LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
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LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
Bonjour à tous !!
Bon, grâce à Alissa (merci, je ne pourrais jamais te remercier assez), j'ai effectué pas mal de modifications. Je republie donc ici la nouvelle version de mon roman.
Les commentaires, c'est par ici ==> Commentez!!! <==
Genre : Tranche de vie / Amour
Nombre de pages : 275 pages ordinateur.
Nombre de chapitres : Pas de chapitres... Juste des parties.
Nombre de livres : 1 seul, FINI.
Résumé:
Jenna retrouve ses parents, après 8 ans d'absence. Pour ses parents, c'est un choc. La voilà seule, un petit être grandissant dans son giron. Mais que s'est-il passé ?
1ère partie : Plus bas, sur cette même page
parties : 2 / 3 / 3-2 / 4 / 5 / 6 /7 / 7-2 / 8 / 9 / 10
11 / 12 / 13 / 14 / 15 / 16 / 17 / 18 / 19 / 20
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Ce roman a été corrigé par BLACKFONTAINE et ALISSA. Je ne pourrais jamais les remercier autant que je le devrais. Merci de me suivre depuis si longtemps.
L'air, en ce lundi 7 décembre 2010, embaumait de senteurs hivernales. Cette date, à marquer au fer rouge, restera gravée en moi comme un malheureux retour aux sources après huit ans d'absence. À chaque expiration, une brume de vapeur se forme devant mes lèvres, en un fin nuage que je m'amuse à chasser d'un mouvement rapide de la main. Le froid s'était installé depuis mi-novembre, anormalement tôt pour la saison. Et emmitouflée dans mon épais blouson, les mains, la tête et le cou enveloppés dans de chaudes laines, je remonte la rue bordée de neige. Le poids de mon corps m'impose un rythme lent et régulier tandis que j'avance courbée. Les muscles tendus, les membres courbatus, je suis fatiguée de ce trop-plein d'exercices. Mais cette lassitude physique, cette douleur du corps, vaut mieux que l’étau qui enserre violemment mon cœur et m'asphyxie. Cette douleur, je tente de la refouler par tous les moyens – l'apaiser serait impossible, voilà longtemps que je l'ai réalisé.
Avancer, toujours plus loin, suivre un but fixé au préalable, trouver le courage de mettre un pied devant l'autre. Tout cela me donne la sensation de marcher jusqu'à la potence. Je me sens lourde, lourde de tout ce poids qui nous sépare, toute cette tristesse, lourde de toutes ces années révolues. La neige crisse sous mes pas, faisant ressurgir de lointains et fugaces souvenirs d'une enfance trop tôt oubliée. Les maisons alentour, bordées d'arbres effeuillés, sont recouvertes d'une fine couche blanche, comme si la neige avait déposé son doux manteau sur le toit du monde.
La rue, que j'avais empruntée si souvent par le passé, me semble aujourd'hui interminable. Longue et tortueuse, serpentant entre les demeures. Je traîne des pieds, incapable d'accélérer la cadence. Dans ma poitrine, mon cœur joue des timbales violemment, cognant fort. Je perçois presque le son qu'il fait : po-dom, po-dom, po-dom... ; tandis que le sang bat contre mes tempes, résonnant dans mes oreilles. J'inspire profondément, ravalant ce flot d'émotions, de sensations et de souvenirs qui m'envahit encore.
Bientôt, je vois se dessiner les contours familiers de mon ancien foyer. Celui d'une enfance pas toujours facile – un père absent et effacé ; une mère autoritaire – mais qui m'avait fuie sans prévenir, et qu'il m'arrive de regretter. Non pas que cette période me manque, bien au contraire, mais il m'arrive parfois d'avoir le sentiment désagréable de n'avoir point profité. Si on m'en avait donné l'occasion, j'aurais sûrement souhaité recommencer de zéro, tout effacer, gommer les imperfections de la vie et redessiner mon passé, en y changeant les règles.
Je m'arrête. Je suis arrivée. Seule la grille en fer forgé du jardin me sépare de mon enfance. Cette maison, dans laquelle j'ai vécu durant presque treize ans, se détache, victorieuse, droite sous la neige. Dix mètres d'une allée pavée, que l'herbe folle recouvrait d'ordinaire, me séparent d'elle, quatre marches de perron, et enfin le porche, la porte d'entrée, la chaleur du domicile...
Malineski. Ce sont encore les mêmes neuf lettres qui ornent la boîte aux lettres, celles de mon propre nom que j'ai souhaité si souvent abandonné. Malheureusement, aujourd'hui encore, âgée de vingt-six ans, je m'en trouve affublé.
Je revoie tant de jeux dans ce jardin, tant d'amis derrière ces fenêtres, mais aussi tant de cris, d'amour, de larmes et de rires. Une image fugitive glisse devant mes yeux, comme pour me remémorer mon triste passé, un film un peu flou que je revois pourtant précisément : le bruit sourd de la porte en chêne claquant contre ses gonds, et moi, fraîchement majeure, dévalant à toute vitesse les quelques marches, un sac de randonnée vissé sur l'épaule, les larmes inondant mon visage... Je contemple cette apparition, telle un fantôme, angoissante réminiscence d'un autre temps qui n'a de place que dans ma mémoire, alors même que déjà le spectre s'en va sans un regard.
C'était une autre époque. Une étape de ma vie trop importante pour l'oublier, mais que je m'évertue à mettre de côté, quelque part dans ma mémoire, à l'abri des colères du temps.
Pour chasser mes amères pensées, je pose ma main sur la poignée incrustée du portail et l'actionne. La porte glisse en ouvrant le passage, me laissant perplexe. Un panaché de sentiments divers m'envahit : la peur, l'appréhension, le soulagement aussi.
Franchir le seuil de cette porte, c'est comme faire un pas en territoire inconnu, avec l'impossibilité de faire demi-tour. Les années, longues et heureuses, ont laissé un vide dans nos vies. Dans la mienne, du moins. Et je ne sais pas ce qui m'attend derrière cette porte. La famille, l'amour, la chaleur d'un foyer, tout ce dont j'ai été privée plus jeune, sont un lointain rêve. Un rêve que je n'ose plus espérer. Je n'ai plus l'âge de croire au Père Noël, pourtant, il m'est souvent arrivé d'espérer un miracle, d'enfin entendre mes parents prononcer des mots magiques qui auraient effacé les erreurs, raccommodé nos cœurs, et m'auraient fait réaliser la profondeur de leurs sentiments. Mais jamais un mot d'excuse n'a franchi les lèvres de ma mère ; jamais un mot d'amour, celles de mon père. L'attente tue à petit feu l'espoir, le poignardant sans vergogne, et je n'ai d'autre choix que de vivre avec.
Passer cette porte, c'est passer outre nos conflits, outre cette haine rongeant mon cœur. Qu'il est doux et facile de franchir le seuil de l'amour, de transformer des sentiments passionnés en une animosité terrible qui ronge lentement, mais aussi sûrement qu'un chien son os !
Il me faut beaucoup de courage pour pousser cette porte. Un courage que je n'ai pas, et que je tente désespérément de trouver. Mes jambes me mènent lentement dans le jardin, laissant des empreintes de mon trente-neuf fillette dans la neige immaculée, tandis que mon cerveau réfléchit à vive allure à toutes les possibilités. Et presque comme un automate, je gravis les marches du perron et de nouveau m'arrête. Il n'y a plus que la porte en chêne entre moi et l'inconnu.
Il m'a fallu quelques minutes pour me résigner, et décidée, je tourne la poignée. Aussitôt, Caramel, le chat du foyer, s'échappe, tel un courant d'air, ne me laissant pas l'occasion de le rattraper. Ce petit animal n'avait que trois ans lorsque j'ai quitté la maison. Aujourd'hui, huit ans plus tard, il ne me semble pas beaucoup plus gros, juste un chouia, mais toujours aussi avide de pouvoir sortir à l'air libre. D'ici une dizaine de minutes, il reviendra miauler à la porte pour se remettre au chaud. Aussi, je le laisse là et referme la porte derrière moi.
L'odeur qui m'assaille – un mélange de tabac froid et de vanille – ravive des souvenirs que je pensais à jamais oubliés. Cette odeur, typique de chez eux, que je m'étais évertuée à ne jamais reproduire depuis ma fuite, et que j'esquivais par tous les moyens.
Il règne une chaleur réconfortante dans l'entrée, qui me soulève le cœur. Je me rends compte que j'ai soudain besoin d'une épaule sur laquelle poser ma tête, une main apaisante pour calmer mes soucis. Je sais pourtant que ce n'est pas la bonne adresse pour une telle requête. Pourtant, je ne peux plus faire comme s'ils étaient de parfaits étrangers, des inconnus sans noms, sans même d'image. À force de vouloir effacer leur présence, je suis parvenue à partiellement les oublier.
Malgré tout, je sens poindre à mes yeux des perles d'eau qu'il m'est désormais facile de contenir. Il s'agit là de mois entiers de faux-semblants, d'un visage digne à garder devant autrui, alors qu'au fond de moi, le cœur suinte d'une vive douleur, et l'envie me prend de baisser les bras, d'abandonner toute résistance, et de me laisser submerger.
Personne ne vient m'accueillir. Je n'entends même aucun bruit dans la maison. Il n'est cependant pas très tard. Dix-sept, dix-huit heures tout au plus. Je sens pourtant l'épuisement d'une journée d'efforts physiques et mentaux m'atteindre, et un bâillement m'échappe. Je n'ose me manifester, de peur de n'avoir rien à dire. Repousser les conflits, encore et toujours.
Je pénètre dans le couloir. Les deux portes à ma droite, anciennement mon bureau et ma chambre, sont closes, mais je ne me risque pas à les ouvrir. En face, une porte menant aux escaliers, un montant jusque dans la chambre des parents, l'autre descendant au garage. Là encore, je n'entre pas. Sur la gauche, un couloir menant au salon, puis à la cuisine. Des meubles l'encombrent, empêchant d'y circuler aisément. Dans le salon, le téléviseur est éteint, le canapé vide. Les meubles ont tous changé, si bien que j'ai l'impression d'être chez des étrangers. Seules les photographies dans les cadres posés çà et là m'apprennent que j'ai bel et bien frappé à la bonne porte. La cuisine est également vide. À croire qu'il n'y a personne en ces lieux.
Prise d'une soudaine envie de m'allonger, je reviens lentement sur mes pas, et me poste devant ce qui fut la porte de ma chambre. Mais j'hésite à entrer. Et si, ici aussi, toute trace de mon existence avait disparu, au profit d'un quelconque hobby de ma mère. M'armant de courage, j'ouvre la porte.
Mon cœur se soulève tandis que mes yeux scrutent la pénombre. Rien n'a changé. Comme si ces huit ans n'avaient jamais existé. Je me retrouve dans ma chambre, telle que je l'ai laissée ce fameux jour d'été, avant de prendre la fuite. C'est comme un retour aux sources, étrangement apaisant. Les murs me semblent toujours aussi ensoleillés, peints ainsi en jaune orangé – cette couleur dont je désirais plus jeune parsemer les murs de mon futur appartement, et que j'avais peinte moi-même. Mon lit, défait, est un témoin de mon ancienne présence. Chaque chose, chaque objet, est à l'emplacement exact où j'avais l'habitude de le ranger.
Près de la fenêtre, un rocking-chair tangue lentement, comme de lui-même, seul meuble étranger à la pièce. Je m'avance doucement, traînant des pieds, et réalise que la chaise à bascule est occupée. La lumière de cette fin de journée éclaire ses traits tirés, l'illuminant d'un halo, telle la représentation qu'on se ferait d'un ange. Elle dort à poings fermés, cette femme qui me semble presque une étrangère. Celle qui m'a mise au monde et contre qui je me suis autrefois rebellée. Tant de conflits, par le passé, nous ont séparées ! Aujourd'hui, je suis là pour les dépasser.
Ses frêles épaules sont cachées sous une fine couverture, tandis que sa tête repose sur un oreiller. N'osant pas la réveiller, je rejoins le lit et m'y installe, soudain lourde d'un poids nouveau.
Je laisse aller ma tête sur l'oreiller, qui sent le renfermé. À croire que même les draps n'avaient pas été changés.
Je retrouve ma chambre d'enfance, mon univers de petite fille. Celui que j'ai quitté huit ans auparavant. Mais je ne suis plus la même. Plus cette enfant rebelle qui tentait désespérément de se trouver, de trouver un but, quelque chose à quoi se raccrocher. Aujourd'hui, je me sens vieille, comme si ma jeunesse m'avait été dérobée.
Je ferme les yeux. Et comme chaque fois, une image s'impose à mon esprit. Une douce image qui pourtant me fait souffrir. Un visage que je tente désespérément d'oublier. Je les rouvre rapidement. Depuis cinq mois, je crains le sommeil. Des démons, qui dévorent mes nuits, m'empêchent de fermer les yeux. Mon cœur, atrophié, ne supporte plus tous ces souvenirs, tous ces doux rêves qui hantent mes nuits, me laissant seule et désespérée au réveil. Si je dois continuer à rêver, c'est pour ne jamais plus m'éveiller, toujours rester auprès de lui. Est-ce trop demander ?
© Jessica Lumbroso
Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur.
Bon, grâce à Alissa (merci, je ne pourrais jamais te remercier assez), j'ai effectué pas mal de modifications. Je republie donc ici la nouvelle version de mon roman.
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Genre : Tranche de vie / Amour
Nombre de pages : 275 pages ordinateur.
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Nombre de livres : 1 seul, FINI.
Résumé:
Jenna retrouve ses parents, après 8 ans d'absence. Pour ses parents, c'est un choc. La voilà seule, un petit être grandissant dans son giron. Mais que s'est-il passé ?
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Ici, les liens menant directement aux textes : 1ère partie : Plus bas, sur cette même page
parties : 2 / 3 / 3-2 / 4 / 5 / 6 /7 / 7-2 / 8 / 9 / 10
11 / 12 / 13 / 14 / 15 / 16 / 17 / 18 / 19 / 20
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L'air, en ce lundi 7 décembre 2010, embaumait de senteurs hivernales. Cette date, à marquer au fer rouge, restera gravée en moi comme un malheureux retour aux sources après huit ans d'absence. À chaque expiration, une brume de vapeur se forme devant mes lèvres, en un fin nuage que je m'amuse à chasser d'un mouvement rapide de la main. Le froid s'était installé depuis mi-novembre, anormalement tôt pour la saison. Et emmitouflée dans mon épais blouson, les mains, la tête et le cou enveloppés dans de chaudes laines, je remonte la rue bordée de neige. Le poids de mon corps m'impose un rythme lent et régulier tandis que j'avance courbée. Les muscles tendus, les membres courbatus, je suis fatiguée de ce trop-plein d'exercices. Mais cette lassitude physique, cette douleur du corps, vaut mieux que l’étau qui enserre violemment mon cœur et m'asphyxie. Cette douleur, je tente de la refouler par tous les moyens – l'apaiser serait impossible, voilà longtemps que je l'ai réalisé.
Avancer, toujours plus loin, suivre un but fixé au préalable, trouver le courage de mettre un pied devant l'autre. Tout cela me donne la sensation de marcher jusqu'à la potence. Je me sens lourde, lourde de tout ce poids qui nous sépare, toute cette tristesse, lourde de toutes ces années révolues. La neige crisse sous mes pas, faisant ressurgir de lointains et fugaces souvenirs d'une enfance trop tôt oubliée. Les maisons alentour, bordées d'arbres effeuillés, sont recouvertes d'une fine couche blanche, comme si la neige avait déposé son doux manteau sur le toit du monde.
La rue, que j'avais empruntée si souvent par le passé, me semble aujourd'hui interminable. Longue et tortueuse, serpentant entre les demeures. Je traîne des pieds, incapable d'accélérer la cadence. Dans ma poitrine, mon cœur joue des timbales violemment, cognant fort. Je perçois presque le son qu'il fait : po-dom, po-dom, po-dom... ; tandis que le sang bat contre mes tempes, résonnant dans mes oreilles. J'inspire profondément, ravalant ce flot d'émotions, de sensations et de souvenirs qui m'envahit encore.
Bientôt, je vois se dessiner les contours familiers de mon ancien foyer. Celui d'une enfance pas toujours facile – un père absent et effacé ; une mère autoritaire – mais qui m'avait fuie sans prévenir, et qu'il m'arrive de regretter. Non pas que cette période me manque, bien au contraire, mais il m'arrive parfois d'avoir le sentiment désagréable de n'avoir point profité. Si on m'en avait donné l'occasion, j'aurais sûrement souhaité recommencer de zéro, tout effacer, gommer les imperfections de la vie et redessiner mon passé, en y changeant les règles.
Je m'arrête. Je suis arrivée. Seule la grille en fer forgé du jardin me sépare de mon enfance. Cette maison, dans laquelle j'ai vécu durant presque treize ans, se détache, victorieuse, droite sous la neige. Dix mètres d'une allée pavée, que l'herbe folle recouvrait d'ordinaire, me séparent d'elle, quatre marches de perron, et enfin le porche, la porte d'entrée, la chaleur du domicile...
Malineski. Ce sont encore les mêmes neuf lettres qui ornent la boîte aux lettres, celles de mon propre nom que j'ai souhaité si souvent abandonné. Malheureusement, aujourd'hui encore, âgée de vingt-six ans, je m'en trouve affublé.
Je revoie tant de jeux dans ce jardin, tant d'amis derrière ces fenêtres, mais aussi tant de cris, d'amour, de larmes et de rires. Une image fugitive glisse devant mes yeux, comme pour me remémorer mon triste passé, un film un peu flou que je revois pourtant précisément : le bruit sourd de la porte en chêne claquant contre ses gonds, et moi, fraîchement majeure, dévalant à toute vitesse les quelques marches, un sac de randonnée vissé sur l'épaule, les larmes inondant mon visage... Je contemple cette apparition, telle un fantôme, angoissante réminiscence d'un autre temps qui n'a de place que dans ma mémoire, alors même que déjà le spectre s'en va sans un regard.
C'était une autre époque. Une étape de ma vie trop importante pour l'oublier, mais que je m'évertue à mettre de côté, quelque part dans ma mémoire, à l'abri des colères du temps.
Pour chasser mes amères pensées, je pose ma main sur la poignée incrustée du portail et l'actionne. La porte glisse en ouvrant le passage, me laissant perplexe. Un panaché de sentiments divers m'envahit : la peur, l'appréhension, le soulagement aussi.
Franchir le seuil de cette porte, c'est comme faire un pas en territoire inconnu, avec l'impossibilité de faire demi-tour. Les années, longues et heureuses, ont laissé un vide dans nos vies. Dans la mienne, du moins. Et je ne sais pas ce qui m'attend derrière cette porte. La famille, l'amour, la chaleur d'un foyer, tout ce dont j'ai été privée plus jeune, sont un lointain rêve. Un rêve que je n'ose plus espérer. Je n'ai plus l'âge de croire au Père Noël, pourtant, il m'est souvent arrivé d'espérer un miracle, d'enfin entendre mes parents prononcer des mots magiques qui auraient effacé les erreurs, raccommodé nos cœurs, et m'auraient fait réaliser la profondeur de leurs sentiments. Mais jamais un mot d'excuse n'a franchi les lèvres de ma mère ; jamais un mot d'amour, celles de mon père. L'attente tue à petit feu l'espoir, le poignardant sans vergogne, et je n'ai d'autre choix que de vivre avec.
Passer cette porte, c'est passer outre nos conflits, outre cette haine rongeant mon cœur. Qu'il est doux et facile de franchir le seuil de l'amour, de transformer des sentiments passionnés en une animosité terrible qui ronge lentement, mais aussi sûrement qu'un chien son os !
Il me faut beaucoup de courage pour pousser cette porte. Un courage que je n'ai pas, et que je tente désespérément de trouver. Mes jambes me mènent lentement dans le jardin, laissant des empreintes de mon trente-neuf fillette dans la neige immaculée, tandis que mon cerveau réfléchit à vive allure à toutes les possibilités. Et presque comme un automate, je gravis les marches du perron et de nouveau m'arrête. Il n'y a plus que la porte en chêne entre moi et l'inconnu.
Il m'a fallu quelques minutes pour me résigner, et décidée, je tourne la poignée. Aussitôt, Caramel, le chat du foyer, s'échappe, tel un courant d'air, ne me laissant pas l'occasion de le rattraper. Ce petit animal n'avait que trois ans lorsque j'ai quitté la maison. Aujourd'hui, huit ans plus tard, il ne me semble pas beaucoup plus gros, juste un chouia, mais toujours aussi avide de pouvoir sortir à l'air libre. D'ici une dizaine de minutes, il reviendra miauler à la porte pour se remettre au chaud. Aussi, je le laisse là et referme la porte derrière moi.
L'odeur qui m'assaille – un mélange de tabac froid et de vanille – ravive des souvenirs que je pensais à jamais oubliés. Cette odeur, typique de chez eux, que je m'étais évertuée à ne jamais reproduire depuis ma fuite, et que j'esquivais par tous les moyens.
Il règne une chaleur réconfortante dans l'entrée, qui me soulève le cœur. Je me rends compte que j'ai soudain besoin d'une épaule sur laquelle poser ma tête, une main apaisante pour calmer mes soucis. Je sais pourtant que ce n'est pas la bonne adresse pour une telle requête. Pourtant, je ne peux plus faire comme s'ils étaient de parfaits étrangers, des inconnus sans noms, sans même d'image. À force de vouloir effacer leur présence, je suis parvenue à partiellement les oublier.
Malgré tout, je sens poindre à mes yeux des perles d'eau qu'il m'est désormais facile de contenir. Il s'agit là de mois entiers de faux-semblants, d'un visage digne à garder devant autrui, alors qu'au fond de moi, le cœur suinte d'une vive douleur, et l'envie me prend de baisser les bras, d'abandonner toute résistance, et de me laisser submerger.
Personne ne vient m'accueillir. Je n'entends même aucun bruit dans la maison. Il n'est cependant pas très tard. Dix-sept, dix-huit heures tout au plus. Je sens pourtant l'épuisement d'une journée d'efforts physiques et mentaux m'atteindre, et un bâillement m'échappe. Je n'ose me manifester, de peur de n'avoir rien à dire. Repousser les conflits, encore et toujours.
Je pénètre dans le couloir. Les deux portes à ma droite, anciennement mon bureau et ma chambre, sont closes, mais je ne me risque pas à les ouvrir. En face, une porte menant aux escaliers, un montant jusque dans la chambre des parents, l'autre descendant au garage. Là encore, je n'entre pas. Sur la gauche, un couloir menant au salon, puis à la cuisine. Des meubles l'encombrent, empêchant d'y circuler aisément. Dans le salon, le téléviseur est éteint, le canapé vide. Les meubles ont tous changé, si bien que j'ai l'impression d'être chez des étrangers. Seules les photographies dans les cadres posés çà et là m'apprennent que j'ai bel et bien frappé à la bonne porte. La cuisine est également vide. À croire qu'il n'y a personne en ces lieux.
Prise d'une soudaine envie de m'allonger, je reviens lentement sur mes pas, et me poste devant ce qui fut la porte de ma chambre. Mais j'hésite à entrer. Et si, ici aussi, toute trace de mon existence avait disparu, au profit d'un quelconque hobby de ma mère. M'armant de courage, j'ouvre la porte.
Mon cœur se soulève tandis que mes yeux scrutent la pénombre. Rien n'a changé. Comme si ces huit ans n'avaient jamais existé. Je me retrouve dans ma chambre, telle que je l'ai laissée ce fameux jour d'été, avant de prendre la fuite. C'est comme un retour aux sources, étrangement apaisant. Les murs me semblent toujours aussi ensoleillés, peints ainsi en jaune orangé – cette couleur dont je désirais plus jeune parsemer les murs de mon futur appartement, et que j'avais peinte moi-même. Mon lit, défait, est un témoin de mon ancienne présence. Chaque chose, chaque objet, est à l'emplacement exact où j'avais l'habitude de le ranger.
Près de la fenêtre, un rocking-chair tangue lentement, comme de lui-même, seul meuble étranger à la pièce. Je m'avance doucement, traînant des pieds, et réalise que la chaise à bascule est occupée. La lumière de cette fin de journée éclaire ses traits tirés, l'illuminant d'un halo, telle la représentation qu'on se ferait d'un ange. Elle dort à poings fermés, cette femme qui me semble presque une étrangère. Celle qui m'a mise au monde et contre qui je me suis autrefois rebellée. Tant de conflits, par le passé, nous ont séparées ! Aujourd'hui, je suis là pour les dépasser.
Ses frêles épaules sont cachées sous une fine couverture, tandis que sa tête repose sur un oreiller. N'osant pas la réveiller, je rejoins le lit et m'y installe, soudain lourde d'un poids nouveau.
Je laisse aller ma tête sur l'oreiller, qui sent le renfermé. À croire que même les draps n'avaient pas été changés.
Je retrouve ma chambre d'enfance, mon univers de petite fille. Celui que j'ai quitté huit ans auparavant. Mais je ne suis plus la même. Plus cette enfant rebelle qui tentait désespérément de se trouver, de trouver un but, quelque chose à quoi se raccrocher. Aujourd'hui, je me sens vieille, comme si ma jeunesse m'avait été dérobée.
Je ferme les yeux. Et comme chaque fois, une image s'impose à mon esprit. Une douce image qui pourtant me fait souffrir. Un visage que je tente désespérément d'oublier. Je les rouvre rapidement. Depuis cinq mois, je crains le sommeil. Des démons, qui dévorent mes nuits, m'empêchent de fermer les yeux. Mon cœur, atrophié, ne supporte plus tous ces souvenirs, tous ces doux rêves qui hantent mes nuits, me laissant seule et désespérée au réveil. Si je dois continuer à rêver, c'est pour ne jamais plus m'éveiller, toujours rester auprès de lui. Est-ce trop demander ?
© Jessica Lumbroso
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Dernière édition par Jessica le Sam 4 Aoû - 15:52, édité 26 fois
Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(Suite)
J'ai tout de même fini par m'endormir. Et rapidement. J'étais épuisée. Mon rêve, magnifique, et pourtant d'une telle simplicité, m'a fait monter les larmes aux yeux, comme chaque nuit. Pourtant, du plus profond de mon sommeil, j'ai senti qu'on posait une main douce et chaude sur ma tête. Une main qui n'appartenait pas au souvenir.
C'est une douce odeur de bacon me chatouillant les narines qui m'éveille brusquement. J'ouvre les yeux et contemple la pièce, tout autour de moi, presque affolée. Il me faut quelques instants pour me souvenir du périple de la veille. Revenue sur les traces de mon passé. Tout, ici, représente désormais ma réalité.
J'éclate en sanglots.
Encore un rêve que je laisse s'échapper. Un rêve où nous étions ensemble, lui et moi, mémoire des jours heureux. Comme si son abandon n'avait jamais existé.
Les larmes coulent inlassablement, détrempant mes joues, et semblant ne jamais vouloir s'interrompre. J'avais pourtant cru qu'après tout ce temps, je me serais sentie plus légère ! On s'habitue à tout, alors pourquoi n'arrivé-je pas à m'y faire ? Chaque nuit reste un appel à la mémoire, un éclat dans la pénombre. C'est la journée que je vis un véritable cauchemar. Cauchemar que tout ceci ne soit que rêves.
Mon cœur étouffe, si bien que je ne parviens pas à reprendre mon souffle. Il me faut me ressaisir. Comme tous les jours, réapprendre à vivre avec. Le poids de ma peine me tasse, m'empêche de jouir de la vie.
Avec force, j'apaise mes larmes, cherchant par là-même à faire taire mon cœur. J'essuie vivement mes joues en me redressant. Je ne peux pas affronter mes parents dans cet état déplorable. Car voilà que se profile le moment tant redouté. Notre premier échange depuis ma fuite.
Péniblement, je sors du lit, le dos en compote. Je tente de m'étirer, mais mon ventre imposant m'en empêche. Malgré les cinq mois écoulés, je ne m'y suis pas encore habituée. Puis je rejoins à pas feutrés la salle de bain. La pièce, exiguë, contient tout de même une baignoire assez grande pour que je puisse y étendre les jambes. Ici aussi, rien n'a changé. Les murs au carrelage beige, la baignoire en pied que mes parents – décidément, ce possessif me fait l'effet d'une injure... – ont également fait carreler, le lavabo... Seul mon reflet dans le miroir me renvoie l'image de l'unique chose ayant changé dans cette vie : moi-même. Ce reflet dont je devrais avoir honte. Mon visage est boursouflé, tiré, cerné, et j'ai les yeux rouges et gonflés par ces torrents de larmes qui ne me quittent plus. Mes cheveux, à l'image de ma personne, sont hirsutes, en bataille, attachés en un grotesque chignon. Voilà longtemps que je ne prends plus la peine de m'occuper de moi.
Je m'asperge le visage d'eau fraîche, espérant faire disparaître les traces de la souffrance. Chose que je réussis partiellement. Plus présentable, j'inspire profondément. La confrontation qui va s'ensuivre ne m'enchante guère, mais je ne peux y réchapper éternellement.
Comme dans un souvenir, j'emprunte le couloir menant directement à la cuisine. L'odeur de bacon si délicieuse qui m'a réveillée flotte encore dans l'air. Mais je suis angoissée. Et pour cause. Beaucoup de choses ont changé et je ne sais pas comment aborder ce retour aux sources. Était-ce réellement le bon choix ? J'aurais souhaité tourner les talons, remonter le temps d'une petite année, profiter, insouciante, de la vie.
Des bruits de vaisselle, de conversations, ainsi que le son du téléviseur, me parviennent. Il semble y avoir du mouvement dans la cuisine. Avec appréhension, je passe enfin la tête par l'entrebâillement. Sur la table, poussée contre le mur de gauche, est dressé le couvert. Trois assiettes. Du pain, de la brioche, de la confiture de pomme, du Nutella... Un vrai petit-déjeuner de roi, chose que je n'ai même jamais connue du temps où je vivais encore ici.
Sibylle, une poêle à la main, sert les œufs brouillés en parts égales dans les assiettes. Tandis que Patrice retourne le bacon dans une seconde poêle. Je réalise soudain que je n'arrive pas à les appeler mes parents. Tant de choses nous ont séparés !
Je me racle la gorge. Ils redressent alors la tête.
« Jenna... », souffle Sibylle, ma mère, un sourire au bord des lèvres.
Sûrement est-ce le fait de me voir là, devant elle, qui lui fait monter les larmes aux yeux, qu'elle s'évertue à les chasser. Je vois enfin d'où je tiens ce désir de ne jamais pleurer face à quiconque, de porter seule ma tristesse, ma peine et mon désespoir.
Je pénètre enfin dans la pièce, les doigts triturant un pan de mon pull en laine, inquiète de leur réaction.
Les sourires sur leurs lèvres disparaissent progressivement. C'est ce que je craignais, pourtant, je me force au calme, au silence. En attente du verdict qui tombera comme un couperet.
Sibylle pose une main sur le bras de son mari. Je sais qu'ils ne perçoivent que le ventre gonflé sous mon pull-over, image sûrement choquante, de leur fille, encore une enfant quand elle s'était enfuie. Cet homme – que je dois dorénavant réapprendre à appeler Papa – doit sûrement ressentir le besoin de s'asseoir car c'est ce qu'il fait, tandis que « ma mère » reprend contenance, comme toujours, et m'invite à m'installer à table. Je la remercie du bout des lèvres.
« Chér... Je veux dire Jenna, tu as faim ? interroge Patrice.
— Comme un ogre. »
Avec un sourire, je dévisage mon père. Peut-être est-ce un peu trop tôt pour plaisanter à ce sujet. Pourtant, ils ne me font aucune remarque, et je leur en sais gré.
