elle que pour nourrir Caramel – comme promis à ses parents – mais également pour investir le garage en attendant le concert. Qui approchait décidément bien vite.

Comme elle s'y était attendue, hormis un cadeau sur son oreiller, rien, de ses parents, ne l'attendait : pas de message écrit collé sur le frigo ; pas même un message vocal sur le répondeur ; et aucun numéro où les joindre en cas de problèmes. Ils s'étaient envolés pour les Seychelles, abri d'amour, coupés de tout et de tous.

Mais elle aurait pu tomber plus mal. Chez cette folle de Germaine, par exemple. Au lieu de quoi, elle demeurerait deux semaines entières chez Élisabeth, à profiter d'elle et de chacun de ses amis... Les deux frères américains n'étaient qu'un plus dans son programme. Leur présence en ces lieux agrémentait les discussions des deux filles.

Jenna devait bien avouer qu'elle les trouvait tous deux séduisants, mais quand le cœur du premier appartenait à son amie, le second lui faisait littéralement froid dans le dos. Il était sombre, toujours à l'écoute, observateur, ne parlait pas et ne souhaitait pas parler. Elle avait la perpétuelle impression d'être une gêne dans sa vie.

Et les choses ne s'arrangeraient pas. La maisonnée, devenue temporairement un lieu d'ancrage, portait en son sein huit personnes, qu'elle choyait quotidiennement. Mais huit personnes à loger, c'était beaucoup, dans une petite demeure. Aussi, le salon avait été investi par Pierre et Sophie, qui en avaient fait leur chambre à coucher. Quant à celle d'Élisabeth, ils devraient s'y tasser à quatre, Jenna et elle, mais également Ryan et Connor. Il n'y avait aucun autre endroit où les loger.

Les parents, d'abord sceptiques, n'avaient eu d'autre choix. La présence de Jenna rassurait quelque peu Li qui n'aurait pas supporté de savoir sa fille seule avec deux jeunes hommes dans la fleur de l'âge. Mais cet accord ne convenait ni à Jenna, ni à Ryan. L'un comme l'autre, gênés d'être ainsi privés d'intimité, ne supportaient pas cette proximité étrange. Les deux autres, qui s'en moquaient éperdument, voyaient en cette opportunité l'occasion de s'amuser plus encore.

Élisabeth avait été obligée de calmer le jeu. Ce n'était pas tant Jenna qui l'inquiétait – non, elle savait que la jeune fille, simple et délurée, était ouverte à toute amitié – mais plutôt Ryan. Elle l'avait connu froid, distant, presque méchant, à toujours rejeter ceux qui l'entouraient. Ryan lui promit de se tenir à carreau, mais ça ne l'empêchait pas de voir cette soudaine proximité d'un mauvais œil. D'autant plus qu'il s'était laissé déborder par des sentiments divers qu'il ne connaissait pas. Des sentiments qui lui semblaient heureux, mais qu'il avait fait taire.

La première nuit, Ryan l'avait passée à contempler le plafond, incapable de trouver le sommeil. De savoir les deux filles à proximité ne l'aidait pas. Il fut étonné de se trouver troublé de cette situation. D'autant qu'Élisabeth était comme une sœur pour lui. Il aurait dû ne pas ressentir la moindre gêne. Mais était-ce réellement cette jeune fille-là qui le mettait dans un tel état ?

Aux premières lueurs, il perçu un mouvement. Jenna sortit de la chambre sur la pointe des pieds, tentant de ne réveiller personne. Il était encore tôt et il n'y avait aucun bruit dans la maison. Les parents devaient sûrement encore dormir.

Sur un coup de tête, il se redressa et suivit la jeune fille à travers les couloirs de l'étage. Il la trouva à la cuisine, en train de se préparer un chocolat chaud. Il avait dû être très discret, car elle n'avait pas remarqué sa présence. Mais lorsqu'elle lui fit face, elle ne put s'empêcher de sursauter de surprise.

— Tu m'as fait peur, chuchota-t-elle.

Personne ne pouvait l'entendre, pourtant elle avait l'impression qu'elle faisait déjà trop de bruit.

Ryan était planté dans l'embrasure de la porte. Il faisait encore sombre dans la cuisine, dont elle n'avait pas allumé la lumière. Elle discernait sa silhouette dans la pénombre, son regard brillant. Il avait croisé les bras sur sa poitrine, et il la contemplait, fermé.

— Je n'aime pas cette situation, finit-il par dire d'un ton égal.

Jenna l'avait bien compris. Et elle ne lui plaisait pas non plus. Mais elle trouva inutile de le lui faire remarquer. Elle se tut donc et vint s'installer à la table ronde de la cuisine, sur laquelle elle avait déposé son bol de chocolat chaud.

— Qu'est-ce que tu fais planté là ? murmura Jenna tandis qu'il la dévisageait toujours.
— Qu'on soit bien clairs, dit-il en s'installant à ses côtés. Si je fais ça, c'est uniquement pour Élisabeth. Alors même si cette situation m'est désagréable, je te promets de faire des efforts.
— Je n'en ai rien à faire. Je vais être honnête : tu m'es très antipathique. Ne le prends surtout pas mal, mais tu instaures d'office une distance entre les autres et toi. C'est ce que tu désires ? Soit. Ça ne me dérange pas. Des amis, j'en ai déjà. Je n'en ai pas besoin de plus.
— Pourtant, Élisabeth insiste pour que tout se passe bien. Et je suis d'avis qu'on essaie de se tolérer.
— Ce n'est pas à moi que ça pose un problème. Je te tolère, malgré ton air lugubre. C'est toi qui fuis les gens. J'ai déjà fait le premier pas. Tu ne souhaites pas discuter.
— Et si on repartait du bon pied ?
— Ne t'en sens pas obligé. Tu ne restes que trois semaines. Après, tu rentreras chez toi, on s'oubliera.
— Tu restes ici deux semaines, c'est ça ?
— C'est ça...
— Pendant ces deux semaines, nous partagerons la même chambre. Je suppose que si les choses ne s'améliorent pas, ce sera difficile à supporter.

Il était vrai qu'à cette allure, ils se fuiraient avant la fin de semaine. Et quelque part, cette antipathie ressentie lui était désagréable. Inconsciemment, elle était attirée par cet être sombre qui ne laissait rien transparaître. Ni émotions, ni pensées.

Jenna inspira profondément et lui tendit sa main. Elle resta ainsi quelques instants, avant qu'il ne la saisisse.

— Jenna. Enchantée, dit-elle dans un sourire.

Puis ils retombèrent dans le silence. Elle prit son bol entre ses mains et but de longues gorgées. Ryan la contempla encore.

La faible lueur qui éclairait la pièce se reflétait dans ses yeux, dont il ne voyait que le blanc. Ses lèvres semblaient humides tant elles brillaient, attrayantes, séductrices. Il ne parvenait à détourner son regard de cette bouche qu'il se prenait à désirer.

— Quoi ? demanda Jenna.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? interrogea Ryan, tentant d'oublier son trouble.
— Je déjeune.
— Non, je voulais dire ici, chez Lisa.
— Ah... Eh bien, vois-tu, tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents aimants et généreux. Oh ! si, sûrement m'aiment-ils. Mais généreux... j'ai un sérieux doute sur la question. Sûrement plus égoïstes que généreux. Disons qu'ils font passé leur petit bonheur avant celui de leur dévouée.

Jenna se montra du doigt, comme se désignant. Puis elle se leva, et porta son bol vide à l'évier. Elle prit un gâteau dans un placard et revint s'asseoir.

— Comment ça ?
— C'est une histoire très compliquée...
— J'ai tout mon temps. Trois semaines, à vrai dire.
— Très bien... Ils sont partis en vacances en me laissant à la garde de Laurence et Li. J'ai interdiction formelle de passer rien qu'une nuit chez moi... Ils ne me font pas confiance. Du moins, non. C'est ma mère qui n'a pas confiance. Mon père suit bêtement, pour éviter les conflits. Et des conflits, avec elle, il y en a toujours. Elle a un tempérament de guide. Elle est celle qu'il faut écouter, celle qui sait mieux que tout le monde, celle qui décide. Pour tout. Pour moi. Alors me voilà ici !
— Mais Noël est une fête de famille !
— C'est ce que je me tue à lui expliquer.

Elle se tut, incapable d'en dire davantage. Ryan n'en demandait pas autant, elle le savait, mais parler de sa famille ne la dérangeait plus. Ce n'était pas pour être plainte, mais juste qu'elle trouvait cela normal, à présent. Elle y était habituée.

— Ta mère décide de tout ? Et pour ton avenir ?
— Brillant, d'après elle. Elle me destine à la très belle carrière d'architecte d'intérieur.
— Et c'est ce que tu désires ?
— Non, mais c'est cette voie-là que je suis.
— Mais tu as le choix !
— Erreur. C'est la Madone, et personne n'a de droit de regard. J'ai déjà essayé. Si je ne fais pas ce qu'elle désire, si je ne me tiens pas à carreau, ils m'enverront en pension, où je suivrai tout de même les cours qu'elle m'aura choisis. Quitte à choisir, je
préfère rester ici, chez moi, avec mes amis.
— C'est de la tyrannie.
— Qui s'en préoccupe ?
— Mais si tu avais le choix ?
— Je n'ai pas le choix.

Comme il la contemplait avec insistance, elle se résigna.

— Si j'avais le choix, je pense que je travaillerais en librairie. J'aime les livres.
— J'ai cru le comprendre.
— Pardon ?

Ryan avait parlé sans réfléchir, si bien qu'il se trouvait acculé.

— Hier, je suis passé devant ta chambre, dont la porte était ouverte. Tu as une sacré bibliothèque.
— On en a jamais assez.
— Écoute, si je peux me permettre un conseil... Il faut toujours aller au bout de ses rêves.

Jenna le savait bien. Pourtant, elle n'avait aucun moyen d'échapper à la dictature matriarcale. Elle avait bien plusieurs fois pensé à fuguer, mais il y avait Alec, et le groupe. Et puis pour aller où ? Elle n'en avait pas le courage. Trop de choses la raccrochaient à sa vie.

— Et toi ? demanda Jenna.
— Je travaille déjà, en parallèle des études.
— Et tu fais quoi ?
— Manutention en librairie.
— Tiens donc !

Jenna ne put s'empêcher de sourire, puis d'éclater franchement de rire.

— Chut ! s'exclama Ryan en mettant un doigt devant sa bouche.

Le rire franc et clair de la jeune fille était communicatif, si bien qu'il ne put s'empêcher de sourire, tandis qu'elle plaquait une main sur sa bouche, essayant de contenir son rire. Elle avait toujours rit très fort, et craignait de réveiller toute la maison.

— Désolée... murmura-t-elle enfin.
— Il n'y a pas de mal.
— C'est également une passion ?
— Si on veut. Lire, c'est découvrir, apprendre...
— Vivre. Vivre de belles aventures, sortir de sa propre histoire, être le héros pour une nuit, le temps de centaines de pages...
— Exact.
— C'est justement pour vivre plus intensément que j'écris. Je ne sais pas mais... j'ai parfois l'impression de me laisser porter, de ne pas profiter, d'être... engourdie, gelée, passive, à vivre ma vie sans en jouir pleinement. Dans ces moments-là, des moments de doutes, de crises, de blues, je couche sur papier tous mes ressentis, toutes ces idées qui me passent par la tête et dont je ne débats jamais. J'ai besoin de me vider la tête.

Elle réalisa soudain qu'elle parlait vite, et d'un sujet qu'elle n'abordait que très rarement. Alors pourquoi se confiait-elle à un parfait étranger ? Était-ce la pénombre, ou le personnage, qui facilitait les confessions ? Il lui semblait facile de se livrer, d'être sûre de ne jamais être jugée. Et puis, après tout, d'ici trois semaines, il ne serait plus présent. Son opinion ne compterait plus.

Ryan, lui, était troublé par ces dernières paroles. Il ne pouvait les démentir : lui-même, parfois, en avait également l'impression. Vivre par procuration était parfois mieux que de vivre tout court, quand sa propre vie partait en l'air, qu'il ne la désirait plus, qu'il ne la contrôlait même plus.

Jenna lui sembla soudain différente, comme plus intéressante, avec peut-être un avis à partager, qui pourrait compter...

Il se redressa vivement.

— Je... Je retourne me coucher, je suis fatigué.

Il tournait déjà les talons. Il était sur le point de quitter la cuisine quand il l'entendit s'exclamer :

— Attends ! Tu pourras dire à Liz que je suis rentrée chez moi nourrir Caramel ?


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Dernière édition par Jessica le Mar 26 Juil - 12:10, édité 3 fois
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Message par Jessica Mar 7 Juin - 21:34

CORRIGÉ PAR BLACKFONTAINE ET MOI-MÊME


Lorsque Jenna pénétra dans la chambre de son ami, il dormait paisiblement sur le ventre, torse nu, la tête tournée face au mur, enfoncée dans l'oreiller. Jenna avança sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller et se faufila sous la couette, à ses côtés.
C'était une chose qu'elle n'avait pas faite depuis très longtemps, mais dont elle ressentait aujourd'hui le besoin. Ils avaient partagé plus que leurs draps, enfants. Pourtant, quelque chose, avec les années, s'était rompue, une chose qu'elle ne parvenait à identifier. En grandissant, ils s'étaient éloignés l'un de l'autre, légèrement, mais assez pour qu'elle en ressente le poids aujourd'hui.

Elle avait besoin d'être auprès de lui, de se rassurer, de l'entendre lui dire que tout irait bien. Il était tout pour elle. Vraiment. Et parfois, même souvent, ça lui pesait. C'était lui, véritablement, qui l'avait empêché de prendre la fuite maintes fois. Lui qui la retenait en ville.

Il respira soudain fort, tandis qu'un son semblable à un ronflement s'échappait de ses narines. Puis il tourna la tête et lui fit face. Jenna, allongée sur le flanc gauche, le contemplait affectueusement.

La fenêtre dans son dos, dont les rideaux n'étaient pas assez opaques pour filtrer la lumière du jour, laissait passer de fins rayons qui illuminaient légèrement la pièce, lui permettant d'avoir une bonne vision du jeune homme. Il avait la bouche légèrement entrouverte, les cheveux en batailles lui tombant sur le front. Jenna le trouva attendrissant.

Elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait réellement pris le temps de le contempler ainsi. Quand avait-il vieilli ? Ses traits – plus carrés que dans son souvenir – étaient aujourd'hui ceux d'un homme ; une fine barbe ombrageait légèrement ses joues. Il la dépassait désormais d'une bonne dizaine de centimètres, lui qui se plaignait enfant qu'elle était beaucoup trop grande – pour une fille, ne cessait-il de préciser. Tous ces souvenirs lui revenaient peu à peu en mémoire, la rendant étrangement nostalgique. Elle aurait aimé que rien ne change, que toujours ils restent de petits enfants, sans soucis, naïfs, avec pour seul univers l'autre.

Elle voulait lui parler, se laisser réconforter... Aussi, décida-t-elle qu'il avait assez dormi. Elle le secoua très légèrement.

— Alec... murmura-t-elle. Alec, il est l'heure d'ouvrir les yeux...

Le jeune homme grogna et se tourna. Il lui faisait désormais complètement face.

— Allez, Alec...

Un nouveau son sortit de sa bouche fermée, puis il fronça des sourcils. Les mimiques qu'il faisait au réveil amusaient Jenna depuis toujours. Enfin, il ouvrit un œil. Et c'est étonné qu'il murmura :

— Jenna ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'ai besoin d'un raison particulière pour venir te voir ? Fut un temps où tu ne m'aurais pas même posé de question.
— Mais ce temps-là est révolu.

Il cligna des yeux.

— Quelle heure est-il ?
— Je ne sais pas. Peut-être neuf heures, neuf heures et demie.

Il marqua un temps d'arrêt. Épuisé, il avait du mal à remettre ses idées en ordre.

— Sais-tu à quelle heure je me suis couché, cette nuit ? Pourquoi viens-tu me réveiller si tôt ?
— J'avais envie de te voir.

Il l'aurait bien enguirlandé – notamment s'il en avait eu la force – mais il sentait que Jenna n'était pas dans son assiette. Quelque chose la tourmentait. Il lui ouvrit alors ses bras.

— Viens là.

Elle obtempéra et se blottit contre lui, savourant la chaleur de son corps. Le poids qu'elle sentait sur son cœur s'envola presque instantanément, tandis qu'elle serrait plus fort encore Alec contre elle. Et c'est ainsi, dans les bras l'un de l'autre, au chaud sous la couette, qu'ils se rendormirent tous deux, épuisés. Jenna, elle-même, qui n'avait pas beaucoup dormi cette nuit-là, sombra presque immédiatement, le cœur plus léger.

Ce fut vers midi qu'ils rouvrirent tous deux les yeux. Et sans un mot, ils se levèrent. Jenna était soudain gênée d'avoir eu besoin de satisfaire un minable caprice de gamine. Elle devait prendre sur elle, se soulager seule, sans l'aide de son ami. Il lui fallait parvenir à vivre sans lui. Comment ferait-elle plus tard ?

Ils avaient passé l'âge de dormir ensemble, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle ne se faufilait plus en douce dans son lit, la nuit. Ils étaient presque adultes, et malgré son amitié, il y avait des choses qu'elle ne se sentait plus de faire, des limites à ne plus franchir.

D'autant plus que c'était en caleçon, torse nu, qu'il se tenait désormais, debout face à elle, à la recherche de vêtements à se mettre sur le dos. Elle s'excusa timidement.

— Pourquoi ?
— C'était stupide. Je n'aurais pas dû venir te déranger.

Il avait enfin trouvé de quoi se vêtir, et lorsque ce fut fait, il vint s'installer sur le lit.

— Jenna, qu'est-ce qui t'arrive ?
— Je ne sais pas... Sincèrement. Un gros coup de cafard, voilà tout.

Que dire de plus ? Ses parents partis en vacances, elle contrainte à partager sa couche avec Élisabeth, leur chambre avec ces deux américains... et surtout, son amie amoureuse... Ça ne lui était jamais arrivé. Et la curiosité n'était rien face à la gêne qu'elle ressentait.

— Je ne sais plus où est ma place... murmura-t-elle enfin. Je ne sais plus ce que je dois faire, qui croire... Ici, avec toi, je suis bien. Enfin libre. À ma place. J'en avais besoin.
— Alors ne t'excuse jamais. Tu seras toujours la bienvenue.

Jenna sourit, le remerciant silencieusement. Les mots ne pourraient jamais exprimer toute la reconnaissance qu'elle sentait gonfler son cœur.

— Alec... Raconte-moi une histoire.

Le jeune homme sourit, et la prit dans ses bras.

— Il y avait cette fille, quand j'étais petit. Minuscule, nerveuse, bagarreuse, un vrai petit monstre. C'était la terreur de la cour de récrée. Personne n'osait s'y frotter. On l'avait surnommé Le Diable blond, tant tous les garçons la craignait. On lui prédisait un avenir à traîner dans les bars, à faire le trottoir.
— Quoi ? s'exclama Jenna en le regardant, les yeux lançant des éclairs, le sourire aux lèvres.
— Mais sais-tu ce qu'elle est devenue, aujourd'hui ? Une élégante jeune femme. Très propre sur soi. Personne ne pourrait deviner le monstre qu'elle était, petite. Personne, hormis sûrement un ami très proche, qui reste constamment dans l'ombre. Un ami sur qui elle peut compter, quand elle a des soucis. Certes, ils ne se voient plus tellement. Mais ils sont toujours là, l'un pour l'autre. Lui a ouvert une école de musique. Elle marche si bien que tous les jeunes du quartier se bousculent pour y prendre des cours. Ça les sort de la rue, il en est heureux. Mais il n'a plus beaucoup de temps pour lui, c'est la contrepartie. La jeune femme, quant à elle, a ouvert une galerie d'art dans laquelle elle expose ses photographies. Les choses n'ont pas toujours été simples, pour elle. Elle a débuté en tant que simple secrétaire, un larbin pour lécher les bottes du patron. Mais elle a fait son chemin. Aujourd'hui manager, elle dirige d'une poigne de fer sa petite galerie, où d'autre lui lèche les bottes pour la moindre promotion. De temps en temps, ils se retrouvent tous deux et c'est l'occasion de plonger dans leur souvenir, nostalgiques.