Maman nous rejoint à table et nous débutons le déjeuner dans un profond silence. Heureusement, le téléviseur, en toile de fond, crache d'interminables paroles qui comblent les blancs.
Je sens leurs regards peser sur moi, mais je suis incapable de parler. Pas maintenant. Pas de ce qu'il m'est arrivé. Encore moins de mon état.
« Tu vas bien ? » m'interroge soudain Maman, nous sortant tous trois du silence.
J'inspire bruyamment avant de murmurer :
« Ça peut aller. »
Mais ne souhaitant m'attarder sur ma condition, j'enchaîne rapidement :
« Et vous ? Quoi de neuf au travail, Papa ? »
Dans ma bouche, ce dernier mot sonne étrangement faux.
« Toujours la même chose. On a agrandi le magasin, en rachetant l'entrepôt d'à côté. C'était une bonne affaire. La boîte tourne mieux, aujourd'hui.
— Cool ! Et toi, Maman ? Quelles nouvelles ?
— Pas grand-chose non plus. Comme le magasin de ton père nous rapporte assez d'argent pour pouvoir largement subvenir à nos besoins, j'ai réduit mes heures. Je travaille à mi-temps, toujours dans mon cabinet d'expert-comptable. Mais au moins, je peux passer plus de temps à la maison. »
Je hoche la tête, mais rien ne me vient pour enchaîner, et nous retombons dans le silence. Maman demeura muette
le reste du repas, étrangement silencieuse. Je ne l'ai jamais connue ainsi. Elle qui était toujours à y aller de sa critique. Elle doit pourtant bien avoir de la rancœur, des sentiments à exprimer !
Malgré leurs regards pesants, je me sens étrangement mieux. J'ai l'impression d'effacer lentement les dernières années. Et loin de m'attrister, ça me soulage.
Caramel vint miauler en se frottant tout contre ma jambe et, avant même que j'aie pu lui donner quoi que ce soit à manger, il saute allègrement sur mes cuisses et vient sniffer près de mes lèvres. Un nouveau miaulement lui échappe.
« Je vais le nourrir », murmure Papa en se levant.
Il attrape le chat et le repose au sol. Puis il ouvre un placard sous l'évier et en sort une boîte de pâté pour chats qu'il déverse dans une gamelle.
Nous finissons le repas dans un profond silence. Puis j'aide ma mère à débarrasser et rejoins ma chambre.
Tout me semble soudain si vieux, ici, si désuet... Pourtant, rien n'a changé. Cette pièce me semble tout de même être sortie d'un autre âge.
Contre le mur de droite se dresse une commode d'un blanc cassé sur laquelle trône fièrement le téléviseur. Tout autour reposent encore toutes mes anciennes peluches, mes poupées de porcelaine que ma grand-mère paternelle m'offraient pour chaque Noël, mes photographies... Des photos prises dans mon enfance, dans mon adolescence, lorsque je me sentais devenir femme. Tandis que je caresse un gros ours gris, mon préféré dont je me servais comme oreiller plus jeune, je contemple le plus grand des cadres, calé en évidence entre deux énormes peluches. L'image nous représente tous les deux. Alec et moi. Cette photo avait été prise voilà presque dix ans, lors d'une sortie entre amis. À l'époque, j'en comptais six, les plus chers et les meilleurs jamais eus, avec lesquels je passais tout mon temps. Mais Alec était bien mon ami le plus cher, le plus vieux également. Et je l'avais trahi.
J'attrape le cadre. Je me souviens parfaitement de cette journée. Alors qu'Alec souhaitait me photographier, je m'étais débattue si bien que le cliché avait été pris en pleine débâcle, nous explosant en très gros plan, riant aux éclats. Je souris en effleurant le visage de mon ami. Puis repose le cadre.
Il ne l'est plus. Mon ami. Alec appartient à mon passé et jamais plus je ne le retrouverai. Malgré le nœud dans mon cœur, je m'étais fait une raison.
Sur la photo suivante, je suis en compagnie d'Élisabeth. Liz est la seule autre fille de mon ancien groupe d'amis. La seule dont j'ai encore des contacts. Et grâce à qui je suis là, aujourd'hui.
Enfin, la dernière image a été prise dans mon garage, du temps où nous nous réunissions tous les sept pour jouer de la musique. Tous les sept là : Al, Liz, Max, Chris, Jeff, Baba et moi.
Il y a d'autres photographies, mais plus petites, incrustées dans les meubles çà et là, que je ne préfère pas contempler. La nostalgie m'envahit bien assez tous les jours.
Je délaisse prestement les souvenirs et ouvre le dernier tiroir de ma commode. J'y trouve des draps propres que j'attrape au hasard.
« C'est une fille ou un garçon ? »
Pliée par-dessus le lit, les mains encombrées de la couette, je sursaute et tourne la tête vers l'entrée. Maman me dévisage de la porte. Je l'ignore tout d'abord, me détourne et reprends mes affaires. Mais je lui réponds quand même, du bout des lèvres, comme quelqu'un qui n'a pas parlé depuis très longtemps :
« Un garçon.
— C'est bien. »
Elle marque une courte pause avant d'ajouter :
« Attends, je vais t'aider. »
Et ensemble, nous changeons les draps, comme avant.
« Merci. »
Je m'installe sur le lit, déjà épuisée. Maman vient me rejoindre.
« Et merci aussi de n'avoir rien changé ici. C'est très agréable. J'ai tout un tas de souvenirs qui me reviennent en mémoire.
— Elle t'aurait attendue jusqu'à la fin, en l'état... »
Doucement, Maman pose sa main sur mon genou, comme pour tenter de me communiquer de la chaleur par ce simple geste. Puis elle se redresse. Avant de quitter la pièce, elle me fait de nouveau face :
« Chérie... Pardon, les vieilles habitudes ont la vie dure. Jenna... Je sais que tu n'as jamais voulu écouter le moindre de mes conseils. Je l'accepte. Mais il y a des gens qui se sont fait beaucoup de soucis pour toi. »
Je hoche la tête, signe que j'ai saisi le message. Ma mère partie, je m'installe sur le rocking-chair, face à la fenêtre, à la place même où je l'ai trouvé la veille. Dehors, il neige. De gros flocons. Que je regarde descendre jusqu'à toucher le sol, qu'ils recouvrent d'une nouvelle couche de peinture blanche. Le ciel, d'un gris pâle, ne laisse rien transparaitre. Et, perdue en pleine contemplation, je plonge au cœur même de mes souvenirs.
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(3ème partie)
Sa première rencontre avec Élisabeth avait eu lieu en 1996. À l’époque, toutes deux étaient âgées de quatorze ans. Jenna, véritable garçon manqué, avait été intriguée par cette jeune fille élégante, malgré son jeune âge, toujours propre sur elle. Jamais Élisabeth n’avait manqué de respect à quiconque. Élève modèle, elle s’était évertuée, inconsciemment, à ne jamais froisser personne, à se faire aimer de tous. Au début, agacée par son comportement, Jenna avait éprouvé une réelle animosité envers l’autre.
Mais deux ans plus tard, à l’initiative de Baptiste – renommé affectueusement Baba – elles se trouvèrent de nouveau confrontées. Le jeune homme avait rassemblé six adolescents qu’une même passion unissait – la musique – et avait créé Machination, un groupe de rock alternatif. Étant les deux seules filles, leurs différences les rapprochèrent, et elles devinrent bientôt amies.
Élisabeth représentait tout ce que Jenna n’était pas, mais qu’elle aurait souhaité être du plus profond de son cœur, épanouie, belle et resplendissante, féminine… De par son père, de qui elle tenait ses origines asiatiques, elle avait hérité de magnifiques yeux noirs en amandes, d’un teint pâle et de longs cheveux d’ébène. Extrêmement jolie, elle attirait foule de regards. Pourtant, d’une incroyable naïveté, elle ne s’apercevait pas de l’intérêt qu’on lui portait. De crainte tout autant que de jalousie, les cinq garçons de leur groupe – devenus par la suite de précieux amis –, la protégeait si bien que personne n’osait l’approcher.
Cette fin d’année 2001 marquait, pour l’une comme pour l’autre, le passage à la majorité. Devenues, au fil des cinq ans, inséparables, elles s’étaient octroyées le luxe de passer du temps ensemble, loin des oreilles indiscrètes des cinq garçons, tous les vendredis soirs après l’école.
Depuis presque un an, Jenna passait autant de temps chez son amie que dans sa propre maison. Ses parents, souvent absents pour leur propre plaisir, la laissait à la garde de Laurence, la mère d’Élisabeth, qui veillait sur elle comme sur sa propre fille. Patrice et Sibylle n'accordaient pas assez foi à leur fille, qui n’avait de place que dans leur cœur. S'il n'y avait pas eu Caramel, Élisabeth ne savait pas ce qu'il serait advenu de Jenna.
Les deux jeunes filles étaient confortablement installées dans le canapé – de couleur crème, si moelleux qu'une fois assises, il était difficile de s'en extirper. D'être ainsi, en compagnie de son amie semblait à Jenna la chose la plus naturelle au monde. Leur petit aparté durait maintenant depuis près de quatre mois.
Jenna aimait être là. C'était comme se sentir enfin elle-même, cette jeune femme qu'elle aurait dû être. Et, loin de la tutelle parentale, elle pouvait enfin respirer.
Ce jour-là, l'appartement était étrangement vide. Li et Laurence, les parents d'Élisabeth, auraient déjà dû être rentrés. Leur retour, réglé comme une horloge, sonnait le début du weekend, le début de la belle vie. Élisabeth, enfant unique et désirée, était choyée.
Cette dernière tenait un bol rempli de fraises dans une main et un petit paquet emballé dans l'autre.
— Tiens ! lança-t-elle en le lui tendant, tandis qu'elle posait le bol sur la table basse.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ouvre ! Te fais pas prier ! Et encore, bon anniversaire !
Avec un sourire, Jenna déballa le cadeau. Elle en sortit bientôt un petit cadre avec une photographie les représentant encore, eux sept, dans leurs plus beaux habits, lors d'une soirée organisée en début d'année.
— Ça viendra grossir ta collection. D'ailleurs, tu nous réserves ton weekend prochain, Jen. Les mecs se sont pliés en quatre pour nous organiser une belle fête.
— Comme tous les ans...
Jenna sourit. Par un heureux hasard, les deux filles étaient nées à neuf jours d'intervalle, si bien que chaque année, les cinq garçons organisaient une belle soirée pour célébrer leurs deux anniversaires conjoints, l'occasion de faire d'une pierre deux coups.
— C'était censé être une surprise ? demanda Jenna tout sourire.
— Si bien gardée...
Elles éclatèrent de rire. Jenna savait déjà ce qui les attendait. Ils se retrouveraient chez Alec, il y aurait de la musique, de quoi manger, boire, et eux sept, comme toujours, ensemble, rigolant, parlant...
— Tu as prévu quelque chose pour les vacances ? demanda Jenna.
— Comme toujours. C'est beau, Paris sous la neige !
— Donc, pas de voyage aux État-Unis, cette année non plus.
— Non... Et puis, il y a le concert !
— C'est vrai...
Jenna les avait elle-même inscrits à ce concert amateur. Il se déroulait dans la cour d'un hôpital de Paris, pour égayer les fêtes de fin d’année des enfants hospitalisé, dont la plupart n’avait pu quitter leur chambre, malgré Noël. Il s'agissait d'un concert de charité dont les dons seraient reversés à la lutte contre la mucoviscidose. Mais c'était surtout l'occasion de donner leur première représentation publique, et ils étaient tous un peu tendus à cette perspective.
Malgré tout, Jenna ne parvenait pas réellement à se réjouir de l'évènement. La participation à ce concert, le dimanche en huit, en date du 30, était également une opportunité pour chacun des adolescents de se retrouver en famille, de partager avec leurs proches cette passion. Pourtant, les parents de Jenna, partis aux Seychelles dans l'après-midi, n'y assisteraient pas. Et à quoi bon, de toute façon ? Sa mère désapprouvait son penchant pour la musique. Comme elle le disait si bien : « Ce n'est pas avec cette musique de trottoir que tu gagneras ta vie ! Trouve-toi un travail, un vrai, paie tes factures, et arrête de nous casser les oreilles ! »
Bien sûr qu'elle avait raison. Mais Jenna profitait de son adolescence pour faire de ce dont elle serait privée plus tard. Elle n'était pas idiote, et savait très bien que la musique payait peu. Elle n'avait même jamais envisagé en faire une vraie carrière. C'était un loisir, une passion, une bonne occasion de passer du temps avec ses amis. Quand d'autres fumaient, buvaient, sortaient, eux se réunissaient et battaient la mesure ensemble. Et ça lui suffisait.
Pourtant, en ce jour – qui aurait dû les réunir – elle aurait souhaité être auprès de ses parents. Mais ils s'offraient de magnifiques vacances au soleil. Et s'ils avaient trouvé quelqu'un pour nourrir Caramel, Jenna aurait été envoyée par colis postal chez sa grand-mère maternelle, qui la méprisait tout autant.
Elle savait déjà ce qui l'attendrait durant ces deux semaines. Pas un coup de téléphone. Pas même la plus petite carte postale, pour lui souhaiter de bonnes fêtes. Ou un bon anniversaire. Elle trouverait sur son oreiller un paquet cadeau en rentrant chez elle, ce soir-là, sans le moindre mot. Interdiction également de rester à la maison. Elle ne devait rentrer que pour nourrir le chat, puis retourner chez Élisabeth. Ses parents appelleraient ceux de son amie pour s'assurer qu'elle suivait bien les instructions.
Quant à ce concert, ils n'étaient pas au courant. Et elle ne leur en parlerait pas. S'ils l'avaient su, jamais elle n'aurait eu l'autorisation de rester en ville.
Sa mère, qui contrôlait ainsi chaque pan de son existence, décidait de ce qui était bon pour elle. À commencer par les études qu'elle devait faire. Sans lui laisser droit de regard. Jenna avait bien des fois tenté une objection, mais c'était alors la pension qu'on lui présentait sur un plateau. Et s'il n'y avait pas eu ses amis et la musique pour la dissuader de tenter une rébellion, elle y serait déjà depuis longtemps.
Dans ces conditions, comment se persuader de l'amour parental ?
Jenna ne souhaitait pas ressasser ses mauvaises pensées. Elle reporta donc son attention sur son amie, qui piochait avec délectation une fraise dans le bol.
— Quand le reverras-tu ?
Elles savaient toutes deux de qui Jenna parlait. Il y avait trois ans, Élisabeth était partie, bien malgré elle, aux États-Unis, un pays qui lui faisait pourtant horreur. Ses parents, en visite chez de vieux amis ayant quitté la France voilà bien longtemps, l'avaient traînée dans leurs bagages pour lui changer les idées. Et elle y avait fait la connaissance de quelqu'un.
Élisabeth n'en avait jamais vraiment parlé. Pourtant, quand elle était rentrée, Jenna avait réalisé qu'une chose avait changé. Elle était amoureuse.
C'était comme un secret, qu'il ne fallait pas bafouer. Mais le visage resplendissant d'Élisabeth ne laissait aucun doute quant à ses propres sentiments.
— Je ne sais pas. Ce n'est pas important.
Elles entendirent une clé tourner dans la serrure. Aussitôt, un courant d'air frais pénétra la pièce. Les deux filles se levèrent pour accueillir Laurence et Li. La première embrassa à peine Élisabeth, salua rapidement Jenna et fila à la cuisine, les mains prises dans les poignées de sacs de courses. Li n'était pas avec elle.
Elles aidèrent Laurence à ranger les courses. Il y avait là de quoi faire un somptueux festin, et Élisabeth s'en étonna. Mais lorsqu'elle interrogea sa mère, celle-ci évinça la question sans plus de cérémonie.
— J'espère que la dinde te plaît, Jenna. J'en préparerai pour le réveillon.
— Bien sûr !
À vrai dire, elle était même enchantée à cette idée. Sa mère, trouvant en Noël une fête uniquement commerciale, ne le fêtait jamais. Aussi, elle ne cuisinait pas non plus de somptueux repas – pour le peu qu'il lui arrivait de cuisiner. L'idée de dîner en famille, assortie d'un appétissant festin, était l'unique chose qui parvenait à lui redonner le sourire.
— Il y aura également une bûche.
— Tu verras, prévint Élisabeth, celles de Maman sont les meilleures.
— Je t'en prie, Élise ! Les filles, j'aurais besoin de votre aide pour ranger un peu la maison. Je tiens à ce que tout soit parfait. Je peux compter sur vous ? Vous trouverez bien quelques minutes à m'accorder avant votre précieux concert, non ?
Le ton, ironique, fit sourire Jenna.
— Maman, tu sais qu'on n'est plus des enfants ? Alors pourquoi continuer à mettre les cadeaux sous le sapin ? Tu sais qu'il perd ses épines !
— J'aime les traditions. Et puis, on a toujours décoré le sapin ensemble ! Cette année, Jenna nous aidera. Bon, les filles, sortez les poubelles, s'il vous plaît.
Laurence leur tendit deux sacs, un fermé, l'autre ouvert, empli de boîtes en carton, de bouteilles de plastique... Elles les attrapèrent et sortirent de la maison.
— C'est la première fois que je vais décorer un sapin, avoua Jenna.
— Quoi ?
— Mes parents ont un rituel : partir en vacances durant cette période. Comme il est plus important pour moi d'étudier que de m'amuser, je ne les accompagne jamais. Ils m'envoient tous les ans chez cette vieille bourrique de Germaine. Elle passe les vacances à me faire faire son ménage. Aussi, Noël n'existe pas dans ma famille. Tout au plus, il leur arrive parfois de m'offrir un cadeau.
Germaine était sa grand-mère maternelle, une vieille femme aigrie et sans amour. Elle aimait rester seule, et passait son temps à houspiller les jeunes enfants. Seule Lucette, sa grand-mère paternelle, avait à son égard des comportements qui s'apparentaient beaucoup à de l'amour. Elle avait toujours un cadeau caché dans un tiroir pour elle, lui envoyait souvent de l'argent, l'appelait pour les fêtes et son anniversaire. Elle ne l'oubliait jamais. Mais c'était pourtant sa grand-mère qu'elle voyait le moins. Cette bonne femme aux joues roses et aux cheveux grisonnants vivait à Nice.
Mais deux ans plus tard, à l’initiative de Baptiste – renommé affectueusement Baba – elles se trouvèrent de nouveau confrontées. Le jeune homme avait rassemblé six adolescents qu’une même passion unissait – la musique – et avait créé Machination, un groupe de rock alternatif. Étant les deux seules filles, leurs différences les rapprochèrent, et elles devinrent bientôt amies.
Élisabeth représentait tout ce que Jenna n’était pas, mais qu’elle aurait souhaité être du plus profond de son cœur, épanouie, belle et resplendissante, féminine… De par son père, de qui elle tenait ses origines asiatiques, elle avait hérité de magnifiques yeux noirs en amandes, d’un teint pâle et de longs cheveux d’ébène. Extrêmement jolie, elle attirait foule de regards. Pourtant, d’une incroyable naïveté, elle ne s’apercevait pas de l’intérêt qu’on lui portait. De crainte tout autant que de jalousie, les cinq garçons de leur groupe – devenus par la suite de précieux amis –, la protégeait si bien que personne n’osait l’approcher.
Cette fin d’année 2001 marquait, pour l’une comme pour l’autre, le passage à la majorité. Devenues, au fil des cinq ans, inséparables, elles s’étaient octroyées le luxe de passer du temps ensemble, loin des oreilles indiscrètes des cinq garçons, tous les vendredis soirs après l’école.
Depuis presque un an, Jenna passait autant de temps chez son amie que dans sa propre maison. Ses parents, souvent absents pour leur propre plaisir, la laissait à la garde de Laurence, la mère d’Élisabeth, qui veillait sur elle comme sur sa propre fille. Patrice et Sibylle n'accordaient pas assez foi à leur fille, qui n’avait de place que dans leur cœur. S'il n'y avait pas eu Caramel, Élisabeth ne savait pas ce qu'il serait advenu de Jenna.
Les deux jeunes filles étaient confortablement installées dans le canapé – de couleur crème, si moelleux qu'une fois assises, il était difficile de s'en extirper. D'être ainsi, en compagnie de son amie semblait à Jenna la chose la plus naturelle au monde. Leur petit aparté durait maintenant depuis près de quatre mois.
Jenna aimait être là. C'était comme se sentir enfin elle-même, cette jeune femme qu'elle aurait dû être. Et, loin de la tutelle parentale, elle pouvait enfin respirer.
Ce jour-là, l'appartement était étrangement vide. Li et Laurence, les parents d'Élisabeth, auraient déjà dû être rentrés. Leur retour, réglé comme une horloge, sonnait le début du weekend, le début de la belle vie. Élisabeth, enfant unique et désirée, était choyée.
Cette dernière tenait un bol rempli de fraises dans une main et un petit paquet emballé dans l'autre.
— Tiens ! lança-t-elle en le lui tendant, tandis qu'elle posait le bol sur la table basse.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ouvre ! Te fais pas prier ! Et encore, bon anniversaire !
Avec un sourire, Jenna déballa le cadeau. Elle en sortit bientôt un petit cadre avec une photographie les représentant encore, eux sept, dans leurs plus beaux habits, lors d'une soirée organisée en début d'année.
— Ça viendra grossir ta collection. D'ailleurs, tu nous réserves ton weekend prochain, Jen. Les mecs se sont pliés en quatre pour nous organiser une belle fête.
— Comme tous les ans...
Jenna sourit. Par un heureux hasard, les deux filles étaient nées à neuf jours d'intervalle, si bien que chaque année, les cinq garçons organisaient une belle soirée pour célébrer leurs deux anniversaires conjoints, l'occasion de faire d'une pierre deux coups.
— C'était censé être une surprise ? demanda Jenna tout sourire.
— Si bien gardée...
Elles éclatèrent de rire. Jenna savait déjà ce qui les attendait. Ils se retrouveraient chez Alec, il y aurait de la musique, de quoi manger, boire, et eux sept, comme toujours, ensemble, rigolant, parlant...
— Tu as prévu quelque chose pour les vacances ? demanda Jenna.
— Comme toujours. C'est beau, Paris sous la neige !
— Donc, pas de voyage aux État-Unis, cette année non plus.
— Non... Et puis, il y a le concert !
— C'est vrai...
Jenna les avait elle-même inscrits à ce concert amateur. Il se déroulait dans la cour d'un hôpital de Paris, pour égayer les fêtes de fin d’année des enfants hospitalisé, dont la plupart n’avait pu quitter leur chambre, malgré Noël. Il s'agissait d'un concert de charité dont les dons seraient reversés à la lutte contre la mucoviscidose. Mais c'était surtout l'occasion de donner leur première représentation publique, et ils étaient tous un peu tendus à cette perspective.
Malgré tout, Jenna ne parvenait pas réellement à se réjouir de l'évènement. La participation à ce concert, le dimanche en huit, en date du 30, était également une opportunité pour chacun des adolescents de se retrouver en famille, de partager avec leurs proches cette passion. Pourtant, les parents de Jenna, partis aux Seychelles dans l'après-midi, n'y assisteraient pas. Et à quoi bon, de toute façon ? Sa mère désapprouvait son penchant pour la musique. Comme elle le disait si bien : « Ce n'est pas avec cette musique de trottoir que tu gagneras ta vie ! Trouve-toi un travail, un vrai, paie tes factures, et arrête de nous casser les oreilles ! »
Bien sûr qu'elle avait raison. Mais Jenna profitait de son adolescence pour faire de ce dont elle serait privée plus tard. Elle n'était pas idiote, et savait très bien que la musique payait peu. Elle n'avait même jamais envisagé en faire une vraie carrière. C'était un loisir, une passion, une bonne occasion de passer du temps avec ses amis. Quand d'autres fumaient, buvaient, sortaient, eux se réunissaient et battaient la mesure ensemble. Et ça lui suffisait.
Pourtant, en ce jour – qui aurait dû les réunir – elle aurait souhaité être auprès de ses parents. Mais ils s'offraient de magnifiques vacances au soleil. Et s'ils avaient trouvé quelqu'un pour nourrir Caramel, Jenna aurait été envoyée par colis postal chez sa grand-mère maternelle, qui la méprisait tout autant.
Elle savait déjà ce qui l'attendrait durant ces deux semaines. Pas un coup de téléphone. Pas même la plus petite carte postale, pour lui souhaiter de bonnes fêtes. Ou un bon anniversaire. Elle trouverait sur son oreiller un paquet cadeau en rentrant chez elle, ce soir-là, sans le moindre mot. Interdiction également de rester à la maison. Elle ne devait rentrer que pour nourrir le chat, puis retourner chez Élisabeth. Ses parents appelleraient ceux de son amie pour s'assurer qu'elle suivait bien les instructions.
Quant à ce concert, ils n'étaient pas au courant. Et elle ne leur en parlerait pas. S'ils l'avaient su, jamais elle n'aurait eu l'autorisation de rester en ville.
Sa mère, qui contrôlait ainsi chaque pan de son existence, décidait de ce qui était bon pour elle. À commencer par les études qu'elle devait faire. Sans lui laisser droit de regard. Jenna avait bien des fois tenté une objection, mais c'était alors la pension qu'on lui présentait sur un plateau. Et s'il n'y avait pas eu ses amis et la musique pour la dissuader de tenter une rébellion, elle y serait déjà depuis longtemps.
Dans ces conditions, comment se persuader de l'amour parental ?
Jenna ne souhaitait pas ressasser ses mauvaises pensées. Elle reporta donc son attention sur son amie, qui piochait avec délectation une fraise dans le bol.
— Quand le reverras-tu ?
Elles savaient toutes deux de qui Jenna parlait. Il y avait trois ans, Élisabeth était partie, bien malgré elle, aux États-Unis, un pays qui lui faisait pourtant horreur. Ses parents, en visite chez de vieux amis ayant quitté la France voilà bien longtemps, l'avaient traînée dans leurs bagages pour lui changer les idées. Et elle y avait fait la connaissance de quelqu'un.
Élisabeth n'en avait jamais vraiment parlé. Pourtant, quand elle était rentrée, Jenna avait réalisé qu'une chose avait changé. Elle était amoureuse.
C'était comme un secret, qu'il ne fallait pas bafouer. Mais le visage resplendissant d'Élisabeth ne laissait aucun doute quant à ses propres sentiments.
— Je ne sais pas. Ce n'est pas important.
Elles entendirent une clé tourner dans la serrure. Aussitôt, un courant d'air frais pénétra la pièce. Les deux filles se levèrent pour accueillir Laurence et Li. La première embrassa à peine Élisabeth, salua rapidement Jenna et fila à la cuisine, les mains prises dans les poignées de sacs de courses. Li n'était pas avec elle.
Elles aidèrent Laurence à ranger les courses. Il y avait là de quoi faire un somptueux festin, et Élisabeth s'en étonna. Mais lorsqu'elle interrogea sa mère, celle-ci évinça la question sans plus de cérémonie.
— J'espère que la dinde te plaît, Jenna. J'en préparerai pour le réveillon.
— Bien sûr !
À vrai dire, elle était même enchantée à cette idée. Sa mère, trouvant en Noël une fête uniquement commerciale, ne le fêtait jamais. Aussi, elle ne cuisinait pas non plus de somptueux repas – pour le peu qu'il lui arrivait de cuisiner. L'idée de dîner en famille, assortie d'un appétissant festin, était l'unique chose qui parvenait à lui redonner le sourire.
— Il y aura également une bûche.
— Tu verras, prévint Élisabeth, celles de Maman sont les meilleures.
— Je t'en prie, Élise ! Les filles, j'aurais besoin de votre aide pour ranger un peu la maison. Je tiens à ce que tout soit parfait. Je peux compter sur vous ? Vous trouverez bien quelques minutes à m'accorder avant votre précieux concert, non ?
Le ton, ironique, fit sourire Jenna.
— Maman, tu sais qu'on n'est plus des enfants ? Alors pourquoi continuer à mettre les cadeaux sous le sapin ? Tu sais qu'il perd ses épines !
— J'aime les traditions. Et puis, on a toujours décoré le sapin ensemble ! Cette année, Jenna nous aidera. Bon, les filles, sortez les poubelles, s'il vous plaît.
Laurence leur tendit deux sacs, un fermé, l'autre ouvert, empli de boîtes en carton, de bouteilles de plastique... Elles les attrapèrent et sortirent de la maison.
— C'est la première fois que je vais décorer un sapin, avoua Jenna.
— Quoi ?
— Mes parents ont un rituel : partir en vacances durant cette période. Comme il est plus important pour moi d'étudier que de m'amuser, je ne les accompagne jamais. Ils m'envoient tous les ans chez cette vieille bourrique de Germaine. Elle passe les vacances à me faire faire son ménage. Aussi, Noël n'existe pas dans ma famille. Tout au plus, il leur arrive parfois de m'offrir un cadeau.
Germaine était sa grand-mère maternelle, une vieille femme aigrie et sans amour. Elle aimait rester seule, et passait son temps à houspiller les jeunes enfants. Seule Lucette, sa grand-mère paternelle, avait à son égard des comportements qui s'apparentaient beaucoup à de l'amour. Elle avait toujours un cadeau caché dans un tiroir pour elle, lui envoyait souvent de l'argent, l'appelait pour les fêtes et son anniversaire. Elle ne l'oubliait jamais. Mais c'était pourtant sa grand-mère qu'elle voyait le moins. Cette bonne femme aux joues roses et aux cheveux grisonnants vivait à Nice.
© Jessica Lumbroso
Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur.
Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(3ème partie suite)
Les deux amies venaient de terminer le tri des déchets quand une voiture se gara dans l'allée. Élisabeth vit son père en descendre bientôt. Elle et Jenna s'approchèrent pour le saluer.
Alors, Pierre sortit également, par la portière côté passager. Élisabeth s'arrêta dans son élan, un sourire figé sur les lèvres. Pierre, qu'elle n'avait pas vu depuis trois ans. L’homme était grand, les cheveux poivres et sel et dont le ventre étirait légèrement son blouson. Son visage halé, rayonnant, affichait un ravissement qui fit sourire plus encore Élisabeth.
La jeune fille se demanda soudain s’il était venu seul. Elle aurait préféré.
— Comme tu as grandi, Lisa ! s'exclama Julie.
Une femme élancée, blonde et sophistiquée, rejoignit Pierre sur le trottoir.
— Tu es toute belle !
Comme Élisabeth ne bougeait pas, trop étonnée de les voir là, elle continua :
— Viens dans mes bras,ma grande.
Avec un sourire, la jeune fille s'exécuta enfin. Julie était comme une seconde mère pour elle, une femme qu'elle respectait énormément. Et alors qu'elle l'enlaçait, la portière arrière de la voiture claqua et un jeune homme d’une vingtaine d’années en descendit. Élisabeth sourit de plus belle, le cœur s'accélérant.
— Ryan...
Le prendre dans ses bras, c'était comme se sentir enfin chez elle. Elle y était bien, à l'abri, comme intouchable. Et elle aurait souhaité ne jamais plus en sortir.
Malgré les années, Ryan n'avait pas changé. Toujours aussi grand – il la dominait de vingt bons centimètres –, toujours aussi brun, la peau aussi mâte. Également toujours aussi costaud, un peu trop à son goût d'ailleurs. Avec un peu de force, il pourrait la briser aisément.
— Qu'est-ce que... Comment ? balbutia Élisabeth.
— Les vacances...
— Mais...
Élisabeth était bien placée pour savoir que leurs vacances ne duraient pas assez longtemps pour un voyage de cette ampleur. Voilà combien de temps qu'ils n'étaient pas revenus en France ? Cinq, six, peut-être dix ans ?
— Pourrais-je participer à la fête ?