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Le temps d'un hiver Empty Partie 5

Message par Jessica Mar 26 Juil - 11:33







Les nausées qui m'assaillent ne sont pas uniquement dues à ce petit être qui grandit dans mon giron. Ces cauchemars, toujours les mêmes, qui hantent mes pensées, me retournent l'estomac jour et nuit, si bien que tout ce que j'avale est presque immédiatement rejeté. Mon état préoccupe Maman, qui craint pour la vie du bébé.

Personnellement, je n'en ai plus rien à faire. Ce bébé, tout comme le reste, je ne l'ai pas désiré. Je ne veux qu'une chose, qui malheureusement me sera à jamais refusée...

La douleur lancinante qui embrase mon gosier à chaque remontée est comme une bénédiction : je l'attends avec impatience, cette douleur qui m'arrache des cris, qui inonde mon visage de larme salées, qui soulage mon cœur. La souffrance, c'est la vie. Dans mon cas, la vie que j'ai choisi.

J'en ai besoin pour exprimer ce que je ressens au fond de moi. Je suis là, charnière entre deux vies, l'une qui m'a fui, l'autre qui s'impose à moi. Mon corps, mon cœur, mon âme crient cette amertume, ce sentiment lâche de solitude. Je ne l'aime pas. Je le recrache. Je n'en veux pas.

La tête dans la cuvette, je regarde, les yeux brouillés par les larmes, cette bile qui me remonte du fond des tripes, qui flotte lentement dans l'eau froide. J'ai du mal à reprendre mon souffle. Dans ces moments-là, je ne respire plus. Je ne vis plus. Je survis.

Le malaise est passé. Mon estomac vide est contracté à m'en faire mal. Je tousse encore parfois, mais plus rien ne remonte. Je m'assied à même le sol, prenant appui sur la cuvette. Et c'est ainsi, les yeux bouffis, gonflés, le visage ruisselant, les cheveux hirsutes et plaqués contre mon front trempé, que ma mère me trouve. Je l'implore doucement du regard, elle que j'ai si souvent haï, je l'implore de me venir en aide, de soulager mon cœur, de soulager mon corps. Mais pour la première fois de sa vie, elle ne sait pas quoi faire. Elle me regarde inquiète, et je sens enfin le poids de son regret.

Sans un mot, elle s'accroupit devant moi, me caresse doucement les cheveux. D'aussi loin que je m'en souvienne, elle n'a jamais eu le moindre geste tendre à mon égard. Il lui en fallait toujours plus, me pousser, me surpasser. Mais aujourd'hui, elle est là, impuissante, rongée d'amers regrets.

Elle m'aide à me relever, me reconduit au lit, me borde. Elle n'ose pas en faire davantage, tout autre geste semblerait inconsidéré de sa part. Alors elle me laisse, elle repart, et je reste seule, en proie à un immense chagrin.

Avec le peu de force qu'il me reste, je tâtonne, je cherche ce petit appareil noir qui me sert de téléphone. Je le trouve sous mon oreiller. Je l'ouvre, parcours ma liste de contacts, trouve son nom, clique sur son numéro. Mon téléphone le compose, je le porte à mon oreille. Un déclic, puis « Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué ou n'est pas disponible. Veuillez réessayer ultérieurement. »

J'éclate en sanglots.



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Le temps d'un hiver Empty Partie 6

Message par Jessica Mar 26 Juil - 11:49






En rentrant de chez Alec, Jenna avait trouvé la maison de son amie vide. Élisabeth, qui tentait désespérément de rattraper les trois années perdues, était sortie, emmenant dans son sillage Connor. Aucune tempête n'aurait pu l'arrêter. Elle voulait mettre les choses au clair, comprendre ce qui s'était passé, et si possible, rattraper les erreurs
commises, repartir de zéro. Elle l'aimait beaucoup trop pour l'oublier sans poser de question.

Jenna avait donc investi la chambre à coucher de son amie, laissant à Ryan le loisir de vaquer à ses occupations en paix. Pour tromper sa solitude, elle avait installé sur ses oreilles son casque de musique, branché à un MP3 sur lequel tournaient les morceaux qu'ils devraient présenter au concert, dans deux jours.

Malgré tout ce qu'elle pouvait dire, elle se cachait derrière une fausse assurance qui la préservait en apparence d'un stress plus profond. Cette première représentation publique représentait beaucoup, contrairement à ce qu'ils essayaient de se convaincre. La première fois qu'ils auraient un vrai public, la consécration de deux années entières d'un long travail d'équipe – c'était sans compter toutes ces années d'entrainement, de travail personnel.

Elle se repassait en boucle les chansons, allongée sur le ventre, fredonnant parfois. En mémoire, elle voyait défiler les notes de musiques à jouer, les paroles à chanter, la position de ses mains, celles de ses pieds, les tempos à respecter.

Un livre, qu'elle avait déjà lu plusieurs fois, était ouvert devant elle, mais elle n'arrivait pas à se concentrer. Son esprit vagabondait ailleurs, incapable d'accrocher les mots, les phrases.

On toqua à la porte, un son qu'elle entendit à peine. Elle se retourna. Ryan, sur le pas de la porte, appuyé nonchalamment contre cette dernière, la contemplait. Voilà déjà quelques minutes qu'il était là, sans s'être manifesté. Il l'écoutait fredonner, chanter, tandis que des frissons le parcouraient.

Ryan aimait l'entendre chanter.

Jenna retira le casque de ses oreilles, tandis qu'une musique en sourdine s'en déversa.

— Oui ?
— Je peux te poser une question ?
— Vas-y toujours.
— Selon toi, quel cadeau pourrait plaire à Lisa ?
— Pour son anniversaire ?
— Oui. Tu comprends, ça fait trois ans qu'on communique par mail, mais en définitive, je ne sais pas ce qui lui plaît réellement. Elle ne me parle jamais de ce genre de chose.
— Eh bien... c'est assez difficile à dire. En général, j'y vais au feeling, en faisant les magasins.
— Que lui as-tu pris cette année ?
— Une jolie paire de boucles d'oreilles. Elle aime la coquetterie.
— C'est bien là où le bât blesse. Je ne suis pas... comment dire... doué pour ce genre de chose.

Jenna rit de bon cœur. Effectivement, elle l'imaginait mal faire les magasins, acheter des fringues, du maquillage, des bijoux...

— Je pense que tu as besoin d'un bon guide.
— Tu penses à quoi ? demanda-t-il tandis que Jenna se relevait.
— On va faire un tour au centre commercial.

Jenna enfila des bottes et un blouson de cuir à la capuche moumoutée avant qu'il n'ait eu le temps de protester. Il ne lui restait plus qu'à suivre le mouvement. Ils se retrouvèrent devant la porte d'entrée cinq minutes plus tard. En la contemplant, Ryan ressentit un étrange pincement dans son bas-ventre, un poids sur l'estomac. Il la trouva soudain resplendissante, dans son jean, son blouson, la tête déjà encapuchonnée.

— Tu es prêt ? demanda-t-elle en le contemplant.

Lui n'était pas bien couvert pour la saison, une simple veste sur une chemise, mais Ryan ne craignait pas le froid. Il acquiesça silencieusement en empoignant les clés.

— Allez, viens ! lança Jenna en lui attrapant la main.

Ils sortirent. Dehors, il pleuvait, si bien que Jenna accéléra le pas, jusqu'à presque courir. Sans s'en apercevoir, elle avait gardé la main de Ryan dans la sienne, tandis qu'elle le conduisait dans les rues. Ce contact accentua le trouble de Ryan. Il aurait dû se méfier, refuser de passer l'après-midi avec elle. Sa présence était trop tentatrice.

Jenna s'arrêta enfin sous un abribus, se protégeant des gouttes de pluie tombant drue. Elle était trempée, mais d'autant plus attirante.

Il y avait tant de monde qui se pressait sous le plexiglass, qu'ils durent se rapprocher davantage encore. Jenna sentit bientôt le corps de Ryan peser contre le sien. Elle ne pouvait aller nulle part, bloquée entre le jeune homme et la vitre dans son dos. Troublée, une bouffée de désir gonflant sa poitrine, elle tenta de faire abstraction de ce contact qui lui mit le feu aux joues.

Durant un laps de temps qui leur parut à tous deux durer une éternité, ils ne parlèrent pas, gênés de ces pressants sentiments, et de la présence d'autrui.

L'autobus stationna bientôt devant l'abribus. Jenna monta précipitamment à bord, souhaitant mettre un peu de distance entre eux. Mais il y avait là encore tant de monde qu'ils durent se presser de nouveau l'un contre l'autre, entassés entre deux vieilles dames et un couple enlacé.

Sortir de là fut un véritable soulagement. L'autobus les déposa devant l'entrée du centre commercial. Ils s’y engouffrèrent en silence. Plusieurs allées de magasins s'étendaient devant eux.

— Tu as une idée de ce qui pourrait lui plaire ? demanda-t-elle.
— Pas la moindre.
— Un bijou ? Un vêtement ? Un parfum ?
— Pourquoi pas.
— Pas contradictoire, au moins... Tu ne m'aides pas beaucoup. Bon, viens, on va voir par là.

Elle le traîna à travers les couloirs, d'un magasin à un autre. En l'espace de trois heures, elle fit défiler devant eux bijoux, vêtements, peluches, DVD, livres, jeux vidéo, parfums, maquillages, sans que rien n'attire réellement l'œil de Ryan. Jenna commençait à s'avouer vaincu lorsqu'il repéra une jolie montre blanche surmontée de quelques fins diamants.

— C'est parfait ! s'exclama-t-elle.
— Tu crois ?
— Ryan ! Il est plus de dix-huit heures ! On y a déjà passé beaucoup trop de temps.

Ryan sourit.

— Compris, je me décide. Je la prends. Je passe en caisse, j'arrive.

Il paya l'objet, le fit emballé et la rejoignit dans l'entrée de la bijouterie.

— Tu m'attends ici ? J'ai une petite course à faire, expliqua la jeune fille.
— Je peux venir ?
— Je ne sais pas si ça va te plaire.
— On fait les magasins. Ça ne me plaît pas de base, comme concept.

Jenna sourit, amusée.

— Alors, suis-moi.

Elle traîna des pieds dans la galerie marchande, jusqu'à la devanture d'un magasin de musique. Passé l'entrée, on ne percevait qu'une ribambelle de guitares acoustiques et électriques fixée aux murs. Toutes plus belles les unes que les autres. Plus loin, sur la droite, un coin pour les instruments à vent, un autre pour les instruments à cordes, et tout au fond, le coin des percussions. Il y avait également une pièce adjacente, dans laquelle on pouvait tester des batteries électriques. En temps normal, Jenna y sera allée, se serait assise sur le tabouret, aurait mis le casque sur ses oreilles, et se serait essayée. Mais elle n'osait pas. La présence de Ryan la gênait.

Elle traîna parmi les rayonnages, songeant qu'il lui faudrait bientôt changer ses cymbales. Son Charleston était trop abîmé, notamment par l'humidité du garage qui l'avait fait rouiller. Il lui faudrait également de nouvelles baguettes – qu'elle contemplait avidement – et une clé pour resserrer ses peaux. Le plus urgent étant ces dernières, elle se rendit en caisse et leur en demanda une. Cela ne coûtait pas cher, et rentrait largement dans ses frais.

Car c'était elle qui payait ses loisirs. Avec l'argent qu'elle gagnait occasionnellement en faisant du babysitting, et celui que lui envoyait Lucette, tous les ans.

Comme elle contemplait de nouveau la pièce rectangulaire en fond de magasin, Ryan lui intima l'ordre d'y aller, d'en profiter. Il ne lui en voudrait pas. Elle se laissa convaincre et s'installa sur un des tabourets faisant face aux instruments. Elle aimait particulièrement jouer avec une batterie électrique, qui lui donnait la sensation d'avoir un véritable orchestre derrière elle. Ce n'était pas comme de jouer toute seule, ou dans un groupe. Mais ce n'était pas non plus comparable.

Elle se laissa entraîner par la musique jouant dans sa tête, répercutée en écho par le casque, et joua encore, les yeux fermés, le cœur vibrant à chaque percussion. Elle resta là longtemps, très longtemps. Et c'est uniquement lorsque Ryan lui retira son casque qu'elle réalisa le temps qu'elle y avait passé.

Il la contemplait en silence.

— Tu me laisses écouter ?
— Oui, bien sûr.

Et lentement, elle reprit son morceau, appréhendant néanmoins la réaction du jeune homme. Elle ne joua qu'un bref instant avant de s'exclamer :

— Eh ! Prend ma place !
— Non, non.
— Allez, ce n'est pas méchant !
— Je n'ai jamais touché à aucun instrument de musique de ma vie !
— Et alors ? Tu as peur de quoi ? Le ridicule ne tue pas. Essaie, au moins !

Ryan céda et s'installa sur le tabouret, le casque reposé sur son socle.

— Tu ne veux pas écouter ?
— Je sais déjà ce que ça donnera.
— Très bien. Alors, pose ton pied droit sur la pédale ; croise tes mains, la droite au-dessus du Charley, la gauche au-dessus de la caisse claire.

Elle lui expliqua ensuite comment taper, le rythme à garder. Ryan se sentait complètement ridicule. Heureusement, il n'y avait personne d'autre dans la pièce. Seulement Jenna, essayant désespérément de lui faire trouver la mesure. Lui finit par conclure qu'il n'était vraiment pas doué. Et c'est en riant qu'il lui rendit les baguettes en se relevant.

— Ce n'est pas grave ! Au moins, tu auras essayé !

Elle rit également, puis décida qu'il était l'heure de rentrer. Sans poser de questions, Ryan la suivit et ensemble, ils rentrèrent lentement chez Élisabeth. Dehors, il ne pleuvait plus mais l'air était frais. Aucun des deux ne souhaitait rentrer et rompre ce lien qui se tissait peu à peu entre eux, mais il commençait à se faire vraiment tard.

Ils reprirent le bus, qui était nettement moins bondé, et dans lequel ils purent se poser. Le retour leur sembla passer trop rapidement, et ils redescendirent bientôt du véhicule, marchant en silence vers la maison. Mais avant de passer le pas de la porte, il arrêta Jenna d'un geste.

— J'ai quelque chose pour toi.
— Pour moi ? Comment ça ?

Il sortit un petit sac en plastique de la poche intérieure de son blouson. Un sac portant le logo du magasin de musique.

Jenna fronça les sourcils.

— Qu'est-ce que c'est ?
— Ouvre-le.

Elle obtempéra, sceptique, et en sortit une paire de baguette neuve, reliée par un morceau de carton rouge.

— Mais...
— Pas de protestation. Disons que c'est pour te remercier. Et pour ton anniversaire. En espérant que ça vous portera chance lundi !

Et avant qu'elle n'ait trouvé quoi que ce soit à dire, il pénétra à l'intérieur de la maison, d'où sortaient des rires, des cris, le son de voix s'entremêlant.

**


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Le temps d'un hiver Empty Partie 7

Message par Jessica Mar 26 Juil - 12:07

Jenna eut du mal à trouver le sommeil, cette nuit-là. Tournée face au mur pour ne pas contempler Ryan, de l'autre côté de la pièce, elle l'entendait néanmoins se retourner, et elle aurait juré qu'il ne dormait pas non plus.

Lorsqu'elle avait trouvé Laurence dans la cuisine, plus tôt dans la soirée, elle lui avait demandé des nouvelles de ses parents. Ils avaient effectivement appelé lorsqu'elle n'était pas là. Mais il n'avait pas cherché à lui parler. À peine à savoir comment elle allait. Seulement si elle respectait bien les consignes. En son for intérieur, Laurence les trouvait bien trop durs avec Jenna, cette jeune fille qui cherchait par tous les moyens l'amour filial.

Jenna était écœurée. Ça n'aurait pas dû l'étonner, pourtant, chaque fois, ça lui retournait l'estomac, à croire que quelqu'un s'amusait de ses entrailles. Ses parents n'en avaient que faire d'elle. Qu'elle soit ici, où là, ils s'en fichaient éperdument. Peut-être n'aurait-elle jamais dû naître...

Elle s'en voulait d'avoir de telles pensées. Mais elle en venait à haïr sa mère d'être aussi stricte ; de toujours lui imposer de nouvelles règles, un nouveau mode de vie ; de ne pas savoir lui donner d'amour ! Et elle haïssait son père d'être aussi lâche ; aussi silencieux ; de regarder sa femme les mener tous à la déchéance sans rien faire !

Elle n'en pouvait plus. Sa vie lui échappait, et lorsqu'elle aurait dû jouir de sa jeunesse, elle ne parvenait à ne ressentir rien d'autre qu'un sombre désespoir, un vide immense que rien ne comblait. Seulement cette haine atroce qui rongeait son cœur.

Plus le temps passait, plus elle pensait à la fuite. Mais où trouverait-elle le courage de partir ? L'unique chose qui la maintenait à flot était la certitude d'un jour prendre son envol, de les quitter, qui sait, peut-être définitivement ?

Les larmes lui vinrent aux yeux, brûlantes, dévastatrices, qu'elle ravala amèrement. Elle se voulait discrète, pourtant elle ne put s'empêcher de renifler bruyamment. Au Diable Ryan ! Tant pis s'il l'entendait !

Elle avait de plus en plus besoin d'une épaule sur laquelle déverser sa colère, sa peine, sa rancœur. Mais celle d'Alec n'était pas présentement disponible. Elle aurait voulu se faufiler une nouvelle fois dans son lit, jouer encore les petites filles, oublier tout, même son présent. Mais il lui fallait apprendre à vaincre ses démons seule.

Elle se dressa en silence et quitta la pièce lentement. S'asperger d'eau fraîche lui ferait certainement du bien.




Ryan l'écoutait en silence. Elle pleurait doucement, sans bruit. Ce simple son, un murmure tout au plus, lui enserrait le cœur d'une étrange façon. Lui, habituellement imperméable à tous sentiments, se trouvait attendrit par cette jeune fille dont il sentait le malaise.

Néanmoins, il ne pouvait que rester là, telle une pierre encrée à la terre, inerte, sans une parole réconfortante, sans un geste de soutien.

Elle s'était levée sans bruit, éclipsée quelques minutes, et était revenue se coucher. À son retour, elle ne pleurait plus. Et bientôt, il l'entendit respirer régulièrement. Elle s'était endormie.

Chose qu'il avait énormément de mal à faire lui-même. Cela ne faisait que deux jours qu'il la côtoyait, pourtant, il sentait qu'elle creusait peu à peu un terrier dans sa chair, lui coupant tout souffle, toute envie particulière autre que celle d'être auprès d'elle.

Il la désirait.

Cette soudaine certitude l'ébranla au plus haut point. Jamais encore il n'avait désiré quelqu'un de la sorte, jamais même il ne s'était laissé surprendre par le désir. Il ne voulait personne, n'aimait personne. Alors pourquoi avait-il baissé sa garde ? Qu'avait-elle fait pour gagner ainsi son cœur ?

Il ne l'aimait pas, non. Comment l'aurait-il pu ? Deux jours ! Mais elle lui plaisait, c'était indéniable. Elle lui plaisait beaucoup trop. Dans sa fragilité, cette tristesse insondable qu'il percevait en permanence, comme une aura flottant autour d'elle. Dans sa force de caractère, qui l'empêchait de sombrer, qui lui permettait de garder en permanence un visage gai, respirant la joie de vivre. Dans ses passions, celle pour la musique, celle pour la lecture, dont on sentait l'importance.

Il devrait désormais faire plus attention. Jamais plus se laisser déborder par des sentiments, des sensations nouvelles qui n'avaient pas lieu d'être.

**



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Le temps d'un hiver Empty Partie 8

Message par Jessica Ven 5 Aoû - 15:41

Les deux jours suivant, les sept adolescents les passèrent à répéter dans le garage de Jenna. Ils étaient fin prêts, pourtant le stress engourdissait les doigts, enraillait les voix – surtout celle de Jenna, qui ne voulait décidément pas chanter devant tant de monde. Mais elle le faisait sous la lourde insistance de ses amis. Elle se sentait contrainte, prise entre deux feux : sa peur et son amitié pour eux.
Pour travailler sa voix, Alec lui faisait faire des vocalises, la faisait travailler avec application, cherchant l'intonation parfaite.

Frapper les toms de sa batteries aidait Jenna à décharger sa colère ; chanter à se vider la tête ; être auprès d'Alec à se ressaisir. Sa présence était comme un sédatif puissant. Il l'apaisait, l'engourdissait. Plus légère, elle affrontait mieux la triste réalité. Elle se sentait délaissée, mal-aimée. Tel le vilain petit canard. Avec la désagréable impression d'échouer dans tout ce qu'elle entreprenait. Le chant, la batterie, l'écriture, la lecture, rien ne la soulageait.

Depuis cette fameuse nuit, elle s'était interdit tout torrent de larmes. Son cœur, qu'elle souhaitait désormais imperméabiliser aux assauts de la tristesse, refusait tout élan, sympathique ou non. Jenna se sentait surtout très lasse.

Même la perspective du concert lui arrachait à peine un sourire. Concert qui aurait lieu d'ici quelques heures et qu'il fallait préparer.

Devant le portail de sa maison étaient garées deux voitures : une Fiat Ulysse noire, les deux portières côté trottoir ouvertes et un Pick-Up beige dont on avait abaissé la portière arrière pour pouvoir charger les instruments dans la remorque. Seule la batterie leur serait prêtée. Le reste, beaucoup moins encombrant, était à leur charge. Baptiste conduirait la Fiat, tandis qu'Alec, co-piloté par Jenna, mènerait la marche à bord du Pick-Up.

Il faisait déjà nuit noir lorsqu'ils arrivèrent dans la cour de l'hôpital. Une office, gardée sous la surveillance d'un vigile et d'une hôtesse d'accueil, avait été aménagée derrière la scène – une estrade sous un chapiteau – dans laquelle les musiciens y déposèrent leurs instruments.

Les sept jeunes prirent connaissance des dernières consignes avant d'improviser une loge – en fait l'intérieur de la Fiat – dans laquelle ils se changèrent.

Face à la scène, à même l'herbe, on avait disposé des chaises pour accueillir familles et amis, également protégées par une énorme pergola. Des fenêtres illuminées, Jenna apercevait la frimousse de quelques enfants, réunis dans la salle de jeux, de laquelle ils avaient une vue imprenable sur le chapiteau.

Peu à peu, leur salle improvisée se remplie de têtes leur étant pour la plupart inconnues. Chacun attendait sa famille, complètement bouleversé, stressé par la soirée à venir. Leur première représentation publique débuterait d'ici quelques dizaines de minutes, et ils sentaient monter en eux une boule d'appréhension à l'idée que tout soit un véritable désastre.

Ils n'étaient pas les seuls dans cet état, transit par le trac, à se triturer les pouces en attendant le début du concert. Pour passer le temps, ils s'étaient tous mêlés les uns aux autres, appréciant la découverte d'autres genres musicaux, d'autres jeunes, tout comme eux, passionnés.

Alors, ce fut l'annonce, et l'interminable défiler des groupes amateurs sur la scène de fortune. Des groupes parfois vraiment bons, parfois plutôt médiocres ; certains applaudis poliment, d'autres ayant eu une véritable ovation.

Le show semblait plaire au public. Ryan, assit inconfortablement sur son siège en bout de rangée, regardait, indifférent, défiler les groupes. Souvent, il épiait l'heure sur sa montre, impatient de voir la soirée se terminer.

Enfin, ce fut au tour de Machination d'entrer en scène. Ryan les applaudit poliment, un élan de fierté gonflant son cœur. Il savait ce que représentait ce concert pour Élisabeth.

Élisabeth, qui lui semblait si différente de l'adolescente qu'il avait connu. Si différente de celle qu'il avait en mémoire. Où était passé l'adolescente qui lui avait fait front trois ans auparavant ? Cette jeune fille-là lui était presque méconnaissable. Mûre, épanouie, il discernait déjà la femme qu'elle allait devenir. Elle semblait presque à l'aise, tandis qu'elle ne pouvait s'empêcher de dévisager Max.

Alec, au premier plan, un micro en pied devant lui, contemplait la foule, tandis qu'on entendait les premières notes musicales. D'abord douces, elles sortaient du synthétiseur de Jeffrey, à gauche de la scène, relayé bientôt par les deux guitares d'Élisabeth et Christophe, encadrant le chanteur. Enfin, ce furent tous les instruments qui résonnèrent en même temps, alors que le rythme s'accélérait, entraînant. Dans le public, plusieurs personnes se mirent à applaudir en cadence, tapant parfois du pied.

Il s'agissait d'un morceau de leur cru, qui plût beaucoup à Ryan. Il l'avait certes déjà écouté, mais la musique lui semblait différente lorsqu'insonorisée par les murs d'un garage. C'est alors qu'Alec chanta les premières notes, électrisant d'emblée l'assistance de sa voix profonde et suave. Ryan en ressentit comme une pointe d'agacement. Pourtant, il devait bien avouer que le jeune homme chantait bien.

Durant ce premier morceau, Ryan s'évertua à ne plus quitter Élisabeth des yeux. Belle et insouciante, dont les doigts couraient aisément sur les cordes tendues de sa guitare. Concentrée au maximum, elle dévisageait la foule sans la voir.

Enfin, ils entonnèrent les dernières mesures de la chanson, et tous s'arrêtèrent d'un seul mouvement. Il y eut ensuite une salve d'applaudissements, qui surprirent Ryan. Mais son regard ne quitta pas l'estrade sur laquelle il y avait du mouvement.

Jenna avait délaissé sa batterie pour prendre place au côté d'Alec. Ce ne fut qu'alors que Ryan remarqua le second micro en pied. Baptiste s'était installé à sa place, derrière les toms, en fond de scène.

Jusqu'à présent, Ryan avait réussi à ne pas la contempler. Pourtant, telle une apparition, il ne pouvait plus détourner les yeux de ce corps désiré, rêvé. La jeune fille lui semblait tendue, tant les traits tirés de son visage reflétait une certaine anxiété. Pour l'occasion, elle s'était maquillée plus que de raison. Ses lèvres, d'un rouge brillant, étaient pincées. Il la trouva plus belle encore que d'habitude, vêtue d'un jean et d'un bustier de cuir redessinant sa silhouette, rehaussant sa poitrine. Pour parfaire sa tenue, elle avait glissé sur ses épaules une veste de cuir noir. Un collier en argent pendait entre ses seins.

Elle était tout bonnement époustouflante. Ryan sentit une douce chaleur l'envahir tandis que le désir gonflait son jean. Jenna attrapa d'une main tremblante le micro, alors que les premières mesures se firent entendre. D'abord le piano, puis la batterie et enfin guitares et basse.

Ryan reconnut immédiatement le morceau. Il s'agissait d'une reprise de Mariah Carey, dont le titre « Without you », était comme pour lui rappeler certains souvenirs.

Jenna cherchait Alec, tentant de trouver dans le regard de son ami le courage nécessaire. Et, c'est les yeux plongés ceux de l'autre qu'elle prononça les premières paroles, incertaine :

No I can't forget this evening
Or your face as you were leaving
But I guess that's just the way
The story goes
You always smile but in your eyes
You sorrow shows
Yes it shows [1]

Enfin, Jenna portait ses yeux sur le public, sans vraiment poser son regard. Ryan la sentit reprendre peu à peu confiance, tandis que de sa voix grave et rauque, elle entonnait la suite du couplet :

No I can't forget tomorrow
When I think of all my sorrow
When I had you there
But then I let you go
And now it's only fair
That I should let you know
What you should know [2]

De ses yeux, elle parcourait l'assemblée, la voix enfin posée. Elle avait trouvé le bon timbre, tandis que l'appréhension s'était envolée, laissant sa voix claire, sans tremblements. Ryan la contemplait comme hypnotisé, des frissons parcourant tout son corps. Plus encore, il aimait l'entendre chanter, et il fut presque jaloux qu'elle chantât pour quelqu'un d'autre que lui. Il la dévisageait, espérant soudain qu'elle croise son regard, qu'elle y lise toute l'envie, la passion, le désir qui le déchirait.

Les yeux de Jenna se posèrent enfin sur lui, miraculeux, comme souhaité. Et elle accrocha son regard, longtemps, trop longtemps, tandis qu'elle entonnait le refrain :

I can't live
If living is without you
I can't live
I can't give anymore
I can't live
If living is without you
I can't give
I can't give anymore [3]

Ryan était transpercé par ses paroles, qu'il prenait comme lui étant directement adressé. Il était fou. Fou d'elle. Alors qu'il ne la connaissait pas. Fou de son corps. Fou de son esprit, de son être, de sa voix... Les yeux de la jeune fille brillaient étrangement, comme perlés de quelques gouttes d'eau. Larmes qui ne coulèrent pas, mais qui transpercèrent le cœur de Ryan.

Il y soudain le désir fou de l'embrasser, de la posséder, de la serrer contre son corps fiévreux. Et il était tout à ses réflexions quand, sur le couplet suivant, la voix d'Alec s'éleva, brisant le charme.

Jenna détourna alors les yeux, au plus grand désespoir de Ryan, et elle contempla son ami. Ryan dut avouer que leurs deux voix s'accordaient parfaitement, peut-être un peu trop à son goût. Une pointe de jalousie envahit son cœur, mais déjà, il était trop tard. Jenna ne le regarderait plus.

Alec entonna seul le refrain suivant, mais c'est ensemble qu'ils le reprirent par la suite, main dans la main, le regard accroché. Ryan ne put s'empêcher de détourner la tête, tant la scène lui était insupportable.

Lorsque les dernières notes moururent, il y eut un long silence durant lequel plus rien ne bougea. Puis, la foule retrouvant ses esprits, on les acclama si fort, plus fort encore que tous les groupes précédents.

Enfin, les sept adolescents quittèrent la scène, laissant leur place à un nouveau groupe, sûrement stressé de passer après un tel succès.


Il était presque minuit. Des hommes
démontaient le chapiteau, d'autres repliaient les chaises, tandis que les lieux se vidaient lentement. Les jeunes avaient retrouvé leurs parents, avec qui ils avaient parlé si longtemps qu'il ne restait presque plus qu'eux dans la cour.

Charger le Pick-up ne fut pas une mince affaire. L'épuisement commençait à se faire sentir, si bien qu'ils eurent du mal à parcourir les quelques mètres qui les séparaient du parking.

Ils y étaient désormais tous réunis. Il ne manquait que Jenna. Les autres, trop occupés pour remarquer son absence, discutaient avec animation. Ryan décida de partir à sa recherche.

Il la trouva dans l'office désert, accroupie devant son sac, à ranger ses baguettes. C'était celles qu'il lui avait offertes. Cette soudaine constatation l'émut, sans trop savoir pourquoi.


Ryan demeura silencieux, tandis que dans sa tête défilaient les images de la soirée. Jenna releva la tête, le contempla – les yeux brûlants d'une fièvre nouvelle – et boucla son sac. Elle se redressa et passa la sangle de son sac sur son épaule. Enfin, elle détourna le regard et le dépassa sans un mot, le frôlant de son épaule.

Il se détourna pour suivre sa fuite, les yeux obstinément braqués sur son dos.


— Attends, murmura-t-il malgré lui.


Jenna s'arrêta. Elle mit un certain temps avant de lui faire face, les lèvres hermétiquement closes.


Ryan chercha les mots, incapable de trouver quoi dire pour exprimer ce qu'il avait sur le cœur. Il ne voulait qu'une chose, qui le travaillait. Un désir qui commandait ses pas, son corps, son cœur. Si bien qu'il s'approcha, guidé par cette obsédante envie, si près de Jenna qu'il pouvait sentir les effluves de son doux parfum. Il s'approcha encore, se pencha enfin lentement. Ses lèvres, si proches de celles de la jeune fille, brûlaient de l'envie de toucher sa peau.

Jenna sentit le souffle lui manquer. Mais elle détourna la tête.

Ryan, ébahi, se dressa. Elle l'avait repoussé. Ça lui fit soudain mal, comme une gifle, empoignant son cœur qu'il avait pour la première fois de sa vie ouvert. Il la contempla silencieusement, incapable de prononcer le moindre mot. La présence de Jenna, si attrayante, était comme une souffrance.


— Pourquoi ?


Il ne trouva rien d'autre à répliquer. Oui, pourquoi le repoussait-elle ?


Mais comme elle ne répondait pas, il murmura :


— Tu en as autant envie que moi. Alors pourquoi ?

— Et après ?

— Alors, explique-moi tout ça ! Explique-moi ce qu'il s'est passé !

— Il n'y a rien à dire. Ça ne se reproduira plus.


Piqué au vif, Ryan recula d'un pas. Jenna était fermée, froide, et semblait indifférente à sa présence. C'était à n'y plus rien comprendre.

— Et si ce n'est pas ce que je désire ? murmura-t-il encore.

Ses propres paroles le surprirent tout autant qu'elle, mais elle demeura impassible, tandis qu'elle répliquait :


— Alors, je n'aurais qu'un seul mot à prononcer : Mindy.

Ryan sursauta presque et eut un mouvement de recul, bien malgré lui.

— Eh oui, je suis au courant. Mindy, une cousine par alliance d'Élisabeth. Tu croyais vraiment que cette information ne me parviendrait jamais ? Élisabeth parle beaucoup de vous. De Connor, qu'elle aime éperdument. De toi, qu'elle considère comme son grand frère... De ta relation avec Mindy, qu'elle ne supporte pas.

— Pourquoi n'as-tu rien dit ?

— Ce n'était pas à moi de parler.

Ryan replongea dans le silence. Jenna le dévisagea quelques instants, attendant une improbable explication, quelque chose qui aurait pu soulager la souffrance qu'elle ressentait en cet instant. Mais rien ne vint. Alors, elle tourna les talons, se promettant de ne plus rester seule en sa compagnie. Se promettant de ne même jamais plus l'approcher.



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Le temps d'un hiver Empty Partie 9

Message par Jessica Lun 9 Jan - 22:03





Maman conduit lentement, serpentant sans à-coup entre les voitures. Je n'ose la contempler, alors c'est la tête obstinément tournée vers la droite que je regarde le paysage défiler de l'autre côté de ma vitre. Je retrouve mon univers. Pourtant, je réalise que je ne souhaite pas être là. Encore une fois, j'aurais préféré effacer les sept derniers mois, ces retrouvailles, me trouver encore dans mon petit appartement de banlieue. Heureuse. Amoureuse.

Je reste silencieuse pendant tout le trajet, obligeant ma mère à allumer le poste radio pour combler les blancs. Depuis mon retour, je vis dans la peur constante de les déranger. Si bien que je reste discrète, parlant peu, et surtout pas de ce qu'il s'est passé. Je sais que les questions brûlent les lèvres de ma mère, mais elle respecte mon silence. Elle ne les pose pas.

Je suis un fantôme dans la demeure, livide, assommante de tristesse et résolument enfermée dans mon désarroi, monopolisant ma chambre et sa chaise à bascule.

Je sais que Maman se préoccupe beaucoup de mon état. Elle a peur que mon désespoir ne me conduise à un acte inconsidéré. Si elle savait !

Elle stationne enfin devant un bâtiment blanc. Une clinique. Elle descend de voiture, en fait le tour et ouvre la portière côté passager. Elle m'aide à descendre puis toutes deux nous pénétrons l'établissement.

Maman a pris rendez-vous chez une gynécologue. Elle s'inquiète de mon état de santé, de la santé du bébé. Car malgré ma grossesse, je maigris. Seul mon ventre s'arrondit, étirant mes pulls d'une manière qui l'attendrit beaucoup.

Je sais qu'elle a eu du mal à trouver un gynécologue possédant un échographe. Elle souhaite que j'en pratique une, pour s'assurer que le petit être dans mon giron est en bonne forme.

Nous patientons une bonne demi-heure en salle d'attente avant que la gynécologue ne nous reçoive. Bien vite, Maman doit
quitter la pièce et laisser le médecin s'entretenir avec moi.

Je la regarde partir, indifférente, et me terre dans mon silence. Les questions de la bonne femme trouvent de brèves réponses.

« Écoutez. Je ne souhaite pas être là. Alors, si nous pouvions accélérer les choses...
Quel est le problème ? » demande-t-elle.

Tout. Rien ne va. Rien ne va comme je l'ai désiré, comme je l'ai prévu. Ma vie part en fumée et ça me rend malade. Pourtant, cette question est bien trop personnelle pour y répondre. Alors, je me tais.

« Mangez-vous correctement ? Je vous trouve un peu chétive, pour une future maman.
Je mange à ma faim. Mais je n'ai pas souvent faim... »

Je sais qu'elle ne se laisse pas berner et mon état de santé la préoccupe davantage après vingt minutes d'entretien. Je demeure impassible face à elle, froide, maîtresse de mes émotions. Mais elle n'est pas dupe. Elle sait ce que cache tout cela. Plus encore, je lui impose un mur d'indifférence. Les larmes, je les réserve à ma solitude.

« À quand remonte votre dernière échographie ?
Environ trois mois.
Vous n'avez pas fait l'échographie du second trimestre ?
Ça s'est un peu bousculé, ces derniers temps...
Écoutez, pour plus de précaution, il faudrait en pratiquer une. »

La gynécologue m'expose ses inquiétudes, m'explique les possibles implications de mon état dans le mauvais développement du fœtus. Mais plus encore, du danger pour ma propre santé.

Je m'en contrefiche.

Je n'ai pas désiré ce petit être et je souhaiterais qu'il disparaisse ! Qu'il disparaisse, et qu'il m'entraîne avec lui ! Ma vie n'est plus d'aucun attrait... qu'on me laisse mourir en paix.

Mais la femme insiste, et je finis par céder.

On m'installe sur un lit, le ventre à l'air. La gynécologue tire le chariot, sur lequel se trouve l'échographe, jusqu'à moi. Puis elle étale un gel froid sur mon ventre dodu, me faisant frissonner. Elle approche enfin la sonde qu'elle dépose sur le gel, et la
déplace. Des images s'affichent bientôt sur son moniteur, en noir et blanc, et j'attends patiemment que l'examen se termine.

Le bébé n'a rien.

Maman est soulagée de l'apprendre. Moi pas.


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Le temps d'un hiver Empty Partie 10

Message par Jessica Lun 9 Jan - 22:15

En ce lendemain de fête, la maisonnée était encore calme aux premières lueurs de l'aube. Les festivités avaient duré jusque tard dans la nuit si bien que tout le monde dormait encore à point fermé. Seule Jenna, couchée auprès d'Élisabeth, cherchait encore le sommeil. La montre à son poignet affichait huit heures passées. Elle s'ennuyait.

Lentement, elle se dressa, tentant de ne pas réveiller son amie, et attrapa les premiers vêtements qu'elle trouva. Puis, en silence, elle rejoignit la salle de bain, se changea, se brossa les dents, et revint déposer son pyjama sous son oreiller. Elle trouva ensuite une feuille blanche, un stylo, et écrivit quelques lignes à l'adresse de son amie, qu'elle laissa trôner sur le même oreiller.

Enfin, elle était fin prête. Elle récupéra aussi ses baskets, les enfila sans même défaire les lacets, passa son blouson sur ses épaules et empoigna son sac à dos. Puis elle quitta la pièce et descendit les escaliers grinçants sur la pointe des pieds, en espérant de tout son cœur ne pas réveiller Pierre et Julie qui dormaient au salon. Ce ne fut qu'une fois dehors qu'elle s'accorda le droit de respirer librement. Et c'est en courant qu'elle parcourut les quelques rues qui la séparaient de chez Alec.

Elle ne mit qu'une petite dizaine de minutes pour arriver devant son portail entouré de glycines. Derrière, une petite allée pavée la séparait du porche de cette maison modeste dans laquelle elle avait passé tant de joyeux moments. Elle réalisa soudain qu'elle n'avait pas pris la peine de vérifier si la clé était toujours dans sa poche. Cette clé qu'Alec lui-même lui avait remise quelques années plus tôt afin qu'elle puisse toujours trouver un endroit où se réfugier. À l'époque, ses relations avec sa mère s'étaient nettement détériorées, si bien qu'Alec l'avait à maintes reprises accueillie chez lui, quand ses parents, trop occupés pour s'occuper d'elle, avaient le dos tourné.