Élisabeth se retourna. Du trottoir, Connor, le petit frère de Ryan, la dévisageait, tout sourire. Le cœur de la jeune fille se souleva. Connor était ici. Connor dont elle n'arrivait à oublier le sourire, le regard, la voix si douce... même trois ans plus tard, elle sentait son cœur battre toujours aussi fort la chamade. Connor était là.
— Eh bien ? Je n'ai pas le droit à un câlin ?
Sans attendre de réponse, il l'attrapa et la serra contre lui, fort, plus fort peut-être qu'il ne l'aurait fallu. Pendant un bref instant, Élisabeth ferma les yeux, heureuse, enfin. Mais bientôt, une sourde souffrance qu'elle pensait disparue l'envahit, et elle se ressaisit.
— Tiens, Jenna ! s'exclama Li. Tu vas bien ?
Cette dernière hocha la tête, quelque peu intimidée, tandis qu'elle voyait son amie rompre son étreinte et la dévisager, une étrange lueur dans le regard.
— Laisse-moi te présenter Pierre, un ami de longue date, ajouta Li. Et voici Julie, sa femme.
— Enchantée.
Ils avaient tous trois parlé en même temps. Julie sourit et l'embrassa. Jenna trouva étrange cette proximité avec cette femme qu'elle ne connaissait pas et dont elle avait pourtant entendu si souvent parler.
— On ne vous dérange pas plus longtemps. Où est donc Laurence, que j'aille la saluer ?
— À la cuisine, répondit Élisabeth.
— Les garçons, aidez-moi à décharger, demanda Li.
Élisabeth vint rejoindre Jenna, chancelante, et toutes deux détaillèrent les nouveaux venus, intriguées.
— Est-ce que ça va ? demanda Jenna.
Élisabeth émit un son presque inaudible, acquiesçant silencieusement.
— Connor ?
— Connor...
Elle était chamboulée. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ? Elle n'aurait jamais imaginé le revoir en de telles circonstances. Et c'est avec étonnement qu'elle vit son père attraper deux sacs et pénétrer dans la maison.
— Ne me dis pas qu'ils vont rester ici ? murmura-t-elle.
— Ça m'en a tout l'air.
Il ne restait plus désormais que les quatre adolescents sur le trottoir. Jenna leur proposa son aide, qu'ils refusèrent poliment. Elle réalisa, agréablement surprise, qu'ils avaient, l'un comme l'autre, un léger accent tout à fait charmant.
— Allez, fais pas cette tête ! s'exclama Ryan à l'adresse d'Élisabeth. Tu n'es pas contente de nous voir ?
Sans attendre de réponse, il lui embrassa la joue et la doubla pour entrer également se mettre au chaud. Connor la dévisagea quelques instant avant de suivre son frère.
— Les vacances ne seront peut-être pas aussi prévisibles, lança Jenna. Ça ira, ne t'en fais pas.
Les deux amies venaient de terminer le tri des déchets quand une voiture se gara dans l'allée. Élisabeth vit son père en descendre bientôt. Elle et Jenna s'approchèrent pour le saluer.
Alors, Pierre sortit également, par la portière côté passager. Élisabeth s'arrêta dans son élan, un sourire figé sur les lèvres. Pierre, qu'elle n'avait pas vu depuis trois ans. L’homme était grand, les cheveux poivres et sel et dont le ventre étirait légèrement son blouson. Son visage halé, rayonnant, affichait un ravissement qui fit sourire plus encore Élisabeth.
La jeune fille se demanda soudain s’il était venu seul. Elle aurait préféré.
— Comme tu as grandi, Lisa ! s'exclama Julie.
Une femme élancée, blonde et sophistiquée, rejoignit Pierre sur le trottoir.
— Tu es toute belle !
Comme Élisabeth ne bougeait pas, trop étonnée de les voir là, elle continua :
— Viens dans mes bras,ma grande.
Avec un sourire, la jeune fille s'exécuta enfin. Julie était comme une seconde mère pour elle, une femme qu'elle respectait énormément. Et alors qu'elle l'enlaçait, la portière arrière de la voiture claqua et un jeune homme d’une vingtaine d’années en descendit. Élisabeth sourit de plus belle, le cœur s'accélérant.
— Ryan...
Le prendre dans ses bras, c'était comme se sentir enfin chez elle. Elle y était bien, à l'abri, comme intouchable. Et elle aurait souhaité ne jamais plus en sortir.
Malgré les années, Ryan n'avait pas changé. Toujours aussi grand – il la dominait de vingt bons centimètres –, toujours aussi brun, la peau aussi mâte. Également toujours aussi costaud, un peu trop à son goût d'ailleurs. Avec un peu de force, il pourrait la briser aisément.
— Qu'est-ce que... Comment ? balbutia Élisabeth.
— Les vacances...
— Mais...
Élisabeth était bien placée pour savoir que leurs vacances ne duraient pas assez longtemps pour un voyage de cette ampleur. Voilà combien de temps qu'ils n'étaient pas revenus en France ? Cinq, six, peut-être dix ans ?
— Pourrais-je participer à la fête ?
Élisabeth se retourna. Du trottoir, Connor, le petit frère de Ryan, la dévisageait, tout sourire. Le cœur de la jeune fille se souleva. Connor était ici. Connor dont elle n'arrivait à oublier le sourire, le regard, la voix si douce... même trois ans plus tard, elle sentait son cœur battre toujours aussi fort la chamade. Connor était là.
— Eh bien ? Je n'ai pas le droit à un câlin ?
Sans attendre de réponse, il l'attrapa et la serra contre lui, fort, plus fort peut-être qu'il ne l'aurait fallu. Pendant un bref instant, Élisabeth ferma les yeux, heureuse, enfin. Mais bientôt, une sourde souffrance qu'elle pensait disparue l'envahit, et elle se ressaisit.
— Tiens, Jenna ! s'exclama Li. Tu vas bien ?
Cette dernière hocha la tête, quelque peu intimidée, tandis qu'elle voyait son amie rompre son étreinte et la dévisager, une étrange lueur dans le regard.
— Laisse-moi te présenter Pierre, un ami de longue date, ajouta Li. Et voici Julie, sa femme.
— Enchantée.
Ils avaient tous trois parlé en même temps. Julie sourit et l'embrassa. Jenna trouva étrange cette proximité avec cette femme qu'elle ne connaissait pas et dont elle avait pourtant entendu si souvent parler.
— On ne vous dérange pas plus longtemps. Où est donc Laurence, que j'aille la saluer ?
— À la cuisine, répondit Élisabeth.
— Les garçons, aidez-moi à décharger, demanda Li.
Élisabeth vint rejoindre Jenna, chancelante, et toutes deux détaillèrent les nouveaux venus, intriguées.
— Est-ce que ça va ? demanda Jenna.
Élisabeth émit un son presque inaudible, acquiesçant silencieusement.
— Connor ?
— Connor...
Elle était chamboulée. Qu'allait-elle bien pouvoir faire ? Elle n'aurait jamais imaginé le revoir en de telles circonstances. Et c'est avec étonnement qu'elle vit son père attraper deux sacs et pénétrer dans la maison.
— Ne me dis pas qu'ils vont rester ici ? murmura-t-elle.
— Ça m'en a tout l'air.
Il ne restait plus désormais que les quatre adolescents sur le trottoir. Jenna leur proposa son aide, qu'ils refusèrent poliment. Elle réalisa, agréablement surprise, qu'ils avaient, l'un comme l'autre, un léger accent tout à fait charmant.
— Allez, fais pas cette tête ! s'exclama Ryan à l'adresse d'Élisabeth. Tu n'es pas contente de nous voir ?
Sans attendre de réponse, il lui embrassa la joue et la doubla pour entrer également se mettre au chaud. Connor la dévisagea quelques instant avant de suivre son frère.
— Les vacances ne seront peut-être pas aussi prévisibles, lança Jenna. Ça ira, ne t'en fais pas.
© Jessica Lumbroso
Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur.
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(4ème partie)
**
Les deux semaines à venir étaient placées sous le signe de la joie.
Jenna comptait profiter pleinement de la présence de ses amis. Elle les aurait à elle toutes les vacances, et elle en était heureuse. Pourtant, il lui fallait encore faire abstraction de l'absence de ses parents, qui la perturbait encore beaucoup.
Elle ne s'accorderait le droit de rentrer chez elle que pour nourrir Caramel – comme promis à Sibylle – mais également pour investir le garage lors des répétitions en attendant le concert. Qui approchait décidément bien vite.
Comme elle s'y était attendue, hormis un cadeau sur son oreiller, rien, de ses parents, ne l'attendait : pas de message écrit collé sur le frigo ; pas même un message vocal sur le répondeur ; et aucun numéro où les joindre en cas de problèmes. Ils s'étaient envolés pour les Seychelles, abri d'amour, coupés de tout et de tous.
Mais elle aurait pu tomber plus mal. Chez cette folle de Germaine, par exemple. Au lieu de quoi, elle demeurerait deux semaines entières chez Élisabeth, à profiter d'elle et de chacun de ses amis... Les deux frères américains n'étaient qu'un plus dans son programme. Leur présence en ces lieux agrémentait les discussions des deux filles.Jenna comptait profiter pleinement de la présence de ses amis. Elle les aurait à elle toutes les vacances, et elle en était heureuse. Pourtant, il lui fallait encore faire abstraction de l'absence de ses parents, qui la perturbait encore beaucoup.
Elle ne s'accorderait le droit de rentrer chez elle que pour nourrir Caramel – comme promis à Sibylle – mais également pour investir le garage lors des répétitions en attendant le concert. Qui approchait décidément bien vite.
Comme elle s'y était attendue, hormis un cadeau sur son oreiller, rien, de ses parents, ne l'attendait : pas de message écrit collé sur le frigo ; pas même un message vocal sur le répondeur ; et aucun numéro où les joindre en cas de problèmes. Ils s'étaient envolés pour les Seychelles, abri d'amour, coupés de tout et de tous.
Jenna devait bien avouer qu'elle les trouvait tous deux séduisants, mais quand le cœur du premier appartenait à son amie, le second lui faisait littéralement froid dans le dos. Sombre, il passait son temps à les contempler silencieusement, observant chacun de leurs faits et gestes. Jenna se sentait complètement mise à nue devant cet inconnu, et ça la mettait grandement mal à l’aise.
Et les choses ne s'arrangeraient pas. La maisonnée, devenue temporairement un lieu d'ancrage, portait en son sein huit personnes, qu'elle choyait quotidiennement. Mais huit personnes à loger, c'était beaucoup, dans une petite demeure. Aussi, le salon avait été investi par Pierre et Julie, qui en avaient fait leur chambre à coucher. Quant à celle d'Élisabeth, ils devraient s'y tasser à quatre, Jenna et elle, mais également Ryan et Connor. Il n'y avait aucun autre endroit où les loger.
Les parents, d'abord sceptiques, n'avaient eu d'autre choix. La présence de Jenna rassurait quelque peu Li qui n'aurait pas supporté de savoir sa fille seule avec deux jeunes hommes dans la fleur de l'âge. Mais cet accord ne convenait ni à Jenna, ni à Ryan. L'un comme l'autre, gênés d'être ainsi privés d'intimité, ne supportaient pas cette proximité étrange. Les deux autres, qui s'en moquaient éperdument, voyaient en cette opportunité l'occasion de s'amuser plus encore.
Élisabeth avait été obligée de calmer le jeu. Ce n'était pas tant Jenna qui l'inquiétait – non, elle savait que la jeune fille, simple et délurée, était ouverte à toute amitié – mais plutôt Ryan. Elle l'avait connu froid, distant, presque méchant, à toujours rejeter ceux qui l'entouraient. Ryan lui promit d’être courtois, mais ça ne l'empêchait pas de voir cette soudaine promiscuité d'un mauvais œil. D'autant plus qu'il s'était laissé déborder par des ressentiments divers qu'il ne connaissait pas.
La première nuit, Ryan l'avait passée à contempler le plafond, incapable de trouver le sommeil. De savoir les deux filles à proximité ne l'aidait pas. Il fut étonné de se trouver troublé de cette situation. Il savait pertinemment qu’Élisabeth était comme une sœur pour lui. Aussi, son sentiment de gêne n’était nullement dû à sa présence. Mais pouvait-il en dire autant de l’autre fille ?
La soirée de la veille avait été des plus animée. Tout le monde parlait avait animation, riant, buvant. C’était la première fois que leurs parents se retrouvaient depuis trois ans, et il comprenait la gaieté ambiante. Mais lui était resté silencieux tout le repas, à l’instar de Jenna. Jenna qu’il avait sentie empreinte, pas vraiment à l’aise. Plusieurs fois, elle l’avait contemplé à la dérobée. Et il avait senti avec étonnement un soupçon de contentement le parcourir.
Cette situation l’agaçait étrangement. Il ne voulait pas se laisser aller, il ne voulait rien éprouver, rien ressentir, ne pas s’attacher, ni à elle, ni à cette ville, ni à cette vie. Il n’était là que quelques jours, et ça lui convenait.
Alors pourquoi se sentait-il si intrigué ?
Aux premières lueurs, il perçu un mouvement. Jenna sortit de la chambre sur la pointe des pieds, tentant de ne réveiller personne. Il était encore tôt et il n'y avait aucun bruit dans la maison. Les parents devaient sûrement encore dormir.
Sur un coup de tête, il se redressa et la suivit à travers les couloirs de l'étage. Il la trouva à la cuisine, en train de se préparer un chocolat chaud. Il avait dû être très discret, car elle n'avait pas remarqué sa présence. Mais lorsqu'elle lui fit face, elle ne put s'empêcher de sursauter de surprise.
— Tu m'as fait peur, chuchota-t-elle.
Personne ne pouvait l'entendre, pourtant elle avait l'impression qu'elle faisait déjà trop de bruit.
Ryan était planté dans l'embrasure de la porte. Il faisait encore sombre dans la cuisine, dont elle n'avait pas allumé la lumière, mais elle discernait sa silhouette dans la pénombre, son regard brillant. Il avait croisé les bras sur sa poitrine, et il la contemplait, fermé.
— Je n'aime pas cette situation, finit-il par dire d'un ton égal.
Jenna l'avait bien compris. Et elle ne lui plaisait pas non plus. Mais elle trouva inutile de le lui faire remarquer. Elle se tut donc et vint s'installer à la table ronde de la cuisine, sur laquelle elle avait déposé son bol de chocolat chaud.
— Qu'est-ce que tu fais planté là ? murmura Jenna tandis qu'il la dévisageait toujours.
— Qu'on soit bien clairs, dit-il en s'installant à ses côtés. Si je fais ça, c'est uniquement pour Élisabeth. Alors même si cette situation m'est désagréable, je te promets de faire des efforts.
— Je n'en ai rien à faire. Je vais être honnête : tu m'es très antipathique. Ne le prends surtout pas mal, mais tu instaures d'office une distance entre les autres et toi. C'est ce que tu désires ? Soit. Ça ne me dérange pas. Des amis, j'en ai déjà. Je n'en ai pas besoin de plus.
Elle disait vrai. Pourtant, elle aurait souhaité qu’il réagisse différemment. Qu’il se laisse approcher. Sans trop savoir pourquoi.
— Mais Élisabeth insiste pour que tout se passe bien entre nous. Et je suis d'avis qu'on essaie de se tolérer.
— Ce n'est pas à moi que ça pose problème. Je te tolère, malgré ton air lugubre. Même si tu me fais peur…
— Et si on repartait du bon pied ?
— Ne t'en sens pas obligé. Tu ne restes que trois semaines. Après, tu rentreras chez toi, on s'oubliera.
— Tu restes ici deux semaines, toi, c'est bien ça ?
— C'est ça...
— Pendant ces deux semaines, nous partagerons la même chambre. Je suppose que si les choses ne s'améliorent pas, ce sera difficile à supporter.
Il était vrai qu'à cette allure, ils se fuiraient avant la fin de semaine. Et quelque part, cette antipathie ressentie lui était désagréable. Inconsciemment, elle était attirée par cet être sombre qui ne laissait rien transparaître. Ni émotions, ni pensées.
Jenna inspira profondément et lui tendit sa main. Elle resta ainsi quelques instants, avant qu'il ne la saisisse.
— Jenna. Enchantée, dit-elle dans un sourire.
Puis ils retombèrent dans le silence. Elle prit son bol entre ses mains et but de longues gorgées. Ryan la contempla encore.
La faible lueur qui éclairait la pièce se reflétait dans ses yeux, dont il ne voyait que le blanc. Ses lèvres semblaient humides tant elles brillaient, attrayantes, séductrices. Il ne parvenait à détourner son regard de cette bouche qu'il se prenait à désirer.
— Quoi ? demanda Jenna.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? interrogea Ryan, tentant d'oublier son trouble.
— Je déjeune.
— Non, je voulais dire ici, chez Lisa.
— Ah... Eh bien, vois-tu, tout le monde n'a pas la chance d'avoir des parents aimants et généreux. Oh ! si, sûrement m'aiment-ils. Mais généreux... j'ai un sérieux doute sur la question. Sûrement plus égoïstes que généreux. Disons qu'ils font passé leur petit bonheur avant celui de leur dévouée.
Jenna se montra du doigt, comme se désignant. Puis elle se leva, et porta son bol vide à l'évier. Elle prit un gâteau dans un placard et revint s'asseoir.
— Comment ça ?
— C'est une histoire très compliquée...
— J'ai tout mon temps. Deux semaines, à vrai dire.
Jenna sourit.
— Ils sont partis en vacances en me laissant à la garde de Laurence et Li. J'ai interdiction formelle de passer rien qu'une nuit chez moi... Ils ne me font pas confiance. Du moins, non, c'est ma mère qui n'a pas confiance.
Jenna se surprenait à confier ses secrets si facilement à Ryan. Et le jeune homme l’encourageait du regard à continuer. Il cherchait peut-être à connaître davantage celle qui partagerait sa vie durant deux semaines ?
Aussi, elle enchaîna :
— Mon père est trop effacé pour apposer la moindre objection. Il évite les conflits. Et des conflits, avec ma mère, il y en a toujours. Elle a un tempérament de guide. Elle est celle qu'il faut écouter, celle qui sait mieux que tout le monde, celle qui décide. Pour tout. Pour moi. Alors me voilà ici !
— Mais Noël est une fête de famille.
Ce n’était pas une protestation, juste une remarque, comme lue sur ses propres traits.
— C'est ce que je me tue à lui expliquer.
Elle se tut, incapable d'en dire davantage. Ryan n'en demandait pas autant, elle le savait, mais parler de sa famille ne la dérangeait plus. Ce n'était pas pour être plainte, mais juste qu'elle trouvait cela normal, à présent. Elle y était habituée.
— Ta mère décide de tout ? Et pour ton avenir ?
— Brillant, d'après elle. Elle me destine à la très belle carrière d'architecte d'intérieur.
— Et c'est ce que tu désires ?
— Non, mais c'est cette voie-là que je suis.
— Mais tu as le choix !
— Erreur. Elle, c'est la Madone, et personne ne contredit la Madone. J'ai déjà essayé. Si je ne fais pas ce qu'elle désire, si je ne me tiens pas à carreau, ils m'enverront en pension, où je suivrai tout de même les cours qu'elle m'aura choisis. Quitte à choisir, je préfère rester ici, chez moi, avec mes amis.
— C'est de la tyrannie.
— Qui s'en préoccupe ?
— Mais si tu avais le choix ?
— Je n'ai pas le choix.
Comme il la contemplait avec insistance, elle se résigna.
— Si j'avais le choix, je pense que je travaillerais en librairie. J'aime les livres.
— Écoute, si je peux me permettre un conseil... Il faut toujours aller au bout de ses rêves.
Jenna le savait bien. Pourtant, elle n'avait aucun moyen d'échapper à la dictature matriarcale. Elle avait bien plusieurs fois pensé à fuguer, mais il y avait Alec, et le groupe. Et puis pour aller où ? Elle n'en avait pas le courage. Trop de choses la raccrochaient à sa vie.
— Et toi ? demanda Jenna.
— Je travaille déjà, en parallèle des études.
— Et tu fais quoi ?
— Manutention en librairie.
— Tiens donc !
Jenna ne put s'empêcher de sourire, puis d'éclater franchement de rire.
— Chut ! s'exclama Ryan en mettant un doigt devant sa bouche.
Le rire franc et clair de la jeune fille était communicatif, si bien qu'il ne put s'empêcher de sourire, tandis qu'elle plaquait une main sur sa bouche, essayant de contenir son rire. Elle avait toujours rit très fort, et craignait de réveiller toute la maison.
— Désolée... murmura-t-elle enfin.
— Il n'y a pas de mal.
— C'est également une passion ?
— Si on veut. Lire, c'est découvrir, apprendre...
— Vivre. Vivre de belles aventures, sortir de sa propre histoire, être le héros pour une nuit, le temps de centaines de pages...
— Exact.
— C'est justement pour vivre plus intensément que j'écris. Je ne sais pas mais... j'ai parfois l'impression de me laisser porter, de ne pas profiter, d'être... engourdie, gelée, passive, à vivre ma vie sans en jouir pleinement. Dans ces moments-là, des moments de doutes, de crises, de blues, je couche sur papier tous mes ressentis, toutes ces idées qui me passent par la tête et dont je ne débats jamais. J'ai besoin de me vider la tête.
Elle réalisa soudain qu'elle parlait vite, et d'un sujet qu'elle n'abordait que très rarement. Alors pourquoi se confiait-elle à un parfait étranger ? Était-ce la pénombre, ou le personnage, qui facilitait les confessions ? Il lui semblait facile de se livrer, d'être sûre de ne jamais être jugée. Et puis, après tout, d'ici trois semaines, il ne serait plus présent. Son opinion ne compterait plus.
Ryan, lui, était troublé par ces dernières paroles. Il ne pouvait les démentir : lui-même, parfois, en avait également l'impression. Vivre par procuration était parfois mieux que de vivre tout court, quand sa propre vie partait en l'air, qu'il ne la désirait plus, qu'il ne la contrôlait même plus.
Jenna lui sembla soudain différente, comme plus intéressante, avec peut-être un avis à partager, qui pourrait compter...
Il se redressa vivement.
— Je... Je retourne me coucher, je suis fatigué.
Il tournait déjà les talons. Il était sur le point de quitter la cuisine quand il l'entendit s'exclamer :
— Attends ! Tu pourras dire à Liz que je suis rentrée chez moi nourrir Caramel ?
© Jessica Lumbroso
Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur.
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(5ème partie)
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Lorsque Jenna pénétra dans la chambre d’Alec, il dormait paisiblement sur le ventre, torse nu, la tête tournée face au mur, enfoncée dans l'oreiller. Jenna avança sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller et se faufila sous la couette, à ses côtés.
C'était une chose qu'elle n'avait pas faite depuis très longtemps, mais dont elle ressentait aujourd'hui le besoin. Ils avaient partagé plus que leurs draps, enfants. Pourtant, quelque chose, avec les années, s'était rompue, une chose qu'elle ne parvenait à identifier. En grandissant, ils s'étaient éloignés l'un de l'autre, légèrement, mais assez pour qu'elle en ressente le poids aujourd'hui.
Elle avait besoin d'être auprès de lui, de se rassurer, de l'entendre lui dire que tout irait bien. Il était tout pour elle. Vraiment. Et parfois, même souvent, ça lui pesait. Lorsque son cœur ne supportait plus l’indifférence, il se tournait vers Alec, comme chargé d’espoir. Grâce à lui, elle avait survécu. Grâce à lui, elle avait vécu, tout simplement, à l’abri des colères, des contraintes, des déceptions. Et c'était lui, véritablement, qui l'avait retenu ici, en ville.
Elle avait tant de sentiments confus en elle, des sentiments insupportables, qu’elle ne pouvait contrôler, et desquels elle tentait vainement de se défaire, qu’il lui semblait parfois s’abîmer, croulant sous toutes ces émotions néfastes. Elle aimait ses parents, oh oui ! elle les aimait tant ! Et pourtant, jamais elle n’avait souhaité détester si fort quelqu’un.
Et parfois, il lui semblait y être parvenu.
Son amour sans faille pour des parents absents nourrissait une sourde haine, implacable, dont elle ne parvenait à se défaire, et que chaque jour alimentait davantage.
Alec respira soudain fort, tandis qu'un son semblable à un ronflement s'échappait de ses narines. Puis il tourna la tête et lui fit face. Jenna, allongée sur le flanc gauche, le contemplait affectueusement.
La fenêtre dans son dos, dont les rideaux n'étaient pas assez opaques pour filtrer la lumière du jour, laissait passer de fins rayons qui illuminaient légèrement la pièce, lui permettant d'avoir une bonne vision du jeune homme. Il avait la bouche légèrement entrouverte, les cheveux en batailles lui tombant sur le front. Jenna le trouva attendrissant.
Elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait réellement pris le temps de le contempler ainsi. Quand avait-il vieilli ? Ses traits – plus carrés que dans son souvenir – étaient aujourd'hui ceux d'un homme ; une fine barbe ombrageait légèrement ses joues. Il la dépassait désormais d'une bonne dizaine de centimètres, lui qui se plaignait enfant qu'elle était beaucoup trop grande – pour une fille, ne cessait-il de préciser. Tous ces souvenirs lui revenaient peu à peu en mémoire, la rendant étrangement nostalgique. Elle aurait aimé que rien ne change, que toujours ils restent de petits enfants, sans soucis, naïfs, avec pour seul univers l'autre.
Elle voulait lui parler, se laisser réconforter... Aussi, décida-t-elle qu'il avait assez dormi. Elle le secoua très légèrement.
— Alec... murmura-t-elle. Al, il est l'heure d'ouvrir les yeux...
Le jeune homme grogna et se tourna. Il lui faisait désormais complètement face.
— Allez, Al...
Un nouveau son sortit de sa bouche fermée, puis il fronça des sourcils. Les mimiques qu'il faisait au réveil amusaient Jenna depuis toujours. Enfin, il ouvrit un œil. Et c'est étonné qu'il murmura :
— Jenny ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'ai besoin d'un raison particulière pour venir te voir ? Fut un temps où tu ne m'aurais pas même posé de question.
— Mais ce temps-là est révolu.
Il cligna des yeux.
— Quelle heure est-il ?
— Je ne sais pas. Peut-être neuf heures, neuf heures et demie.
Il marqua un temps d'arrêt. Épuisé, il avait du mal à remettre ses idées en ordre.
— Sais-tu à quelle heure je me suis couché, cette nuit ? Pourquoi viens-tu me réveiller si tôt ?
— J'avais envie de te voir.
Il l'aurait bien enguirlandé – notamment s'il en avait eu la force – mais il sentait que Jenna n'était pas dans son assiette. Quelque chose la tourmentait. De toute manière, il lui avait toujours tout passé. Il lui ouvrit alors ses bras.
— Viens là.
Elle obtempéra et se blottit contre lui, savourant la chaleur de son corps. Le poids qu'elle sentait sur son cœur s'envola presque instantanément, tandis qu'elle serrait plus fort encore Alec contre elle. Et c'est ainsi, dans les bras l'un de l'autre, au chaud sous la couette, qu'ils se rendormirent tous deux, épuisés. Jenna, elle-même, qui n'avait pas beaucoup dormi cette nuit-là, sombra presque immédiatement, le cœur plus léger.
Ce fut vers midi qu'ils rouvrirent les yeux. Et sans un mot, ils se levèrent. Jenna était soudain gênée d'avoir eu besoin de satisfaire un minable caprice de gamine. Elle devait prendre sur elle, se soulager seule, sans l'aide de son ami. Il lui fallait parvenir à vivre sans lui. Comment ferait-elle plus tard ?
Ils avaient passé l'âge de dormir ensemble, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle ne se faufilait plus en douce dans son lit, la nuit. Ils étaient presque adultes, et malgré son amitié, il y avait des choses qu'elle ne se sentait plus de faire, des limites à ne plus franchir.
D'autant plus que c'était en caleçon, torse nu, qu'il se tenait désormais, debout face à elle, à la recherche de vêtements à se mettre sur le dos. Elle s'excusa timidement.
— Pourquoi ?
— C'était stupide. Je n'aurais pas dû venir te déranger.
Il avait enfin trouvé de quoi se vêtir, et lorsque ce fut fait, il vint s'installer sur le lit.
— Jenny, qu'est-ce qui t'arrive ?
— Je ne sais pas... Sincèrement. Un gros coup de cafard, voilà tout.
Que dire de plus ? Ses parents partis en vacances, elle contrainte à partager sa couche avec Élisabeth, leur chambre avec ces deux américains... et surtout, son amie amoureuse... Ça ne lui était jamais arrivé. Et la curiosité n'était rien face à la gêne qu'elle ressentait.
— Je ne sais plus où est ma place... murmura-t-elle enfin. Je ne sais plus ce que je dois faire, qui croire... Ici, avec toi, je suis bien. Enfin libre. À ma place. J'en avais besoin.
— Alors ne t'excuse jamais. Tu seras toujours la bienvenue.
Jenna sourit, le remerciant silencieusement. Les mots ne pourraient jamais exprimer toute la reconnaissance qu'elle sentait gonfler son cœur.
— Alec... Raconte-moi une histoire.
Le jeune homme sourit, et la prit dans ses bras.
— Il y avait cette fille, quand j'étais petit. Minuscule, nerveuse, bagarreuse, un vrai petit monstre. C'était la terreur de la cour de récrée. Personne n'osait s'y frotter. On l'avait surnommé Le Diable blond, tant tous les garçons la craignait. On lui prédisait un avenir à traîner dans les bars, à faire le trottoir.
— Quoi ? s'exclama Jenna en le regardant, les yeux lançant des éclairs, le sourire aux lèvres.
— Mais sais-tu ce qu'elle est devenue, aujourd'hui ? Une élégante jeune femme. Très propre sur soi. Personne ne pourrait deviner le monstre qu'elle était, petite. Personne, hormis sûrement un ami très proche, qui reste constamment dans l'ombre. Un ami sur qui elle peut compter, quand elle a des soucis. Certes, ils ne se voient plus tellement. Mais ils sont toujours là, l'un pour l'autre. Lui a ouvert une école de musique. Elle marche si bien que tous les jeunes du quartier se bousculent pour y prendre des cours. Ça les sort de la rue, il en est heureux. Mais il n'a plus beaucoup de temps pour lui, c'est la contrepartie. La jeune femme, quant à elle, a ouvert une galerie d'art dans laquelle elle expose ses photographies. Les choses n'ont pas toujours été simples, pour elle. Elle a débuté en tant que simple secrétaire, un larbin pour lécher les bottes du patron. Mais elle a fait son chemin. Aujourd'hui manager, elle dirige d'une poigne de fer sa petite galerie, où d'autre lui lèche les bottes pour la moindre promotion. De temps en temps, ils se retrouvent tous deux et c'est l'occasion de plonger dans leur souvenir, nostalgiques.
C'était une chose qu'elle n'avait pas faite depuis très longtemps, mais dont elle ressentait aujourd'hui le besoin. Ils avaient partagé plus que leurs draps, enfants. Pourtant, quelque chose, avec les années, s'était rompue, une chose qu'elle ne parvenait à identifier. En grandissant, ils s'étaient éloignés l'un de l'autre, légèrement, mais assez pour qu'elle en ressente le poids aujourd'hui.
Elle avait besoin d'être auprès de lui, de se rassurer, de l'entendre lui dire que tout irait bien. Il était tout pour elle. Vraiment. Et parfois, même souvent, ça lui pesait. Lorsque son cœur ne supportait plus l’indifférence, il se tournait vers Alec, comme chargé d’espoir. Grâce à lui, elle avait survécu. Grâce à lui, elle avait vécu, tout simplement, à l’abri des colères, des contraintes, des déceptions. Et c'était lui, véritablement, qui l'avait retenu ici, en ville.