Jenna fut soulagée de trouver la petite clé au fond de sa poche. Alors, lentement, elle passa sa main au travers des barreaux du portail, actionna le loquet, et poussa la grille. Rapidement, presque en courant, elle traversa l'allée pavée, et monta deux à deux les marches menant au porche. Puis, elle frappa quelques coups discrets contre la porte d'entrée.

Comme personne ne vint lui ouvrir, elle glissa la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Le hall d'entrée était plongé dans le noir. Elle referma discrètement derrière elle et retira ses chaussures, qu'elle disposa dans le placard près de l'entrée, sur sa gauche, où trainaient déjà quelques paires, à même le sol.

Le couloir était à peine éclairé par la lumière qui filtrait à travers les portes vitrées du salon, sur sa droite, et de la cuisine, à l'autre bout. Sur sa gauche, un escalier menait à l'étage. Elle ne put s'empêcher de jeter un œil en haut des marches pour s'assurer de ne pas se trouver nez à nez avec les parents de son ami. Puis, laissant traîner ses pieds sur le tapis marron, elle traversa le couloir.

C'est doucement qu'elle poussa la première porte vitrée sur sa droite et passa dans le salon. Le parquet de bois grinça légèrement sous son poids. La pièce, à peine éclairée par quelques rayons de lumière, était silencieuse. Elle revint alors sur ses pas, et rejoignit l'autre bout du couloir. Ici, la porte était entrouverte, si bien qu'elle n'eut qu'à passer la tête par l'entrebâillement pour s'assurer que la cuisine était également vide.

Tout était calme. Elle revint alors sur ses pas et entreprit de monter à l'étage. La moquette sur les marches de l'escalier masqua le bruit de ses pas tandis qu'elle grimpait discrètement. Elle craignait à tout moment de voir débarquer l'un ou l'autre des deux parents de son ami.

Sur le palier, elle se précipita le plus silencieusement possible jusque devant la dernière porte qu'elle ouvrit.

Une fois dans la pièce, son cœur se calma presque immédiatement. Ses yeux se posèrent d'instinct sur le corps allongé en travers du lit. Emmitouflé dans sa couette, Alec dormait profondément, le visage tourné vers elle. Jenna ne put s'empêcher de sourire puis le rejoignit, soudain plus légère.

Étrangement, le poids qu'elle sentait peser sur son cœur depuis quelques jours disparut. Elle sentait être enfin à sa place. Alors, elle déposa son sac contre un mur, retira son blouson, son pull, ses chaussettes, gagna le lit et se glissa sous la couette au côté d'Alec. La chaleur du corps de son ami qu'elle sentait dans son dos l'apaisa plus encore. Et enfin, tout contre lui, elle s'endormit.

C'est un baiser sur sa joue qui la réveilla. Jenna ouvrit lentement les yeux, qu'elle eut du mal à habituer à la lumière du jour.

— Il faudrait vraiment que tu arrêtes de faire ça... murmura Alec dans son dos, alors même qu'il la serrait contre lui.

Jenna se détourna pour lui faire face. Le jeune homme la contempla les yeux ensommeillés, un sourire ironique au bord des
lèvres. Sans rien dire, elle se serra plus encore contre lui, et cacha sa tête dans le cou du garçon.

— Jenny ?
— Encore un peu, s'il te plaît...

Alec passa alors un bras sur les épaules de son amie et l'attira contre lui. Jenna se laissa faire, insouciante, heureuse, le cœur plus léger.

Finalement, après de longues minutes, Alec murmura :

— Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Rien... Maintenant, tout va bien.
— Dis-moi... pourquoi finis-tu toujours tes nuits dans mon lit ?

Jenna ne put s'empêcher de sourire.

— Désolée. Je n'arrivais pas à dormir, cette nuit. Je ne suis pas vraiment à l'aise chez Élisabeth.

Alec savait qu'elle partageait sa chambre avec les deux étrangers. Et même si cette optique ne l'enchantait guère, il comprenait pourquoi ce malaise. Malgré tout, il sentait son estomac se serrer étrangement. Il ferma les yeux, tentant d'occulter les images qui s'imposaient à son esprit.

— Tu sais... Je rêve parfois de partir loin... très loin. Trouver un endroit à moi, mon univers, où je n'aurais à suivre que mes propres règles.
— Et que ferais-tu de moi ?

Jenna se tut. Elle n'était pas sûre qu'Alec comprenne son désarroi. Mais, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait toujours vécu à travers lui. Ses passions, ses amitiés, ses envies... tout n'avait tourné qu'autour du jeune homme. Et aujourd'hui, elle ressentait le besoin de prendre l'air. De vivre sa vie. De faire ses propres choix, ses propres erreurs. Pourtant, elle en avait horriblement peur.

— Je sais que c'est fou... murmura-t-elle enfin. C'est peut-être dû au fait que je partage mon univers avec trois autres personnes. J'ai envie de rentrer chez moi, de revoir ma chambre, mon lit, ma solitude.
— Retournes-y, si c'est ce que tu souhaites.
— Si la Madone venait à l'apprendre, elle me tuerait.
— Viens à la maison, alors ! Si c'est te laisser seule qui l'angoisse, mes parents sont là.
— Ah oui ! Je vois déjà la tête de ma mère en apprenant que je dors dans ton lit.
— Elle n'est pas obligée de le savoir.
— Elle sait toujours tout.
— Et quelle tête crois-tu qu'elle fera quand elle apprendra que tu dors avec ces frères américains ?
— C'est vrai...

Ils se turent quelques longues minutes, profitant chacun de la chaleur du corps de l'autre. Alec se sentait irrésistiblement attiré vers son amie, qu'il souhaitait protéger. Il la sentait distraite, triste. Son sourire était presque nostalgique.

— Jenny, qu'est-ce que tu as ?
— Pas grand-chose... Je me sens blasée.
— Tes parents ?
— Pas seulement...
— Je ne suis pas stupide, Jenny. Je t'ai entendue pleurer bien trop de fois quand tu te pensais seule pour ignorer ta solitude. Tes parents ne sont pas présents dans ta vie. C'est un fait. Mais nous sommes là, nous. Et tu pourras toujours compter sur nous, quoi qu'il arrive. Sur moi, quoi qu'il en soit. Je ne supporte pas de te voir souffrir en silence... Tu as toujours été là pour moi, dans les meilleurs comme les pires moments. Alors, laisse-moi en faire de même. Tu as le droit de crier, de pleurer, de te plaindre ! Pourvu que tu te défasses de ce sourire que tu affiches en toute circonstance. Parle-moi...

La gorge nouée, Jenna ne parvint pas à prononcer le moindre mot. Elle avait tendance à trop oublier qu'Alec la connaissait par cœur, et qu'il savait toujours trouver les mots justes pour exprimer ce qu'elle-même ne parvenait pas à nommer.

Discrètement, elle essuya une larme qui roulait sur sa joue et masqua de nouveau sa peine derrière un sourire de circonstance.

— Je ne vais pas si mal que ça. Tout va pour le mieux, j'ai des amis sur qui compter, des passions. Je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. D'autres ont des problèmes non moins plus graves.
— C'est vrai. Mais je ne suis pas là pour soulager la terre entière. Seul ton bonheur m'importe.
— Je t'assure, Alec...

Pour couper court à cette conversation qui lui déplaisait fortement, Jenna se redressa et traversa la pièce. Alec, parcouru d'un frisson, s'emmitoufla dans la couverture. Jenna vint se rasseoir sur le bord du lit, un paquet entre les mains, enrubanné d'un joli fil doré.

— Tiens, dit-elle en le lui tendant. Joyeux Noël.


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Message par Jessica Lun 16 Jan - 20:37

Le 26 au matin, une tornade avait fait son irruption dans la paisible demeure, perturbant ses habitants. Mindy, aussi extravagante que bruyante, d'une extrême beauté, brune, grande et élancée, avait passé le seuil de la porte dans de grands cris qui avaient réveillé tout le monde. Derrière elle, Li tirait une énorme valise qui aurait pu contenir toute la garde-robe de Jenna.

Une à une, les lumières s'étaient allumées à l'étage, puis dans les escaliers, et tout le monde s'était retrouvé dans le hall d'entrée. D'abord excédée, Élisabeth avait contemplé sa cousine ébahie, sans trouver quoi dire. Et quand la nouvelle venue l'avait serrée chaleureusement dans ses bras, elle n'avait pu empêcher un mouvement de répulsion. Mais très vite, c'était dans les bras de Ryan qu'elle s'était précipitée, l'embrassant à pleine bouche devant un public aussi surpris que sceptique. Jenna avait douloureusement détourné le regard, fermée. Ryan, aussi surpris que les autres, n'avait pas protesté.

S'en était suivi les explications : Mindy, déçue de ne pas passer les fêtes avec son amour, avait sauté dans le premier avion à destination de Paris, toutes escales. Et c'était à l'aéroport, quelques minutes avant l'embarquement, qu'elle avait téléphoné à son oncle qui, par bonté, l'avait réceptionnée en plein milieu de la nuit.

Élisabeth avait senti monter en elle une colère irrépressible. Voilà bien sa cousine. Égoïste. Capable de tout pour aboutir à ses fins, faisant ployer quiconque sur son passage. Jamais elles n'avaient pu s'entendre. Et de la savoir aussi proche de Ryan, qu'elle considérait comme un frère, la révulsait. Pourtant, par égard pour son ami, elle n'avait jamais protesté.

Les choses s'étaient compliquées par la suite, quand il avait fallu répartir les couchages. On s'était vite rendu compte du manque de lits, d'espace, pour neuf personnes. Il avait été décidé que Mindy partagerait la chambre des quatre adolescents. Les matelas se faisant rares, Ryan devrait partager sa couche avec son frère, qui passerait son matelas à Mindy.

Mais ça n'avait pas été du goût de Mindy qui s'était, derrière le dos des parents, glissée auprès de Ryan chacune des deux nuits passées en France, en dépit des protestations d'Élisabeth et Connor. Seuls les deux autres ne disaient mot, trop mal à l'aise pour trouver quoi dire.

Ryan avait immédiatement détesté cette situation. L'arrivée de Mindy, loin de lui avoir remis les idées au clair, avait compliqué la situation. Jenna s'était soudain mis à l'éviter, à ne plus lui parler, à ne plus faire attention à lui. Elle l'ignorait complètement, et ça lui faisait horreur. Quant à Mindy, qu'il aurait dû être enchanté de revoir, sa présente lui était presque intolérable.

Enfermé dans la salle de bain, il savourait son unique moment de répit quotidien. Mindy s'était trouvée contrainte de lui laisser cet instant de solitude. Mais, rongé par des questions diverses, Ryan n'en profitait pas. Cette situation l'épuisait. Mindy l'épuisait. La fuite de Jenna l'énervait plus encore. Il souhaitait lui parler, passer quelques précieuses minutes en sa compagnie, seul à seule.

Voilà déjà presque vingt minutes que sa douche était finie, et qu'il traînait indécis, nu dans cette salle de bain. Il décida de se rhabiller, sachant qu'on ne tarderait pas à lui prendre la place. Il passa rapidement un jean, puis sortit de la pièce, traversa le couloir et pénétra dans la chambre d'Élisabeth, son tee-shirt à manches longues à peine enfilé qu'il terminait de rabattre sur son torse.

— Jenna ?

La jeune fille, qui cherchait un pull-over dans sa valise, se crispa légèrement. Pourtant, elle continua à fouiller, sans se préoccuper de la présence de Ryan. Une fois trouvé un gilet en laine, elle glissa de nouveau sa valise sous le lit de son amie, se redressa et doubla le jeune homme.

— Attends !

Ryan la retint par le poignet. Ils rejouaient la scène du concert... Jenna ne voulait pas se retourner, lui faire face, lui parler... Elle s'était décidée à ne même plus le regarder. Elle savait que sans quoi, ses bonnes résolutions partiraient en fumée. Or, d'avoir pu côtoyer Mindy ces deux derniers jours lui avait remis les idées en place. Elle avait découvert une jeune fille agaçante, qui donnait pourtant tout sans compter à Ryan. Elle l'aimait réellement. Et Jenna ne voulait pas se mettre entre eux deux. Pourtant, les voir ainsi chaque jour lui serrait le cœur. Jalouse. Elle était jalouse... Jalouse de la plus belle fille qu'elle avait jamais vue. Jenna, qui trouvait déjà Élisabeth très belle, se trouvait désemparée devant la beauté de sa cousine.

— Jenna...

Il ne savait plus quoi faire pour qu'elle se retourne, lui parle. D'être ainsi ignoré par elle lui faisait terriblement mal. Comme elle ne répondait pas, il murmura :

— Je t'en prie, parle-moi... Jen !

Jenna se raidit et se détourna enfin. Le regard qu'elle plongea dans celui de Ryan était froid, distant. Ses yeux qu'il aimait tant, si expressifs, témoignaient tellement de sentiments divers ! La colère, la haine, la tristesse... Il sentit son cœur se serrer.

— Je t’interdis de m'appeler comme ça. Nous ne sommes pas proches. Pour toi, c'est Jenna.

Ryan reçut ses paroles comme une gifle, bien plus douloureuse qu'il ne l'aurait souhaité.

— Maintenant, laisse-moi partir.
— Non...

Jenna fut surprise par ce refus. Elle tira alors violemment sur son bras pour se libérer de l'emprise de Ryan. Une fois chose faite, elle se précipita vers la porte. Mais pas assez rapidement. Il s'interposa entre elle et la sortie.

— Ryan ! Laisse-moi passer !
— Jen...
— Écarte-toi ! coupa-t-elle d'un ton ferme.

Sa voix vibrait d'une sourde colère qu'elle ne parvenait à contenir. Mais le jeune homme sentit qu'il y avait autre chose qu'elle tentait désespérément de cacher.

Pour toute réponse, le jeune homme tourna la clé dans la serrure de la porte, les enfermant tous les deux.

— Qu'est-ce que tu fais ? Ouvre-moi ! hurla-t-elle enfin tandis qu'il rangeait la clé dans la poche de son jean.

Elle-même laissa tomber le gilet qu'elle avait toujours en main et se précipita vers la porte.

— Non, Jenna. Tu ne me laisses pas le choix. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour te forcer à m'écouter.
— Je ne veux rien entendre de toi, Ryan ! Je veux sortir, alors ouvre-moi cette putain de porte !
— Pas tant qu'on aura pas parlé. Je te promets qu'une fois que tu auras écouté ce que j'ai à te dire, je te laisserai partir.

Jenna s'éloigna, les bras croisés sur sa poitrine. Elle fit de nouveau dos à Ryan, ne souhaitant pas le voir. Elle sentait sa colère remonter par vagues, et lui en voulait de ne pas la laisser en paix. Voulait-il à ce point la voir souffrir ?

— Jen...
— Je t'ai déjà dit d'arrêter de m'appeler ainsi.
— Pourquoi agis-tu de la sorte avec moi ? Depuis deux jours, tu es froide, distante...

Un rire amer franchit les lèvres de Jenna, qu'elle ne parvint à retenir.

— À ton avis, pourquoi ?

Ce fut plus fort qu'elle, elle lui fit de nouveau face.

— Ryan ! Que te faut-il de plus ? De quoi te plains-tu ? Tu as la gloire, la popularité, une petite amie magnifique, une famille sur qui compter ! Tu es majeur, sais ce que tu veux faire de ta vie ! Alors qu’est-ce que tu veux de plus, bordel ? Tu as déjà tout ce dont on peut rêver !
— Détrompe-toi. Je n’ai pas l’essentiel…
— Ah...

Cette dernière parole était presque ironique.

— Tu n'es pas à plaindre. Mais tu en veux toujours plus. Tu n'es qu'un enfant pourri gâté.
— Peut-être bien, et après ? Contrairement à ce que tu penses, je ne suis pas heureux.
— Que te faut-il de plus pour l'être ?
— Toi.

Ryan fut surpris tout autant que Jenna par ses propres paroles. Il avait parlé sans réfléchir, et réalisait enfin ce qu'elle représentait pour lui. Peut-être bien ne la connaissait-il que depuis peu, pourtant, jamais il ne s'était senti aussi vivant ! Son cœur battait d'une passion nouvelle, qu'il ne pouvait combattre. Il la voulait. C'était aussi simple que cela.

— Réveille-toi, Ryan ! Ta copine est dans cette baraque, et elle doit sûrement t’attendre en ce moment. Alors, va la rejoindre et oublie-moi !
— Mais je ne peux pas ! Tu penses sincèrement que je n'ai pas essayé ? Mais je n'y peux rien, je te veux auprès de moi. Reste, je t’en prie. Ne me repousse pas !
— Tu m'en demandes trop ! Tu crois que c'est simple pour moi ? Chaque jour, la voir se coller à toi, t'embrasser à pleine bouche ? De savoir que c'est dans ses bras à elle que tu dors ? Tu penses sérieusement que ça ne me fait rien ? Ryan, je ne veux pas de ton amitié ! Des amis, j'en ai déjà ! Et l'amitié, c'est tout ce qu'il nous reste ! Alors laisse-moi encore le loisir de choisir si je veux ou non te savoir dans ma vie ! Tu ne comprends donc pas ?
— Non, c'est toi qui ne comprends pas !

Ryan avait crié, la faisant presque sursauter. Il marqua une courte pause, tentant de maîtriser la vibration dans sa voie.

— J'en deviens fou, Jenna, je t'ai dans la tête ! Quand tu es là, je suis incapable de réfléchir clairement à la situation, je me laisse guider par mes envies, mes pulsions. Jamais ça ne m'était arrivé !
— Fais un choix, alors ! s’emporta-t-elle. Tu ne peux pas nous avoir toutes les deux !

Jenna réalisa soudain l'ampleur de ses paroles. Ses yeux s'élargirent et elle plaqua une main sur sa bouche, comme pour s'empêcher d'en dire davantage. Les mots avaient dépassé sa pensée, sortant du plus profond de son cœur, la mettant face à ses désirs les plus secrets.

— Si tu me laissais réellement choisir, subirais-tu sincèrement le poids de mon choix sans rien dire ? Est-ce réellement ce que tu souhaites ?

Jenna ne réussit à démentir ses propres propos. Elle ne savait plus comment rattraper la situation et sentait la conversation lui échapper.

— Dans ce cas, tu sais très bien que mon choix est déjà fait, continua Ryan.
— Tais-toi ! cria soudain Jenna.
— Mais bordel ! C’est toi qui me demandes de faire un choix !
— Tu ne sais pas ce que tu dis ! Tu ne te rends pas compte de ce que ça implique ? Mindy est ta petite amie depuis si longtemps ! Elle est magnifique, parfaite ! Et elle t'aime !
— Et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser à toi.
— Tais-toi ! Je ne veux rien savoir !
— Mais bon sang, écoute-moi ! s’écria Ryan en l'attrapant par les épaules.

Il plongea son regard dans celui de la jeune fille, l’obligeant à contempler ses propres yeux pétillants d’une étincelle qu’elle ne lui avait jamais vue.

— Non, tais-toi, je t'en prie... murmura Jenna soudain à bout de forces. Je ne veux pas d'une relation avec toi... Je ne supporterais pas la distance.
— Que dois-je faire alors ? Parce que moi, je te veux ! Je t’ai toujours voulue. Dès ce premier jour, bien avant de savoir réellement qui tu étais. Tu hantes toutes mes pensées ! Je te veux toute entière, rien qu’à moi ! Entre toutes, c’est toi que je prendrais. Parce que tu me plais. Oh oui, tu me plais beaucoup plus que quiconque !

La ferveur de ses paroles surprit tant Jenna qu’elle n’osa plus rien dire. Elle le contempla donc en silence, en tentant désespérément de refouler ses larmes.

Elle ne comprenait que trop bien les mots de Ryan. Pourtant, elle ne cessait de rationaliser la situation. Après tout, ils ne se connaissaient quasiment pas. Ils n'avaient vécu que quelques jours sous le même toit. Pas tout à fait une semaine. Mais elle ne pouvait empêcher son cœur de s'emballer chaque fois qu'il posait ses yeux sur elle, ni le désir ardent qui s'emparait de ses sens, lui dictant de se blottir tout contre lui.

Une fois seulement, elle aurait souhaité se laisser aller, goûter sa peau, s'enivrer de son odeur... Jamais de sa vie elle ne s'était sentie aussi irrésistiblement attirée vers quelqu'un. Elle rêvait de se blottir contre ce corps, le laisser l'envahir, la posséder.

Soudain, elle sentit ses doigts déboutonner lentement sa chemise beige, bouton après bouton, tandis qu'elle soutenait sans rougir le regard pesant de Ryan. Malgré la peur, la colère, sa passion était plus forte encore, et elle ne parvenait à arrêter ses gestes.

Surpris, Ryan eut un mouvement de recul, alors que ses yeux suivaient les mains de Jenna. Son souffle se fit court à mesure qu'apparaissait le fin débardeur de la jeune fille, beige également, aussi léger qu'une nuisette et pour le moins transparent.

Elle laissa enfin tomber sa chemise sur le sol. Il pouvait voir à travers son tee-shirt le soutien-gorge qu’elle portait. Incapable de relever les yeux, il n’avait de cesse de contempler la ligne de ses épaules, redescendant irrémédiablement vers les courbes de sa poitrine. Qu’il avait envie de la toucher !

Étrangement, elle ne rougissait pas. Elle gardait même le contrôle de toutes ses émotions. Ses yeux étaient toujours posés sur le visage de Ryan, si bien que lorsqu’il releva les siens, son regard se noya dans celui de Jenna. Alors, elle avança de quelques pas, parcourant la distance qui les séparait. Puis, penchant la tête de côté, elle dégagea son cou de ses cheveux.

— Montre-moi ce dont tu es capable…

Les yeux de Ryan glissèrent de sa chair dénudée aux rondeurs à peine cachées sous le tissu tiré, puis ils remontèrent jusqu’à sa bouche. Il rêvait tellement d’y déposer les lèvres ! Il sentait son envie grandir en lui, une bouffée de chaleur l'envahir tandis que montait la fièvre. Mais il ne fit rien, de peur de ne savoir s'arrêter. Il ne voulait pas la posséder comme ça, ici, aussi vite... Que penserait-elle de lui alors ? Seules sa mâchoire crispée et la veine palpitante de son cou trahissaient sa frustration. Ses yeux, quant à eux, étaient voilés par le.

Jenna s’esclaffa, ironique.

— J’en étais sûre.

Elle se redressa puis, après l’avoir affronté du regard encore quelques secondes, se détourna. Son attitude presque hautaine piqua Ryan au vif. Et alors qu’elle allait ramasser sa chemise, Ryan l’attrapa par le bras et la força à lui faire face. Ses mains puissantes la serraient si fort qu’elle en eut mal, mais aucune plainte ne franchit la frontière de ses lèvres.

Ils s’affrontèrent de nouveau du regard, puisant dans les yeux de l’autre de quoi surmonter leurs propres faiblesses. Mais Ryan, que le désir poussait à agir inconsidérément, ne pouvait plus se contenir.

Avidement, il la plaqua contre lui.

Son baiser n’avait rien de doux. Il était fougueux, passionné et avide d’en avoir davantage. Mais en rien il n’était désagréable. Un baiser tel qu'elle n'en avait jamais reçu, un baiser plus fougueux encore que lorsqu'il embrassait Mindy.

Surprise, Jenna se laissa faire. Elle aurait aimé se laisser aller contre lui, avec lui, mais elle n’en avait pas les moyens. La pensée de Mindy revenait sans cesse à sa mémoire, qu'elle ne voulait malgré tout pas voir souffrir. Pourtant, elle n'avait pas le courage de rompre leur étreinte. Aussi, elle attendit tristement que Ryan le fasse. Et, lorsqu'il s'écarta, elle l'interrogea du regard.

Ryan se sentait soudain coupable, coupable d’avoir cédé à la tentation, d’avoir laissé parler son cœur, son corps. Mais bienheureux d’avoir su s’arrêter à temps. Il relâcha alors la pression de ses doigts sur les épaules de la jeune fille.

Jenna en profita pour s’écarter de lui. Étonnée, elle ne sut que lui faire dos, fuyant son regard. Ryan alla s’asseoir sur le lit, dépité, cachant sa honte d'une main qui parcourait son visage. Jenna glissa ses doigts dans ses cheveux, incapable de savoir comment réagir. Finalement, elle murmura :

— Qu’est-ce…

Elle lui fit face, puis reprit.

— Qu’est-ce que tu attends de moi ?

Ryan prit quelques secondes avant de répondre :

— Rien... Absolument rien. Je voulais simplement que tu comprennes ce que j'ai sur le cœur. Ce que je ressens.
— Ce que tu ressens ? Pour moi, ça ressemble énormément à du désir sexuel. Je ne vois pas comment le nommer autrement. Serais-tu à ce point si artificiel pour t’enticher d’une personne que tu ne connais pas ?
— Tu aimerais tellement avoir raison ! s’emporta Ryan en bondissant sur ses jambes. Sûrement n'est-ce pas de l’amour. Mais je sais ce qu'est le désir sexuel. Et ce que je ressens est beaucoup plus fort que ça… Je n’ai jamais rien ressenti d’aussi fort ! Les sentiments, c'est tout nouveau pour moi. Je ne sais pas quoi te dire ! Je n'ai jamais aimé, et c'est bien la première fois que je perds le contrôle... Mais malgré la douleur, je ne veux pas le perdre...

Il marqua une courte pause avant de continuer :

— J'aimerais tellement apprendre à te connaître, savoir tout de toi… passer tout mon temps avec toi. Parce que ta compagnie m’apaise. Elle m’est si pénible, et pourtant, je suis si heureux ! Tu crois que je me mettrais dans des états pareils si je mentais ? Tu crois sincèrement que je me donnerais tant de mal pour quelqu’un que je ne reverrai sans doute jamais ? Si je veux du sexe, j'ai Mindy. Bon sang, réfléchis ! Et crois en moi !
— Pourquoi te compliques-tu autant la vie ? Tout était si simple ! Bientôt, tu partiras. Ne t’attaches pas aussi bêtement à une personne qui vit de l’autre côté du globe ! Oublie-moi. Ce sera beaucoup plus simple pour nous deux, crois-moi.
— « Aussi bêtement » ? Parce que tu crois que je l’ai choisi ? Je sais très bien que ce serait beaucoup plus simple. Mais les choses ne sont jamais simples ! Ce ne serait pas la vie, sinon ! Mais je suis prêt à relever le défi. Tu es peut-être insupportable, bornée, mais ça fait partie de toi ! Je l’accepte parce que je suis fou de toi ! Parce que malgré ça, tu es quelqu'un de droit, d'honnête, de franc. Tu n'as pas peur d'afficher tes sentiments. Si tu savais tout ce que tu éveilles en moi ! Et je m’accroche désespérément à ces petits riens que tu attises dans mon cœur...

Il lui attrapa alors délicatement la main et la plaqua sur son torse, sur son cœur. Il maintint fermement sa main contre lui de peur qu'elle ne veuille la retirer. Jenna sentit les battements saccadés sous ses doigts. Le cœur de Ryan battait vite, et fort. Sûrement de désir...

— Qui me met dans des états pareils, à ton avis ? Je veux que tu comprennes, bon sang !
— Arrête ! Je ne veux pas le regretter…
— Mais regretter quoi ? Il n’y a rien à regretter ! Profite des occasions qui se présentent à toi tant que tu peux encore le faire ! Crois-moi, c’est dans ces moments-là que les regrets naissent, si tu n'accomplis pas ce que désire ton cœur !
— Mais il ne faut pas pour autant vivre que de désir !
— Bien sûr, mais comment veux-tu profiter de la vie si tu fuis le bonheur, la joie et le désir ?
— Je fuis la peine et le désespoir, au contraire.
— Mais ça va de pair avec le plaisir. Comment veux-tu apprécier les bons moments si tu n’en connais pas de mauvais ?

Ryan serra la main de Jenna dans la sienne. Il avait peur de la lâcher et de réaliser qu’elle était déjà loin.

— Jen… Ferme les yeux et dis-moi ce que tu ressens.
— À quoi ça rime ?
— Fais-le, s'il te plaît, et dis-moi sincèrement ce que tu ressens.
— Pourquoi ?
— Jen...
— Très bien...

Elle ferma les yeux et se laissa complètement envahir par les battements du cœur de Ryan. Son esprit se vida peu à peu, raisonnant simplement de ce tambour, ces palpitations saccadées. Ce cœur qu'elle voulait lui appartenir. Ce corps qu'elle désirait tout autant. Elle aurait aimé qu'il ne soit pas américain, qu'il ne vive pas aussi loin... Elle aurait aimé se laisser aller, combler leurs désirs... Au lieu de quoi, il ne restait qu'un vide immense, un sentiment de solitude... Une triste peine.

Elle rouvrit précipitamment les yeux et tenta de s'écarter de lui. Mais il la retint fermement.

— Je t'en prie... murmura-t-elle la voix brisée.

Elle ne parvenait plus à parler. Son cœur ne contenait plus sa douleur, qu'elle sentait coincée au fond de sa gorge en une boule de sanglots qu'elle refusait de laisser s'échapper.

— Jen... J'ai besoin de savoir.
— Pourquoi ?

Il la sentait sur le point de se briser. Sa voix n'était plus qu'un murmure alors que ses yeux étaient envahis de larmes qui ne coulèrent pas.

— Jenna ! Pour une fois, sois honnête avec moi !

Alors, de sa main libre, Jenna l'attira de nouveau à elle et déposa ses lèvres crispées par ses sanglots sur celles de Ryan. Ses yeux fermés essayaient tant bien que mal de contenir ses larmes, mais l’une d’elles perça la frontière de sa paupière et roula sur sa joue.

Ses lèvres étaient encore collées à celles de Ryan quand elle murmura :

— Je ne veux pas te perdre. Si je le pouvais, je ne te laisserais pas partir loin de moi...

Le cœur de Ryan fit un bond dans sa poitrine, qu'il ne put cacher à Jenna. Il lui relâcha alors la main et l'attrapa par la taille, la serrant plus fort encore, l'enlaçant entre ses bras tandis que leurs bouches jointes s'embrassaient enfin avec envie, avidité, se cherchant, s'apprivoisant, leurs langues se fouillant, se liant. Une douce chaleur l'envahissait, alors que son désir tendait son corps vers celui de Jenna, qui avait noué ses bras autour de son cou. Ryan la serrait plus fort encore, toujours plus près, souhaitant supprimer la distance qui les séparait. Ils étaient si enlacés qu'on aurait pu les confondre.

Fou de désir, il réalisait qu'elle était enfin à lui, entière. Il la possédait enfin, corps et âme. Alors pourquoi sentait-il son visage s'humidifier des larmes de Jenna ? De ses mains, il les essuya, sans pour autant parvenir à s'écarter d'elle. C'était beaucoup trop difficile. Mais bientôt, Jenna ne pleura plus. Il la sentait se détendre, se laisser aller, se résigner.

Il ouvrit alors les yeux. Il découvrait une autre Jenna, une jeune fille passionnée, qui laissait enfin exploser ses envies de lui. Une fille qui l'attirait plus encore. Finalement, il attrapa Jenna par les hanches, trop heureux de sentir ses rondeurs avantageuses sous ses doigts. Il ne se lassait pas de toucher ce corps qui l’attirait tant, et l’envie de la caresser sur chacune des parcelles de sa peau, de ressentir chaque courbe de son être, était pesante, violente. Mais, toujours insatisfait, Ryan la trouvait encore trop loin. Aussi, il la serra toujours plus fort jusqu’à sentir chaque partie de son corps en contact avec celui de la jeune fille.

Ryan trembla tout contre Jenna, alors qu'il sentait ses jambes se dérober sous lui. La jeune fille glissa bientôt ses doigts sous son tee-shirt et le caressa lentement, de ses ongles, de ses doigts, le faisant frissonner. Il semblait à Ryan être plus sensible à ses caresses qu’il ne l’avait jamais été.

Jenna s’écarta de lui le temps de lui enlever son tee-shirt. Sa peau basanée sentait le gel douche. De ses mains, elle redessina la forme de ses biceps, celle de ses pectoraux, puis suivit la ligne menant à son nombril. Elle le poussa enfin doucement vers le lit où Ryan s'assit en contemplant Jenna. Elle le surprenait de plus en plus, et il aimait ça. Elle lui semblait soudain plus femme qu’enfant, et d’une extrême beauté. Elle paraissait presque sauvage, indomptable, féline.

Ryan n’eut pas le loisir d’approfondir sa contemplation. Jenna s’installait déjà à califourchon sur ses cuisses. Voulait-elle le rendre fou ? Car il avait à portée de bouche la chair dénudée de son buste, tandis que ses yeux se perdaient dans la contemplation de sa poitrine. Qu'il aurait aimé l'avoir à nue devant lui !

Jenna récupéra ses lèvres et l’embrassa de nouveau avec fougue. Jamais personne ne l’avait embrassé de la sorte. Il sentait monter en lui une fièvre nouvelle, dépassant de loin le désir. Il perdait pied, complètement. L'esprit vide, il ne parvenait à ne faire rien d'autre qu'attendre, se laisser faire.

Lorsque Jenna commença à se frotter contre lui, il perdit complètement le contrôle. Ses émotions, son corps, ses pensées, tout lui échappait. Ce qui se passait dans son pantalon était plus qu’éloquent. Il réalisa soudain que de ses mains, il encourageait Jenna qu'il tenait par les fesses, la pressant avidement contre lui.

Ils se retrouvèrent bientôt allongés, Jenna pesant de tout son poids sur le corps en feu de Ryan. Ryan qui ne se lassait pas de l’embrasser, explorant sa bouche de sa langue. Il glissa sa main dans la chevelure de Jenna, et tira sa tête en arrière.

— Regarde-moi, murmura-t-il.

Il ne savait pas pourquoi ce besoin de la contempler. Pourtant, Jenna obtempéra et le dévisagea, le regard brûlant, le visage rosé. Il la trouva si belle ! Et si différente.

Finalement, n'y tenant plus, il l'embrassa de nouveau. Il n'en avait jamais assez, n’était jamais rassasié. Encore, elle se frottait contre lui, augmentant cette fièvre qui s’était emparé de son corps. Jenna vint ensuite nicher sa tête au creux de son cou, déposant des petits baisers sur sa peau frémissante. Elle aimait le goût de sa peau, les soupirs d'aise qu'il poussait... Elle redescendit le long de son torse, embrassant chaque parcelle de peau. Elle se sentait malgré tout insatisfaite, comme n'en ayant pas encore eu assez. Elle ne se lassait pas de l'embrasser, de le toucher, de le sentir.

Jenna redescendait dangereusement vers son entrejambe, accentuant son désir. Il se sentait à l'étroit dans son jean, plus encore quand Jenna passa ses mains sur ses cuisses, lentement. La chaleur de ses doigts le transperçait. Ryan l'attrapa de nouveau et, n'y tenant plus, lui embrassa les lèvres, les joues, le cou. Il écarta ensuite lentement son tee-shirt, baisant sa poitrine, là où la peau était à nu. Il aurait aimé en avoir davantage, mais n'osait pas non plus accélérer le rythme.

Une myriade de sensations envahit Jenna, qui frissonna. Ryan était si tendre avec elle, si prévenant. Était-il ainsi avec Mindy ?

Ses yeux s'ouvrirent de stupeur, et elle se raidit. Alors, lentement, elle se redressa, laissant à Ryan un sentiment d'abandon. Une lueur attira soudain l’attention du jeune homme. Il écarquilla les yeux, reconnaissant une clé, puis fouilla dans sa poche. Sans comprendre, il la regarda se détourner et récupérer sa chemise à terre. Ses jambes trop fébriles l'empêchèrent de se redresser, de la poursuivre.

— Tu t’amuses de moi ? demanda-t-il dans son dos tandis qu'elle se rhabillait.

Jenna ne répondit pas. Elle s'était laissée prendre au jeu, alors même qu'elle avait souhaité si fort parvenir à tirer un trait sur lui. Malheureusement, il lui avait fallu reconnaitre qu’il comptait bien plus qu’elle ne le laissait croire, et qu’il fallait à tout prix qu’elle s’éloigne de lui, de peur d’être déchirée par son départ.

— Tu recommences à fuir ! s’exclama-t-il.
— Je ne fuis pas…

Elle n’avait pas eu le courage de lui faire face, aussi Ryan ne put voir toute la tristesse dissimulée dans ses yeux.

Jenna tourna enfin la clé dans la serrure, mais avant d’en franchir le seuil, elle respira profondément, se cacha derrière un masque impénétrable puis lui fit face.

— Merci pour cet instant fort sympathique, mais il faut redescendre sur terre, et calmer ce qui te sert de virilité… Tu pensais réellement que je coucherais avec toi ?

Sans lui laisser le temps de répondre, elle s’éclipsa. Si Ryan n’avait pas été aussi chamboulé, il aurait parié qu’elle essayait de se faire détester de lui. Et malgré son attrait pour elle, il en vint à la haïr de le considérer avec aussi peu d’envergure. Impuissant, il plaqua ses poings sur ses yeux. Mais il ne vit que Jenna sous ses paupières closes, Jenna poussant des petits gémissements de plaisir tandis qu’il la caressait. Comment pouvait-elle partir sans rien ressentir après ce qu'ils avaient partagé ? Non, il ne pensait pas coucher avec elle. Et c’était bien la première fille avec laquelle il ne voulait pas coucher. Il attendait autre chose d'elle. Mais elle l’avait pris de court de A à Z.

Soudain en rage contre lui-même de s’être ainsi fait berner, il grogna et serra plus fort les poings, essayant de calmer son envie. Son égo venait d’en prendre un sacré coup, mais il avait compris la leçon. Il lui fallait lui aussi arrêter de rêver et revenir à la réalité. Sa réalité à lui, c'était Mindy. Mindy qui devait sûrement l'attendre au salon, avec le reste de la petite famille.



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Message par Jessica Mar 24 Jan - 13:20





« Jenna !
Ne reste pas là, entre !
— Merci, Liz. »

Cette dernière s'efface pour me laisser pénétrer dans son petit appartement. Élisabeth est somptueuse, comme toujours, drapée dans un lainage blanc qui lui va à ravir. J'ai soudain honte de lui présenter mon visage tiré et mes habits trop grands dans lesquels seul mon ventre rond pointe. Fut un temps où j'aurais sûrement fait quelque chose, mais aujourd'hui, je me sens surtout très lasse.

« Tu aurais dû me prévenir, je serais passée te prendre.
— Ce n'était pas la peine. Patrice m'a déposée. Il reviendra me chercher d'ici une petite heure. »

Nous traversons toutes deux, Élisabeth sur mes talons, le couloir aux couleurs crème. Elle me prend mon manteau qu'elle pend dans le dressing de l'entrée. Puis, au salon, Élisabeth m'invite à m'asseoir sur le divan.

Son appartement, quoique petit, est très douillet. Voilà déjà presque trois ans qu'elle s'est installée ici avec Connor. Je ne peux m'empêcher de ressentir une pointe de jalousie à ce bonheur que je n'ai plus. Pourtant, rien ne peut m'empêcher de me sentir toujours aussi à l'aise chez elle. Toujours plus à l'aise qu'en ma propre demeure.

« Comment vont tes parents ? » demande doucement Élisabeth.

Elle sait que le sujet est tabou. Depuis presque huit ans, ils étaient devenus un sujet épineux à n'aborder qu'occasionnellement. Aussi, quand Liz avait émis l'idée que je délaisse mon appartement pour retourner vivre un certain temps chez eux, elle m'avait parue des plus saugrenues. Pire encore, elle m'avait horripilée. Pourtant, je m'étais laissée convaincre, contre toute attente. Auparavant, j'aurais sûrement poussé des hurlements, refusé la proposition tout en bloc en lui disant poliment d'aller se faire voir ailleurs. C'était le genre de propos que je tenais avant. Mais c'était avant... Aujourd'hui, je ne suis plus que l'ombre de moi-même, ballotée çà et là au gré des désirs des uns, des autres.

Je sais que Liz est soulagée de me savoir avec eux. Elle craint pour ma santé. Et pour la santé du bébé. Comme tout le monde. Comme je déteste cette condescendance !

« Qu'ont-ils dit ? »
— Rien.
— Rien ?
— Je ne leur ai rien dit.
— Comment ça ? Ils n'ont posé aucune question ? »

Je secoue la tête par la négative avant de reporter mon attention sur la pièce. Les murs, toujours aussi blancs que lorsqu'ils ont emménagé, ont quelque chose d'apaisant, d'attractif.