Elle avait tant de sentiments confus en elle, des sentiments insupportables, qu’elle ne pouvait contrôler, et desquels elle tentait vainement de se défaire, qu’il lui semblait parfois s’abîmer, croulant sous toutes ces émotions néfastes. Elle aimait ses parents, oh oui ! elle les aimait tant ! Et pourtant, jamais elle n’avait souhaité détester si fort quelqu’un.
Et parfois, il lui semblait y être parvenu.
Son amour sans faille pour des parents absents nourrissait une sourde haine, implacable, dont elle ne parvenait à se défaire, et que chaque jour alimentait davantage.
Alec respira soudain fort, tandis qu'un son semblable à un ronflement s'échappait de ses narines. Puis il tourna la tête et lui fit face. Jenna, allongée sur le flanc gauche, le contemplait affectueusement.
La fenêtre dans son dos, dont les rideaux n'étaient pas assez opaques pour filtrer la lumière du jour, laissait passer de fins rayons qui illuminaient légèrement la pièce, lui permettant d'avoir une bonne vision du jeune homme. Il avait la bouche légèrement entrouverte, les cheveux en batailles lui tombant sur le front. Jenna le trouva attendrissant.
Elle ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait réellement pris le temps de le contempler ainsi. Quand avait-il vieilli ? Ses traits – plus carrés que dans son souvenir – étaient aujourd'hui ceux d'un homme ; une fine barbe ombrageait légèrement ses joues. Il la dépassait désormais d'une bonne dizaine de centimètres, lui qui se plaignait enfant qu'elle était beaucoup trop grande – pour une fille, ne cessait-il de préciser. Tous ces souvenirs lui revenaient peu à peu en mémoire, la rendant étrangement nostalgique. Elle aurait aimé que rien ne change, que toujours ils restent de petits enfants, sans soucis, naïfs, avec pour seul univers l'autre.
Elle voulait lui parler, se laisser réconforter... Aussi, décida-t-elle qu'il avait assez dormi. Elle le secoua très légèrement.
— Alec... murmura-t-elle. Al, il est l'heure d'ouvrir les yeux...
Le jeune homme grogna et se tourna. Il lui faisait désormais complètement face.
— Allez, Al...
Un nouveau son sortit de sa bouche fermée, puis il fronça des sourcils. Les mimiques qu'il faisait au réveil amusaient Jenna depuis toujours. Enfin, il ouvrit un œil. Et c'est étonné qu'il murmura :
— Jenny ? Qu'est-ce que tu fais là ?
— J'ai besoin d'un raison particulière pour venir te voir ? Fut un temps où tu ne m'aurais pas même posé de question.
— Mais ce temps-là est révolu.
Il cligna des yeux.
— Quelle heure est-il ?
— Je ne sais pas. Peut-être neuf heures, neuf heures et demie.
Il marqua un temps d'arrêt. Épuisé, il avait du mal à remettre ses idées en ordre.
— Sais-tu à quelle heure je me suis couché, cette nuit ? Pourquoi viens-tu me réveiller si tôt ?
— J'avais envie de te voir.
Il l'aurait bien enguirlandé – notamment s'il en avait eu la force – mais il sentait que Jenna n'était pas dans son assiette. Quelque chose la tourmentait. De toute manière, il lui avait toujours tout passé. Il lui ouvrit alors ses bras.
— Viens là.
Elle obtempéra et se blottit contre lui, savourant la chaleur de son corps. Le poids qu'elle sentait sur son cœur s'envola presque instantanément, tandis qu'elle serrait plus fort encore Alec contre elle. Et c'est ainsi, dans les bras l'un de l'autre, au chaud sous la couette, qu'ils se rendormirent tous deux, épuisés. Jenna, elle-même, qui n'avait pas beaucoup dormi cette nuit-là, sombra presque immédiatement, le cœur plus léger.
Ce fut vers midi qu'ils rouvrirent les yeux. Et sans un mot, ils se levèrent. Jenna était soudain gênée d'avoir eu besoin de satisfaire un minable caprice de gamine. Elle devait prendre sur elle, se soulager seule, sans l'aide de son ami. Il lui fallait parvenir à vivre sans lui. Comment ferait-elle plus tard ?
Ils avaient passé l'âge de dormir ensemble, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle ne se faufilait plus en douce dans son lit, la nuit. Ils étaient presque adultes, et malgré son amitié, il y avait des choses qu'elle ne se sentait plus de faire, des limites à ne plus franchir.
D'autant plus que c'était en caleçon, torse nu, qu'il se tenait désormais, debout face à elle, à la recherche de vêtements à se mettre sur le dos. Elle s'excusa timidement.
— Pourquoi ?
— C'était stupide. Je n'aurais pas dû venir te déranger.
Il avait enfin trouvé de quoi se vêtir, et lorsque ce fut fait, il vint s'installer sur le lit.
— Jenny, qu'est-ce qui t'arrive ?
— Je ne sais pas... Sincèrement. Un gros coup de cafard, voilà tout.
Que dire de plus ? Ses parents partis en vacances, elle contrainte à partager sa couche avec Élisabeth, leur chambre avec ces deux américains... et surtout, son amie amoureuse... Ça ne lui était jamais arrivé. Et la curiosité n'était rien face à la gêne qu'elle ressentait.
— Je ne sais plus où est ma place... murmura-t-elle enfin. Je ne sais plus ce que je dois faire, qui croire... Ici, avec toi, je suis bien. Enfin libre. À ma place. J'en avais besoin.
— Alors ne t'excuse jamais. Tu seras toujours la bienvenue.
Jenna sourit, le remerciant silencieusement. Les mots ne pourraient jamais exprimer toute la reconnaissance qu'elle sentait gonfler son cœur.
— Alec... Raconte-moi une histoire.
Le jeune homme sourit, et la prit dans ses bras.
— Il y avait cette fille, quand j'étais petit. Minuscule, nerveuse, bagarreuse, un vrai petit monstre. C'était la terreur de la cour de récrée. Personne n'osait s'y frotter. On l'avait surnommé Le Diable blond, tant tous les garçons la craignait. On lui prédisait un avenir à traîner dans les bars, à faire le trottoir.
— Quoi ? s'exclama Jenna en le regardant, les yeux lançant des éclairs, le sourire aux lèvres.
— Mais sais-tu ce qu'elle est devenue, aujourd'hui ? Une élégante jeune femme. Très propre sur soi. Personne ne pourrait deviner le monstre qu'elle était, petite. Personne, hormis sûrement un ami très proche, qui reste constamment dans l'ombre. Un ami sur qui elle peut compter, quand elle a des soucis. Certes, ils ne se voient plus tellement. Mais ils sont toujours là, l'un pour l'autre. Lui a ouvert une école de musique. Elle marche si bien que tous les jeunes du quartier se bousculent pour y prendre des cours. Ça les sort de la rue, il en est heureux. Mais il n'a plus beaucoup de temps pour lui, c'est la contrepartie. La jeune femme, quant à elle, a ouvert une galerie d'art dans laquelle elle expose ses photographies. Les choses n'ont pas toujours été simples, pour elle. Elle a débuté en tant que simple secrétaire, un larbin pour lécher les bottes du patron. Mais elle a fait son chemin. Aujourd'hui manager, elle dirige d'une poigne de fer sa petite galerie, où d'autre lui lèche les bottes pour la moindre promotion. De temps en temps, ils se retrouvent tous deux et c'est l'occasion de plonger dans leur souvenir, nostalgiques.
© Jessica Lumbroso
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Dernière édition par Jessica le Ven 18 Mai - 9:24, édité 1 fois
Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(6ème partie)
Les nausées qui m'assaillent ne sont pas uniquement dues à ce petit être qui grandit dans mon giron. Ces cauchemars, toujours les mêmes, qui hantent mes pensées, me retournent l'estomac jour et nuit, si bien que tout ce que j'avale est presque immédiatement rejeté. Mon état préoccupe Maman, qui craint pour la vie du bébé.
Personnellement, je n'en ai plus rien à faire. Ce bébé, tout comme le reste, je ne l'ai pas désiré. Je ne veux qu'une chose, qui malheureusement me sera à jamais refusée...
La douleur lancinante qui embrase mon gosier à chaque remontée est comme une bénédiction : je l'attends avec impatience, cette douleur qui m'arrache des cris, qui inonde mon visage de larme salées, qui soulage mon cœur. La souffrance, c'est la vie. Dans mon cas, la vie que j'ai choisi.
J'en ai besoin pour exprimer ce que je ressens au fond de moi. Je suis là, charnière entre deux vies, l'une qui m'a fuie, l'autre qui s'impose à moi. Mon corps, mon cœur, mon âme crient cette amertume, ce sentiment lâche de solitude. Je ne l'aime pas. Je le recrache. Je n'en veux pas.
La tête dans la cuvette, je regarde, les yeux brouillés par les larmes, cette bile qui me remonte du fond des tripes, qui flotte lentement dans l'eau froide. J'ai du mal à reprendre mon souffle. Dans ces moments-là, je ne respire plus. Je ne vis plus. Je survis.
Le malaise est passé. Mon estomac vide est contracté à m'en faire mal. Je tousse encore parfois, mais plus rien ne remonte. Je m'assieds à même le sol, prenant appui sur la cuvette. Et c'est ainsi, les yeux bouffis, gonflés, le visage ruisselant, les cheveux hirsutes et plaqués contre mon front trempé, que ma mère me trouve. Je l'implore doucement du regard, elle que j'ai si souvent haïe, je l'implore de me venir en aide, de soulager mon cœur, de soulager mon corps. Mais pour la première fois de sa vie, elle ne sait pas quoi faire. Elle me regarde, inquiète, et je sens enfin le poids de son regret.
Sans un mot, elle s'accroupit devant moi, me caresse doucement les cheveux. D'aussi loin que je m'en souvienne, elle n'a jamais eu le moindre geste tendre à mon égard. Il lui en fallait toujours plus, me pousser, me surpasser. Mais aujourd'hui, elle est là, impuissante, rongée d'amers regrets.
Elle m'aide à me relever, me reconduit au lit, me borde. Elle n'ose pas en faire davantage, tout autre geste semblerait inconsidéré de sa part. Alors elle me laisse, elle repart, et je reste seule, en proie à un immense chagrin.
Avec le peu de force qu'il me reste, je tâtonne, je cherche ce petit appareil noir qui me sert de téléphone. Je le trouve sous mon oreiller. Je l'ouvre, parcours ma liste de contacts, trouve son nom, clique sur son numéro. Mon téléphone le compose, je le porte à mon oreille. Un déclic, puis « Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué ou n'est pas disponible. Veuillez réessayer ultérieurement. »
J'éclate en sanglots.
© Jessica Lumbroso
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Les nausées qui m'assaillent ne sont pas uniquement dues à ce petit être qui grandit dans mon giron. Ces cauchemars, toujours les mêmes, qui hantent mes pensées, me retournent l'estomac jour et nuit, si bien que tout ce que j'avale est presque immédiatement rejeté. Mon état préoccupe Maman, qui craint pour la vie du bébé.
Personnellement, je n'en ai plus rien à faire. Ce bébé, tout comme le reste, je ne l'ai pas désiré. Je ne veux qu'une chose, qui malheureusement me sera à jamais refusée...
La douleur lancinante qui embrase mon gosier à chaque remontée est comme une bénédiction : je l'attends avec impatience, cette douleur qui m'arrache des cris, qui inonde mon visage de larme salées, qui soulage mon cœur. La souffrance, c'est la vie. Dans mon cas, la vie que j'ai choisi.
J'en ai besoin pour exprimer ce que je ressens au fond de moi. Je suis là, charnière entre deux vies, l'une qui m'a fuie, l'autre qui s'impose à moi. Mon corps, mon cœur, mon âme crient cette amertume, ce sentiment lâche de solitude. Je ne l'aime pas. Je le recrache. Je n'en veux pas.
La tête dans la cuvette, je regarde, les yeux brouillés par les larmes, cette bile qui me remonte du fond des tripes, qui flotte lentement dans l'eau froide. J'ai du mal à reprendre mon souffle. Dans ces moments-là, je ne respire plus. Je ne vis plus. Je survis.
Le malaise est passé. Mon estomac vide est contracté à m'en faire mal. Je tousse encore parfois, mais plus rien ne remonte. Je m'assieds à même le sol, prenant appui sur la cuvette. Et c'est ainsi, les yeux bouffis, gonflés, le visage ruisselant, les cheveux hirsutes et plaqués contre mon front trempé, que ma mère me trouve. Je l'implore doucement du regard, elle que j'ai si souvent haïe, je l'implore de me venir en aide, de soulager mon cœur, de soulager mon corps. Mais pour la première fois de sa vie, elle ne sait pas quoi faire. Elle me regarde, inquiète, et je sens enfin le poids de son regret.
Sans un mot, elle s'accroupit devant moi, me caresse doucement les cheveux. D'aussi loin que je m'en souvienne, elle n'a jamais eu le moindre geste tendre à mon égard. Il lui en fallait toujours plus, me pousser, me surpasser. Mais aujourd'hui, elle est là, impuissante, rongée d'amers regrets.
Elle m'aide à me relever, me reconduit au lit, me borde. Elle n'ose pas en faire davantage, tout autre geste semblerait inconsidéré de sa part. Alors elle me laisse, elle repart, et je reste seule, en proie à un immense chagrin.
Avec le peu de force qu'il me reste, je tâtonne, je cherche ce petit appareil noir qui me sert de téléphone. Je le trouve sous mon oreiller. Je l'ouvre, parcours ma liste de contacts, trouve son nom, clique sur son numéro. Mon téléphone le compose, je le porte à mon oreille. Un déclic, puis « Le numéro que vous avez demandé n'est pas attribué ou n'est pas disponible. Veuillez réessayer ultérieurement. »
J'éclate en sanglots.
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(7ème partie)
— C'est Baba qui nous a tous réunis il y a deux ans. On se connaissait tous de vue, et il pouvait arriver parfois que certains d'entre nous jouent ensemble à l'occasion de fêtes, la plupart organisées par le lycée. Mais Baptiste a toujours voulu monter son propre groupe de musique, travailler avec les meilleurs. Et il nous considérait tous, Al, Jen, Max, Jeff, Chris et moi, comme tels.
« Jenna et Alec ont grandi ensemble. Déjà, durant l'enfance, ils étaient inséparables. Je ne sais pas trop comment ça a commencé. Lui a deux ans de plus que nous, pourtant, il s'occupe de Jenna comme de sa propre sœur. Il a toujours veillé sur elle, dans les cours d'école, en dehors, la protégeant contre quiconque s'approcherait d'un peu trop près. C'est tout naturellement ensemble qu'ils ont commencé la musique. Lui s'est vite découvert un don pour la guitare. Il pouvait jouer des heures durant, et Jen l'écoutait tout du long. Puis, il a commencé à fredonner, et à chanter réellement. Et il le faisait bien. Jen, elle, a très tôt pris goût aux percussions, et c'est vers la batterie qu'elle s'est dirigée.
« Moi, j'ai grandi avec Maxime. Il est mon meilleur ami. C'est quelqu'un qui parle peu, mais qui observe beaucoup. Il est posé et sait me canaliser. Parfois, il me fait penser à toi, Ryan. Il apaise mon extravagance. Il est mon opposé, comme mon Yin. C'est grâce à lui que je suis tombée dans la musique. Pour faire comme. Plus jeune, il faisait beaucoup de guitare. Il a fini par me donner des cours. Tout ce que je sais, je le lui dois. Depuis qu'on est dans ce groupe, il s'est mis à la basse, et moi, je perfectionne ma guitare.
« Il y a enfin Jeffrey et Christophe, deux pièces rapportées. Tous deux sont également des amis de longue date. Avant leur arrivée, on n’était pas vraiment au top, on le sentait. Et Baba a rencontré Jeff lors d’un concert amateur, qu'il nous a présenté. Jeff est un super pianiste. Chris est également guitariste, mais c'est le meilleur soliste que je connaisse.
« Ce groupe de musique représente tout, il me semble... Sans lui, on ne se serait jamais tous trouvés. Malheureusement, Jeff, Chris, Baba et Al sont plus âgés. Ils sont en deuxième année de licence. Il nous est donc un peu plus compliqué de se voir. Heureusement pour nous, leur emploi du temps allégé nous permet encore de pas mal répéter. Il est juste un peu difficile de trouver un créneau horaire qui convienne à tout le monde. Heureusement, la musique est plus importante que tout.
— Et Baptiste ? De quel instrument joue-t-il ? interrogea Connor.
— Eh bien... C'est assez compliqué. On est tous un peu polyvalents. Il arrive parfois qu'on tourne, notamment quand Jen chante en duo avec Al. Alors, Baba peut soit reprendre la batterie, soit le synthé, ou bien une guitare. Il fait un peu de tout.
— Pourquoi ne nous en as-tu jamais parlé auparavant ? questionna Ryan.
— Je ne sais pas. Ça n'était pas important, je pense. Je ne vous connaissais pas assez.
Les choses avaient changé. Depuis toutes ces années, Élisabeth s'était rapprochée de Ryan, qu'elle considérait désormais comme un frère. La joie d'Internet, qui leur avait permis de rester en contact, malgré la distance.
Pourtant, alors que les mails de Ryan se faisaient de plus en plus fréquents, ceux de Connor s'estompaient. Elle qui n'en avait déjà pas beaucoup, n'avait quasiment plus eu de nouvelles du jeune homme. Elle ne savait pas encore réellement comment l'appréhender. Son absence avait duré si longtemps ! Elle ne se l'expliquait pas. Elle aurait souhaité qu'il en soit autrement, qu'il lui laisse de minces espoirs. Au lieu de quoi, il l'avait repoussée à tel point qu'elle en était malade, encore aujourd'hui.
— Ça m'a l'air au contraire très important, avança Ryan. Mais je comprends.
Lui-même avait tendance à garder pour lui ses propres ressentiments. Depuis son enfance, il n'avait plus confiance en la nature humaine. Enfant rondouillet, il avait été la cible de railleries constantes qui lui avaient fait prendre ses distances. Aujourd'hui, il s'était bien rattrapé. La nature avait voulu qu'il devienne quelqu'un de très grand, élancé et musclé, si bien que son passé d'obèse n'était plus qu'une ombre dans sa mémoire. Mais encore aujourd'hui, il avait du mal à faire confiance.
— Et donc, là, on va chez...? intervint Connor.
— Jen... Je suis désolée de vous traîner là-bas, mais on participe à un concert le 24 au soir, alors on doit répéter un peu plus que d'habitude. Eh tiens ! Vous viendrez ?
— Sûrement.
— Tu vas adorer, Ryan, j'en suis sûre !
Lui en doutait sérieusement. Il n'avait jamais aimé la foule, alors aller à ce genre de réunions n'était pas du tout sa tasse de thé.
Ils arrivèrent bientôt devant une petite maison au portail vert. Élisabeth poussa la grille sans sonner et vint frapper à la porte, après avoir monté les quatre marches. Il ne fallut que quelques secondes avant que Jenna ne leur ouvre, des baguettes de batterie à la main.
— Tu es venue ? Ce n'était pas la peine !
— Tu plaisantes ? J'ai un trac de tous les diables et tu veux que je fasse l'impasse sur l'entraînement ?
Jenna sourit. Élisabeth était de nature angoissée, et depuis leur inscription au concert, son amie battait des records.
Elle lui fit un signe de tête pour l'inciter à entrer et les laissa passer. Jenna leur offrit à boire, mais ils refusèrent poliment. Alors, ils empruntèrent l'escalier menant à l'étage inférieur, dans le garage où le groupe s'installait toujours pour répéter. Il y avait là déjà cinq garçons, qu'Élisabeth présenta aux deux nouveaux venus, tandis que Jenna allait rejoindre Alec.
Connor sympathisa immédiatement. Il était de nature très ouverte, si bien qu'il avait des facilités d’approche. Pour son frère, les choses étaient différentes. Ryan, qui observait plus qu'il ne parlait, préféra rester à l'écart. Mais cette distance ne le gêna pas le moins du monde. Il observa Élisabeth, telle qu'elle était réellement dans sa vie quotidienne. Et il la trouva changée. Plus sûre d'elle, plus belle également. Plus ouverte. Il appréciait de la savoir en de si bonnes mains.
Ryan délaissa donc sa contemplation pour reporter son attention sur la pièce dans laquelle il se
trouvait. Elle était plutôt vaste, les murs blanc cassé, des meubles de bricolage poussés dans les angles. Il découvrit sur une étagère de grandes coupes dorées.
— Elles sont belles, n'est-ce pas ?
Ryan se retourna. Jenna s'était plantée à ses côtés et observait l'étagère. De profil, elle semblait sereine, pensive. Quelque chose, indéchiffrable, lui fit perdre ses moyens, alors il détourna le regard.
— Elles sont à toi ?
— Non, dit Jenna en le dévisageant. À mon père. Il a toujours été très sportif. Et il excelle, ou du moins il excellait, dans tous les sports qu'il entreprenait.
Ryan resta silencieux, mettant quelque peu Jenna mal à l'aise. Hormis Maxime, tous les garçons de son entourage étaient de grands bavards. Elle n'avait pas l'habitude de se trouver face à quelqu'un d'aussi peu loquace.
— Ryan, c'est ça ?
Ce dernier hocha la tête.
— Vous êtes ici pour longtemps ?
— Quelques semaines. Trois, je crois.
La réponse était froide, sans sentiment, presque expéditive. Jenna sentait qu'il n'avait pas envie de parler. Pourtant, elle se hasarda à continuer :
— Ça fait longtemps que vous n'êtes pas revenus en France ?
— Assez, oui. À vrai dire, je n'ai que de très vagues souvenirs.
— Je sais que ce n'est pas si grand, mais... je pense qu'il y a quand même pas mal de choses à voir, par ici. Ce serait dommage de repartir sans faire de tourisme.
— On y pensera.
La brusquerie des réponses de Ryan décontenança Jenna, qui sourit malgré tout, sans perdre son calme. Mais elle comprenait bien qu'il ne désirait pas s'épancher sur sa vie. Surtout pas avec une parfaite inconnue. Soit. Elle n'y reviendrait plus.
Elle allait retourner auprès des autres quand Ryan l'attrapa par le poignet. Un geste qui l'étonna lui-même. Étrangement, Jenna sentit son cœur battre par ce simple contact. Il émanait de sa main une douce chaleur qui l'envahit.
Vivement, il la retira.
— Où sont les waters ?
Jenna lui indiqua comment s'y rendre et revint vers Alec. Ryan eut à peine le temps de l'entendre demander :
— On commence ?
Il disparut dans les escaliers. Il déboucha bientôt dans le couloir de l'entrée. L'escalier se poursuivait encore à l'étage supérieur, mais selon les indications de Jenna, les toilettes se trouvaient sur sa droite, à cet étage-même.
Le couloir se prolongeait d'un bout à l'autre, avec la cuisine à l'extrémité droite, une porte blanche entrouverte à l'extrémité gauche. Il y avait dessus des photographies collées. Intrigué, il s'en approcha. La curiosité était sûrement un de ses plus grands défauts.
Comme il s'y attendait, il s'agissait de photographies les représentant, tous les sept, amis, animés, riant, se chamaillant. Des photos plus ou moins vieilles, certaines de quelques années, d'autres de quelques mois. Mais toujours, les mêmes personnes. Quelques photographies n'en représentaient que deux, d'autres plus. Il repéra vite Élisabeth, toujours en compagnie de Maxime, ou de Jenna. Cette dernière, elle, était le plus souvent accompagnée d'un garçon, dont il ne se souvenait pas du nom. Il réalisa que sur certaines photos, ils étaient même plus jeunes encore, en primaire, au collège... Elle n'avait pas changé. Toujours aussi jolie, de belles boucles couleur caramel, un énorme sourire, des yeux rieurs... et cette espèce d'espièglerie dans le regard.
Il se redressa. Encore une fois, ses idées le trahissaient, lui qui savait si bien garder son calme. Il s'appuya sur la porte, qui s'ouvrit en grand, le faisant chanceler. Il se rattrapa de justesse à un meuble.
Il n'avait pas voulu entrer dans cette pièce, pourtant ce fut plus fort que lui. Les murs orangés étaient parsemés de posters, de nouvelles photographies, certaines encore d'eux sept, d'autres dédicacées par des chanteurs, groupes musicaux que Jenna devait beaucoup aimer. La plupart étaient en noir et blanc, ou en sépia. Il y en avait tout juste assez pour que cela reste raisonnable.
Contre le mur de droite se trouvait une commode, surmontée d'une télévision, et d'un nombre impressionnant de peluches. C'était presque touchant. Il y avait à côté de la porte un bureau en désordre. On ne décelait réellement que l'écran d'ordinateur. Le lit, en travers de la pièce, mais collé contre le mur de gauche, était défait, la couette sens dessus dessous. Quelques blocs, livres, stylos et autres, traînaient en vrac sur le sol. Enfin, contre le dernier mur, il y avait deux bibliothèques, rassemblant une collection impressionnante de livres, DVD et CD audio.
On sentait la vie dans cette pièce, et Ryan apprécia l'ambiance. Malgré tout, il se sentait légèrement indiscret, surtout lorsqu'il découvrit des sous-vêtements à moitié pliés sur le lit. Il fit rapidement demi-tour. Il n'aurait jamais dû pénétrer l'antre de Jenna.
Après être passé au WC, il emprunta de nouveau l'escalier. À mesure qu'il descendait, il discerna une douce mélodie, sur laquelle chantait une voix masculine. Ce devait être le meilleur ami de Jenna, celui qu'elle ne quittait jamais. Ryan devait reconnaître qu'il avait un certain style dans la voix, quelque chose d'unique.
Il en était à ces réflexions quand une seconde voix s'ajouta à la première, s'accordant parfaitement, une voix féminine, rauque, envoûtante, qui lui donna la chair de poule. Se pouvait-il que cette voix puissante sorte de la poitrine de Jenna ? Il se souvenait d'avoir entendu Lisa lui expliquer que Jenna chantait parfois.
Il en eut confirmation en pénétrant dans le garage. Elle était là, au centre de la pièce. Il n'entendait qu'elle, il ne voyait qu'elle, qui chantait les yeux fermés. Plus rien ne comptait. Ni la musique, ni les autres membres du groupe. Ni même son propre regard qu'il ne pouvait détourner. Il ne pouvait seulement que fixer cette inconnue intensément, comme jamais il n'avait regardé quelqu'un.
— C'est Baba qui nous a tous réunis il y a deux ans. On se connaissait tous de vue, et il pouvait arriver parfois que certains d'entre nous jouent ensemble à l'occasion de fêtes, la plupart organisées par le lycée. Mais Baptiste a toujours voulu monter son propre groupe de musique, travailler avec les meilleurs. Et il nous considérait tous, Al, Jen, Max, Jeff, Chris et moi, comme tels.
« Jenna et Alec ont grandi ensemble. Déjà, durant l'enfance, ils étaient inséparables. Je ne sais pas trop comment ça a commencé. Lui a deux ans de plus que nous, pourtant, il s'occupe de Jenna comme de sa propre sœur. Il a toujours veillé sur elle, dans les cours d'école, en dehors, la protégeant contre quiconque s'approcherait d'un peu trop près. C'est tout naturellement ensemble qu'ils ont commencé la musique. Lui s'est vite découvert un don pour la guitare. Il pouvait jouer des heures durant, et Jen l'écoutait tout du long. Puis, il a commencé à fredonner, et à chanter réellement. Et il le faisait bien. Jen, elle, a très tôt pris goût aux percussions, et c'est vers la batterie qu'elle s'est dirigée.
« Moi, j'ai grandi avec Maxime. Il est mon meilleur ami. C'est quelqu'un qui parle peu, mais qui observe beaucoup. Il est posé et sait me canaliser. Parfois, il me fait penser à toi, Ryan. Il apaise mon extravagance. Il est mon opposé, comme mon Yin. C'est grâce à lui que je suis tombée dans la musique. Pour faire comme. Plus jeune, il faisait beaucoup de guitare. Il a fini par me donner des cours. Tout ce que je sais, je le lui dois. Depuis qu'on est dans ce groupe, il s'est mis à la basse, et moi, je perfectionne ma guitare.
« Il y a enfin Jeffrey et Christophe, deux pièces rapportées. Tous deux sont également des amis de longue date. Avant leur arrivée, on n’était pas vraiment au top, on le sentait. Et Baba a rencontré Jeff lors d’un concert amateur, qu'il nous a présenté. Jeff est un super pianiste. Chris est également guitariste, mais c'est le meilleur soliste que je connaisse.
« Ce groupe de musique représente tout, il me semble... Sans lui, on ne se serait jamais tous trouvés. Malheureusement, Jeff, Chris, Baba et Al sont plus âgés. Ils sont en deuxième année de licence. Il nous est donc un peu plus compliqué de se voir. Heureusement pour nous, leur emploi du temps allégé nous permet encore de pas mal répéter. Il est juste un peu difficile de trouver un créneau horaire qui convienne à tout le monde. Heureusement, la musique est plus importante que tout.
— Et Baptiste ? De quel instrument joue-t-il ? interrogea Connor.
— Eh bien... C'est assez compliqué. On est tous un peu polyvalents. Il arrive parfois qu'on tourne, notamment quand Jen chante en duo avec Al. Alors, Baba peut soit reprendre la batterie, soit le synthé, ou bien une guitare. Il fait un peu de tout.
— Pourquoi ne nous en as-tu jamais parlé auparavant ? questionna Ryan.
— Je ne sais pas. Ça n'était pas important, je pense. Je ne vous connaissais pas assez.
Les choses avaient changé. Depuis toutes ces années, Élisabeth s'était rapprochée de Ryan, qu'elle considérait désormais comme un frère. La joie d'Internet, qui leur avait permis de rester en contact, malgré la distance.
Pourtant, alors que les mails de Ryan se faisaient de plus en plus fréquents, ceux de Connor s'estompaient. Elle qui n'en avait déjà pas beaucoup, n'avait quasiment plus eu de nouvelles du jeune homme. Elle ne savait pas encore réellement comment l'appréhender. Son absence avait duré si longtemps ! Elle ne se l'expliquait pas. Elle aurait souhaité qu'il en soit autrement, qu'il lui laisse de minces espoirs. Au lieu de quoi, il l'avait repoussée à tel point qu'elle en était malade, encore aujourd'hui.
— Ça m'a l'air au contraire très important, avança Ryan. Mais je comprends.
Lui-même avait tendance à garder pour lui ses propres ressentiments. Depuis son enfance, il n'avait plus confiance en la nature humaine. Enfant rondouillet, il avait été la cible de railleries constantes qui lui avaient fait prendre ses distances. Aujourd'hui, il s'était bien rattrapé. La nature avait voulu qu'il devienne quelqu'un de très grand, élancé et musclé, si bien que son passé d'obèse n'était plus qu'une ombre dans sa mémoire. Mais encore aujourd'hui, il avait du mal à faire confiance.
— Et donc, là, on va chez...? intervint Connor.
— Jen... Je suis désolée de vous traîner là-bas, mais on participe à un concert le 24 au soir, alors on doit répéter un peu plus que d'habitude. Eh tiens ! Vous viendrez ?
— Sûrement.
— Tu vas adorer, Ryan, j'en suis sûre !
Lui en doutait sérieusement. Il n'avait jamais aimé la foule, alors aller à ce genre de réunions n'était pas du tout sa tasse de thé.
Ils arrivèrent bientôt devant une petite maison au portail vert. Élisabeth poussa la grille sans sonner et vint frapper à la porte, après avoir monté les quatre marches. Il ne fallut que quelques secondes avant que Jenna ne leur ouvre, des baguettes de batterie à la main.
— Tu es venue ? Ce n'était pas la peine !
— Tu plaisantes ? J'ai un trac de tous les diables et tu veux que je fasse l'impasse sur l'entraînement ?
Jenna sourit. Élisabeth était de nature angoissée, et depuis leur inscription au concert, son amie battait des records.
Elle lui fit un signe de tête pour l'inciter à entrer et les laissa passer. Jenna leur offrit à boire, mais ils refusèrent poliment. Alors, ils empruntèrent l'escalier menant à l'étage inférieur, dans le garage où le groupe s'installait toujours pour répéter. Il y avait là déjà cinq garçons, qu'Élisabeth présenta aux deux nouveaux venus, tandis que Jenna allait rejoindre Alec.
Connor sympathisa immédiatement. Il était de nature très ouverte, si bien qu'il avait des facilités d’approche. Pour son frère, les choses étaient différentes. Ryan, qui observait plus qu'il ne parlait, préféra rester à l'écart. Mais cette distance ne le gêna pas le moins du monde. Il observa Élisabeth, telle qu'elle était réellement dans sa vie quotidienne. Et il la trouva changée. Plus sûre d'elle, plus belle également. Plus ouverte. Il appréciait de la savoir en de si bonnes mains.
Ryan délaissa donc sa contemplation pour reporter son attention sur la pièce dans laquelle il se
trouvait. Elle était plutôt vaste, les murs blanc cassé, des meubles de bricolage poussés dans les angles. Il découvrit sur une étagère de grandes coupes dorées.
— Elles sont belles, n'est-ce pas ?
Ryan se retourna. Jenna s'était plantée à ses côtés et observait l'étagère. De profil, elle semblait sereine, pensive. Quelque chose, indéchiffrable, lui fit perdre ses moyens, alors il détourna le regard.
— Elles sont à toi ?
— Non, dit Jenna en le dévisageant. À mon père. Il a toujours été très sportif. Et il excelle, ou du moins il excellait, dans tous les sports qu'il entreprenait.
Ryan resta silencieux, mettant quelque peu Jenna mal à l'aise. Hormis Maxime, tous les garçons de son entourage étaient de grands bavards. Elle n'avait pas l'habitude de se trouver face à quelqu'un d'aussi peu loquace.
— Ryan, c'est ça ?
Ce dernier hocha la tête.
— Vous êtes ici pour longtemps ?
— Quelques semaines. Trois, je crois.
La réponse était froide, sans sentiment, presque expéditive. Jenna sentait qu'il n'avait pas envie de parler. Pourtant, elle se hasarda à continuer :
— Ça fait longtemps que vous n'êtes pas revenus en France ?
— Assez, oui. À vrai dire, je n'ai que de très vagues souvenirs.
— Je sais que ce n'est pas si grand, mais... je pense qu'il y a quand même pas mal de choses à voir, par ici. Ce serait dommage de repartir sans faire de tourisme.
— On y pensera.
La brusquerie des réponses de Ryan décontenança Jenna, qui sourit malgré tout, sans perdre son calme. Mais elle comprenait bien qu'il ne désirait pas s'épancher sur sa vie. Surtout pas avec une parfaite inconnue. Soit. Elle n'y reviendrait plus.
Elle allait retourner auprès des autres quand Ryan l'attrapa par le poignet. Un geste qui l'étonna lui-même. Étrangement, Jenna sentit son cœur battre par ce simple contact. Il émanait de sa main une douce chaleur qui l'envahit.
Vivement, il la retira.
— Où sont les waters ?
Jenna lui indiqua comment s'y rendre et revint vers Alec. Ryan eut à peine le temps de l'entendre demander :
— On commence ?
Il disparut dans les escaliers. Il déboucha bientôt dans le couloir de l'entrée. L'escalier se poursuivait encore à l'étage supérieur, mais selon les indications de Jenna, les toilettes se trouvaient sur sa droite, à cet étage-même.
Le couloir se prolongeait d'un bout à l'autre, avec la cuisine à l'extrémité droite, une porte blanche entrouverte à l'extrémité gauche. Il y avait dessus des photographies collées. Intrigué, il s'en approcha. La curiosité était sûrement un de ses plus grands défauts.
Comme il s'y attendait, il s'agissait de photographies les représentant, tous les sept, amis, animés, riant, se chamaillant. Des photos plus ou moins vieilles, certaines de quelques années, d'autres de quelques mois. Mais toujours, les mêmes personnes. Quelques photographies n'en représentaient que deux, d'autres plus. Il repéra vite Élisabeth, toujours en compagnie de Maxime, ou de Jenna. Cette dernière, elle, était le plus souvent accompagnée d'un garçon, dont il ne se souvenait pas du nom. Il réalisa que sur certaines photos, ils étaient même plus jeunes encore, en primaire, au collège... Elle n'avait pas changé. Toujours aussi jolie, de belles boucles couleur caramel, un énorme sourire, des yeux rieurs... et cette espèce d'espièglerie dans le regard.
Il se redressa. Encore une fois, ses idées le trahissaient, lui qui savait si bien garder son calme. Il s'appuya sur la porte, qui s'ouvrit en grand, le faisant chanceler. Il se rattrapa de justesse à un meuble.
Il n'avait pas voulu entrer dans cette pièce, pourtant ce fut plus fort que lui. Les murs orangés étaient parsemés de posters, de nouvelles photographies, certaines encore d'eux sept, d'autres dédicacées par des chanteurs, groupes musicaux que Jenna devait beaucoup aimer. La plupart étaient en noir et blanc, ou en sépia. Il y en avait tout juste assez pour que cela reste raisonnable.
Contre le mur de droite se trouvait une commode, surmontée d'une télévision, et d'un nombre impressionnant de peluches. C'était presque touchant. Il y avait à côté de la porte un bureau en désordre. On ne décelait réellement que l'écran d'ordinateur. Le lit, en travers de la pièce, mais collé contre le mur de gauche, était défait, la couette sens dessus dessous. Quelques blocs, livres, stylos et autres, traînaient en vrac sur le sol. Enfin, contre le dernier mur, il y avait deux bibliothèques, rassemblant une collection impressionnante de livres, DVD et CD audio.
On sentait la vie dans cette pièce, et Ryan apprécia l'ambiance. Malgré tout, il se sentait légèrement indiscret, surtout lorsqu'il découvrit des sous-vêtements à moitié pliés sur le lit. Il fit rapidement demi-tour. Il n'aurait jamais dû pénétrer l'antre de Jenna.
Après être passé au WC, il emprunta de nouveau l'escalier. À mesure qu'il descendait, il discerna une douce mélodie, sur laquelle chantait une voix masculine. Ce devait être le meilleur ami de Jenna, celui qu'elle ne quittait jamais. Ryan devait reconnaître qu'il avait un certain style dans la voix, quelque chose d'unique.
Il en était à ces réflexions quand une seconde voix s'ajouta à la première, s'accordant parfaitement, une voix féminine, rauque, envoûtante, qui lui donna la chair de poule. Se pouvait-il que cette voix puissante sorte de la poitrine de Jenna ? Il se souvenait d'avoir entendu Lisa lui expliquer que Jenna chantait parfois.
Il en eut confirmation en pénétrant dans le garage. Elle était là, au centre de la pièce. Il n'entendait qu'elle, il ne voyait qu'elle, qui chantait les yeux fermés. Plus rien ne comptait. Ni la musique, ni les autres membres du groupe. Ni même son propre regard qu'il ne pouvait détourner. Il ne pouvait seulement que fixer cette inconnue intensément, comme jamais il n'avait regardé quelqu'un.
© Jessica Lumbroso
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Dernière édition par Jessica le Jeu 24 Mai - 9:22, édité 1 fois
Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(Partie 7.2)
Un doux effluve de parfum flottait dans la pièce, enivrant. Engoncé dans sa chemise noire déboutonnée de quelques crans, Ryan se sentait mal à l’aise. Rien, ici, ne lui était familier. Difficilement, l’air pénétrait ses poumons. Se sentant suffoquer, Ryan se leva, traversa la pièce, et passa la porte fenêtre donnant sur le jardin. Là, il s’assit à même le béton froid d’une des marches menant à l’herbe fraîche.
Il faisait froid. Pourtant, il préféra rester dehors, dans la nuit, plutôt que de retourner dans la pièce assourdissante, dont la musique frappait ses oreilles
agressivement.
Que faisait-il là ? Il n’était pas à sa place… Pour le plaisir d’Élisabeth, il avait accepté de participer à cette mascarade, cette fête d’anniversaire que les garçons avaient organisé pour leurs deux amies. L’après-midi avait été consacré aux préparatifs de la soirée. Ce devait être une surprise, pourtant, Jenna et Élisabeth était venue aider sans qu’on leur en ait causé un mot. Si bien que le jeune homme n’avait pas vu les deux filles de la journée. Il les avait retrouvées la soirée débutant, chez cet Alec, un grand garçon plutôt mince au visage amical qui l’agaçait pourtant fortement.
Ryan inspira longuement, et son expiration forma un nuage de fumée devant ses lèvres. Jamais encore il ne s’était senti si emprunté, si maladroit. Il avait pourtant l’habitude de ce genre de soirée, quoi que celles auxquelles il assistait d’ordinaire étaient plus… délétères. Tout coulait à flot, les corps se mêlaient, les pièces tanguaient, l’air sentait fort l’alcool, la drogue, la transpiration et le sexe. Étrangement, il s’y sentait en sécurité, il connaissait les codes, savait ce qu’on attendait de lui, de la soirée. Aujourd’hui, ce n’était pas le cas.
Ryan se détourna, contemplant le salon à travers la porte-fenêtre close. La pièce carrée, assez grande, était plongée dans une lumière tamisée. Les rideaux avaient été légèrement tirés, les fenêtres entrebâillées sur la ville silencieuse. On avait poussé les canapés, dégagé assez d’espace pour danser, et sur la table basse du salon était posé tout un assortiment de gâteaux apéritifs, de bouteilles de rhum, Champagne et de jus de fruits, une pile de CD également. Debout, Élisabeth dansait un verre à la main, l’autre prise par celle de Connor. Christophe, près de la sono, avait passé la lanière d’une guitare sur son épaule et jouait avec saccade. Derrière lui, Baptiste jouait des percussions sur un tambourin.
Sans s’en rendre compte, Ryan chercha des yeux Jenna, qu’il trouva enfin assise sur les genoux d’Alec, buvant une grande gorgée d’alcool à-même la bouteille. Elle semblait guillerette, et la grimace qu’elle fit en avalant lui signifia qu’elle n’avait pas l’habitude de boire. Elle rit enfin, tout en poussant Jeffrey, à la manière de deux amis se bousculant. Ce dernier la dévorait du regard, et ses yeux témoignaient d’un réel amusement.
Jenna se leva enfin, attrapa le poignet d’Alec pour l’entraîner sur la piste de danse improvisée. Ce dernier résista légèrement, peut-être simplement pour la forme, puis céda. Qui n’aurait pas cédé, d’ailleurs ? Ryan, lui-même, n’était pas sûr de pouvoir lui résister. La jeune femme rit encore en se trémoussant sur la musique endiablée sortant des caissons de basse, tandis que Christophe faisait hurler son instrument. Elle se déhancha, les joues rouges, ses cheveux ondulés flottant avec légèreté autour de son visage,
Ryan avait connu beaucoup de fille, la plupart magnifiques, semblant sortir d’un magazine de mode. Pourtant, aucune ne lui avait semblé si… mignonne. Si simplement belle. Jenna était au naturel : vêtue d’un jean bleu, d’une chemise ouverte sur un top tous deux blancs, le visage très peu maquillé ; et pourtant, oui, elle était jolie, agréable aux yeux.
Ryan sentit son estomac se tordre douloureusement, tandis que des frissons le parcouraient. Il faisait froid, très froid, et il était peu couvert. Aussi, il décida de rentrer.
Le rire de Jenna fut le premier son qu’il perçu, comme ensorcelant.
Du reste de la soirée, il eut du mal à détourner le regard d’elle, se reprochant encore cette sourde attirance dont il ne parvenait à se défaire. Son rire lui réchauffait le cœur, sa voix emplissait sa tête, résonnant inlassablement, envoûtante, claire et irrésistible. Et son regard amusé, ses lèvres charnues étirées sur son sourire, seraient les dernières choses qu’il verrait en s’endormant.
© Jessica Lumbroso
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Il faisait froid. Pourtant, il préféra rester dehors, dans la nuit, plutôt que de retourner dans la pièce assourdissante, dont la musique frappait ses oreilles
agressivement.
Que faisait-il là ? Il n’était pas à sa place… Pour le plaisir d’Élisabeth, il avait accepté de participer à cette mascarade, cette fête d’anniversaire que les garçons avaient organisé pour leurs deux amies. L’après-midi avait été consacré aux préparatifs de la soirée. Ce devait être une surprise, pourtant, Jenna et Élisabeth était venue aider sans qu’on leur en ait causé un mot. Si bien que le jeune homme n’avait pas vu les deux filles de la journée. Il les avait retrouvées la soirée débutant, chez cet Alec, un grand garçon plutôt mince au visage amical qui l’agaçait pourtant fortement.
Ryan inspira longuement, et son expiration forma un nuage de fumée devant ses lèvres. Jamais encore il ne s’était senti si emprunté, si maladroit. Il avait pourtant l’habitude de ce genre de soirée, quoi que celles auxquelles il assistait d’ordinaire étaient plus… délétères. Tout coulait à flot, les corps se mêlaient, les pièces tanguaient, l’air sentait fort l’alcool, la drogue, la transpiration et le sexe. Étrangement, il s’y sentait en sécurité, il connaissait les codes, savait ce qu’on attendait de lui, de la soirée. Aujourd’hui, ce n’était pas le cas.
Ryan se détourna, contemplant le salon à travers la porte-fenêtre close. La pièce carrée, assez grande, était plongée dans une lumière tamisée. Les rideaux avaient été légèrement tirés, les fenêtres entrebâillées sur la ville silencieuse. On avait poussé les canapés, dégagé assez d’espace pour danser, et sur la table basse du salon était posé tout un assortiment de gâteaux apéritifs, de bouteilles de rhum, Champagne et de jus de fruits, une pile de CD également. Debout, Élisabeth dansait un verre à la main, l’autre prise par celle de Connor. Christophe, près de la sono, avait passé la lanière d’une guitare sur son épaule et jouait avec saccade. Derrière lui, Baptiste jouait des percussions sur un tambourin.
Sans s’en rendre compte, Ryan chercha des yeux Jenna, qu’il trouva enfin assise sur les genoux d’Alec, buvant une grande gorgée d’alcool à-même la bouteille. Elle semblait guillerette, et la grimace qu’elle fit en avalant lui signifia qu’elle n’avait pas l’habitude de boire. Elle rit enfin, tout en poussant Jeffrey, à la manière de deux amis se bousculant. Ce dernier la dévorait du regard, et ses yeux témoignaient d’un réel amusement.
Jenna se leva enfin, attrapa le poignet d’Alec pour l’entraîner sur la piste de danse improvisée. Ce dernier résista légèrement, peut-être simplement pour la forme, puis céda. Qui n’aurait pas cédé, d’ailleurs ? Ryan, lui-même, n’était pas sûr de pouvoir lui résister. La jeune femme rit encore en se trémoussant sur la musique endiablée sortant des caissons de basse, tandis que Christophe faisait hurler son instrument. Elle se déhancha, les joues rouges, ses cheveux ondulés flottant avec légèreté autour de son visage,
Ryan avait connu beaucoup de fille, la plupart magnifiques, semblant sortir d’un magazine de mode. Pourtant, aucune ne lui avait semblé si… mignonne. Si simplement belle. Jenna était au naturel : vêtue d’un jean bleu, d’une chemise ouverte sur un top tous deux blancs, le visage très peu maquillé ; et pourtant, oui, elle était jolie, agréable aux yeux.
Ryan sentit son estomac se tordre douloureusement, tandis que des frissons le parcouraient. Il faisait froid, très froid, et il était peu couvert. Aussi, il décida de rentrer.
Le rire de Jenna fut le premier son qu’il perçu, comme ensorcelant.
Du reste de la soirée, il eut du mal à détourner le regard d’elle, se reprochant encore cette sourde attirance dont il ne parvenait à se défaire. Son rire lui réchauffait le cœur, sa voix emplissait sa tête, résonnant inlassablement, envoûtante, claire et irrésistible. Et son regard amusé, ses lèvres charnues étirées sur son sourire, seraient les dernières choses qu’il verrait en s’endormant.
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(8ème partie)
**
Malgré la fatigue, Jenna eut du mal à trouver le sommeil, cette nuit-là. Elle faisait face au mur, pour combattre son désir de contempler Ryan, qu’elle entendait respirer dans son dos. Malgré l’alcool, la présence d’Alec, elle avait perçu ses regards, qu’elle lui aurait rendus si la peur, l’appréhension et la timidité ne l’avaient arrêté.
Son cerveau embrumé ne pouvait s’empêcher de réfléchir.
Ce qu’elle n’avait pas exprimé, c’était cette sourde tristesse qu’elle avait tenté d’apaisé. Boire lui avait permis d’oublier, de masquer la réalité. Mais maintenant que les effets s’estompaient, elle ne pouvait que revenir à cette fatalité : elle se sentait mal-aimé, rejetée par ceux-là même qu’elle aurait tant voulu toucher.
Lorsqu'elle avait trouvé Laurence plus tôt dans la journée, la femme lui avait appris que ses parents l’avaient contacté. Mais, comme elle s’y était attendue, ils n’avaient pas cherché à parler à Jenna. À peine à savoir comment elle allait. Seulement si elle respectait bien les consignes.
Jenna était écœurée. Ça n'aurait pourtant pas dû l'étonner, mais ça lui faisait chaque fois plus mal. Comme une intense gifle qui lui laissait une marque indélébile. Rien ne pouvait la détourner de cette fâcheuse constatation : ses parents n'en avaient que faire d'elle.
Elle s'en voulait d'avoir de telles pensées. Mais elle en venait à haïr sa mère d'être aussi stricte ; de toujours lui imposer de nouvelles règles, un nouveau mode de vie ; de ne pas savoir lui donner d'amour ! Et elle haïssait son père d'être aussi lâche ; aussi silencieux ; de regarder sa femme les mener tous à la déchéance sans rien faire !
Elle n'en pouvait plus. Sa vie lui échappait, et lorsqu'elle aurait dû jouir de sa jeunesse, elle ne parvenait à ne ressentir rien d'autre qu'un sombre désespoir, un vide immense que rien ne comblait. Seulement cette haine atroce qui rongeait son cœur.
Les larmes lui vinrent aux yeux, brûlantes, dévastatrices, qu'elle ravala amèrement. Elle se voulait discrète, pourtant elle ne put s'empêcher de renifler bruyamment. Au Diable Ryan ! Tant pis s'il l'entendait !
Elle avait de plus en plus besoin d'une épaule sur laquelle déverser sa colère, sa peine, sa rancœur. Mais celle d'Alec n'était pas présentement disponible. Elle aurait voulu se faufiler une nouvelle fois dans son lit, jouer encore les petites filles, oublier tout, même son présent. Mais il lui fallait apprendre à vaincre ses démons seule.
Elle se dressa en silence et quitta la pièce lentement. S'asperger d'eau fraîche lui ferait certainement du bien.
Ryan l'écoutait en silence. Elle pleurait doucement, sans bruit. Ce simple son, un murmure tout au plus, lui enserrait le cœur d'une étrange façon. Lui, habituellement imperméable à tout sentiment, se trouvait attendri par cette jeune fille dont il sentait le malaise.
Néanmoins, il ne pouvait que rester là, telle une pierre ancrée à la terre, inerte, sans une parole réconfortante, sans un geste de soutien.
Elle s'était levée sans bruit, éclipsée quelques minutes, et était revenue se coucher. À son retour, elle ne pleurait plus. Et bientôt, il l'entendit respirer régulièrement. Elle s'était endormie.
Chose qu'il avait énormément de mal à faire lui-même. Cela ne faisait que deux jours qu'il la côtoyait, pourtant, il sentait qu'elle creusait peu à peu un terrier dans sa chair, lui coupant tout souffle, toute envie particulière autre que celle d'être auprès d'elle.
Il la désirait.
Cette soudaine certitude l'ébranla au plus haut point. Jamais encore il n'avait désiré quelqu'un de la sorte, jamais même il ne s'était laissé surprendre par le désir. Il ne voulait personne, n'aimait personne. Alors pourquoi avait-il baissé sa garde ? Qu'avait-elle fait pour gagner ainsi son cœur ?
Il ne l'aimait pas, non. Comment l'aurait-il pu ? Deux jours ! Mais elle lui plaisait, c'était indéniable. Elle lui plaisait beaucoup trop. Dans sa fragilité, cette tristesse insondable qu'il percevait en permanence, comme une aura flottant autour d'elle. Dans sa force de caractère, qui l'empêchait de sombrer, qui lui permettait de garder en permanence un visage gai, respirant la joie de vivre. Dans ses passions, celles pour la musique, pour la lecture, dont on sentait l'importance.
Il devrait désormais faire plus attention. Jamais plus se laisser déborder par des sentiments, des sensations nouvelles qui n'avaient pas lieu d'être.
© Jessica Lumbroso
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Son cerveau embrumé ne pouvait s’empêcher de réfléchir.
Ce qu’elle n’avait pas exprimé, c’était cette sourde tristesse qu’elle avait tenté d’apaisé. Boire lui avait permis d’oublier, de masquer la réalité. Mais maintenant que les effets s’estompaient, elle ne pouvait que revenir à cette fatalité : elle se sentait mal-aimé, rejetée par ceux-là même qu’elle aurait tant voulu toucher.
Lorsqu'elle avait trouvé Laurence plus tôt dans la journée, la femme lui avait appris que ses parents l’avaient contacté. Mais, comme elle s’y était attendue, ils n’avaient pas cherché à parler à Jenna. À peine à savoir comment elle allait. Seulement si elle respectait bien les consignes.
Jenna était écœurée. Ça n'aurait pourtant pas dû l'étonner, mais ça lui faisait chaque fois plus mal. Comme une intense gifle qui lui laissait une marque indélébile. Rien ne pouvait la détourner de cette fâcheuse constatation : ses parents n'en avaient que faire d'elle.
Elle s'en voulait d'avoir de telles pensées. Mais elle en venait à haïr sa mère d'être aussi stricte ; de toujours lui imposer de nouvelles règles, un nouveau mode de vie ; de ne pas savoir lui donner d'amour ! Et elle haïssait son père d'être aussi lâche ; aussi silencieux ; de regarder sa femme les mener tous à la déchéance sans rien faire !
Elle n'en pouvait plus. Sa vie lui échappait, et lorsqu'elle aurait dû jouir de sa jeunesse, elle ne parvenait à ne ressentir rien d'autre qu'un sombre désespoir, un vide immense que rien ne comblait. Seulement cette haine atroce qui rongeait son cœur.
Les larmes lui vinrent aux yeux, brûlantes, dévastatrices, qu'elle ravala amèrement. Elle se voulait discrète, pourtant elle ne put s'empêcher de renifler bruyamment. Au Diable Ryan ! Tant pis s'il l'entendait !
Elle avait de plus en plus besoin d'une épaule sur laquelle déverser sa colère, sa peine, sa rancœur. Mais celle d'Alec n'était pas présentement disponible. Elle aurait voulu se faufiler une nouvelle fois dans son lit, jouer encore les petites filles, oublier tout, même son présent. Mais il lui fallait apprendre à vaincre ses démons seule.
Elle se dressa en silence et quitta la pièce lentement. S'asperger d'eau fraîche lui ferait certainement du bien.
Ryan l'écoutait en silence. Elle pleurait doucement, sans bruit. Ce simple son, un murmure tout au plus, lui enserrait le cœur d'une étrange façon. Lui, habituellement imperméable à tout sentiment, se trouvait attendri par cette jeune fille dont il sentait le malaise.
Néanmoins, il ne pouvait que rester là, telle une pierre ancrée à la terre, inerte, sans une parole réconfortante, sans un geste de soutien.
Elle s'était levée sans bruit, éclipsée quelques minutes, et était revenue se coucher. À son retour, elle ne pleurait plus. Et bientôt, il l'entendit respirer régulièrement. Elle s'était endormie.
Chose qu'il avait énormément de mal à faire lui-même. Cela ne faisait que deux jours qu'il la côtoyait, pourtant, il sentait qu'elle creusait peu à peu un terrier dans sa chair, lui coupant tout souffle, toute envie particulière autre que celle d'être auprès d'elle.
Il la désirait.
Cette soudaine certitude l'ébranla au plus haut point. Jamais encore il n'avait désiré quelqu'un de la sorte, jamais même il ne s'était laissé surprendre par le désir. Il ne voulait personne, n'aimait personne. Alors pourquoi avait-il baissé sa garde ? Qu'avait-elle fait pour gagner ainsi son cœur ?
Il ne l'aimait pas, non. Comment l'aurait-il pu ? Deux jours ! Mais elle lui plaisait, c'était indéniable. Elle lui plaisait beaucoup trop. Dans sa fragilité, cette tristesse insondable qu'il percevait en permanence, comme une aura flottant autour d'elle. Dans sa force de caractère, qui l'empêchait de sombrer, qui lui permettait de garder en permanence un visage gai, respirant la joie de vivre. Dans ses passions, celles pour la musique, pour la lecture, dont on sentait l'importance.
Il devrait désormais faire plus attention. Jamais plus se laisser déborder par des sentiments, des sensations nouvelles qui n'avaient pas lieu d'être.
© Jessica Lumbroso
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Dernière édition par Jessica le Mer 30 Mai - 10:27, édité 1 fois
Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(9ème partie)
**
À huit jours du concert, l’angoisse se faisait ressentir, électrisant l’atmosphère. La présence potentielle d’un éminent chercheur de talents n’arrangeait rien à leur trouble. Il fallait se délier les doigts, s’éclaircir les voix, s’entraîner encore. D’autant plus qu’ils ne parvenaient à se mettre d’accord sur le choix définitif des chansons. Les pourparlers étaient animés, chacun défendant ses opinions avec ferveur. Mais voilà : il fallait tout de même se décider.
Réunis autour de l’ordinateur portable d’Alec, posé sur la table basse du salon d’Élisabeth, ils réécoutaient en vain leurs morceaux, tentant de trouver les deux qui feraient la différence. Ce concert était un énorme tremplin, qui leur permettrait peut-être de signer avec un label et ils souhaitaient mettre le maximum de chance de leur côté.
Seul à la table de la salle à manger, Ryan étudiait. Jenna n’avait pu s’empêcher de le dévisager longuement. Son visage studieux, sombre et sérieux, lui plaisait tout autant que le reste. Concentré, il reflétait une certaine sévérité qu’elle avait déjà vu poindre dans ses yeux verts aux lourds cils, qui assombrissaient son regard. Sa mâchoire se contractait régulièrement, faisant saillir un muscle sur sa joue basanée.
À plusieurs reprises, il avait relevé les yeux, sûrement dérangé par le bruit, et avait croisé le regard brûlant de Jenna, qui s’empressait alors, empourprée, de replonger au cœur de la conversation.
— Nous ne serons jamais prêts… geignait Élisabeth en plongeant sa tête entre ses mains, qui agrippèrent avec angoisse sa chevelure. Si quelqu’un avait eu la bonté de nous laisser plus de temps…
— C’est sympa de voir que tu crois en nous, taquina Jeffrey en la bousculant légèrement.
— Ce n’est pas en vous que je ne crois pas, mais en moi.
— C’est moi qui t’ai formé, coupa Maxime de sa voix tranchante – mais Élisabeth ne s’en offusqua pas. Si je pensais que tu n’étais pas prête, je te l’aurais dit. Mais tout roule. Tu te démerdes parfaitement en répèt’. Il faut juste que tu te détendes, et tout se passera bien.
Élisabeth et Jenna étaient assises à même le sol, entre les jambes respectives de Maxime et d’Alec. Les cinq garçons, ainsi que Connor, s’éparpillaient tout autour, assis sur canapé, fauteuil ou pouf, en somme tout ce qu’ils pouvaient mettre sous leur postérieur.
Élisabeth sentit la main de son ami se poser sur son épaule, chaude et réconfortante, comme un appel au calme, tandis qu’il se replongeait dans un silence de plomb. Maxime n’était pas du genre à parler pour ne rien dire. À vrai dire, il n’ouvrait pas souvent la bouche. D’une nature austère, il s’emmurait dans un silence profond qui ne dérangeait plus le groupe. Heureusement. Élisabeth ne savait pas ce qu’elle aurait fait s’il n’avait pas été accepté. Elle avait besoin de lui dans sa vie, tout autant que les autres.
Elle avait toujours trouvé qu’il ressemblait grandement par certains égards à Ryan. Tous deux n’étaient pas très bavards. Observateurs, ils passaient le plus clair de leur temps à analyser situations et personnes avant d’accorder le moindre crédit… Elle se sentait autant en confiance avec l’un qu’avec l’autre. C’était sûrement pour leur caractère différent, sombre et froid, qu’elle était aussi bien avec les deux jeunes hommes, qui étaient de loin les personnes qui comptaient le plus pour elle.
Ryan n’avait rien de commun avec son frère. Connor, lui, ressemblait davantage aux autres membres de son groupe d’amis : ouvert, facile d’approche et toujours le mot pour rire. Sur ce dernier point, c’était à savoir qui de lui ou de Jeffrey détenait la palme.
Élisabeth n’était pas aveugle, ni assez naïve pour ne pas remarquer que chacun des garçons – hormis bien sûr Maxime avec qui elle avait grandi – avait plus d’affinité avec Jenna. Elle le comprenait parfaitement : Jenna n’avait jamais été très féminine, bien que ces derniers temps, les choses changeassent. Son caractère, ses passions, ses sujets de conversations créaient un pont entre elle et les garçons qui demeuraient infranchissable à Élisabeth. Cette situation n’avait jamais dérangé cette dernière. Pourtant, en cet instant, elle éprouva un vif sentiment de jalousie.
Ryan contemplait Jenna. Il la contemplait avec insistance, d’un regard qu’elle ne lui connaissait pas. Les sourcils froncés, on aurait dit qu’il luttait contre lui-même. Avide, ses yeux dévoraient carrément son amie avec ardeur, mais Jenna s’évertuait à ne pas croiser ces yeux brûlants.
Élisabeth avait surpris cet échange silencieux avec horreur. Ryan… son Ryan, son ami, son confident, ne la regardait, elle, et ça la peinait. Élisabeth acceptait sans mal que Jenna accapare tous les esprits, même involontairement, mais elle était incapable de supporter qu’elle interférât dans sa relation avec Ryan.
Elle voulait l’exclusivité.
Ces réflexions eurent bon de ses réserves, et le stress quitta ses épaules pour être remplacé par la colère, la frustration. Pourtant, elle n’en voulait ni à Jenna, ni à Ryan. Elle pouvait concevoir leur attirance mutuelle, même s’ils luttaient contre, et ce, de toute leur force.
Son amitié avec Ryan avait été pour le moins houleuse. Heureusement, Connor avait été là pour la soutenir. Bien malgré elle, ses yeux se posèrent sur son ami et son rythme cardiaque s’accéléra lorsqu’il lui sourit tendrement. Oui, heureusement que Connor était là.
Elle les avait rencontrés trois ans plus tôt, lors d’un voyage en Amérique. Ses parents l’avaient traîné à coup de chantage. Ils y étaient restés un mois, durant lequel ils avaient séjourné chez leurs amis. Des vieux amis de ses parents, qu’ils connaissaient depuis de très nombreuses années, mais qu’elle avait rencontrés pour la première fois.