« Et je suppose que tu n'as pris des nouvelles de personne ? murmure Élisabeth.
— Non...
— Tu sais, eux aussi se font du souci pour toi.
— Je sais. »

Je ne peux pas lui dire que ces huit ans nous ont tous changés. Que je ne peux pas oublier... Le groupe, c'est du passé, désormais. Je les ai sûrement beaucoup déçus, et je ne peux revenir quémander leur pardon. Pas après tout ça...

« Tu ne comptes pas reprendre contact, si je te suis bien. »

Il ne sert à rien de répondre. Élisabeth sait déjà ce qu'il en est. Pourtant, ça ne l'empêche pas de demander :

« Crois-tu vraiment que tu aies si peu compté pour eux pour agir de la sorte ? Réveille-toi Jenna, tu leur as beaucoup manqué ! Comment peux-tu tirer un trait sur les seuls amis que tu n’aies jamais eu ? Sur Alec ! »

Je sais que mon regard reste impénétrable, si bien qu'Élisabeth soupire de déception. À quoi bon, de toute manière ? Moi qui ne souhaite pas m'éterniser ici... S'il n'y avait pas eu ce petit bout, voilà longtemps que j'aurais mis un terme à ce cauchemar.

Pourtant, je ne peux me cacher plus longtemps la vérité : il me manque. Ils me manquent tous. Mais peut-être que ma maladresse m'empêche réellement de tenter une approche. Finalement, je demande, comme pour changer de sujet :

« Où est Connor ?
— Enfermé dans la chambre. Ça lui fera du bien de te voir. Attends, je vais le chercher.
— Non. Je viens avec toi. Aide-moi à me relever, s'il te plaît. »

Élisabeth s'exécute, et ensemble, nous nous redressons. Nous dépassons la cuisine américaine et empruntons l'étroit couloir menant du salon aux trois autres pièces de la maison. Nous dépassons les WC, la salle de bain et atteignons le bout du couloir.

Élisabeth toque doucement à la porte de la chambre.

« Chéri ? »

Comme il ne répond pas, elle entrouvre la porte. Une lumière feutrée d'un ton rouge s'échappe d'un lampadaire, dans le coin gauche. Cody, assis au bord du lit, sursaute. Tandis qu'il se dresse, je le vois reposer quelque chose dans une boîte en carton, au pied du lit.

« Jenna ! Je ne savais pas que tu viendrais.
— Ce n'était pas prévu, murmure Élisabeth. Elle vient récupérer ses affaires.
— Et prendre de vos nouvelles, ajouté-je. »

Connor est dans un état déplorable. Nous rivalisons tous deux de négligence. Le jeune homme a les traits tirés, les yeux cernés et rouges, comme s'il ne dormait plus non plus. Ses vêtements débraillés ne l'ont vraisemblablement pas quitté depuis plusieurs jours.

« Tu veux boire quelque chose ?
— Oh ! Quelle malpolie je suis. J'ai oublié de te le proposer.
— Ce n'est pas grave. Je n'ai pas soif, de toute manière.
— Viens ! Allons nous asseoir. »

Mais je ne veux pas retourner au salon, trop impersonnel. Ici, je sens flotter une essence, ancien bonheur connu. Cet espace plus confiné est à l'image de mes amis, et représente beaucoup pour moi.

Lentement, je pénètre dans la pièce et ramasse ce que Connor avait déposé dans le carton. C'est un cadre photo, dont je connais bien le sujet. En le serrant contre ma poitrine, je leur fais face.

« Qu'allez-vous en faire ?
— Je ne sais pas très bien, répond Connor. Je fais le tri. J'ai plein de vieilleries qui trainent. Je ne m'en étais jamais rendu compte. »

Connor se passe une main dans les cheveux, presque mal à l'aise.

« Est-ce que je peux le garder ?
— Jen, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi ?
— Jenna, intervient Élisabeth. Tu n'as pas besoin de ça en ce moment. Concentre-toi sur toi, sur ton bébé. Reprends un peu goût à la vie ! »

Elle n'a sûrement pas voulut être si brusque, pourtant, les mots me heurtent, et je sens des larmes incontrôlables envahir de nouveaux mes yeux. Ces larmes que j'ai si souvent tenté de contenir.

Je m'installe sur le lit, incapable de tenir plus longtemps sur mes jambes.

« Oh ! Jenna... Je suis désolée.
— Non, ne t'excuse pas... Je sais bien que vous avez raison. Qu'il faut que je m'y fasse. Que je passe à autre chose. Mais je n'y arrive pas. Pas encore ! Laissez-moi ça, s'il vous plaît ! C'est tout ce qu'il me reste... »

Les larmes se déversent inlassablement sur mes joues pâles. Élisabeth vient s'asseoir à mes côtés et me serre dans ses bras. Des gouttes d'eau viennent perler également à ses propres yeux, qu'elle réussit à contenir sous ses paupières.

Je réalise alors qu'on me présente une main. Je relève les yeux, le souffle court. Connor, debout face à moi, me tend sa main, m'invitant à la prendre. Après réflexion, c'est ce que je fais.

Ensemble, nous rejoignons le salon où il m'aide à m'installer. Puis il nous prépare trois tisanes qu'il sert sur la table basse.

« Que vas-tu faire, maintenant ? me demande-t-il en nous rejoignant sur le canapé.
— Je ne sais pas encore très bien. »

Tous mes projets sont partis en fumée. Je ne souhaite rien, ne veux rien faire. Je n'attends même rien de la vie. Ce bébé, je ne le veux pas non plus.

Un silence de plomb retombe entre nous, nous laissant chacun perplexe, tendu, à l'image de cette tension planant dans l'air. Finalement, on vient sonner à la porte. C'est Patrice.

Élisabeth l'invite à entrer. Il attrape le gros sac de randonnée que je n'ai pas quitté depuis huit ans qui croupissait chez Élisabeth depuis plusieurs semaines et le fait passer sur ses épaules.

« Jenna, murmure Élisabeth, ça nous ferait plaisir de te revoir bientôt. Passe à la maison quand tu veux. »

Je hoche la tête en silence, en signe de remerciement. J'avais déjà quitté l'appartement quand Élisabeth ajoute, d'un ton étrangement soucieux :

« Prends soin de toi, je t'en prie. »

Cette fois-ci, je n'acquiesce pas. Comment lui promettre une telle chose quand moi-même, je ne le désire pas ?

C'est le cadre serré contre mon cœur que j'entreprends la descente des marches. Patrice fait un pas vers moi, mais je le repousse sèchement. Je ne supporte pas la condescendance qu'on me porte depuis que je suis enceinte.

Installée côté passager dans la voiture de mon père, je réalise amèrement que j'aurais souhaité ne pas décevoir Élisabeth. Elle est ma dernière amie. La seule que je ne veux pas perdre. J'ai déjà perdu tellement ! Tous mes amis, partis les uns après les autres. Par ma faute... Je n'ai pas cherché à les retenir.

Pourtant, je ne regrette rien. Aucun de mes actes. Aucune de mes paroles. J'ai aimé cette vie que je me suis fait. Malgré leur absence. C'était ainsi que j'avais souhaité vivre : comme une fugitive.

Pourtant, Élisabeth est restée là. Pendant huit ans. Elle n'a pas vécu ma fuite comme une trahison. Au contraire. Elle m'a soutenue, tout en prenant régulièrement de mes nouvelles. Et c'est elle qui a, tout ce temps, fait l'intermédiaire entre mes parents et moi, les rassurant de mon absence. Aujourd'hui, je ne peux que lui en être reconnaissante.

Je ne veux pas la perdre.

D'autant plus qu'elle est ma dernière attache avec lui...



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Message par Jessica Mar 24 Jan - 13:27




Ryan contempla Jenna le cœur lourd, la gorge étrangement serrée. Au détour du couloir de l’étage, il était tombé nez à nez avec la jeune fille. Son sac de voyage était pendu à son épaule. Le jeune homme l’avait dévisagée, incrédule, alors que Jenna tentait de fuir son regard. Ses yeux rouges et gonflés peinaient à dissimuler sa tristesse. Le souffle court, elle passa son chemin, sans un mot, sans un regard.

Ryan la suivit lentement des yeux. Quand elle eut disparu au coin, il entendit ses pas dans l’escalier, puis des voix dans l’entrée. Enfin, la porte qui claquait.

Elle était partie.

Pourquoi ?

Sans un au revoir. Juste un regard lourd de sens. Une envie de tout plaquer. Elle l’avait laissé là, avec ses interrogations, dans ce sombre couloir. Elle l’avait laissé là, avec tous ses sentiments, infâmes, écœurants, qu’il regrettait.

Il s’était conduit en véritable imbécile.

L’eau coulait lentement sur son corps, comme pour le laver de sa colère, de ses doutes, de sa lâcheté. Quand il y pensait, il aurait pu simplement la retenir. Au lieu de quoi, il avait trouvé refuge dans la salle de bain. Une nouvelle fois. L’eau coulait sur lui, continuellement, noyant son chagrin sous des larmes brûlantes.

Pourquoi n’avait-il rien fait ? C’était pourtant son comportement qui l’avait fait fuir, il en était bien conscient. Son comportement exécrable des deux derniers jours. Comment avait-il osé ?

Jamais encore il n’avait ressenti un tel besoin de vengeance. Jamais il n’avait agi avec si peu de considération, écrasant les sentiments d’autrui… Ceux de Jenna, ceux de Mindy… Mais aussi les siens.

Il s’était servi de Mindy. Son corps était le refuge de sa bêtise. Il la touchait, l’embrassait, uniquement désireux d’heurter le cœur de Jenna. Il voulait la voir souffrir, venger son cœur meurtri d’avoir ainsi été rejeté.

Pourtant, il ne pouvait se pardonner son geste de la veille…

Gonflé par la jalousie, il n’avait pas supporté de la voir se trémousser dans les bras d’un autre, fût-il son meilleur ami. Elle dansait, collée contre Alec, dans une position bien plus éloquente que tout ce qu’il avait pu voir. Il éructait.

Jenna lui appartenait.

Cette pensée fit sursauter Ryan. Comment pouvait-il le croire avec une telle conviction ? Jenna l’avait ensorcelé, lui retournant cœur et cerveau.

Cette soirée d’anniversaire passée en boîte de nuit n’avait fait qu’exacerber sa colère, sa frustration. Il n’aurait jamais dû y aller.

C’était contre lui, avec lui, qu’elle aurait dû danser. Au lieu de quoi, c’était Mindy qui se trémoussait entre ses bras. Mindy qu’il avait attrapée sauvagement, embrassée à pleine bouche. Tandis que sous ses paupières closes, le sourire de Jenna flottait.

Il avait senti le regard de la jeune fille sur eux, en avait profité pour donner l’ultime coup, celui qui aurait dû la laisser pantoise, meurtrie. Mais elle l’avait ignoré. Trop facilement.

Son piège s’était refermé sur lui. Déstabilisé, il avait laissé Mindy l’embrasser, tentant d’apaiser sa frustration. Ce soir-là, dans son lit, il ne l’avait pas repoussée, tandis qu’elle lui pétrissait le corps, qu’elle le caressait jusque dans son intimité. Au vu et au su de tous. Il avait parfois laissé échapper un soupir de contentement.

Ryan se crispa sous l’eau bouillante et augmenta davantage la température. Chaque goutte d’eau était comme une morsure qui rougissait sa peau, en punition pour son comportement détestable.

Sa jalousie l’avait dévoré, et il en avait fait souffrir ses deux amies. Pour contenter son cœur. Mais rien n’y avait fait. Les brefs instants de plaisir vécu n’étaient parvenus à combler la blessure faite par l’absence de Jenna, ce qui l’avait finalement laissé plus frustré encore.

Ryan coupa enfin l’eau et sortit de sous la douche. Là, il resta de longues minutes nu devant son reflet embué renvoyé par le miroir, laissant son corps sécher à l’air libre. Là encore, son désir intense pour Jenna ne parvenait à s’estomper, et c’était contre Mindy que retombait sa colère, Mindy qui n’arrivait à le contenter.

Il n’était qu’un imbécile. Jamais encore il n’avait été si brusque, aussi violent, avec celle qui avait partagé ses jeux d’enfants. Elle lui était pourtant si précieuse ! Mais son mécontentement était tel qu’il en devenait incontrôlable, impulsif, et qu’il peinait à refréner ses élans de colère.

Avec rage, il enserra son sexe à pleine main et se soulagea. Pourquoi diable cette frustration ? Il se répugnait. Il s’en voulait de tant la désirer…


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Message par Jessica Mar 24 Jan - 13:31

C’était bien trop dur pour elle. Sans cesse, elle entendait roucouler Mindy, comme dans un souvenir. Et les râles de Ryan étaient comme des couteaux plantés dans son cœur. Il avait pris du plaisir aux caresses de Mindy, et cette pensée lui était intolérable.

C’était les larmes aux yeux qu’elle avait demandé la permission de rentrer quelques jours chez elle. Le manque de place avait favorisé la réponse positive de Laurence.

Son sac sur l’épaule, elle courait presque dans la rue, tentant de mettre davantage de distance entre ce couple au bonheur insupportable et son cœur déchiré.

Les larmes coulaient inlassablement le long de ses joues fraîches, dont les couleurs blafardes lui donnaient un aspect maladif.

Alec l’avait accueilli à bras ouverts, épongeant les larmes sur sa chemise neuve. Il ne lui avait rien demandé, lui proposant simplement une présence réconfortante.

Jenna pleura longtemps, incapable de mettre un mot sur cette douleur qui lui semblait insurmontable. À bout de force, elle s’était endormie toujours dans les bras de son ami.

Jamais Alec n’avait été aussi tendre avec elle. La nuit durant, il l’avait gardée contre lui, et pas un seul instant ils n’avaient rompu leur étreinte. Ses mains l’avaient parcourue lentement, apaisantes, la berçant tendrement.

Ce contact était loin d’être désagréable, et Jenna aurait, du plus profond de son songe, donné n’importe quoi pour que cette nuit ne s’arrête jamais. C’était ici qu’elle aurait dû finir ses jours. Dans les bras de son ami.

Alec avait mis longtemps à s’endormir, enivré par l’odeur de la jeune fille, bercé par le son de sa respiration. Et c’était un lit vide qu’il avait trouvé au réveil. Jenna avait pris la fuite, lui laissant simplement un souvenir doux amer, et une étrange sensation dans le bas-ventre.

**

Lorsque Jenna rentra chez elle, elle vida l’intégralité de son sac de voyage pour le remplir presque aussitôt de vêtements propres, d’une trousse de secours et d’une paire de basket. Autour de sa taille, cachée sous son tee-shirt, elle sangla une petite banane discrète dans laquelle était rangé l’ensemble de sa fortune : environ mille euros, économisés des quelques heures de baby-sitting effectuées depuis ses quinze ans, de son argent de poche et de ses cadeaux de Noël et anniversaire.

Les murs de sa chambre lui semblaient oppressants, lourds de souvenirs qu’elle aurait voulu oublier. Et pourtant, c’était avec difficulté qu’elle leur disait adieu.

Sur sa commode trônaient les quelques photographies qui constituaient sa vie. Pourtant, elle ne souhaitait pas les prendre. Le faire aurait témoigné de sa faiblesse.

Son cœur n’était qu’un amas d’amertume, une énorme boule de regrets : celui de n’avoir jamais su comprendre et être comprise de sa mère ; d’avoir vécu sa vie uniquement à travers celle d’Alec ; celui de n’avoir jamais pu tomber amoureuse… Cette vie, qu’elle voulait fuir, ne lui souriait plus depuis bien trop longtemps. Il était temps d’en changer, d’arrêter de la subir et d’enfin se reprendre en main.

Partir était inconsidéré. Pourtant, elle en ressentait le besoin du plus profond de son être. Qui se préoccuperait de son absence ? Le temps que ses parents rentrent de voyage, plus d’une semaine se serait écoulée. Avec cette avance, elle pourrait être n’importe où ! Tout valait mieux qu’ici.

En silence, elle referma la porte, bien décidée à laisser le passé derrière elle.

En passant devant le miroir dans l’entrée, elle ne put s’empêcher de dévisager cette parfaite étrangère, qui pourtant la fixait de ce même regard intense qui lui était propre. Cette jeune fille au visage pâle, aux yeux gonflés et rouges d’avoir tant pleuré. Les larmes ne coulaient plus désormais. Elles avaient bien trop coulé la veille.

Jenna ne voulut pas s’éterniser sur son piteux reflet. Avec indifférence, elle attrapa son sac dont elle passa la lanière sur son épaule. Puis elle empoigna son trousseau de clés.

Elle avait la main sur la poignée de porte quand une petite bête se frotta contre sa jambe dans un miaulement d’affamé. Caramel, en mal de câlins, ronronnait contre son jean. Jenna le contempla tristement. Elle avait oublié Caramel. Qui le nourrirait ?

Elle ne pouvait pas partir. Et puis, pour aller où ?

Son sac s’écrasa lourdement sur le sol et, dépitée, les épaules tombantes, elle s’effondra. Tapie dans l’angle du couloir, elle demeura interdite, pleurant silencieusement.



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Message par Jessica Mer 25 Jan - 12:04



Nous sommes fin janvier et la température extérieure avoisine zéro. Les jours se confondent presque. Il ne me reste plus qu’un mois et demi. Un mois à supporter ce petit être dans mon giron qui me fend régulièrement de coups de pied. Voilà quelques jours qu’il se fait de plus en plus violent. La douleur provoquée parvient, durant de brèves secondes, à me faire oublier le reste : ma solitude ; ma présence ici, dans cette maison où je pensais ne jamais remettre les pieds…

Comme toujours, je suis installée sur la chaise à bascule qui fait face à la fenêtre. Depuis le premier jour, je n’ai plus quitté cette place. Le temps me paraît alors en suspens, tandis que je contemple fixement les rares feuilles s’agiter sous les assauts du vent ; les gouttes de pluie fendre la vitre, tandis que leurs longues traînées m’envoûtent...

Entre mes doigts crispés, je tiens la photographie, qui repose contre mon cœur. Sa présence est comme un réconfort à ma solitude. Les larmes ont enfin cessé de couler, voilà longtemps maintenant. Seul, il ne reste que ce vide en moi. Ce vide qui me laisse soudain si lasse, dans un état de pure léthargie ; alourdie par le poids du désespoir.

Assise des heures durant, je ne vois pas le temps filer, tandis que la douleur gagne lentement mes reins.

« Jenna… »

Je n’ai pas entendu la porte s’ouvrir, ni le raclement de gorge de Sibylle. Je n’ai pas vu également le halo de lumière qui éclaire le mur en face de moi.

Cette femme – ma mère – est là, dans mon dos, mais je ne me retourne pas.

« Je t’ai apporté de quoi manger. »

Elle dépose sur le lit un plateau auquel je ne toucherai pas. Je l’entends dodiner d’un pied sur l’autre, mal à l’aise. Elle cherche à me dire quelque chose qui ne franchit pas la barrière de ses lèvres. Le fossé qui s’est creusé entre nous durant ces années ne s’est pas brisé et nous sommes encore si loin !

Après quelques longues minutes, elle dépose sa main, frêle et tremblante, sur mon épaule.

« Jenna, il faudrait que tu sortes un peu… Que tu prennes l’air. »

A quoi bon ? Je suis bien, assise seule dans cette pièce plongée dans la pénombre. Je n’ai envie de rien, sinon laisser le temps passer, et ne pas le rattraper.

« Pourquoi n’irais-tu pas le voir ? Cela fait longtemps que vous ne vous êtes pas parlé… Vous étiez si proches, avant. Que s’est-il passé ? »

Toi qui ne t’es jamais préoccupée de moi, veux-tu réellement savoir ? Neuf ans se sont écoulés depuis ce fameux jour, et ce n’est que maintenant que tu prends la peine de t’en soucier. Qui es-tu donc pour me dire comment mener ma vie ? Tu n’es plus aussi crainte qu’avant. Toi qui étais droite et autoritaire, tu n’es plus aujourd’hui que l’ombre de toi-même. Je ne suis pas la seule à plaindre.