À l’époque, Ryan sortait tout juste de l’adolescence. Son corps avait perdu ses rondeurs, et il l’entretenait régulièrement. Élisabeth savait que son enfance n’avait pas été facile, notamment parce qu’il avait été la cible de raillerie mesquines et constantes. Néanmoins, la première impression qu’il lui avait laissée était loin d’être flatteuse. Aigri, il n’avait plus confiance en personne. Pour éviter toute déception, il rejetait quiconque s’approchait de lui, et il le faisait avec une ferveur toute blessante. Aussi, il s’était montré des plus désagréables avec elle, notamment parce que Mindy, sa propre cousine éprise de Ryan et qui avait grandi avec lui, lui avait dressé un portrait des moins flatteurs d’elle. Quoi qu’il en était, Ryan, froid, cassant, blessant, voir même parfois violent, l’avait terrorisé tout autant qu’intrigué. Elle était finalement parvenue à l’apprivoiser, perçant enfin cette carapace de méchant garçon, notamment grâce à Connor. Mais il lui aura fallu presque un mois pour y parvenir, au terme duquel un lien tout fraternel s’était tissé, indéfectible, entre eux.
Ryan côtoyait Jenna depuis moins de vingt-quatre heures que déjà il avait baissé sa garde. Jenna l’intriguait, elle le sentait, pire, elle le voyait, et ça blessait étrangement Élisabeth.
Ryan avait changé.
Fut un temps, il n’aurait pas posé les yeux sur Jenna, fut-elle la plus belle fille au monde. Il avait côtoyé bien trop de personnes superficielles pour encore s’émouvoir de la beauté physique. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de contempler Jenna. Élisabeth le voyait lutter pour garder sa concentration, lutter contre son envie primaire, ses instincts qui le poussaient vers elle.
La jeune fille dévisagea alors méticuleusement son amie. Hormis la main d’Alec posée sur son épaule comme pour marquer une quelconque appartenance, Jenna lui semblait égale à elle-même. Mais à bien y regarder, elle avait les joues légèrement rosées, un sourire étrange frôlant ostensiblement ses lèvres, et elle lui semblait incapable de tenir en place. À l’évidence, le regard de Ryan la troublait. Pire même, elle n’y était pas indifférente. Et leur petit manège semblait ne pas avoir échappé à Alec, qui s’était rembrunit.
Que se passait-il réellement ?
— Lisa ? Tu es avec nous ?
— Pardon ?
— On te demandait ce que tu pensais de celle-là. Alec et Jeff veulent quelque chose de très pêchu. Celle-là est parfaite, mon la partition est difficile. Tu penses pouvoir gérer ?
— C’est pas la partition qui me fait peur. C’est plutôt toutes ses paires d’yeux qui seront braquées sur nous. La musique, ça ira. C’est le stress que je ne suis pas sûre de savoir gérer.
— O.K., annonça alors Baptiste. On tient donc notre premier morceau. Maintenant, il faut qu’on trouve l’interprétation personnelle.
Il s’agissait en fait de la reprise d’un morceau connu qu’ils devaient s’approprier et jouer à leur manière.
— Ça va pas être trop compliqué, lança Christophe. On en a beaucoup moins. À tout casser, deux ou trois.
La première, une reprise d’un vieux tube français, résonna bientôt.
— Coupe cette horreur ! s’exclama Jenna. C’est une des toutes premières qu’on a joué ensemble. On était vraiment nuls, à l’époque.
— Mais il aurait été intéressant, justement, de voir l’évolution de notre style, argua Baptiste.
— Baba, à l’époque, nous n’avions aucun style, lança Alec.
— J’imagine que tu as sans doute raison…
— Non définitif, résuma Jeffrey. Al, passe à la suivante !
Ce dernier s’exécuta. Après un bref clique, la musique s’arrêta. Quelques instants plus tard, de nouvelles notes de musiques résonnèrent. Le regard de trois des sept membres s’illumina presque instantanément.
— Adjugé, vendu ! s’exclama Jeffrey.
— Minute, coupa Jenna, je ne suis pas d’accord. Il est hors de question que vous me fassiez chanter. C’est bien entre nous, dans un garage. Mais pas devant tant de monde !
— Tu as bien réussi à chanter devant nous, intervint Connor.
— Ce n’est pas la même chose.
— Allez, Jen, supplia Jeffrey, votre duo, il est carrément béton. Al et toi, vous êtes magiques. Il faut le faire ! Vous deux
ensemble, on est sûr e se faire remarquer. C’est de la dynamite !
Jenna les avait elle-même inscrite au concert, mais c’était Jeffrey qui semblait le plus emballé.
— Jen, murmura Élisabeth. Si je dois lutter contre mes peurs, toi aussi. Fais le pour nous. Nous sommes dans le même bateau. Tu te souviens ? « C’est tous ensemble, mais pas sans toi. »
Cette phrase-là, ils se l’étaient répétés à maintes reprises lorsque l’un d’entre eux perdait confiance.
— Génial ! s’exclama Jeffrey en secouant Jenna affectueusement.
— Nous reste plus qu’à plancher, annonça Alec.
— Traitres… murmura Jenna sans le moindre sourire.
Elle se releva soudain. Alec lui attrapa le poignet avec une soudaine inquiétude.
— J’ai juste besoin de prendre un peu l’air. Ça va aller. Préparez-vous, on va chez moi. Laissez-moi juste cinq minutes, et je vous rejoins.
— Prends ton temps… murmura Alec en relâchant la pression.
Jenna lui sourit avec crispation avant de s’éclipser. Elle ne savait plus quoi faire. Il faisait beaucoup trop froid dehors pour qu’elle sorte s’aérer. Pourtant, il lui fallait faire n’importe quoi qui l’empêche de réfléchir. Une angoisse profonde remontait de ses entrailles. Aussi, en désespoir de cause, elle pénétra dans la cuisine. Il lui fallait un grand verre d’eau fraiche.
Elle faisait couler l’eau du robinet quand on demanda, la faisant sursauter :
— Pourquoi as-tu si peur ?
Ryan la contemplait, les bras croisés sur sa poitrine, dans une position similaire à celle qu’il avait le matin même.
— Il faut vraiment que tu arrêtes de faire ça…
— Tu es tendue.
— Qu’est-ce qui tu fais dire ça ?
Jenna ne parvenait à le contempler. Était-ce lui qui la mettait mal à l’aise ? Quelque part, il espérait que non. Car il sentait poindre en lui un sentiment particulier, quelque chose d’étrange se tissant entre eux, une légère tension qu’il avait du mal à combattre.
Sous son regard éloquent, Jenna concéda :
— Bon, O.K. Disons que j’ai une trouille de tous les diables de chanter devant un public…
— Pourquoi ? Tu le fais bien devant nous.
— Eh bien… Chanter, c’est comme s’exposer, montrer aux autres une partie de son âme. C’est se dévoiler devant des étrangers.
— Tu écris, n’est-ce pas ? Quelle est la différence entre les deux ? L’écriture, c’est exprimer tout haut ce qu’on tient cacher, c’est s’abriter derrière des mots, des pensées, qui ne nous appartiennent pas et sont pourtant si justes…
— Ce que j’écris, je ne le fais pas lire. C’est tellement… intime ! J’ai beaucoup d’estime pour Alec. Il n’a pas peur, lui. Je n’ai pas son courage. Les critiques m’horrifient.
— Et pourtant, ce sont elles qui nous font avancer.
— Je sais bien… Mais dis-moi une chose : acceptes-tu facilement l’opinion négative de quelqu’un que tu ne connais pas ? Certaines ont pour vocation de nous faire évoluer. Pourtant, les gens sont foncièrement méchants. Et beaucoup ne le font que par pure méchanceté. Par pure jalousie.
Sur ce dernier point, Ryan ne pouvait décemment pas la contredire. Il en avait côtoyé beaucoup, des personnes. Des gens de tous horizons, de tous milieux, mais qui en définitive ne voulaient qu’une chose : la consécration de soi. Des rapaces, voilà ce qu’ils étaient. Tous des rapaces. Souriant avec bienveillance, mais te poignardant dans le dos, dans l’espoir d’en tirer un bénéfice, même minime.
Pourtant, Ryan sentait que Jenna n’était pas comme eux. Peut-être parce qu’elle semblait aussi méfiante que lui. Ou peut-être, tout simplement, qu’elle avait grandi dans sa bulle protectrice, en dehors de la réalité.
— Et moi ? Tu n’as pas peur de moi ?
La question la surprit. Avoir peur de Ryan ?
À bien y réfléchir, elle était terrifiée par lui. Il exerçait sur elle une attraction destructrice, qu’elle devait constamment combattre. Et ça la terrorisait. Pourquoi son cœur s’emballait-il autant en sa présence ? Pourquoi ce qu’il se passait entre eux lui semblait si… malsain ?
— Ne crains rien… murmura Ryan, comme elle ne répondait pas. Tu as une voix magnifique. L’important, c’est de s’amuser, et de le faire ensemble, non ?
Jenna éclata de rire.
— Sans vouloir te vexer, Ryan, tu es vraiment la dernière personne de laquelle j’attendais des paroles réconfortantes.
— Alors, oublie-les.
— Pas question. Tu as été gentil… Inattendu, mais gentil. Je t’en remercie.
Elle se sentait soudain le cœur plus léger, comme si rire l’avait soulagé de ses angoisses.
Ryan la contemplait gravement, d’un regard insondable, qui la mit soudain mal à l’aise. Quelque chose en elle se trouvait attiré par ses yeux sombres, par ce jeune homme incompréhensible.
En reprenant une brève respiration, elle lui fit comprendre qu’elle en resterait là. Elle était sur le point de quitter la pièce lorsqu’il lui demanda, la voix soudain enrouée :
— C’est ton mec ?
— Qu… Quoi ?
— Ce gars, là, avec qui tu es toujours, est-ce que c’est ton copain ?
— Al ? Tu rigoles ? s’exclama-t-elle de plus belle. Pourquoi ?
— Ça explique ce sentiment d’étouffement…
Jenna n’en revenait pas. Comment osait-il ? Une étrange colère lui monta aux joues, et elle murmura sèchement :
— Ce n’est pas à cause de lui que je me sens si confinée. Au contraire. Il n’a rien à voir avec tout ça. C’est mon meilleur ami, et je suis heureuse de l’avoir avec moi.
— Un ami, hein ?
— Bien sûr !
Jenna ne comprenait pas pourquoi toutes ces remarques l’agaçaient tant. Comment pouvait-il se permettre de les juger, lui qui ne les connaissait pas ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Je cherche seulement à comprendre.
— Pourquoi ?
C’était une très bonne question, à laquelle lui-même ne trouvait de réponse. Pourquoi était-il si intrigué par cette jeune fille ?
— Jen, tu viens ?
Alec, dans le couloir, l’interpellait. Il avait déjà enfilé sa veste et n’attendait plus qu’elle. Dans son dos, les autres parlaient
vivement.
Elle acquiesça tandis que ses yeux ne parvenaient à quitter le visage de Ryan. Mais lui ne la contemplait plus. Le regard brûlant qu’il avait posé sur Alec lui était rendu avec une certaine animosité qu’elle ne comprit pas.
— Je viens.
© Jessica Lumbroso
Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation expresse de l'auteur.
Réunis autour de l’ordinateur portable d’Alec, posé sur la table basse du salon d’Élisabeth, ils réécoutaient en vain leurs morceaux, tentant de trouver les deux qui feraient la différence. Ce concert était un énorme tremplin, qui leur permettrait peut-être de signer avec un label et ils souhaitaient mettre le maximum de chance de leur côté.
Seul à la table de la salle à manger, Ryan étudiait. Jenna n’avait pu s’empêcher de le dévisager longuement. Son visage studieux, sombre et sérieux, lui plaisait tout autant que le reste. Concentré, il reflétait une certaine sévérité qu’elle avait déjà vu poindre dans ses yeux verts aux lourds cils, qui assombrissaient son regard. Sa mâchoire se contractait régulièrement, faisant saillir un muscle sur sa joue basanée.
À plusieurs reprises, il avait relevé les yeux, sûrement dérangé par le bruit, et avait croisé le regard brûlant de Jenna, qui s’empressait alors, empourprée, de replonger au cœur de la conversation.
— Nous ne serons jamais prêts… geignait Élisabeth en plongeant sa tête entre ses mains, qui agrippèrent avec angoisse sa chevelure. Si quelqu’un avait eu la bonté de nous laisser plus de temps…
— C’est sympa de voir que tu crois en nous, taquina Jeffrey en la bousculant légèrement.
— Ce n’est pas en vous que je ne crois pas, mais en moi.
— C’est moi qui t’ai formé, coupa Maxime de sa voix tranchante – mais Élisabeth ne s’en offusqua pas. Si je pensais que tu n’étais pas prête, je te l’aurais dit. Mais tout roule. Tu te démerdes parfaitement en répèt’. Il faut juste que tu te détendes, et tout se passera bien.
Élisabeth et Jenna étaient assises à même le sol, entre les jambes respectives de Maxime et d’Alec. Les cinq garçons, ainsi que Connor, s’éparpillaient tout autour, assis sur canapé, fauteuil ou pouf, en somme tout ce qu’ils pouvaient mettre sous leur postérieur.
Élisabeth sentit la main de son ami se poser sur son épaule, chaude et réconfortante, comme un appel au calme, tandis qu’il se replongeait dans un silence de plomb. Maxime n’était pas du genre à parler pour ne rien dire. À vrai dire, il n’ouvrait pas souvent la bouche. D’une nature austère, il s’emmurait dans un silence profond qui ne dérangeait plus le groupe. Heureusement. Élisabeth ne savait pas ce qu’elle aurait fait s’il n’avait pas été accepté. Elle avait besoin de lui dans sa vie, tout autant que les autres.
Elle avait toujours trouvé qu’il ressemblait grandement par certains égards à Ryan. Tous deux n’étaient pas très bavards. Observateurs, ils passaient le plus clair de leur temps à analyser situations et personnes avant d’accorder le moindre crédit… Elle se sentait autant en confiance avec l’un qu’avec l’autre. C’était sûrement pour leur caractère différent, sombre et froid, qu’elle était aussi bien avec les deux jeunes hommes, qui étaient de loin les personnes qui comptaient le plus pour elle.
Ryan n’avait rien de commun avec son frère. Connor, lui, ressemblait davantage aux autres membres de son groupe d’amis : ouvert, facile d’approche et toujours le mot pour rire. Sur ce dernier point, c’était à savoir qui de lui ou de Jeffrey détenait la palme.
Élisabeth n’était pas aveugle, ni assez naïve pour ne pas remarquer que chacun des garçons – hormis bien sûr Maxime avec qui elle avait grandi – avait plus d’affinité avec Jenna. Elle le comprenait parfaitement : Jenna n’avait jamais été très féminine, bien que ces derniers temps, les choses changeassent. Son caractère, ses passions, ses sujets de conversations créaient un pont entre elle et les garçons qui demeuraient infranchissable à Élisabeth. Cette situation n’avait jamais dérangé cette dernière. Pourtant, en cet instant, elle éprouva un vif sentiment de jalousie.
Ryan contemplait Jenna. Il la contemplait avec insistance, d’un regard qu’elle ne lui connaissait pas. Les sourcils froncés, on aurait dit qu’il luttait contre lui-même. Avide, ses yeux dévoraient carrément son amie avec ardeur, mais Jenna s’évertuait à ne pas croiser ces yeux brûlants.
Élisabeth avait surpris cet échange silencieux avec horreur. Ryan… son Ryan, son ami, son confident, ne la regardait, elle, et ça la peinait. Élisabeth acceptait sans mal que Jenna accapare tous les esprits, même involontairement, mais elle était incapable de supporter qu’elle interférât dans sa relation avec Ryan.
Elle voulait l’exclusivité.
Ces réflexions eurent bon de ses réserves, et le stress quitta ses épaules pour être remplacé par la colère, la frustration. Pourtant, elle n’en voulait ni à Jenna, ni à Ryan. Elle pouvait concevoir leur attirance mutuelle, même s’ils luttaient contre, et ce, de toute leur force.
Son amitié avec Ryan avait été pour le moins houleuse. Heureusement, Connor avait été là pour la soutenir. Bien malgré elle, ses yeux se posèrent sur son ami et son rythme cardiaque s’accéléra lorsqu’il lui sourit tendrement. Oui, heureusement que Connor était là.
Elle les avait rencontrés trois ans plus tôt, lors d’un voyage en Amérique. Ses parents l’avaient traîné à coup de chantage. Ils y étaient restés un mois, durant lequel ils avaient séjourné chez leurs amis. Des vieux amis de ses parents, qu’ils connaissaient depuis de très nombreuses années, mais qu’elle avait rencontrés pour la première fois.
À l’époque, Ryan sortait tout juste de l’adolescence. Son corps avait perdu ses rondeurs, et il l’entretenait régulièrement. Élisabeth savait que son enfance n’avait pas été facile, notamment parce qu’il avait été la cible de raillerie mesquines et constantes. Néanmoins, la première impression qu’il lui avait laissée était loin d’être flatteuse. Aigri, il n’avait plus confiance en personne. Pour éviter toute déception, il rejetait quiconque s’approchait de lui, et il le faisait avec une ferveur toute blessante. Aussi, il s’était montré des plus désagréables avec elle, notamment parce que Mindy, sa propre cousine éprise de Ryan et qui avait grandi avec lui, lui avait dressé un portrait des moins flatteurs d’elle. Quoi qu’il en était, Ryan, froid, cassant, blessant, voir même parfois violent, l’avait terrorisé tout autant qu’intrigué. Elle était finalement parvenue à l’apprivoiser, perçant enfin cette carapace de méchant garçon, notamment grâce à Connor. Mais il lui aura fallu presque un mois pour y parvenir, au terme duquel un lien tout fraternel s’était tissé, indéfectible, entre eux.
Ryan côtoyait Jenna depuis moins de vingt-quatre heures que déjà il avait baissé sa garde. Jenna l’intriguait, elle le sentait, pire, elle le voyait, et ça blessait étrangement Élisabeth.
Ryan avait changé.
Fut un temps, il n’aurait pas posé les yeux sur Jenna, fut-elle la plus belle fille au monde. Il avait côtoyé bien trop de personnes superficielles pour encore s’émouvoir de la beauté physique. Pourtant, il ne pouvait s’empêcher de contempler Jenna. Élisabeth le voyait lutter pour garder sa concentration, lutter contre son envie primaire, ses instincts qui le poussaient vers elle.
La jeune fille dévisagea alors méticuleusement son amie. Hormis la main d’Alec posée sur son épaule comme pour marquer une quelconque appartenance, Jenna lui semblait égale à elle-même. Mais à bien y regarder, elle avait les joues légèrement rosées, un sourire étrange frôlant ostensiblement ses lèvres, et elle lui semblait incapable de tenir en place. À l’évidence, le regard de Ryan la troublait. Pire même, elle n’y était pas indifférente. Et leur petit manège semblait ne pas avoir échappé à Alec, qui s’était rembrunit.
Que se passait-il réellement ?
— Lisa ? Tu es avec nous ?
— Pardon ?
— On te demandait ce que tu pensais de celle-là. Alec et Jeff veulent quelque chose de très pêchu. Celle-là est parfaite, mon la partition est difficile. Tu penses pouvoir gérer ?
— C’est pas la partition qui me fait peur. C’est plutôt toutes ses paires d’yeux qui seront braquées sur nous. La musique, ça ira. C’est le stress que je ne suis pas sûre de savoir gérer.
— O.K., annonça alors Baptiste. On tient donc notre premier morceau. Maintenant, il faut qu’on trouve l’interprétation personnelle.
Il s’agissait en fait de la reprise d’un morceau connu qu’ils devaient s’approprier et jouer à leur manière.
— Ça va pas être trop compliqué, lança Christophe. On en a beaucoup moins. À tout casser, deux ou trois.
La première, une reprise d’un vieux tube français, résonna bientôt.
— Coupe cette horreur ! s’exclama Jenna. C’est une des toutes premières qu’on a joué ensemble. On était vraiment nuls, à l’époque.
— Mais il aurait été intéressant, justement, de voir l’évolution de notre style, argua Baptiste.
— Baba, à l’époque, nous n’avions aucun style, lança Alec.
— J’imagine que tu as sans doute raison…
— Non définitif, résuma Jeffrey. Al, passe à la suivante !
Ce dernier s’exécuta. Après un bref clique, la musique s’arrêta. Quelques instants plus tard, de nouvelles notes de musiques résonnèrent. Le regard de trois des sept membres s’illumina presque instantanément.
— Adjugé, vendu ! s’exclama Jeffrey.
— Minute, coupa Jenna, je ne suis pas d’accord. Il est hors de question que vous me fassiez chanter. C’est bien entre nous, dans un garage. Mais pas devant tant de monde !
— Tu as bien réussi à chanter devant nous, intervint Connor.
— Ce n’est pas la même chose.
— Allez, Jen, supplia Jeffrey, votre duo, il est carrément béton. Al et toi, vous êtes magiques. Il faut le faire ! Vous deux
ensemble, on est sûr e se faire remarquer. C’est de la dynamite !
Jenna les avait elle-même inscrite au concert, mais c’était Jeffrey qui semblait le plus emballé.
— Jen, murmura Élisabeth. Si je dois lutter contre mes peurs, toi aussi. Fais le pour nous. Nous sommes dans le même bateau. Tu te souviens ? « C’est tous ensemble, mais pas sans toi. »
Cette phrase-là, ils se l’étaient répétés à maintes reprises lorsque l’un d’entre eux perdait confiance.
— Génial ! s’exclama Jeffrey en secouant Jenna affectueusement.
— Nous reste plus qu’à plancher, annonça Alec.
— Traitres… murmura Jenna sans le moindre sourire.
Elle se releva soudain. Alec lui attrapa le poignet avec une soudaine inquiétude.
— J’ai juste besoin de prendre un peu l’air. Ça va aller. Préparez-vous, on va chez moi. Laissez-moi juste cinq minutes, et je vous rejoins.
— Prends ton temps… murmura Alec en relâchant la pression.
Jenna lui sourit avec crispation avant de s’éclipser. Elle ne savait plus quoi faire. Il faisait beaucoup trop froid dehors pour qu’elle sorte s’aérer. Pourtant, il lui fallait faire n’importe quoi qui l’empêche de réfléchir. Une angoisse profonde remontait de ses entrailles. Aussi, en désespoir de cause, elle pénétra dans la cuisine. Il lui fallait un grand verre d’eau fraiche.
Elle faisait couler l’eau du robinet quand on demanda, la faisant sursauter :
— Pourquoi as-tu si peur ?
Ryan la contemplait, les bras croisés sur sa poitrine, dans une position similaire à celle qu’il avait le matin même.
— Il faut vraiment que tu arrêtes de faire ça…
— Tu es tendue.
— Qu’est-ce qui tu fais dire ça ?
Jenna ne parvenait à le contempler. Était-ce lui qui la mettait mal à l’aise ? Quelque part, il espérait que non. Car il sentait poindre en lui un sentiment particulier, quelque chose d’étrange se tissant entre eux, une légère tension qu’il avait du mal à combattre.
Sous son regard éloquent, Jenna concéda :
— Bon, O.K. Disons que j’ai une trouille de tous les diables de chanter devant un public…
— Pourquoi ? Tu le fais bien devant nous.
— Eh bien… Chanter, c’est comme s’exposer, montrer aux autres une partie de son âme. C’est se dévoiler devant des étrangers.
— Tu écris, n’est-ce pas ? Quelle est la différence entre les deux ? L’écriture, c’est exprimer tout haut ce qu’on tient cacher, c’est s’abriter derrière des mots, des pensées, qui ne nous appartiennent pas et sont pourtant si justes…
— Ce que j’écris, je ne le fais pas lire. C’est tellement… intime ! J’ai beaucoup d’estime pour Alec. Il n’a pas peur, lui. Je n’ai pas son courage. Les critiques m’horrifient.
— Et pourtant, ce sont elles qui nous font avancer.
— Je sais bien… Mais dis-moi une chose : acceptes-tu facilement l’opinion négative de quelqu’un que tu ne connais pas ? Certaines ont pour vocation de nous faire évoluer. Pourtant, les gens sont foncièrement méchants. Et beaucoup ne le font que par pure méchanceté. Par pure jalousie.
Sur ce dernier point, Ryan ne pouvait décemment pas la contredire. Il en avait côtoyé beaucoup, des personnes. Des gens de tous horizons, de tous milieux, mais qui en définitive ne voulaient qu’une chose : la consécration de soi. Des rapaces, voilà ce qu’ils étaient. Tous des rapaces. Souriant avec bienveillance, mais te poignardant dans le dos, dans l’espoir d’en tirer un bénéfice, même minime.
Pourtant, Ryan sentait que Jenna n’était pas comme eux. Peut-être parce qu’elle semblait aussi méfiante que lui. Ou peut-être, tout simplement, qu’elle avait grandi dans sa bulle protectrice, en dehors de la réalité.
— Et moi ? Tu n’as pas peur de moi ?
La question la surprit. Avoir peur de Ryan ?
À bien y réfléchir, elle était terrifiée par lui. Il exerçait sur elle une attraction destructrice, qu’elle devait constamment combattre. Et ça la terrorisait. Pourquoi son cœur s’emballait-il autant en sa présence ? Pourquoi ce qu’il se passait entre eux lui semblait si… malsain ?
— Ne crains rien… murmura Ryan, comme elle ne répondait pas. Tu as une voix magnifique. L’important, c’est de s’amuser, et de le faire ensemble, non ?
Jenna éclata de rire.
— Sans vouloir te vexer, Ryan, tu es vraiment la dernière personne de laquelle j’attendais des paroles réconfortantes.
— Alors, oublie-les.
— Pas question. Tu as été gentil… Inattendu, mais gentil. Je t’en remercie.
Elle se sentait soudain le cœur plus léger, comme si rire l’avait soulagé de ses angoisses.
Ryan la contemplait gravement, d’un regard insondable, qui la mit soudain mal à l’aise. Quelque chose en elle se trouvait attiré par ses yeux sombres, par ce jeune homme incompréhensible.
En reprenant une brève respiration, elle lui fit comprendre qu’elle en resterait là. Elle était sur le point de quitter la pièce lorsqu’il lui demanda, la voix soudain enrouée :
— C’est ton mec ?
— Qu… Quoi ?
— Ce gars, là, avec qui tu es toujours, est-ce que c’est ton copain ?
— Al ? Tu rigoles ? s’exclama-t-elle de plus belle. Pourquoi ?
— Ça explique ce sentiment d’étouffement…
Jenna n’en revenait pas. Comment osait-il ? Une étrange colère lui monta aux joues, et elle murmura sèchement :
— Ce n’est pas à cause de lui que je me sens si confinée. Au contraire. Il n’a rien à voir avec tout ça. C’est mon meilleur ami, et je suis heureuse de l’avoir avec moi.
— Un ami, hein ?
— Bien sûr !
Jenna ne comprenait pas pourquoi toutes ces remarques l’agaçaient tant. Comment pouvait-il se permettre de les juger, lui qui ne les connaissait pas ?
— Qu’est-ce que ça peut te faire ?
— Je cherche seulement à comprendre.
— Pourquoi ?
C’était une très bonne question, à laquelle lui-même ne trouvait de réponse. Pourquoi était-il si intrigué par cette jeune fille ?
— Jen, tu viens ?
Alec, dans le couloir, l’interpellait. Il avait déjà enfilé sa veste et n’attendait plus qu’elle. Dans son dos, les autres parlaient
vivement.
Elle acquiesça tandis que ses yeux ne parvenaient à quitter le visage de Ryan. Mais lui ne la contemplait plus. Le regard brûlant qu’il avait posé sur Alec lui était rendu avec une certaine animosité qu’elle ne comprit pas.
— Je viens.
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(10ème partie)
© Jessica Lumbroso
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Alec avait été un enfant aux joues bien potelées, joues qu’il avait perdu à la puberté, laissant place à une mâchoire carrée, virile. Mais, enfant, Jenna adorait le taquiner, lui pinçant les joues jusqu’à voir apparaître deux tâches rouges sur la peau claire. D’un tempérament calme, il se laissait manipuler par les petits doigts boudinés de Jenna, appréciant qu’elle s’occupât de lui, même de la sorte.
Il était le garçon dont toutes les mères rêvaient ; elle était la petite fille que toutes les mères redoutaient.
Jenna, à l’inverse d’Alec, était brusque, en colère, les genoux constamment écorchés, les lèvres rouges sang et gonflées d’avoir trop été mangées, les cheveux éparses, formant une auréole indescriptible autour de sa tête.
Jenna se souvenait encore parfaitement de cette époque bénie où elle n’avait de maître qu’Alec, qu’elle écoutait avec une toute nouvelle attention, époque lointaine, comme faisant partie d’une autre vie, plus facile. Elle aurait aimé redevenir ce petit bout d’elle-même, retrouver ses soucis d’enfants, ses joies et ses peines d’alors. Elle aurait souhaité revoir les doigts minuscules qui la prenaient alors par la main, l’encourageant à ne jamais se laisser abattre ; retrouver le petit être qui lui racontait des histoires par soir de cauchemars ; celui qui partageait toujours avec elle ce qu’on lui offrait à manger. Il l’avait prise sous son aile, et même encore maintenant, elle avait l’impression qu’il la portait à bout de bras.
Dans sa vie d’enfant, il n’y avait rien d’autre au monde qu’Alec. Il était tout pour elle. Son ami, son confident, son frère, son premier amour aussi.
En souriant, Jenna repensa à ce premier baiser qu’elle lui avait donné, sonore, de ses lèvres dodues, un baiser d’adulte, sur la bouche, alors qu’elle n’était âgée que de cinq, six ans peut-être, mais pas plus. Les joues potelées avaient rougies instantanément tandis qu’en riant, elle s’était essuyée. Ç’avait été là son premier geste de fille, et le dernier avant longtemps.
Il était le garçon dont toutes les mères rêvaient ; elle était la petite fille que toutes les mères redoutaient.
Jenna, à l’inverse d’Alec, était brusque, en colère, les genoux constamment écorchés, les lèvres rouges sang et gonflées d’avoir trop été mangées, les cheveux éparses, formant une auréole indescriptible autour de sa tête.
Jenna se souvenait encore parfaitement de cette époque bénie où elle n’avait de maître qu’Alec, qu’elle écoutait avec une toute nouvelle attention, époque lointaine, comme faisant partie d’une autre vie, plus facile. Elle aurait aimé redevenir ce petit bout d’elle-même, retrouver ses soucis d’enfants, ses joies et ses peines d’alors. Elle aurait souhaité revoir les doigts minuscules qui la prenaient alors par la main, l’encourageant à ne jamais se laisser abattre ; retrouver le petit être qui lui racontait des histoires par soir de cauchemars ; celui qui partageait toujours avec elle ce qu’on lui offrait à manger. Il l’avait prise sous son aile, et même encore maintenant, elle avait l’impression qu’il la portait à bout de bras.
Dans sa vie d’enfant, il n’y avait rien d’autre au monde qu’Alec. Il était tout pour elle. Son ami, son confident, son frère, son premier amour aussi.
En souriant, Jenna repensa à ce premier baiser qu’elle lui avait donné, sonore, de ses lèvres dodues, un baiser d’adulte, sur la bouche, alors qu’elle n’était âgée que de cinq, six ans peut-être, mais pas plus. Les joues potelées avaient rougies instantanément tandis qu’en riant, elle s’était essuyée. Ç’avait été là son premier geste de fille, et le dernier avant longtemps.
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(11ème partie)
Maman conduit lentement, serpentant sans à-coup entre les voitures. Je n'ose la contempler, alors c'est la tête obstinément tournée vers la droite que je regarde le paysage défiler de l'autre côté de ma vitre. Je retrouve mon univers. Pourtant, je réalise que je ne souhaite pas être là. Encore une fois, j'aurais préféré effacer les sept derniers mois, ces retrouvailles, me trouver encore dans mon petit appartement de banlieue. Heureuse. Amoureuse.