Sibylle, que le malaise reprend, rebrousse chemin et quitte la chambre. Le poids des années pèse sur nous, et cela semble désormais infranchissable.

La pièce est de nouveau plongée dans la pénombre. Je m’y complais, préférant de loin me cacher ici que d’affronter le monde au grand jour.

Avec difficulté, je me relève, mes jambes assurant mal mon équilibre. Je contourne la chaise et rejoint la commode près de la porte. Là, j’y dépose, face cachée, le cadre que je tenais toujours étroitement serré entre mes doigts. Mes phalanges me font mal.

Je parcours des yeux les autres photographies. Mes doigts viennent machinalement caresser le visage d’Alec. Nous qui pensions rester ensemble jusqu’à la fin, que nous est-il arrivé ? Alec… J’aurais tellement aimé que les choses soient différentes.



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Message par Jessica Mer 25 Jan - 12:09

L’air était frisquet en ce dernier jour de l’an. D’ici quelques minutes, le clairon sonnerait la fin de l’année 2001. Au-dehors, des passants hurlaient, d’autres riaient. Des automobilistes klaxonnaient comme pour un mariage. Tout le monde avait le cœur en joie. Tout le monde hormis Jenna, dont le cœur était empli d’un profond sentiment de solitude.

Depuis deux jours qu’elle était rentrée, elle se sentait complètement à bout de force. Ses larmes coulaient à flot régulièrement, l’épuisant physiquement et moralement. Pour tromper sa tristesse, elle avait laissé les images télévisées l’absorber totalement, l’abrutir réellement. Parfois encore, elle prenait un livre, qu’elle dévorait d’une traite, s’empêchant ainsi de penser clairement.

Incapable de trouver le sommeil, elle lisait jusqu’à épuisement, emmitouflée dans sa couverture.

A ses pieds, Caramel dormait en boule, ronronnant faiblement. Ce simple son la berçait lentement. Malgré tout, Jenna voyait défiler les secondes.

Pour la énième fois, elle posa ses yeux sur le radioréveil. Il était presque minuit. Dans deux petites minutes, les feux d’artifice retentiraient, illuminant le ciel de ses teintes multicolores.

Jenna n’était pas d’humeur festive. Et c’était bien la première année qu’elle passerait le Nouvel An seule. D’habitude, réfugiée dans les bras d’Alec, elle contemplait les festivités de la chambre de son meilleur ami. Aujourd’hui, elle ne souhaitait plus qu’une chose : qu’on en finisse vite, et qu’elle puisse se morfondre de cette nouvelle année qui commençait aussi mal que l’autre finissait.

Elle avait adapté sa lecture à son chagrin et lisait, d’une traite, les trois premiers volumes de la Bicyclette Bleue. Tous ces cœurs solitaires mourant au front lui faisaient oublier son propre chagrin, sa propre perte.

Plongée dans sa lecture, elle n’entendit pas la grille s’ouvrir, ni les coups frappés à la porte. Seul le feu d’artifice rompit sa concentration. Puis les coups se firent plus insistants, la secouant.

Aussi lourde qu’une enclume, Jenna se redressa. Un court instant, la tête lui tourna et elle chancela, instable sur ses jambes. Sortir de sous la couette était un véritable supplice et elle se demanda qui pouvait bien la déranger, à minuit passé.

Lentement, elle marcha jusqu’à l’entrée. Sans regarder à travers le vasistas, elle entrebâilla la porte. De surprise, elle sursauta presque et ses doigts se crispèrent davantage sur la poignée.

— Ryan ? Que…

Les mots s’étranglèrent dans sa gorge, si bien qu’elle ne put terminer sa phrase.

Le jeune homme la contemplait le regard sombre, intense, le visage impénétrable. Jenna sentit son cœur se serrer. Que lui voulait-il ? Savourer de la voir ainsi souffrir ? Et pourtant, malgré leurs différends, elle eut envie d’esquisser un geste vers lui, de lui sourire.

Ryan avait prévu une phrase de circonstance. Mais il demeura silencieux, incapable d’articuler le moindre mot. Plus rien n’avait d’importance, hormis cette jeune fille complètement débraillée. Elle avait les cheveux tirés en un chignon bancal, portait sur le dos un survêtement de sport et gardait un regard triste aux yeux gonflés et rouges. Et pourtant, elle ne lui avait jamais semblée aussi belle.

Il percevait dans son regard toutes les questions qu’elle ne posait pas. Que lui répondre ? Qu’il était venu sur un coup de tête, incapable de supporter son absence ? Ou bien encore qu’il en était malade à l’idée de penser à son proche départ ? Cette séparation lui retournait l’estomac, lui coupant l’appétit. Depuis qu’elle avait quitté la maison d’Élisabeth, deux jours plus tôt, il était morose, sombre, et irritable.

Jenna attendait toujours une explication qui ne venait pas. Il ne pouvait parler. Comme elle, les mots restaient coincés dans sa gorge. Il la détailla avec plus d’attention encore, souhaitant graver dans sa mémoire les traits de celle qu’il ne voulait quitter. De ses cheveux châtains aux reflets légèrement dorés et aux boucles en bataille ; de la couleur verte de ses iris, piquetées de tons bleutés ; des dizaines de tâches de rousseurs claires qui parsemaient ses joues et son nez, si claires qu’il ne les avait pas de suite remarquées ; de cette petite fossette qui se creusait au-dessus de son sourcil gauche lorsqu’elle était contrariée, ou de celle, surplombant le coin de ses lèvres lorsqu’elle souriait… Il voulait se souvenir du moindre petit détail, même le plus insignifiant.

Ryan remarqua alors son sac de voyage dans un coin de la pièce, fermé, rempli. Que faisait-il là ? Comptait-elle aller quelque part ? Non, elle n’en avait pas le droit.

Ryan franchit d’un pas l’espace qui les séparait, attrapa le livre qu’elle tenait en main et l’envoya valser par-dessus la tête de Jenna. Puis, avec fougue, avec force, il la plaqua contre lui, l’embrassant à pleine bouche. Il ne voulait pas qu’elle parte. Il ne voulait pas partir.

Le cœur de Jenna se souleva. Un mélange de bonheur et de peine l’envahit. Le bonheur de le sentir de nouveau contre elle. Mais la peine de devoir le repousser… Des larmes envahirent lentement ses yeux, qu’elle contint le plus difficilement du monde à travers ses paupières closes. Elle utilisa le peu de courage qui lui restait pour le repousser faiblement, mais fermement.

— Qu’est-ce que tu fais ? Va-t’en, je t’en prie…

Sa voix était brisée. Ryan en eut mal au cœur. Pourquoi fallait-il qu’il la fasse tant souffrir, alors qu’il ne souhaitait que la chérir ? Les larmes qu’elle retenait péniblement l’achevèrent.

— Je ne peux pas… souffla Ryan.

On aurait dit que ce refus lui était tout autant pénible à prononcer qu’il devait l’être à Jenna de l’entendre.

Pourquoi ? s’emporta-t-elle. Que fais-tu là ?

Ryan demeura silencieux, incapable de répondre à cette simple question. Ses yeux se perdirent dans la contemplation du papier mural, alors que sa main se perdait dans ses cheveux.

— Ryan ! Qu’attends-tu de moi ?

Jenna commençait à perdre patience. Il reporta donc son attention sur elle, et murmura, en haussant les épaules.

— Je ne sais pas.
— Comment ça, tu ne sais pas ?

Il la contempla intensément, fixement. Jenna se sentait noyée dans son regard. Elle réalisa qu’il voulait dire quelque chose, mais les mots restaient coincés, encore. Il finit par refermer la bouche, résigné.

Ryan… va-t’en, s’il te plaît.
Ne me demande pas ça.
— Tu n’as pas le droit de me faire subir ça.
— Toi non plus ! Te quitter, c’est… C’est au-dessus de mes forces. Regarde ce que tu as fait de moi ! Je tourne en rond, je suis exécrable, irritable. Je déteste ce que je vois ! Ne me retire pas le peu que tu me donnes, Jen. On ne se verra plus ! C’est insupportable ! Laisse-moi juste cette nuit…

Ces mots, loin de la ravir, lui arrachèrent de nouvelles larmes.

— A quoi bon ?
— C’est vraiment ce que tu désires ?

Jenna inspira profondément, tentant d’empêcher ses larmes de couler sur ses joues pâles. Elle serra les lèvres, se mordant la langue pour calmer le tremblement de son menton. Puis, faiblement, elle acquiesça de la tête, d’un mouvement si minime qu’il était presque invisible.

— Mais merde, Jen ! Regarde dans quel état tu te mets !
— Ryan, tu veux me faire plaisir ? Oublie-moi…

Le tremblement de sa voix arracha un cri au jeune homme, qu’il ne put étouffer. Incapable de le contempler plus longuement, Jenna baissa la tête. Ses larmes se répandirent enfin sur ses joues, qu’elle tenta de cacher.

Ne pouvant tenir davantage, Ryan l’embrassa de nouveau, de tout son cœur, de toute son âme. Parler n’avait jamais été facile. Lui faire comprendre ses sentiments par les gestes était beaucoup plus simple pour lui. Mais encore fallait-il qu’elle accepte de les entendre.

Jenna sentit son cœur exploser, et les larmes couler à flot. Elle ne pouvait plus lutter contre lui. Elle avait utilisé ses dernières ressources. Lui dire de partir était chaque fois plus déchirant encore, et son cœur ne le supportait plus. Elle le voulait. Elle le voulait tellement !

Ryan sentit les larmes de Jenna humidifier ses propres joues. Ça lui était si pénible ! Il aurait souhaité la rassurer, faire cesser ses cris silencieux. Mais comment le pouvait-il ? Lui-même ne supportait plus cette situation. Il était fou. Fou d’elle. La raison n’avait plus sa place dans sa tête, seul comptait son cœur battant la chamade pour une inconnue.

Il était prêt à envoyer valser son passé, tout oublier, pourvu que ce soit pour elle ! Mais comment le lui faire comprendre ?

Ryan sentait peser contre lui la poitrine de Jenna, sous laquelle son cœur battait rapidement. Ce contact exacerba son désir, qu’il ne contrôlait que par la pensée de la souffrance qu’il lui infligerait. Et malgré cette certitude, il ne pouvait cesser cette étreinte.

Le contact de ses lèvres douces, chaudes et humides de salive et de larmes, le remplissait tout à la fois de bonheur et d’effroi. Elles étaient telle une porte ouverte sur une potentielle promesse future. Et malgré leur cœur déchiré, ils se livrèrent tous deux à leur passion, s’embrassant avec force, presque rageusement, fiévreusement, avec un appétit insatiable. Et toujours, cette épée de Damoclès au-dessus d’eux, qui comptait les secondes jusqu’au terme. Ils n’avaient plus que quelques heures à passer ensemble, ils le savaient. Cette nuit était la dernière que Ryan demanderait, le dernier caprice qu’il lui imposerait. Mais cette nuit lui paraissait déjà beaucoup trop courte. Il aurait aimé faire cesser le temps, ne plus jamais rompre ce baiser. Car dans ses bras, il se sentait enfin chez lui.

Incapable de résister plus longtemps, Jenna avait laissé libre court à ses propres désirs. Elle ne pleurait plus, désormais. S’il ne fallait qu’il n’y ait qu’une seule nuit, elle était enfin décidée à en profiter. Malgré la présence de Mindy qui flottait au-dessus de leur tête, les rappelant sans cesse à leur terrible trahison. Elle passa ses bras autour du cou de Ryan, qu’elle serra davantage contre elle. Elle sentit bientôt les mains du jeune homme au creux de ses reins qui la maintenaient fermement, comme pour l’empêcher de fuir.

Leurs deux bouches se séparèrent un bref instant, le temps de reprendre respiration. Mais c’était pour mieux se retrouver, s’entrechoquer presque dans leur empressement, dans leur insatisfaction. Et la tristesse laissa bientôt place à un désir plus intense, exacerbé par leur prochaine séparation.

Jenna ressentit brusquement son dos choquer contre la surface dure du mur. Mais ce coup, loin de la faire souffrir, attisait plus encore son désir. Ryan, pressé contre elle, la maintenait prisonnière de son corps. Elle sentait le tissu tendu de son jean
appuyer contre son ventre. Et elle eut soudain l'envie, le besoin, qu'il la prenne tout de suite, maintenant, qu'il lui fasse l’amour. S’il ne devait y en avoir qu’un, elle voulait que ce soit lui.

À bout de souffle, Jenna s'écarta doucement, mais Ryan revenait déjà à l'assaut de ses joues, de son cou. Des baisers qui la firent frissonner. Elle aurait souhaité que jamais cela ne prenne fin. Ryan, qui la maintenait maintenant par les fesses, la souleva soudain de terre. Elle noua ses jambes autour de sa taille, lui offrant son cou.

Se cognant contre les murs, ils trouvèrent difficilement la porte de la chambre que Ryan ouvrit péniblement, et qu’il referma d’un coup de pied. Jenna passa son sweet-shirt par-dessus sa tête, dévoilant une fine brassière noire. Bouche contre bouche, Ryan la déposa sur son lit, se débarrassa de ses baskets et trouva place entre ses jambes. En appui sur ses avant-bras pour ne pas peser de tout son poids sur elle, il la couvrait littéralement de baisers. Jenna haletait, sentant son cœur près d’exploser. Jamais elle n’avait été si excitée, si enjouée. Et jamais elle n’avait senti son cœur battre aussi rapidement dans sa poitrine. Elle était en feu. Et ne souhaitait plus qu’une chose.

— Fais-moi l’amour…

Elle l’avait murmuré au creux de son oreille, et Ryan sentit un frisson de ravissement le parcourir. Pourtant, il la fixa avec intensité, souhaitant sûrement s’assurer que c’était là ce qu’elle désirait réellement. Ils se contemplèrent en silence, les yeux voilés par la passion.

N’y tenant plus, Jenna l’attira de nouveau à lui, et embrassa chaque parcelle de peau, ses lèvres, ses joues, son cou, ses oreilles. Ryan la voulait.

Il lui souleva la tête et, d’un geste rapide, lui retira son élastique, faisant cascader ses boucles cuivrées tout autour de son visage. Puis il se releva et, debout sous le regard brûlant de Jenna, il entreprit de se déshabiller. Il enleva d’abord son gilet de laine, puis sa chemise et son marcel. Enfin, il déboucla sa ceinture et déboutonna son jean.

Jenna, qui trouvait le temps long, se redressa à son tour et rabaissa le jean de Ryan sur ses chevilles. Bientôt, il fut presque nu devant elle, avec pour seul vêtement un caleçon noir qu’elle brûlait de lui retirer. Mais au lieu de quoi, elle l’embrassa de nouveau, ne supportant pas cette distance. Elle voulait le sentir contre elle, sur elle, en elle. Toujours plus proche.

Ryan s’attaqua enfin à ses propres vêtements. Rapidement, il lui ôta son bas de survêtements. Là, en sous-vêtements, il la contempla. Pour la première fois, elle était réellement à lui, corps et âme. Et ce qu’il avait sous les yeux l’enchantait plus encore, accentuant son désir, augmentant son rythme cardiaque. Il l’avait enfin à lui, ce corps qu’il désirait depuis le tout début, cette fille qui lui était jusque-là inaccessible.

De nouveau, ils s’embrassèrent, avec toujours plus de fougue, souhaitant mettre à bas toutes les barrières qui les séparaient encore. Ryan se frotta à Jenna, qu’il serrait fort entre ses bras. Elle sentait entre ses jambes le sexe dur de Ryan peser contre elle. Et, inconsciemment, elle se tendit vers lui, s’arquant comme pour mieux être possédée.

Les doigts de Ryan la parcouraient, effleurant sa peau, lui arrachant des frissons. Jamais encore on ne l’avait caressée aussi intimement, et c’était loin d’être désagréable.

Voilà dix jours que Ryan en rêvait. Et il ne parvenait à réaliser qu’elle allait s’offrir à lui. Elle qui l’avait si durement rejeté, combattant avec hargne ses propres sentiments. Et pourtant, elle était là, prête – enfin – pour lui.

— Je ne peux pas faire ça… murmura soudain Ryan avant de se redresser légèrement.
— Quoi ?
— Je ne peux pas… pas comme ça. Ce n’est pas de ça dont j’ai envie.

Ses yeux, plongés dans ceux de Jenna, pouvaient y lire une profonde détresse. Mais vite, Jenna le repoussa et plaqua son poing contre ses yeux fermés. Il la rejetait. Pourquoi ? Pourquoi maintenant alors qu’elle acceptait enfin ses sentiments ? Elle eut soudain l’impression qu’on lui arrachait le cœur, et, étrangement, l’air pénétra difficilement dans ses poumons. Les larmes envahirent de nouveau ses yeux et coulèrent sous ses paupières closes.

— Jenna…

Ryan tenta de l’approcher, mais elle le repoussa. Jenna savait que retenir sa respiration serait le seul moyen d’étouffer cette crise de larmes qu’elle sentait monter. Il ne fallait pas qu’elle craque, pas devant lui. Alors, elle retint son souffle, souhaitant ainsi faire taire sa détresse. Il fallait qu’elle se calme, qu’elle s’empêche de souffrir.

— Jenna !

Ryan l’attrapa par le poignet et la serra fort contre lui. Elle eut beau se débattre, il tint prise fermement. Et son cœur se brisa lorsqu’elle reprit son souffle dans un cri déchirant. Son corps tout entier fut ensuite parcourut de tremblements, alors qu’elle sanglotait entre ses bras.

— Je ne veux pas que tu partes…

Elle avait prononcé ces mots faiblement, entre deux sanglots, sans reprendre son souffle. Ryan fut d’abord étonné de les entendre. Pour cacher sa propre souffrance, il enfouit son visage dans le cou de Jenna, qui referma ses bras autour de ses épaules.

Ils restèrent ainsi longtemps, laissant s’épuiser les larmes, les cœurs. Lorsque Jenna se fut calmée, il s’écarta légèrement, s’allongeant à ses côtés. Face à face, ils se contemplèrent en silence. Ryan laissait courir ses doigts sur le visage de Jenna, essuyant les quelques gouttes d’eau qui n’avaient pas encore séché. Jenna baissa les yeux, incapable de soutenir davantage son regard.

Alors, doucement, il l’embrassa, la laissant perplexe, dans l’incompréhension la plus totale.

— Ryan… qu’es-tu venu faire ici, réellement ?
— Je ne sais pas trop… Mais ce n’était pas ça que je voulais. Si nous l’avions fait… Je ne veux pas te souiller, Jenna. Je suis venu parce que tu me manquais. Pas ton corps. Toi, seulement toi.

Ryan se releva, récupéra son jean, son tee-shirt, et se rhabilla.

— Reste avec moi… supplia Jenna à mi-voix.
— Je ne comptais pas partir. À moins que tu me mettes dehors… Ne me tente pas, s’il te plaît, souffla-t-il en lui rendant également ses vêtements.

En silence, elle se rhabilla. Et là, assis face à face, ils se contemplèrent quelques minutes, avant qu’il ne demande soudain :

— Où voulais-tu aller ?

Jenna comprit qu’il faisait allusion à son sac de voyage, resté dans l’entrée. Elle n’avait pas eu la force de le défaire, souhaitant, de le voir près de la porte, y trouver le courage de fuir. Mais elle n’y était pas parvenue.

— Je ne sais pas... Loin…
— Pourquoi fuir ?

Jenna demeura silencieuse, le regard fuyant, trop honteuse pour avouer que c’était en partie de sa faute. Ryan réalisa qu’elle agissait exactement comme lui. Quand une question trop personnelle le dérangeait, il n’y répondait tout bonnement pas.

— Je pense que si je devais aller quelque part, avoua soudain Jenna, ce serait dans le Sud… Cela fait très longtemps que je n’ai pas vu la mer... Tu sais, j’ai une tante qui vit à Nice. J’aimerais… je ne sais pas, simplement me poser sur le sable, contempler l’horizon, me laisser bercer par la brise et le son des vagues…

Ryan se l’imaginait parfaitement, seule face à la mer. Et pourtant, dans son songe, il aurait souhaité être à ses côtés. Lui qui vivait à proximité de l’océan savait que si Jenna le suivait, elle pourrait s’y rendre autant qu’elle le désirerait.