Je reste silencieuse pendant tout le trajet, obligeant ma mère à allumer le poste radio pour combler les blancs. Depuis mon retour, je vis dans la peur constante de les déranger. Si bien que je reste discrète, parlant peu, et surtout pas de ce qu'il s'est passé. Je sais que les questions brûlent les lèvres de ma mère, mais elle respecte mon silence. Elle ne les pose pas.
Je suis un fantôme dans la demeure, livide, assommante de tristesse et résolument enfermée dans mon désarroi, monopolisant ma chambre et sa chaise à bascule.
Je sais que Maman se préoccupe beaucoup de mon état. Elle a peur que mon désespoir ne me conduise à un acte inconsidéré. Si elle savait !
Elle stationne enfin devant un bâtiment blanc. Une clinique. Elle descend de voiture, en fait le tour et ouvre la portière côté passager. Elle m'aide à descendre puis toutes deux nous pénétrons l'établissement.
Maman a pris rendez-vous chez une gynécologue. Elle s'inquiète de mon état de santé, de la santé du bébé. Car malgré ma grossesse, je maigris. Seul mon ventre s'arrondit, étirant mes pulls d'une manière qui l'attendrit beaucoup.
Je sais qu'elle a eu du mal à trouver un gynécologue possédant un échographe. Elle souhaite que j'en pratique une, pour s'assurer que le petit être dans mon giron est en bonne forme.
Nous patientons une bonne demi-heure en salle d'attente avant que la gynécologue ne nous reçoive. Bien vite, Maman doit quitter la pièce et laisser le médecin s'entretenir avec moi.
Je la regarde partir, indifférente, et me terre dans mon silence. Les questions de la bonne femme trouvent de brèves réponses.
« Écoutez. Je ne souhaite pas être là. Alors, si nous pouvions accélérer les choses...
— Quel est le problème ? » demande-t-elle.
Tout. Rien ne va. Rien ne va comme je l'ai désiré, comme je l'ai prévu. Ma vie part en fumée et ça me rend malade. Pourtant, cette question est bien trop personnelle pour y répondre. Alors, je me tais.
« Mangez-vous correctement ? Je vous trouve un peu chétive, pour une future maman.
— Je mange à ma faim. Mais je n'ai pas souvent faim... »
Je sais qu'elle ne se laisse pas berner et mon état de santé la préoccupe davantage après vingt minutes d'entretien. Je demeure impassible face à elle, froide, maîtresse de mes émotions. Mais elle n'est pas dupe. Elle sait ce que cache tout cela. Plus encore, je lui impose un mur d'indifférence. Les larmes, je les réserve à ma solitude.
« À quand remonte votre dernière échographie ?
— Environ trois mois.
— Vous n'avez pas fait l'échographie du second trimestre ?
— Ça s'est un peu bousculé, ces derniers temps...
— Écoutez, pour plus de précaution, il faudrait en pratiquer une. »
La gynécologue m'expose ses inquiétudes, m'explique les possibles implications de mon état dans le mauvais développement du fœtus. Mais plus encore, du danger pour ma propre santé.
Je m'en contrefiche.
Je n'ai pas désiré ce petit être et je souhaiterais qu'il disparaisse. Qu'il disparaisse, et qu'il m'entraîne avec lui ! Ma vie n'est plus d'aucun attrait... qu'on me laisse mourir en paix.
Mais la femme insiste, et je finis par céder.
On m'installe sur un lit, le ventre à l'air. La gynécologue tire le chariot, sur lequel se trouve l'échographe, jusqu'à moi. Puis elle étale un gel froid sur mon ventre dodu, me faisant frissonner. Elle approche enfin la sonde qu'elle dépose sur le gel, et la déplace. Des images s'affichent bientôt sur son moniteur, en noir et blanc, et j'attends patiemment que l'examen se termine.
Le bébé n'a rien.
Maman est soulagée de l'apprendre. Moi pas.
Maman conduit lentement, serpentant sans à-coup entre les voitures. Je n'ose la contempler, alors c'est la tête obstinément tournée vers la droite que je regarde le paysage défiler de l'autre côté de ma vitre. Je retrouve mon univers. Pourtant, je réalise que je ne souhaite pas être là. Encore une fois, j'aurais préféré effacer les sept derniers mois, ces retrouvailles, me trouver encore dans mon petit appartement de banlieue. Heureuse. Amoureuse.
Je reste silencieuse pendant tout le trajet, obligeant ma mère à allumer le poste radio pour combler les blancs. Depuis mon retour, je vis dans la peur constante de les déranger. Si bien que je reste discrète, parlant peu, et surtout pas de ce qu'il s'est passé. Je sais que les questions brûlent les lèvres de ma mère, mais elle respecte mon silence. Elle ne les pose pas.
Je suis un fantôme dans la demeure, livide, assommante de tristesse et résolument enfermée dans mon désarroi, monopolisant ma chambre et sa chaise à bascule.
Je sais que Maman se préoccupe beaucoup de mon état. Elle a peur que mon désespoir ne me conduise à un acte inconsidéré. Si elle savait !
Elle stationne enfin devant un bâtiment blanc. Une clinique. Elle descend de voiture, en fait le tour et ouvre la portière côté passager. Elle m'aide à descendre puis toutes deux nous pénétrons l'établissement.
Maman a pris rendez-vous chez une gynécologue. Elle s'inquiète de mon état de santé, de la santé du bébé. Car malgré ma grossesse, je maigris. Seul mon ventre s'arrondit, étirant mes pulls d'une manière qui l'attendrit beaucoup.
Je sais qu'elle a eu du mal à trouver un gynécologue possédant un échographe. Elle souhaite que j'en pratique une, pour s'assurer que le petit être dans mon giron est en bonne forme.
Nous patientons une bonne demi-heure en salle d'attente avant que la gynécologue ne nous reçoive. Bien vite, Maman doit quitter la pièce et laisser le médecin s'entretenir avec moi.
Je la regarde partir, indifférente, et me terre dans mon silence. Les questions de la bonne femme trouvent de brèves réponses.
« Écoutez. Je ne souhaite pas être là. Alors, si nous pouvions accélérer les choses...
— Quel est le problème ? » demande-t-elle.
Tout. Rien ne va. Rien ne va comme je l'ai désiré, comme je l'ai prévu. Ma vie part en fumée et ça me rend malade. Pourtant, cette question est bien trop personnelle pour y répondre. Alors, je me tais.
« Mangez-vous correctement ? Je vous trouve un peu chétive, pour une future maman.
— Je mange à ma faim. Mais je n'ai pas souvent faim... »
Je sais qu'elle ne se laisse pas berner et mon état de santé la préoccupe davantage après vingt minutes d'entretien. Je demeure impassible face à elle, froide, maîtresse de mes émotions. Mais elle n'est pas dupe. Elle sait ce que cache tout cela. Plus encore, je lui impose un mur d'indifférence. Les larmes, je les réserve à ma solitude.
« À quand remonte votre dernière échographie ?
— Environ trois mois.
— Vous n'avez pas fait l'échographie du second trimestre ?
— Ça s'est un peu bousculé, ces derniers temps...
— Écoutez, pour plus de précaution, il faudrait en pratiquer une. »
La gynécologue m'expose ses inquiétudes, m'explique les possibles implications de mon état dans le mauvais développement du fœtus. Mais plus encore, du danger pour ma propre santé.
Je m'en contrefiche.
Je n'ai pas désiré ce petit être et je souhaiterais qu'il disparaisse. Qu'il disparaisse, et qu'il m'entraîne avec lui ! Ma vie n'est plus d'aucun attrait... qu'on me laisse mourir en paix.
Mais la femme insiste, et je finis par céder.
On m'installe sur un lit, le ventre à l'air. La gynécologue tire le chariot, sur lequel se trouve l'échographe, jusqu'à moi. Puis elle étale un gel froid sur mon ventre dodu, me faisant frissonner. Elle approche enfin la sonde qu'elle dépose sur le gel, et la déplace. Des images s'affichent bientôt sur son moniteur, en noir et blanc, et j'attends patiemment que l'examen se termine.
Le bébé n'a rien.
Maman est soulagée de l'apprendre. Moi pas.
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(12ème partie)
© Jessica Lumbroso
La journée promettait d’être ensoleillée.
Levée aux aurores, comme chaque 24 décembre, Élisabeth s’était empressée de réveiller Jenna, Ryan et Connor. En cette veille de fête, elle était tellement excitée qu’il était difficile de la calmer. Aussi, il était à peine dix heures lorsqu’elle les poussa dehors, dans l’air vivifiant de cette fin d’année.
Emmitouflée dans une parka, elle avait attrapé la main de Connor, l’entraînant à sa suite et laissant derrière elle les deux autres, qui peinaient à suivre l’allure effrénée de sa démarche.
Personne ne pouvait lui résister. Sa joie, son excitation, étaient communicatifs, si bien que Ryan et Jenna se résignèrent, néanmoins sceptiques. Seul Connor, dont le regard pétillait de plaisir, partageait le même entrain. Ryan perçut de loin le bonheur retrouvé de son frère, celui de pouvoir enfin être auprès d’Élisabeth, celle qu’il avait pourtant rejeté des années auparavant avec beaucoup de peine. Il avait eu ses raisons. Encore aujourd’hui, Ryan ne comprenait que celle de la distance. Les autres, toutes évoquées par Connor comme de fâcheuses excuses, n’étaient qu’un mensonge de plus dans son cœur. Sans doute qu’avec la maturité, il réalisait enfin sa bêtise… Il était son frère, et Dieu savait comme il l’aimait, mais parfois, il ressentait l’envie, pire même, le besoin, de lui flanquer une bonne rouste. De lui rafraîchir les idées.
Ryan était soulagé de les voir heureux. Ils étaient fait pour être ensemble – ils étaient seulement trop stupides pour s’en rendre compte –, et il voyait enfin la peine dissimulée quitter le ravissant visage d’Élisabeth. Elle faisait déjà partie de sa famille, et la voir souffrir autant par la faute de son crétin de frère l’avait tué.
Mais aujourd’hui… On aurait dit qu’ils s’étaient enfin éveillés comme d’un long sommeil et ne cachaient plus leurs sentiments. Comme si une chose spéciale était advenue. Même Jenna souriait en les contemplant.
Cependant, l’engouement des deux amoureux ne parvenait à déteindre sur Ryan et Jenna. Hermétiquement fermés l’un à l’autre, on aurait presque pensé qu’ils subissaient leur présence respective. Plongés dans un profond silence, ils suivirent simplement le mouvement, au hasard des pas d’Élisabeth qui allait tantôt à droite, tantôt à gauche. Malgré leur gêne respective, ils restaient incapables de séparer ces deux-là, si profondément joyeux.
Ryan contempla à la dérobée Jenna. Elle l’exaspérait. Elle l’exaspérait de tant l’attirer. Que lui trouvait-il ? Après tout, elle était banale. Pas très féminine, de taille moyenne, de corpulence moyenne, jolie, mais pas autant que celles qu’il avait l’habitude de côtoyer… Et pourtant… Pourtant, quand elle souriait, ses yeux pétillaient, son visage rayonnait, et quelque chose, comme un poids soudain, tordait l’estomac de Ryan.
Il expira bruyamment, et un nuage s’échappa de ses lèvres. L’air était plutôt frais, tout de même. Les mains dans les poches, il rentra la tête dans les épaules, comme pour mieux affronter le froid.
Étrangement, il ressentait l’envie de lui parler, de mieux la connaître, sans trop savoir comme s’y prendre. Il n’avait jamais été très doué pour parler. Jusqu’à présent, il n’avait même jamais eu à se poser ce genre de questions. Les filles, par chez lui, étaient assez directes, si bien qu’elles lui mâchaient le travail. D’ailleurs, ne fallait-il pas mieux qu’il s’en contente ?
Pourtant, quelque chose le poussa vers elle :
— Tu sais où nous emmène Lisa ?
La jeune fille secoua la tête par la négative. Après un court instant, elle murmura :
— Ne te force pas, Ryan.
— Comment ça ?
— Ne te sens pas obligé de me faire la conversation. Je ne suis pas désespérée, tu sais.
— Je suis désolé si c’est l’impression que ça te donne.
— Non, tu ne l’es pas.
Ryan mit quelques secondes à réaliser que Jenna s’était arrêtée. Il se retourna donc. Elle le contemplait gravement. Ses yeux, intenses, étaient comme deux entités fouillant son être. Il sentit étrangement son ventre se contracter.
— Je ne sais pas ce que je t’ai fait, Ryan. Peut-être rien, en définitive. Mais si c’est le cas, je m’en excuse. Quoi qu’il en soit, ça ne me concerne pas vraiment. Alors, tu devrais peut-être prendre le temps de réfléchir. Il est des démons qu’on doit combattre seul.
Ryan la dévisagea, fermé. Pourtant, elle n’avait idée de l’impact que ses mots avaient eu sur lui. Comment pouvait-elle à se point fourrager dans son âme ?
— Ce n’est pas ce que tu crois, finit-il par avouer.
— Ah bon ? Qu’est-ce que c’est, alors ?
— Je ne sais pas… Je ne sais pas quoi te dire. C’est plus fort que moi…
— Alors, ne dit rien. Tais-toi. Ton silence ne me dérange pas.
— Malgré tout ce que j’ai pu te dire, moi, il me dérange.
Bien malgré elle, Jenna retint son souffle. Ryan lui plaisait, c’était indéniable. Mais il était froid, distant, et pourtant… Comment pouvait-elle interpréter son comportement ? La veille au soir, elle avait sentie peser sur elle le regard brûlant de Ryan. Elle avait bien tenté d’y faire abstraction, mais toujours, elle distinguait sous ses paupières closes ses yeux profonds, persistants, qui ne la lâchaient plus. Ce visage sérieux, impénétrable, qui lui donnait des frissons, tant l’appréhension empoignait son estomac.
Ils s’affrontaient du regard, étrangement distants et proches à la fois, mais tout aussi perdus.
— Que penses-tu du destin, Jenna ?
— Qu’il n’existe pas.
— Tu es si tranchante… Tout n’est pas toujours tout blanc, ou tout noir.
— Et pourtant, ça devrait l’être. Tout serait nettement plus facile.
— La vie n’est pas censée l’être.
— Bon sang, Ryan, où veux-tu en venir ? demanda Jenna, qui commençait à perdre patience.
— Il y a tant de choses dans la vie qu’on ne peut pas comprendre. Des choses inexplicables, dues au hasard, au destin, à la fatalité… Ce qu’il se passe entre nous fait parti de ces choses-là.
— Te considères-tu comme quelqu’un d’inexplicable ?
— Je ne sais pas.
— Décidément, tu ne sais pas grand-chose.
Ryan sourit. Son visage était profondément mélancolique, comme le lieu de pensées inaccessibles. Son sourire, que Jenna ne comprit pas, creusa deux fossettes profondes dans ses joues.
Il allait parler lorsqu’Élisabeth, riant aux éclats, attrapa Jenna par le bras.
— On est arrivés ! Surprise !
Ryan se détourna, tandis que les deux jeunes filles traversaient la rue. Il les suivit longtemps du regard avant de s’engager à son tour sur le bitume. Lorsqu’il les rejoignit, elles s’étaient arrêtées auprès de Connor devant la façade d’un marché ambulant. Il y avait des centaines de sapins en exposition.
— On a une tradition, dans la famille. Ne jamais faire le sapin avant le 24. On le fait le 24 même, et il reste à la maison un mois, tout pile. Comme ça, on a l’impression que les festivités durent plus longtemps. Cette année, le sapin sera pour toi.
Élisabeth contemplait Jenna, dont elle tenait toujours le bras serré fort entre ses mains.
— Jenna, tu n’as jamais eu l’occasion d’avoir un vrai Noël. Alors, laisse-moi t’offrir celui-là. Aujourd’hui, il est pour toi. Alors, choisis le sapin que tu désires.
Jenna sourit timidement, des larmes chaudes de bonheur dans les yeux, larmes d’excitation tout autant que de reconnaissance. Puis finalement, elle éclata de rire, et c’est les yeux pétillants qu’elle passa les deux barrières formant l’entrée, entraînant Élisabeth.
Ryan eut bien du mal à les suivre. Elles passaient d’un sapin à l’autre, heureuses comme des gamines aux rayons des jouets. Il fut surpris de se trouver attendri par un comportement si puéril. Et alors même qu’il espérait que cette journée lui ouvrirait enfin les yeux, il se trouvait davantage perdu. Jenna lui apparaissait sous un nouveau jour. Et ce n’était pas pour lui déplaire.
Levée aux aurores, comme chaque 24 décembre, Élisabeth s’était empressée de réveiller Jenna, Ryan et Connor. En cette veille de fête, elle était tellement excitée qu’il était difficile de la calmer. Aussi, il était à peine dix heures lorsqu’elle les poussa dehors, dans l’air vivifiant de cette fin d’année.
Emmitouflée dans une parka, elle avait attrapé la main de Connor, l’entraînant à sa suite et laissant derrière elle les deux autres, qui peinaient à suivre l’allure effrénée de sa démarche.
Personne ne pouvait lui résister. Sa joie, son excitation, étaient communicatifs, si bien que Ryan et Jenna se résignèrent, néanmoins sceptiques. Seul Connor, dont le regard pétillait de plaisir, partageait le même entrain. Ryan perçut de loin le bonheur retrouvé de son frère, celui de pouvoir enfin être auprès d’Élisabeth, celle qu’il avait pourtant rejeté des années auparavant avec beaucoup de peine. Il avait eu ses raisons. Encore aujourd’hui, Ryan ne comprenait que celle de la distance. Les autres, toutes évoquées par Connor comme de fâcheuses excuses, n’étaient qu’un mensonge de plus dans son cœur. Sans doute qu’avec la maturité, il réalisait enfin sa bêtise… Il était son frère, et Dieu savait comme il l’aimait, mais parfois, il ressentait l’envie, pire même, le besoin, de lui flanquer une bonne rouste. De lui rafraîchir les idées.
Ryan était soulagé de les voir heureux. Ils étaient fait pour être ensemble – ils étaient seulement trop stupides pour s’en rendre compte –, et il voyait enfin la peine dissimulée quitter le ravissant visage d’Élisabeth. Elle faisait déjà partie de sa famille, et la voir souffrir autant par la faute de son crétin de frère l’avait tué.
Mais aujourd’hui… On aurait dit qu’ils s’étaient enfin éveillés comme d’un long sommeil et ne cachaient plus leurs sentiments. Comme si une chose spéciale était advenue. Même Jenna souriait en les contemplant.
Cependant, l’engouement des deux amoureux ne parvenait à déteindre sur Ryan et Jenna. Hermétiquement fermés l’un à l’autre, on aurait presque pensé qu’ils subissaient leur présence respective. Plongés dans un profond silence, ils suivirent simplement le mouvement, au hasard des pas d’Élisabeth qui allait tantôt à droite, tantôt à gauche. Malgré leur gêne respective, ils restaient incapables de séparer ces deux-là, si profondément joyeux.
Ryan contempla à la dérobée Jenna. Elle l’exaspérait. Elle l’exaspérait de tant l’attirer. Que lui trouvait-il ? Après tout, elle était banale. Pas très féminine, de taille moyenne, de corpulence moyenne, jolie, mais pas autant que celles qu’il avait l’habitude de côtoyer… Et pourtant… Pourtant, quand elle souriait, ses yeux pétillaient, son visage rayonnait, et quelque chose, comme un poids soudain, tordait l’estomac de Ryan.
Il expira bruyamment, et un nuage s’échappa de ses lèvres. L’air était plutôt frais, tout de même. Les mains dans les poches, il rentra la tête dans les épaules, comme pour mieux affronter le froid.
Étrangement, il ressentait l’envie de lui parler, de mieux la connaître, sans trop savoir comme s’y prendre. Il n’avait jamais été très doué pour parler. Jusqu’à présent, il n’avait même jamais eu à se poser ce genre de questions. Les filles, par chez lui, étaient assez directes, si bien qu’elles lui mâchaient le travail. D’ailleurs, ne fallait-il pas mieux qu’il s’en contente ?
Pourtant, quelque chose le poussa vers elle :
— Tu sais où nous emmène Lisa ?
La jeune fille secoua la tête par la négative. Après un court instant, elle murmura :
— Ne te force pas, Ryan.
— Comment ça ?
— Ne te sens pas obligé de me faire la conversation. Je ne suis pas désespérée, tu sais.
— Je suis désolé si c’est l’impression que ça te donne.
— Non, tu ne l’es pas.
Ryan mit quelques secondes à réaliser que Jenna s’était arrêtée. Il se retourna donc. Elle le contemplait gravement. Ses yeux, intenses, étaient comme deux entités fouillant son être. Il sentit étrangement son ventre se contracter.
— Je ne sais pas ce que je t’ai fait, Ryan. Peut-être rien, en définitive. Mais si c’est le cas, je m’en excuse. Quoi qu’il en soit, ça ne me concerne pas vraiment. Alors, tu devrais peut-être prendre le temps de réfléchir. Il est des démons qu’on doit combattre seul.
Ryan la dévisagea, fermé. Pourtant, elle n’avait idée de l’impact que ses mots avaient eu sur lui. Comment pouvait-elle à se point fourrager dans son âme ?
— Ce n’est pas ce que tu crois, finit-il par avouer.
— Ah bon ? Qu’est-ce que c’est, alors ?
— Je ne sais pas… Je ne sais pas quoi te dire. C’est plus fort que moi…
— Alors, ne dit rien. Tais-toi. Ton silence ne me dérange pas.
— Malgré tout ce que j’ai pu te dire, moi, il me dérange.
Bien malgré elle, Jenna retint son souffle. Ryan lui plaisait, c’était indéniable. Mais il était froid, distant, et pourtant… Comment pouvait-elle interpréter son comportement ? La veille au soir, elle avait sentie peser sur elle le regard brûlant de Ryan. Elle avait bien tenté d’y faire abstraction, mais toujours, elle distinguait sous ses paupières closes ses yeux profonds, persistants, qui ne la lâchaient plus. Ce visage sérieux, impénétrable, qui lui donnait des frissons, tant l’appréhension empoignait son estomac.
Ils s’affrontaient du regard, étrangement distants et proches à la fois, mais tout aussi perdus.
— Que penses-tu du destin, Jenna ?
— Qu’il n’existe pas.
— Tu es si tranchante… Tout n’est pas toujours tout blanc, ou tout noir.
— Et pourtant, ça devrait l’être. Tout serait nettement plus facile.
— La vie n’est pas censée l’être.
— Bon sang, Ryan, où veux-tu en venir ? demanda Jenna, qui commençait à perdre patience.
— Il y a tant de choses dans la vie qu’on ne peut pas comprendre. Des choses inexplicables, dues au hasard, au destin, à la fatalité… Ce qu’il se passe entre nous fait parti de ces choses-là.
— Te considères-tu comme quelqu’un d’inexplicable ?
— Je ne sais pas.
— Décidément, tu ne sais pas grand-chose.
Ryan sourit. Son visage était profondément mélancolique, comme le lieu de pensées inaccessibles. Son sourire, que Jenna ne comprit pas, creusa deux fossettes profondes dans ses joues.
Il allait parler lorsqu’Élisabeth, riant aux éclats, attrapa Jenna par le bras.
— On est arrivés ! Surprise !
Ryan se détourna, tandis que les deux jeunes filles traversaient la rue. Il les suivit longtemps du regard avant de s’engager à son tour sur le bitume. Lorsqu’il les rejoignit, elles s’étaient arrêtées auprès de Connor devant la façade d’un marché ambulant. Il y avait des centaines de sapins en exposition.
— On a une tradition, dans la famille. Ne jamais faire le sapin avant le 24. On le fait le 24 même, et il reste à la maison un mois, tout pile. Comme ça, on a l’impression que les festivités durent plus longtemps. Cette année, le sapin sera pour toi.
Élisabeth contemplait Jenna, dont elle tenait toujours le bras serré fort entre ses mains.
— Jenna, tu n’as jamais eu l’occasion d’avoir un vrai Noël. Alors, laisse-moi t’offrir celui-là. Aujourd’hui, il est pour toi. Alors, choisis le sapin que tu désires.
Jenna sourit timidement, des larmes chaudes de bonheur dans les yeux, larmes d’excitation tout autant que de reconnaissance. Puis finalement, elle éclata de rire, et c’est les yeux pétillants qu’elle passa les deux barrières formant l’entrée, entraînant Élisabeth.
Ryan eut bien du mal à les suivre. Elles passaient d’un sapin à l’autre, heureuses comme des gamines aux rayons des jouets. Il fut surpris de se trouver attendri par un comportement si puéril. Et alors même qu’il espérait que cette journée lui ouvrirait enfin les yeux, il se trouvait davantage perdu. Jenna lui apparaissait sous un nouveau jour. Et ce n’était pas pour lui déplaire.
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(13ème partie)
© Jessica Lumbroso
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Jenna contempla le sapin clignotant, tout paré de rouge et or. Elle aimait la façon dont elles l’avaient décoré, debout sur un escabeau, tant il était imposant. Ils avaient dû le porter à quatre, et heureusement que Li et Pierre étaient venus les chercher en voiture, rentrant des courses, le coffre empli de cadeaux de dernières minutes, et il n’avait fallu pas moins de six paires de bras pour le charger sur le toit du break.
Les guirlandes lumineuses éclairaient la table de lueurs multicolores, projetant des ombres étranges dans les plats emplis d’un somptueux festin. Il y avait là de quoi les nourrir une semaine durant, mais c’était un délice pour les yeux et estomacs.
Tout l’après-midi, Ryan était resté derrière les fourneaux, à cuisiner avec Julie et Laurence. Jenna en avait été très surprise, d’autant plus que sa mère laissait entendre qu’il était un excellent cuisinier. Jenna l’avait trouvé étrangement beau, les manches de sa chemise remontées, les mains blanches de farine, et le regard concentré, tendant sa mâchoire. Heureusement, Élisabeth l’avait vite tiré de sa contemplation, ne lui laissant pas le temps de s’émouvoir outre mesure.
Jenna se sentit soudain mal à l’aise. Face à elle, Ryan évitait soigneusement son regard. Loin de lui plaire, elle s’en trouvait
désemparée. Comment pouvait-elle comprendre ses humeurs changeantes ? Tout n’était peut-être pas tout blanc, ou tout noir, mais avec lui, il n’y avait pas de demi-mesure.
Elle avait l’impression d’étouffer dans sa robe. Pour l’occasion, elle s’était vite rendue compte que les beaux habits étaient de rigueur. Tout le monde était parfaitement apprêté, comme pour une soirée mondaine. Elle n’en avait pas compris le sens, pourtant, elle avait joué le jeu. Mais elle n’avait en sa possession que très peu de vêtements autre que les jeans, si bien qu’elle n’avait eu d’autre choix que de porter la robe rouge sang au léger décolleté qu’Élisabeth lui avait fait acheté sur un coup de tête. Jenna avait été incapable de s’y refuser, mais elle ne l’avait jamais portée. Le jupon évasé bouffait sur ses cuisses, dévoilant ses mollets qu’elle trouvait décidément trop gros. Un collier pendait entre ses seins trop exposés ; deux longues boucles d’oreilles lui chatouillaient le cou lorsqu’elle secouait la tête… Élisabeth avait passé une bonne demi-heure à la pomponner, lui relevant les cheveux en un demi-chignon élaboré, la maquillant plus que d’ordinaire. C’était bien plus de temps que n’en pouvait supporter Jenna.
Cette dernière étouffait, oui, dans cette vie qui n’était pas la sienne. Constamment sourire, apprêtée et plus jolie qu’elle n’était réellement, à toujours donner l’impression que tout allait pour le mieux… tout ça la fatiguait.
Jenna enchaînait les verres d’eau fraîche, tentant d’apaiser le feu dans ses joues. Et Ryan qui l’ignorait. Pourquoi donc cette constatation la blessait-elle autant ?
— Excusez-moi… murmura-t-elle en rompant la conversation animée.
Elle sourit poliment, quitta la table et s’enferma dans les toilettes du rez-de-chaussée, dont elle ouvrit béant la minuscule fenêtre. Puis elle s’assit sur la lunette baissée du WC, et appuya sa tête sur le carrelage froid du mur.
Que faisait-elle là ? Noël était une fête familiale. Et aurait dû la passer avec ses proches parents. Jouer la carte de la famille modèle dans une autre que la sienne n’était pas son fort. En ce jour, elle se sentait cruellement abandonnée. Ses parents absents, elle aurait au moins dû être avec Alec.
Ils auraient ris, ce seraient chamaillés, il n’y aurait pas eu de surplus, pas de beaux vêtements, pas de véritable festin, juste un jour comme les autres, les réunissant autour d’un mini sapin de table, puis d’un film de Noël. Rien d’extravagant. À minuit, ils se seraient échangé leurs cadeaux, puis se seraient endormis, serrés l’un contre l’autre sur l’inconfortable canapé du salon, comme lorsqu’ils étaient gosses.
C’était d’une simplicité ! Pourtant, ça lui aurait suffit. Elle n’avait pas besoin d’autant de comédie ; rien de tout ceci n’était vital… Du moment qu’elle se sentait aimée, en confiance…
Elle était injuste. Élisabeth s’était donnée beaucoup de mal pour organiser cette soirée inoubliable. En parfaite égoïste, Jenna ne pensait qu’à elle. Elle s’en voulut soudain énormément.
Il était temps de se ressaisir. Jenna inspira profondément, referma la fenêtre, puis inspecta son reflet dans le miroir au-dessus du lavabo. Était-ce elle, cette jeune fille aux yeux verts étincelants, rehaussés par une couche de mascara ? Elle n’avait jamais été aussi jolie. Qu’aurait dit Alec en la voyant ?
Lorsque son visage retrouva des couleurs moins vives, elle rejoignit le salon, où la conversation emplie de rire, de cris, de joie, l’assourdit légèrement.
Oui, après tout, elle pouvait s’en contenter.
Ryan errait comme une âme en peine dans la maison étrangement silencieuse. Le repas fini, ils étaient restés longtemps à table, parlant avec animation. Il avait apprécié cette ambiance chaleureuse, bonne enfant, malgré le superflu. C’était les retrouvailles de très vieux amis, chers et tendres.
À minuit, ils s’étaient échangé les cadeaux reposant jusqu’à présent sous le sapin. Élisabeth avait été la plus choyée et elle avait longtemps bataillée pour savoir lequel de ses précieux présents elle ouvrirait en premier. Ryan avait été amusé de la voir si joyeuse, presque enfantine, les bras encombrés de paquets plus imposants les uns que les autres.
Lorsque la première heure du matin avait sonné, ils s’étaient tous éparpillé. Certains étaient simplement allés se coucher. Pour les autres, Ryan ignoraient où ils se trouvaient. En pénétrant leur chambre commune, il l’avait trouvé vide. Aucune trace d’Élisabeth ni de son frère. Tous deux devaient sûrement être dans un recoin à roucouler tranquillement. Pas de Jenna non plus.
Pourquoi était-il soudainement déçu de ne pas la trouver ? Tout le repas, il s’était évertué à ne pas la contempler. Il l’avait trouvé tellement jolie, resplendissant dans une tenue équivoque, qu’il n’aurait pu, s’il s’était laissé piéger, détourner le regard une seule seconde. Mais cette brusque contrariété réduisait ses efforts à néant.
Il lui fallait se rafraîchir le corps et l’esprit. Aussi, il emprunta le couloir, descendit l’escalier, traversa le salon, et déboucha sur le jardin par la porte-fenêtre entrouverte. La nuit noire l’avala et il se sentit soudain heureux.