Mais comme tout songe, c’était un rêve vain, qu’il n’était pas en droit de formuler. Après ce qu’ils avaient fait, comment pouvait-il se croire en droit d’avoir ce qu’il souhaitait au plus profond de son cœur ? En toute conscience, il savait que ses actes blesseraient Mindy. Ne pouvoir être avec Jenna était sa punition.

Jenna… Pourquoi es-tu partie si précipitamment ? Je n’ai même pas eu le droit de te dire au revoir… Tu ne m’as pas laissé le temps de me faire à l’idée que jamais plus je ne te verrais.
C’était beaucoup trop difficile pour moi. S’il avait fallu que nous discutions, je me serais dégonflée.
Pourquoi ?
Tu le sais très bien, voyons.
Je m’excuse, Jenna… J’étais énervé. Tu m’as mis hors de moi à jouer ainsi avec mes sentiments !
Je ne jouais pas, Ryan. Je n’ai jamais joué avec toi.
Alors, pourquoi ?

Jenna plongea son regard clair mais profond dans celui de Ryan.

Que ce serait-il passé ensuite ? Ce que nous avons fait, c’était de l’inconscience. Ryan, Mindy t’attendait au salon, avec le reste de la famille. Notre absence n’est pas passée inaperçue… Si je t’avais donné ce que tu voulais, que serait-il arrivé ensuite ? Tu sais tout comme moi que j’en aurais beaucoup plus souffert que toi. Ryan, tu as Mindy, tu ne peux pas faire n’importe quoi.
Si suivre mon cœur signifie pour toi faire n’importe quoi, alors oui, je plaide coupable.
Je t’en prie, tais-toi, tu ne sais pas de quoi tu parles.
C’est ce que tu souhaiterais… Jenna, j’ai connu tout un tas de filles, j’ai fait des choses que tu ne peux imaginer, des choses dont j’ai honte aujourd’hui. Mais je peux t’assurer que pas une seule n’était aussi importante, à mes yeux, que Mindy. Et pourtant, ce que je ressens aujourd’hui pour toi est différent de tout ce que j’ai connu. Plus intense… Je n’ai jamais été aussi sérieux.

Loin de la ravir, ces mots lui arrachèrent de nouvelles larmes, qu’elle maintint emprisonnées sous ses paupières. Honteuse, elle avait détourné les yeux. Comment pouvait-elle prendre plaisir à les entendre quand cela se faisait au détriment de Mindy ? Il la trahissait. Ils la trahissaient tous les deux.

Qu’on soit bien clairs, Ryan. Je n’ai aucune sympathie pour Mindy. Elle est antipathique et extrêmement égoïste. Mais elle est ce qu’elle est, et elle compte pour toi. Je ne veux pas la faire souffrir.
J’aimerais tellement que les choses soient différentes…

Surprise, Jenna redressa la tête.

— Oui, j’aurais aimé que nous puissions être ensemble.
— Moi aussi…
— Jenna, et si je te promettais de revenir ? M’attendrais-tu ? Voudrais-tu encore de moi ?
— Ne me fais pas de promesse que tu ne pourras tenir, Ryan. Tu sais très bien que tu ne reviendras peut-être jamais.
— Je ne fais jamais de fausses promesses.
— Et puis quoi ? Tu me demandes de t’attendre ? Dans quel but ? Ni toi, ni moi, ne savons si tu reviendras. Et quoi qu’il arrive, il y aura toujours cet immense océan entre nous… et cette fille magnifique.
— Cesse de penser à Mindy. Il ne s’agit pas d’elle, mais de toi et moi.
— Et pourtant, c’est elle que tu embrasseras, à elle que tu feras l’amour !
— C’est à toi que je veux faire l’amour ! A personne d’autre ! Alors, je t’interdis de m’imaginer avec qui que ce soit ! M’attendras-tu ?
— Ryan, non… Arrête de parler d’avenir. Il n’y a pas d’avenir. Il n’y a que le présent. Toi et moi, maintenant. Pour cette dernière nuit. Alors, je t’en prie, tais-toi.

Comment pouvait-il lui faire entendre raison ? Jenna demeurait obstinément fermée à ses paroles. Il se résigna donc et lui ouvrit ses bras. Blottis l’un contre l’autre, ils se réfugièrent sous la couette.

Ryan sentait son cœur se briser… Il savait qu'elle ne viendrait pas lui dire adieu. Cette nuit était celle de leurs adieux. La dernière fois qu'ils se voyaient. La dernière fois qu'il la touchait, qu'il l'embrassait. Ils reprendraient tous deux leur vie d’avant, et elle ignorerait toujours l’impact qu’elle avait eu sur lui.

Jenna dévisageait Ryan inlassablement, essayant de graver à jamais dans sa mémoire les traits de son visage, son nez droit, ses sourcils épais, ses yeux clairs et profonds, noyés par de longs cils noirs, sa peau basanée, les deux fossettes qui se creusaient dans ses joues, ses lèvres pleines... Elle détailla ensuite son cou, large, dont une énorme veine palpitait à la surface. Ses trapèzes qu'on devinait sous le tee-shirt, ses épaules larges, ses bras puissants aux veines saillantes, ses larges mains, ses hanches étroites... tout ce que sa mémoire pouvait enregistrer. Elle aurait même souhaité en voir davantage, le voir en entier, tel qu'il était en tenue d'Adam, tel qu'il devait être le plus beau. Pourtant, elle se fit violence pour chasser ses idées loin de sa tête. Ce qui était d'autant plus difficile qu'elle sentait le désir qu'il avait de la posséder, de s'assouvir.

Ce n'était que physique, ne cessait-elle de se répéter. Pas de sentiments dans cette histoire. Juste son corps qui l'attirait, comme un appel aux baisers, aux caresses. Rien de plus.

C'était difficile de s'en convaincre. Elle aimait la manière d'être de Ryan. Cette solitude qu'il dégageait, cette indépendance, cette manière de toujours garder pour lui ce qu'il pensait, ressentait... Le fait que dans ses bras, elle se sentait en sécurité.

Ce n'était que physique. Il fallait que ce ne soit que cela. Dans quelques heures, ils se sépareraient, et ce, définitivement. Elle ne le reverrait plus. C'était comme une promesse. Et lui parti, elle reprendrait sa vie là où elle l'avait laissée, comme si rien n'avait eu lieu. Comme s'il n'avait jamais existé. Il en ferait de même.


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Le temps d'un hiver Empty Partie 17

Message par Jessica Ven 27 Jan - 13:31

Jenna ne se rappelait pas s’être endormie. Pourtant, ce fut la porte d’entrée qu’on claquait qui la réveilla. Dans l’incompréhension la plus totale, elle ouvrit les yeux. A ses côtés, Ryan dormait paisiblement. Elle entendit alors des paroles étouffées, les voix de ses parents.

— Oh, ce n’est pas vrai ! Ryan, réveille-toi !

Jenna le secoua.

— Allez, Ryan, ouvre les yeux !

Au moment où elle sortait du lit, la porte s’ouvrit et Sibylle actionna l’interrupteur. La lumière jaillit, aveuglant presque Jenna.

— Maman !

La femme qui la contemplait, le regard sévère, avait le teint légèrement halé. Ses cheveux châtains clairs étaient coupés court, et elle portait à bout de bras un sac et un gilet.

— Jenna ? Que…

C’est alors qu’elle dévisagea Ryan, qui était en train de rassembler ses affaires.

— Que fait-il ici ?
— Maman !
— Tais-toi, Jenna ! Je ne veux pas entendre de fausses excuses ! Tu n’avais pas à être à la maison, et encore moins à y ramener un inconnu !

Puis, s’adressant à Ryan :

— Sortez tout de suite de cette maison !
— Maman…

Une fois encore, Sibylle lui coupa la parole.

— Jenna, tu me déçois beaucoup ! Notre absence n’était pas prétexte à jouer les « Marie couche-toi là » ! Ce n’est pas comme ça que je t’ai élevée !
— Tu es injuste, là.
— Je suis injuste ? Et que fait ce garçon dans ta chambre, à six heures du matin ?

Jenna demeura silencieuse, incapable de trouver le moyen de se faire entendre.

— Sortez ! répéta Sibylle.

Elle attrapa Ryan par le bras et le reconduisit jusqu’à la porte d’entrée, Jenna sur leurs talons.

— Maman, arrête ! Ryan !
— S’il vous plaît, Madame… murmura le jeune homme. Ce n’est pas ce que vous croyez.
— Je me fiche de ce que vous avez à me dire. Dehors !
— Laissez-moi au moins…
— Sortez immédiatement !

Ryan se retrouva sur le pas de la porte sans avoir pu prononcer la moindre parole d’excuse.

— S’il vous plaît…

La porte se referma sur lui. Il sentit la tristesse l’envahir alors. Cette nuit, qui avait si bien commencé, s’achevait très mal…

— Jenna ! hurla-t-il alors.

Il ne savait pas si elle l’entendrait, pourtant il s’époumona encore.

— Jenna ! Attends-moi ! Je te promets de revenir ! Attends-moi !

La porte était mal isolée et Jenna percevait chacune des paroles du jeune homme. Pourtant, elle ne répondit pas. Le regard brûlant de sa mère la foudroyait sur place, lui interdisant d’ouvrir la bouche. Alors,elle fit demi-tour et pénétra dans sa chambre, dont elle claqua la porte violemment.

— Je n’en ai pas fini avec toi ! hurla sa mère dans son dos.

Puis elle entra à sa suite.

— Sors de ma chambre !
— Je te faisais confiance, Jenna !
— Confiance ? C’est pour ça que tu m’as confiée aux parents d'Élisabeth ? Mais finalement, je devrais peut-être te remercier ! C’est grâce à toi que j’ai rencontré Ryan !
— Qui est-ce ?
— Le type que tu viens de mettre à la porte !

Jenna s’époumonait de plus en plus, des larmes de colère envahissant ses yeux. Sibylle réalisa qu’il ne servait à rien de lui parler sur le même ton, aussi inspira-t-elle profondément avant de dire, plus posément, mais d’une voix tranchante :

— Jenna, tu n’as pas à faire venir des hommes dans ma maison quand je ne suis pas là.
— Maman ! Tu ne me fais pas confiance !
— Et j’ai raison. Regarde, dès que j’ai le dos tourné, tu en profites pour coucher avec le premier venu.
— Je n’ai pas couché avec lui !
— Ne me mens pas, Jenna. J’ai horreur que tu me mentes.
— Tu recommences !
— Tu vas peut-être me dire que c’est de ma faute ? Que c’est moi qui t’ai poussée dans les bras de ce jeune homme ? Moi qui t’ai dit également d’écarter les cuisses ?
— Tu te rends compte de ce que tu dis ? Tu me dégoutes ! Sors immédiatement de ma chambre !
— Je t’interdis de me parler sur ce ton !
— Alors, aie foi en moi ! Bon sang, Maman, tu me parles comme si j’étais une pute !
— Jenna, tu n’as pas à avoir de rapports sexuels. Mais vu que tu le prends sur ce ton, je vais te reprendre en main. Tu peux dire adieu à tes amis, la musique c’est terminé.
— Quoi ?
— Tu m’as très bien entendue. Tu peux faire ta valise. Ce matin, je t’accompagne de gré ou de force chez Mamie Germaine. Les vacances sont terminées, ma petite.

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Le temps d'un hiver Empty Partie 18

Message par Jessica Ven 27 Jan - 13:41





De la buée sort de ma bouche tandis que je contemple la porte en bois, angoissée. Nerveusement, je me triture les mains, incapable de me décider à sonner. Pourtant, je ne peux rester ici, indécise, indéfiniment. Je dois faire quelque chose, n’importe quoi. Ou bien je sonne, ou alors je repars d’où je suis venue.

Mais je ne peux pas repartir… Pas après avoir pris autant sur moi pour venir. Pas après tout ça. J’inspire profondément et appuie sur la sonnette.

Souhaitant paraître plus présentable que je ne l’ai été ces deux derniers mois, j’ai fait un effort de présentation. Mes cheveux, lavés, sont certes encore attachés en un chignon bancal, mais au moins, je ne semble pas tout juste sortie du lit.

Le temps passe, et j’ai l’impression d’attendre indéfiniment la potence. Je me sens mal, la tête me tourne. J’ai choisi de venir précisément aujourd’hui, en ce samedi de fin de mois, dans l’espoir qu’il soit présent. Mais je réalise soudain ne pas avoir imaginé qu’il puisse ne pas être chez lui. J’étais persuadée de le trouver là.

Je suis sur le point de faire demi-tour quand j’entends des pas se rapprocher, le verrou tourner dans la serrure. La porte s’entrebâille. Une tête blonde, les cheveux tirés et de magnifiques yeux bleus, apparait.

« C'est pourquoi ? me demande la femme.
Bonjour… »

Je murmure, et je sais qu’une certaine angoisse perce dans ma voix. Sans me départir de mon courage, je me racle la gorge, reprends contenance, et me force à continuer.

« Est-ce qu'Alec vit ici ?
Oui. Qui le demande ?
Une vieille amie...
Un prénom, peut-être ?
Qui est-ce ? »

Je retiens mon souffle. J’ai reconnu sa voix, que je n’ai pas entendue depuis de trop nombreuses années. Sa voix qui s’approche dans le couloir. Mon cœur palpite dans ma poitrine, et voilà bien longtemps que je ne me suis pas sentie aussi en vie. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me demander ce que je viens faire ici.

La porte s'ouvre sur lui.

Il n'a pas changé. Juste vieilli de presque neuf ans. Mais il est toujours le même, aussi grand, aussi beau. Et je regrette soudain de l'avoir trahi, de ne pas l'avoir gardé dans ma vie. Maintenant, face à lui, je réalise alors à quel point il m’a manqué.

« Jen... » souffle-t-il, surpris.

Ses yeux reflètent son étonnement, mais aussi un mélange de bonheur et d'une ancienne souffrance. Puis ils se portent sur mon ventre, et son sourire disparait.

« Mélanie, c'est bon, je m'en occupe, dit-il tandis que la femme acquiesce et referme la porte derrière elle, nous laissant sur le perron. Jenna, que viens-tu faire ici ?
Eh bien... »

Je ne sais pas quoi répondre, une fois de plus. Les pulsions qui m’ont menée ici étaient trop fortes, mais je n’ai pas réfléchi un seul instant à ce que je pourrais lui dire. Je pensais que les choses sortiraient naturellement. Je me suis trompée… Les mots se coincent dans ma gorge avant même de les avoir formulés. Mon cœur bat la chamade et j’ai une furieuse envie de vomir.

« Comment m'as-tu trouvé ?
Tes parents. »

Je marque une nouvelle pause. Tous deux, très gênés, ne savons plus quoi dire. J’ai souvent imaginé ces retrouvailles, pourtant elles me paraissent maintenant déplacées… Je n’avais pas le droit de venir ici. Pas après tout ce temps.

Après une profonde inspiration, je murmure en souriant :

« Elle est jolie...
Oui. »

Je n’arrive plus à le regarder dans les yeux. Je cherche douloureusement les mots pour exprimer ce que j’ai sur le cœur. Avec anxiété, je triture entre mes doigts un pan de mon écharpe.

« Écoute... dis-je en l’affrontant enfin du regard. Je suis désolée... Désolée de tout ce que je t'ai fait subir. »

Il reste de marbre. J’ai beau essayer de comprendre ce à quoi il pense, rien ne transparait. C'est très étrange. Je réalise soudain tout ce qui nous sépare. Moi qui ai toujours su lire en lui, j’ai l’impression d’être face à un étranger.

Comme il ne répond pas, je murmure une nouvelle fois :

« Je suis désolée... J'étais venue te le dire. C'est tout. Au revoir... »

Je redescends déjà les quelques marches du perron quand j’entends Alec se racler à son tour la gorge et me demander :

« Tu veux entrer un moment ?
Je ne veux pas déranger.
Ce n'est rien. »

Ensemble, nous pénétrons dans l'appartement. L’entrée est d’un blanc cassé, illuminée. Sur les murs, un miroir en forme de vague, et un cadre photo les représentant tous deux, Alec et Mélanie, riant aux éclats sur les bords de mer. Je sens mon cœur se serrer étrangement.

Il m'invite à m'asseoir au salon tandis qu'il demande à Mélanie de nous laisser seuls quelque temps. Puis il vient me rejoindre sur le canapé.

« Que fais-tu dans le coin ?
Je suis retournée chez mes parents.
Toute seule ?
Pas vraiment seule, comme tu peux le constater, dis-je en pointant mon ventre proéminent. Mais sinon oui, je suis seule.
Et... où est-il ? »

Cette question me fait mal, comme chaque fois. Pourtant, j’essaie de ne pas le montrer, et me force à murmurer, étranglée :

« J'aimerais ne pas en parler.
Comme tu voudras. »

Le silence s’installe de nouveau, étouffant, pesant. Ni lui ni moi ne savons où nous mettre. Je le contemple, gravement. Une ombre vient assombrir ses joues, mais il me semble être, physiquement, le même que celui que j’ai quitté. Ce contraste me choque plus encore, alors que nous n’avons plus rien à nous dire. Ou bien si, mais les mots restent coincés entre nous, dans ce fossé que les années ont créé.

« Tu as un bel appartement. Ça fait longtemps que tu vis seul ?
Je ne vis pas seul.
Je voulais dire, que tu ne vis plus chez tes parents.
Six ans.
Alors, toi et Mélanie...
Oui. »

Ses réponses sont froides, sèches, et je ne peux m’empêcher de me sentir mal. Jamais encore Alec ne m’avait parlé sur ce ton. La douleur m’enserre la poitrine, mais je me retiens de crier. Il fut un temps où nous aurions réglé nos soucis dans les cris, puis les rires. J’ai soudain l’impression que ce temps est très loin derrière nous.

Finalement, je prends appui sur le canapé et me redresse péniblement.

« Écoute, je ne suis pas venue mettre le foutoir dans ta vie. Je voulais seulement m'excuser, pouvoir peut-être m'expliquer.
Mais tu ne l'as pas fait, dit-il en se relevant à son tour.
C'est vrai. »

Honteuse, je regarde mes mains, cherchant mes mots. Comment expliquer ?

« Je suis profondément désolée, Alec, si tu savais comme je m’en veux ! Mais on ne peut pas changer le passé… »

Je l’affronte de nouveau du regard, cherchant un appui dans ses yeux. Lui qui me regardait autrefois avec bienveillance est aujourd’hui fermé.

« Je sais que ça ne peut pas tout expliquer, mais je... j’étais jeune, j’ai agi avec inconsidération. Je rêvais de vivre de belles aventures, de me libérer de l’emprise maternelle. Je voulais aimer, être aimée, pouvoir vivre enfin ma vie.

Et le faire sans moi.
Non, ce n'est pas ce que je désirais. Je voulais seulement vivre pour moi. Pas pour toi. Alec, comprends-moi. On a passé notre enfance à vivre l’un pour l’autre, sans se soucier réellement de ce qui était bien pour nous… Pas pour l’autre. Tu m’as tellement donné, gamin ! Je voulais que tu puisses vivre ta vie.
Eh bien, comme tu peux le constater, c'est fait.
Oui.
Toi aussi, d'après ce que je vois. Enceinte.
Oui.
De combien ?
Presque huit mois.
Et il t'a abandonnée ? »

Il a presque craché cette dernière question qui sonnait plus comme une réflexion haineuse, une affirmation. Incapable d’y
répondre, je plonge dans un profond silence, alors que je peine à retenir les larmes qui menacent encore de jaillir.

Comme pour faire diversion, Alec me propose quelque chose à boire, que j’accepte bien volontiers. Et il me somme de me rasseoir. Avant de m’exécuter, avant qu’il ne s’absente quelques minutes, je l’arrête :

« Alec... Je ne prétends pas être ici pour réparer les choses entre nous. Je ne pense pas que ce soit possible. Mais je voulais que tu saches combien je regrette. Je ne te demande pas de m'excuser. Pas même d'accepter mes paroles. Juste de pouvoir m'exprimer… Ça fait longtemps que je tais ce que j’ai sur le cœur. Il fallait que ça sorte…
Et c'est moi que tu viens voir…
Parce que mes regrets ne concernent que toi.
Tu ne crois pas qu'il est un peu tard pour ça ?
Il n'est jamais trop tard pour s'excuser. »


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