Il n’y avait plus de vent, si bien que la froid ne le pénétra pas instantanément. Il aurait pu rester là longtemps, assis à même l’herbe, à contempler le ciel, sans autres préoccupations que de laisser courir ses pensées.
Il n’eut pas besoin de la voir pour remarquer sa présence : elle avait trouvé refuge, comme lui, dans ce jardin, pour un retour aux sources. Jenna, assise sur la marche en pierre sous la fenêtre, l’imitait. Les yeux rivés sur ce ciel d’encre où rarement perçait une étoile, elle restait stoïque, sans même l’avoir remarqué. Il en profita pour la contempler longuement. Elle avait passé sur ses épaules un châle aussi rouge que sa robe, qui la protégeait sûrement à peine du froid ambiant. Mais elle semblait s’en moquait. Dans la nuit, il ne percevait pas ses yeux, soudain noirs, qui étincelants comme après les larmes. Ses lèvres brillantes étaient entrouvertes.
Ryan sentit son cœur palpiter plus vite, presque saccadé, tandis qu’il achevait sa contemplation, la respiration courte. Il détourna le regard, près à prendre la fuite. Elle était dangereuse.
Pourtant, quelque chose l’en empêcha et il s’approcha silencieusement.
— Est-ce que ça va ?
Jenna sursauta presque avant de reporter son regard sur le jeune homme. Elle mit longtemps avant de demandé, lointaine :
— T’est-il déjà arrivé de te sentir impuissant dans cette vie ? Comme inattendu, inespéré… désespéré…
— Non, murmura-t-il d’une voix étrangement rauque, la gorge sèche. Jamais.
Jenna se releva et le dépassa.
— Alors, tu ne peux pas comprendre ce que je ressens.
Elle allait pénétrer dans la maison, le fuyant précipitamment, lorsqu’il se reprit et lança :
— Peut-être bien. Mais si tu ne te livres pas, qui pourrait t’aider ?
— Et qui ça intéresserait, de toute manière ? demanda Jenna en lui faisant vivement face.
— Moi !
Il avait répondu si précipitamment qu’il se ravisa, aussi surpris qu’elle par sa propre réponse :
— Je suppose…
— Toi ? Pourquoi ?
À cette dernière question, il ne savait que répondre. Lui-même l’ignorait. Après tout, elle n’était personne, elle n’était rien pour lui. Pourtant, les jours passant voyaient son intérêt grandir. Et avec lui, quelque chose d’autre, de plus profond, étrange et méconnaissable.
— Ryan, laisse-moi tranquille, annonça Jenna d’une voix étrangement monocorde. Je suis fatiguée par tes sautes d’humeur. Peut-être que je ne me livre pas, mais tu ne fais pas mieux. À chaque fois qu’on fait un pas l’un vers l’autre, tu sembles te dérober davantage. Ça me fatigue, et je ne suis pas d’humeur. Alors, avant de donner des conseils avisés aux autres, tu ferais peut-être bien de les appliquer toi-même…
Les guirlandes lumineuses éclairaient la table de lueurs multicolores, projetant des ombres étranges dans les plats emplis d’un somptueux festin. Il y avait là de quoi les nourrir une semaine durant, mais c’était un délice pour les yeux et estomacs.
Tout l’après-midi, Ryan était resté derrière les fourneaux, à cuisiner avec Julie et Laurence. Jenna en avait été très surprise, d’autant plus que sa mère laissait entendre qu’il était un excellent cuisinier. Jenna l’avait trouvé étrangement beau, les manches de sa chemise remontées, les mains blanches de farine, et le regard concentré, tendant sa mâchoire. Heureusement, Élisabeth l’avait vite tiré de sa contemplation, ne lui laissant pas le temps de s’émouvoir outre mesure.
Jenna se sentit soudain mal à l’aise. Face à elle, Ryan évitait soigneusement son regard. Loin de lui plaire, elle s’en trouvait
désemparée. Comment pouvait-elle comprendre ses humeurs changeantes ? Tout n’était peut-être pas tout blanc, ou tout noir, mais avec lui, il n’y avait pas de demi-mesure.
Elle avait l’impression d’étouffer dans sa robe. Pour l’occasion, elle s’était vite rendue compte que les beaux habits étaient de rigueur. Tout le monde était parfaitement apprêté, comme pour une soirée mondaine. Elle n’en avait pas compris le sens, pourtant, elle avait joué le jeu. Mais elle n’avait en sa possession que très peu de vêtements autre que les jeans, si bien qu’elle n’avait eu d’autre choix que de porter la robe rouge sang au léger décolleté qu’Élisabeth lui avait fait acheté sur un coup de tête. Jenna avait été incapable de s’y refuser, mais elle ne l’avait jamais portée. Le jupon évasé bouffait sur ses cuisses, dévoilant ses mollets qu’elle trouvait décidément trop gros. Un collier pendait entre ses seins trop exposés ; deux longues boucles d’oreilles lui chatouillaient le cou lorsqu’elle secouait la tête… Élisabeth avait passé une bonne demi-heure à la pomponner, lui relevant les cheveux en un demi-chignon élaboré, la maquillant plus que d’ordinaire. C’était bien plus de temps que n’en pouvait supporter Jenna.
Cette dernière étouffait, oui, dans cette vie qui n’était pas la sienne. Constamment sourire, apprêtée et plus jolie qu’elle n’était réellement, à toujours donner l’impression que tout allait pour le mieux… tout ça la fatiguait.
Jenna enchaînait les verres d’eau fraîche, tentant d’apaiser le feu dans ses joues. Et Ryan qui l’ignorait. Pourquoi donc cette constatation la blessait-elle autant ?
— Excusez-moi… murmura-t-elle en rompant la conversation animée.
Elle sourit poliment, quitta la table et s’enferma dans les toilettes du rez-de-chaussée, dont elle ouvrit béant la minuscule fenêtre. Puis elle s’assit sur la lunette baissée du WC, et appuya sa tête sur le carrelage froid du mur.
Que faisait-elle là ? Noël était une fête familiale. Et aurait dû la passer avec ses proches parents. Jouer la carte de la famille modèle dans une autre que la sienne n’était pas son fort. En ce jour, elle se sentait cruellement abandonnée. Ses parents absents, elle aurait au moins dû être avec Alec.
Ils auraient ris, ce seraient chamaillés, il n’y aurait pas eu de surplus, pas de beaux vêtements, pas de véritable festin, juste un jour comme les autres, les réunissant autour d’un mini sapin de table, puis d’un film de Noël. Rien d’extravagant. À minuit, ils se seraient échangé leurs cadeaux, puis se seraient endormis, serrés l’un contre l’autre sur l’inconfortable canapé du salon, comme lorsqu’ils étaient gosses.
C’était d’une simplicité ! Pourtant, ça lui aurait suffit. Elle n’avait pas besoin d’autant de comédie ; rien de tout ceci n’était vital… Du moment qu’elle se sentait aimée, en confiance…
Elle était injuste. Élisabeth s’était donnée beaucoup de mal pour organiser cette soirée inoubliable. En parfaite égoïste, Jenna ne pensait qu’à elle. Elle s’en voulut soudain énormément.
Il était temps de se ressaisir. Jenna inspira profondément, referma la fenêtre, puis inspecta son reflet dans le miroir au-dessus du lavabo. Était-ce elle, cette jeune fille aux yeux verts étincelants, rehaussés par une couche de mascara ? Elle n’avait jamais été aussi jolie. Qu’aurait dit Alec en la voyant ?
Lorsque son visage retrouva des couleurs moins vives, elle rejoignit le salon, où la conversation emplie de rire, de cris, de joie, l’assourdit légèrement.
Oui, après tout, elle pouvait s’en contenter.
Ryan errait comme une âme en peine dans la maison étrangement silencieuse. Le repas fini, ils étaient restés longtemps à table, parlant avec animation. Il avait apprécié cette ambiance chaleureuse, bonne enfant, malgré le superflu. C’était les retrouvailles de très vieux amis, chers et tendres.
À minuit, ils s’étaient échangé les cadeaux reposant jusqu’à présent sous le sapin. Élisabeth avait été la plus choyée et elle avait longtemps bataillée pour savoir lequel de ses précieux présents elle ouvrirait en premier. Ryan avait été amusé de la voir si joyeuse, presque enfantine, les bras encombrés de paquets plus imposants les uns que les autres.
Lorsque la première heure du matin avait sonné, ils s’étaient tous éparpillé. Certains étaient simplement allés se coucher. Pour les autres, Ryan ignoraient où ils se trouvaient. En pénétrant leur chambre commune, il l’avait trouvé vide. Aucune trace d’Élisabeth ni de son frère. Tous deux devaient sûrement être dans un recoin à roucouler tranquillement. Pas de Jenna non plus.
Pourquoi était-il soudainement déçu de ne pas la trouver ? Tout le repas, il s’était évertué à ne pas la contempler. Il l’avait trouvé tellement jolie, resplendissant dans une tenue équivoque, qu’il n’aurait pu, s’il s’était laissé piéger, détourner le regard une seule seconde. Mais cette brusque contrariété réduisait ses efforts à néant.
Il lui fallait se rafraîchir le corps et l’esprit. Aussi, il emprunta le couloir, descendit l’escalier, traversa le salon, et déboucha sur le jardin par la porte-fenêtre entrouverte. La nuit noire l’avala et il se sentit soudain heureux.
Il n’y avait plus de vent, si bien que la froid ne le pénétra pas instantanément. Il aurait pu rester là longtemps, assis à même l’herbe, à contempler le ciel, sans autres préoccupations que de laisser courir ses pensées.
Il n’eut pas besoin de la voir pour remarquer sa présence : elle avait trouvé refuge, comme lui, dans ce jardin, pour un retour aux sources. Jenna, assise sur la marche en pierre sous la fenêtre, l’imitait. Les yeux rivés sur ce ciel d’encre où rarement perçait une étoile, elle restait stoïque, sans même l’avoir remarqué. Il en profita pour la contempler longuement. Elle avait passé sur ses épaules un châle aussi rouge que sa robe, qui la protégeait sûrement à peine du froid ambiant. Mais elle semblait s’en moquait. Dans la nuit, il ne percevait pas ses yeux, soudain noirs, qui étincelants comme après les larmes. Ses lèvres brillantes étaient entrouvertes.
Ryan sentit son cœur palpiter plus vite, presque saccadé, tandis qu’il achevait sa contemplation, la respiration courte. Il détourna le regard, près à prendre la fuite. Elle était dangereuse.
Pourtant, quelque chose l’en empêcha et il s’approcha silencieusement.
— Est-ce que ça va ?
Jenna sursauta presque avant de reporter son regard sur le jeune homme. Elle mit longtemps avant de demandé, lointaine :
— T’est-il déjà arrivé de te sentir impuissant dans cette vie ? Comme inattendu, inespéré… désespéré…
— Non, murmura-t-il d’une voix étrangement rauque, la gorge sèche. Jamais.
Jenna se releva et le dépassa.
— Alors, tu ne peux pas comprendre ce que je ressens.
Elle allait pénétrer dans la maison, le fuyant précipitamment, lorsqu’il se reprit et lança :
— Peut-être bien. Mais si tu ne te livres pas, qui pourrait t’aider ?
— Et qui ça intéresserait, de toute manière ? demanda Jenna en lui faisant vivement face.
— Moi !
Il avait répondu si précipitamment qu’il se ravisa, aussi surpris qu’elle par sa propre réponse :
— Je suppose…
— Toi ? Pourquoi ?
À cette dernière question, il ne savait que répondre. Lui-même l’ignorait. Après tout, elle n’était personne, elle n’était rien pour lui. Pourtant, les jours passant voyaient son intérêt grandir. Et avec lui, quelque chose d’autre, de plus profond, étrange et méconnaissable.
— Ryan, laisse-moi tranquille, annonça Jenna d’une voix étrangement monocorde. Je suis fatiguée par tes sautes d’humeur. Peut-être que je ne me livre pas, mais tu ne fais pas mieux. À chaque fois qu’on fait un pas l’un vers l’autre, tu sembles te dérober davantage. Ça me fatigue, et je ne suis pas d’humeur. Alors, avant de donner des conseils avisés aux autres, tu ferais peut-être bien de les appliquer toi-même…
© Jessica Lumbroso
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Re: LE TEMPS D'UN HIVER, Nouvelle version
(14e et 15e parties)
Lentement, elle se dressa, tentant de ne pas réveiller son amie, et attrapa les premiers vêtements qu'elle trouva. Puis, en silence, elle rejoignit la salle de bain, se changea, se brossa les dents, et revint déposer son pyjama sous son oreiller. Elle trouva ensuite une feuille blanche, un stylo, et écrivit quelques lignes à l'adresse de son amie, qu'elle laissa trôner sur le même oreiller.
Enfin, elle était prête. Elle récupéra aussi ses baskets, les enfila sans même défaire les lacets, passa son blouson sur ses épaules et empoigna son sac à dos. Puis elle quitta la pièce et descendit les escaliers grinçants sur la pointe des pieds, en espérant de tout son cœur ne pas réveiller Pierre et Julie qui dormaient au salon. Ce ne fut qu'une fois dehors qu'elle s'accorda le droit de respirer librement. Et c'est en courant qu'elle parcourut les quelques rues qui la séparaient de chez Alec.
Elle ne mit qu'une petite dizaine de minutes pour arriver devant son portail entouré de glycines. Derrière, une petite allée pavée la séparait du porche de cette maison modeste dans laquelle elle avait passé tant de joyeux moments. Elle réalisa soudain qu'elle n'avait pas pris la peine de vérifier si la clé était toujours dans sa poche. Cette clé qu'Alec lui-même lui avait remise quelques années plus tôt afin qu'elle puisse toujours trouver un endroit où se réfugier. À l'époque, ses relations avec sa mère s'étaient nettement détériorées, si bien qu'Alec l'avait à mainte reprise accueillie chez lui, quand ses parents, trop occupés pour s’inquiéter d’elle, l’avaient délaissé.
Jenna fut soulagée de trouver la petite clé au fond de sa poche. Alors, lentement, elle passa sa main au travers des barreaux du portail, actionna le loquet, et poussa la grille. Rapidement, presque en courant, elle traversa l'allée pavée, et monta deux à deux les marches menant au porche. Puis, elle frappa quelques coups discrets contre la porte d'entrée.
Comme personne ne vint lui ouvrir, elle glissa la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Le hall d'entrée était plongé dans le noir. Elle referma discrètement derrière elle et retira ses chaussures, qu'elle disposa dans le placard près de l'entrée, sur sa gauche, où trainaient déjà quelques paires, à même le sol.
Le couloir était à peine éclairé par la lumière qui filtrait à travers les portes vitrées du salon, sur sa droite, et de la cuisine, à l'autre bout. Sur sa gauche, un escalier menait à l'étage. Elle ne put s'empêcher de jeter un œil en haut des marches pour s'assurer de ne pas se trouver nez à nez avec les parents de son ami. Puis, laissant traîner ses pieds sur le tapis marron, elle traversa le couloir.
C'est doucement qu'elle poussa la première porte vitrée sur sa droite et passa dans le salon. Le parquet de bois grinça légèrement sous son poids. La pièce, à peine éclairée par quelques rayons de lumière, était silencieuse. Elle revint alors sur ses pas, et rejoignit l'autre bout du couloir. Ici, la porte était entrouverte, si bien qu'elle n'eut qu'à passer la tête par l'entrebâillement pour s'assurer que la cuisine était également vide.
Tout était calme. Elle revint alors sur ses pas et entreprit de monter à l'étage. La moquette sur les marches de l'escalier masqua le bruit de ses pas tandis qu'elle grimpait discrètement. Elle craignait à tout moment de voir débarquer l'un ou l'autre des deux parents d’Alec. Sur le palier, elle se précipita le plus silencieusement possible jusque devant la dernière porte qu'elle ouvrit.
Une fois dans la pièce, son cœur se calma presque immédiatement. Ses yeux se posèrent d'instinct sur le corps allongé en travers du lit. Emmitouflé dans sa couette, Alec dormait profondément, le visage tourné vers elle. Jenna ne put s'empêcher de sourire puis le rejoignit, soudain plus légère.
Étrangement, le poids qu'elle sentait peser sur son cœur depuis quelques jours disparut. Elle sentait être enfin à sa place. Alors, elle déposa son sac contre un mur, retira son blouson, son pull, ses chaussettes, gagna le lit et se glissa sous la couette au côté d'Alec. La chaleur du corps de son ami qu'elle sentait dans son dos l'apaisa plus encore. Et enfin, tout contre lui, elle s'endormit.
C'est un baiser sur sa joue qui la réveilla. Jenna ouvrit lentement les yeux, qu'elle eut du mal à habituer à la lumière du jour.
— Il faudrait vraiment que tu arrêtes de faire ça... murmura Alec dans son dos, alors même qu'il la serrait contre lui.
Jenna se détourna pour lui faire face. Le jeune homme la contempla les yeux ensommeillés, un sourire ironique au bord des lèvres. Sans rien dire, elle se serra plus encore contre lui, et cacha sa tête dans le cou du garçon.
— Jenny ?
— Encore un peu, s'il te plaît...
Alec passa alors un bras sur les épaules de son amie et l'attira contre lui. Jenna se laissa faire, insouciante, heureuse, le cœur plus léger.
Finalement, après de longues minutes, Alec murmura :
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Rien... Maintenant, tout va bien.
— Dis-moi... pourquoi finis-tu toujours tes nuits dans mon lit ?
Jenna ne put s'empêcher de sourire.
— Désolée. Je n'arrivais pas à dormir, cette nuit. Je ne suis pas vraiment à l'aise chez Élisabeth.
Alec savait qu'elle partageait sa chambre avec les deux étrangers. Et même si cette optique ne l'enchantait guère, il comprenait pourquoi ce malaise. Malgré tout, il sentait son estomac se serrer étrangement. Il ferma les yeux, tentant d'occulter les images qui s'imposaient à son esprit.
— Tu sais... Je rêve parfois de partir loin... très loin. Trouver un endroit à moi, mon univers, où je n'aurais à suivre que mes propres règles.
— Et que ferais-tu de moi ?
Jenna se tut. Elle n'était pas sûre qu'Alec comprenne son désarroi. Mais, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait toujours vécu à travers lui. Ses passions, ses amitiés, ses envies... tout n'avait tourné qu'autour du jeune homme. Et aujourd'hui, elle ressentait le besoin de prendre l'air. De vivre sa vie. De faire ses propres choix, ses propres erreurs. Pourtant, elle en avait horriblement peur.
— Je sais que c'est fou... murmura-t-elle enfin. C'est peut-être dû au fait que je partage mon univers avec trois autres personnes. J'ai envie de rentrer chez moi, de revoir ma chambre, mon lit, ma solitude.
— Retournes-y, si c'est ce que tu souhaites.
— Si la Madone venait à l'apprendre, elle me tuerait.
— Viens à la maison, alors ! Si c'est te laisser seule qui l'angoisse, mes parents sont là.
— Ah oui ! Je vois déjà la tête de ma mère en apprenant que je dors dans ton lit.
— Elle n'est pas obligée de le savoir.
— Elle sait toujours tout.
— Et quelle tête crois-tu qu'elle fera quand elle apprendra que tu dors avec ces frères américains ?
— C'est vrai...
Ils se turent quelques longues minutes, profitant chacun de la chaleur du corps de l'autre. Alec se sentait irrésistiblement attiré vers son amie, qu'il souhaitait protéger. Il la sentait distraite, triste. Son sourire était presque nostalgique.
— Jenny, qu'est-ce que tu as ?
— Pas grand-chose... Je me sens blasée.
— Tes parents ?
— Pas seulement...
— Je ne suis pas stupide, Jenny. Je t'ai entendue pleurer bien trop de fois, quand tu te pensais seule, pour ignorer ta solitude. Tes parents ne sont pas présents dans ta vie. C'est un fait. Mais nous sommes là, nous. Et tu pourras toujours compter sur nous, quoi qu'il arrive. Sur moi, quoi qu'il en soit. Je ne supporte pas de te voir souffrir en silence... Tu as toujours été là pour moi, dans les meilleurs comme les pires moments. Alors, laisse-moi en faire de même. Tu as le droit de crier, de pleurer, de te plaindre ! Pourvu que tu te défasses de ce sourire que tu affiches en toute circonstance. Parle-moi...
La gorge nouée, Jenna ne parvint pas à prononcer le moindre mot. Elle avait tendance à trop oublier qu'Alec la connaissait par cœur, et qu'il savait toujours trouver les mots justes pour exprimer ce qu'elle-même ne parvenait pas à nommer.
Discrètement, elle essuya une larme qui roulait sur sa joue et masqua de nouveau sa peine derrière un sourire de circonstance.
— Je ne vais pas si mal que ça. Tout va pour le mieux, j'ai des amis sur qui compter, des passions. Je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. D'autres ont des problèmes non moins plus graves.
— C'est vrai. Mais je ne suis pas là pour soulager la terre entière. Seul ton bonheur m'importe.
— Je t'assure, Alec...
Pour couper court à cette conversation qui lui déplaisait fortement, Jenna se redressa et traversa la pièce. Alec, parcouru d'un frisson, s'emmitoufla dans la couverture. Jenna vint se rasseoir sur le bord du lit, un paquet entre les mains, enrubanné d'un joli fil doré.
— Tiens, dit-elle en le lui tendant. Joyeux Noël.
© Jessica Lumbroso
**
Quelque chose lui enserrait la poitrine comme un irrésistible désir, un sentiment profond s’insinuant dans sa chair, contractant son bas-ventre à l’en faire mal, lui donnant l’irrépressible envie de quitter sa couche, de se faufiler dans celle de l’autre, cet être pourtant repoussé ; l’envie de s’insinuer entre ses bras, contre son corps brûlant, fiévreux ; de s’infiltrer dans sa vie, dans son cœur ; de sentir peser son poids, le doux parfum de sa peau, la douceur de ses caresses, le feu de ses baisers. Le corps en extase, la peau bouillante, les sentiments en batailles… L’attente était insupportable, l’envie insurmontable, le désire gravissant son cœur intolérable. Malgré les mots, les faux-semblants, les tréfonds de son être rappelaient à l’ordre, obligeant à l’incroyable réalité : le plaisir de la chair était là, plus important, plus avide, que pensé.
**
En ce lendemain de fête, la maisonnée était encore calme aux premières lueurs de l'aube. Les festivités avaient duré jusque tard dans la nuit si bien que tout le monde dormait encore à point fermé. Seule Jenna, couchée auprès d'Élisabeth, cherchait encore le sommeil. La montre à son poignet affichait huit heures passées. Elle s'ennuyait. Lentement, elle se dressa, tentant de ne pas réveiller son amie, et attrapa les premiers vêtements qu'elle trouva. Puis, en silence, elle rejoignit la salle de bain, se changea, se brossa les dents, et revint déposer son pyjama sous son oreiller. Elle trouva ensuite une feuille blanche, un stylo, et écrivit quelques lignes à l'adresse de son amie, qu'elle laissa trôner sur le même oreiller.
Enfin, elle était prête. Elle récupéra aussi ses baskets, les enfila sans même défaire les lacets, passa son blouson sur ses épaules et empoigna son sac à dos. Puis elle quitta la pièce et descendit les escaliers grinçants sur la pointe des pieds, en espérant de tout son cœur ne pas réveiller Pierre et Julie qui dormaient au salon. Ce ne fut qu'une fois dehors qu'elle s'accorda le droit de respirer librement. Et c'est en courant qu'elle parcourut les quelques rues qui la séparaient de chez Alec.
Elle ne mit qu'une petite dizaine de minutes pour arriver devant son portail entouré de glycines. Derrière, une petite allée pavée la séparait du porche de cette maison modeste dans laquelle elle avait passé tant de joyeux moments. Elle réalisa soudain qu'elle n'avait pas pris la peine de vérifier si la clé était toujours dans sa poche. Cette clé qu'Alec lui-même lui avait remise quelques années plus tôt afin qu'elle puisse toujours trouver un endroit où se réfugier. À l'époque, ses relations avec sa mère s'étaient nettement détériorées, si bien qu'Alec l'avait à mainte reprise accueillie chez lui, quand ses parents, trop occupés pour s’inquiéter d’elle, l’avaient délaissé.
Jenna fut soulagée de trouver la petite clé au fond de sa poche. Alors, lentement, elle passa sa main au travers des barreaux du portail, actionna le loquet, et poussa la grille. Rapidement, presque en courant, elle traversa l'allée pavée, et monta deux à deux les marches menant au porche. Puis, elle frappa quelques coups discrets contre la porte d'entrée.
Comme personne ne vint lui ouvrir, elle glissa la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Le hall d'entrée était plongé dans le noir. Elle referma discrètement derrière elle et retira ses chaussures, qu'elle disposa dans le placard près de l'entrée, sur sa gauche, où trainaient déjà quelques paires, à même le sol.
Le couloir était à peine éclairé par la lumière qui filtrait à travers les portes vitrées du salon, sur sa droite, et de la cuisine, à l'autre bout. Sur sa gauche, un escalier menait à l'étage. Elle ne put s'empêcher de jeter un œil en haut des marches pour s'assurer de ne pas se trouver nez à nez avec les parents de son ami. Puis, laissant traîner ses pieds sur le tapis marron, elle traversa le couloir.
C'est doucement qu'elle poussa la première porte vitrée sur sa droite et passa dans le salon. Le parquet de bois grinça légèrement sous son poids. La pièce, à peine éclairée par quelques rayons de lumière, était silencieuse. Elle revint alors sur ses pas, et rejoignit l'autre bout du couloir. Ici, la porte était entrouverte, si bien qu'elle n'eut qu'à passer la tête par l'entrebâillement pour s'assurer que la cuisine était également vide.
Tout était calme. Elle revint alors sur ses pas et entreprit de monter à l'étage. La moquette sur les marches de l'escalier masqua le bruit de ses pas tandis qu'elle grimpait discrètement. Elle craignait à tout moment de voir débarquer l'un ou l'autre des deux parents d’Alec. Sur le palier, elle se précipita le plus silencieusement possible jusque devant la dernière porte qu'elle ouvrit.
Une fois dans la pièce, son cœur se calma presque immédiatement. Ses yeux se posèrent d'instinct sur le corps allongé en travers du lit. Emmitouflé dans sa couette, Alec dormait profondément, le visage tourné vers elle. Jenna ne put s'empêcher de sourire puis le rejoignit, soudain plus légère.
Étrangement, le poids qu'elle sentait peser sur son cœur depuis quelques jours disparut. Elle sentait être enfin à sa place. Alors, elle déposa son sac contre un mur, retira son blouson, son pull, ses chaussettes, gagna le lit et se glissa sous la couette au côté d'Alec. La chaleur du corps de son ami qu'elle sentait dans son dos l'apaisa plus encore. Et enfin, tout contre lui, elle s'endormit.
C'est un baiser sur sa joue qui la réveilla. Jenna ouvrit lentement les yeux, qu'elle eut du mal à habituer à la lumière du jour.
— Il faudrait vraiment que tu arrêtes de faire ça... murmura Alec dans son dos, alors même qu'il la serrait contre lui.
Jenna se détourna pour lui faire face. Le jeune homme la contempla les yeux ensommeillés, un sourire ironique au bord des lèvres. Sans rien dire, elle se serra plus encore contre lui, et cacha sa tête dans le cou du garçon.
— Jenny ?
— Encore un peu, s'il te plaît...
Alec passa alors un bras sur les épaules de son amie et l'attira contre lui. Jenna se laissa faire, insouciante, heureuse, le cœur plus léger.
Finalement, après de longues minutes, Alec murmura :
— Qu'est-ce qui ne va pas ?
— Rien... Maintenant, tout va bien.
— Dis-moi... pourquoi finis-tu toujours tes nuits dans mon lit ?
Jenna ne put s'empêcher de sourire.
— Désolée. Je n'arrivais pas à dormir, cette nuit. Je ne suis pas vraiment à l'aise chez Élisabeth.
Alec savait qu'elle partageait sa chambre avec les deux étrangers. Et même si cette optique ne l'enchantait guère, il comprenait pourquoi ce malaise. Malgré tout, il sentait son estomac se serrer étrangement. Il ferma les yeux, tentant d'occulter les images qui s'imposaient à son esprit.
— Tu sais... Je rêve parfois de partir loin... très loin. Trouver un endroit à moi, mon univers, où je n'aurais à suivre que mes propres règles.
— Et que ferais-tu de moi ?
Jenna se tut. Elle n'était pas sûre qu'Alec comprenne son désarroi. Mais, d'aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait toujours vécu à travers lui. Ses passions, ses amitiés, ses envies... tout n'avait tourné qu'autour du jeune homme. Et aujourd'hui, elle ressentait le besoin de prendre l'air. De vivre sa vie. De faire ses propres choix, ses propres erreurs. Pourtant, elle en avait horriblement peur.
— Je sais que c'est fou... murmura-t-elle enfin. C'est peut-être dû au fait que je partage mon univers avec trois autres personnes. J'ai envie de rentrer chez moi, de revoir ma chambre, mon lit, ma solitude.
— Retournes-y, si c'est ce que tu souhaites.
— Si la Madone venait à l'apprendre, elle me tuerait.
— Viens à la maison, alors ! Si c'est te laisser seule qui l'angoisse, mes parents sont là.
— Ah oui ! Je vois déjà la tête de ma mère en apprenant que je dors dans ton lit.
— Elle n'est pas obligée de le savoir.
— Elle sait toujours tout.
— Et quelle tête crois-tu qu'elle fera quand elle apprendra que tu dors avec ces frères américains ?
— C'est vrai...
Ils se turent quelques longues minutes, profitant chacun de la chaleur du corps de l'autre. Alec se sentait irrésistiblement attiré vers son amie, qu'il souhaitait protéger. Il la sentait distraite, triste. Son sourire était presque nostalgique.
— Jenny, qu'est-ce que tu as ?
— Pas grand-chose... Je me sens blasée.
— Tes parents ?
— Pas seulement...
— Je ne suis pas stupide, Jenny. Je t'ai entendue pleurer bien trop de fois, quand tu te pensais seule, pour ignorer ta solitude. Tes parents ne sont pas présents dans ta vie. C'est un fait. Mais nous sommes là, nous. Et tu pourras toujours compter sur nous, quoi qu'il arrive. Sur moi, quoi qu'il en soit. Je ne supporte pas de te voir souffrir en silence... Tu as toujours été là pour moi, dans les meilleurs comme les pires moments. Alors, laisse-moi en faire de même. Tu as le droit de crier, de pleurer, de te plaindre ! Pourvu que tu te défasses de ce sourire que tu affiches en toute circonstance. Parle-moi...
La gorge nouée, Jenna ne parvint pas à prononcer le moindre mot. Elle avait tendance à trop oublier qu'Alec la connaissait par cœur, et qu'il savait toujours trouver les mots justes pour exprimer ce qu'elle-même ne parvenait pas à nommer.
Discrètement, elle essuya une larme qui roulait sur sa joue et masqua de nouveau sa peine derrière un sourire de circonstance.
— Je ne vais pas si mal que ça. Tout va pour le mieux, j'ai des amis sur qui compter, des passions. Je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort. D'autres ont des problèmes non moins plus graves.
— C'est vrai. Mais je ne suis pas là pour soulager la terre entière. Seul ton bonheur m'importe.
— Je t'assure, Alec...
Pour couper court à cette conversation qui lui déplaisait fortement, Jenna se redressa et traversa la pièce. Alec, parcouru d'un frisson, s'emmitoufla dans la couverture. Jenna vint se rasseoir sur le bord du lit, un paquet entre les mains, enrubanné d'un joli fil doré.
— Tiens, dit-elle en le lui tendant. Joyeux Noël.
© Jessica Lumbroso
Aucune
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