4 )Une aventure de Lolotte (l)
3 participants
Page 1 sur 1
4 )Une aventure de Lolotte (l)
Lolotte
Je vais vous conter une histoire infiniment tragique et triste. Eh, on ne peut pas toujours rigoler ou s’attendrir ! Je conseille aux dames sensibles de se munir d’ors et déjà de quelques clinex ®; ils vont servir, c’est évident !
Aller Hop !
Il faut le dire, Lolotte était en quelque sorte une privilégiée. Non pas que ses parents fussent particulièrement argentés ou confits en bourgeoisie bien pensante ; non ! Il s’agissait d’autre chose :
Tout d’abord, elle était jolie, d’une beauté peu standard. Sa chevelure qu’elle prétendait “blond vénitien”, flamboyait comme un coucher de soleil sur les grands lacs de l’Afrique centrale ; ses joues, son nez, ses bras étaient pailletés de taches de rousseur minuscules semées drues et serrées ; sa silhouette n’était pas encore très affirmée ; trop jeune !
Elle ressemblait à sa maman qui n’était ni rousse ni tavelée mais dont la peau prenait aussi mal le soleil que la sienne et qui rêvait dans ses jours d’utopie de shampoings au henné. Elle lui ressemblait encore par bien d’autre points : génétiques ou mimétiques, allez savoir !
Elle ressemblait à son papa qui lui avait légué le “rouge” vénitien de sa barbe et de sa crinière.
Lolotte ne vivait pas dans un hôtel particulier de Neuilly ou de Passy parmi des meubles de Boule, des fauteuils Aubusson ou des tapis des Savonneries soulignés au mur par quelque peintre XVlllè à l’académisme prude, en veine de pastorales à la grecque ! Non, non, non, non ! La maison de Lolotte était rustique grande et rurale. Pleine de coins et recoins, de marches, de poutres, de bois et de pierres ; totalement restaurée, modifiée, aménagée par son père, c’était un endroit fait pour sentir la lavande naturelle, la citronnelle, l’herbe mouillée ou fanée et la confiture chaude !
Bien sûr, on y croisait au mètre carré autant de chats, de chiens, de poissons rouges ou d’oiseaux en détresse que de bipèdes humains pourtant nombreux. Il y avait toujours un chaton pour martyriser les plantes vertes ou un chiot pendant à la mamelle de sa mère.
Un grand jardin plein d’herbe et de fleurs éparpillées au hasard, avec une piscine ronde, quelques chevaux dans un enclos, un poulailler, prolongeait l’espace habité quasiment sans solution de continuité.
Il y avait vaguement la télé, la hi-fi, le téléphone, mais ce n’était pas important ; juste parfois irritant ! Dans l’âtre de la cuisine, entre le couffin d’un chat et la panière de Pépette, chienne ancêtre, respectée de tous, ronflait tout l’hiver un gros feu de bois qui par un astucieux système hydro-thermique prenant source dans le creux des chenets, chauffait toute la maison.
La région était boisée et le bois mort donné en abondance par les voisins et amis. Gaz, électricité et autres sources d’énergie lucratives ne faisaient pas fortune chez Lolotte.
Bien que raisonnant souvent avec une grande pertinence, celle-ci vivait au sein de cet Eden miniature, naïve et candide dans un perpétuel émerveillement face à toutes les manifestations chaudes et généreuses de la vie et des arts bucoliques. Elle poussait dru et bien, avait une voix chantante très fraîche et un peu décalée, était une écolière satisfaisante, mais pas plus qu’il ne fallait, et mon Dieu, le seul moment où il fallait élever un peu la voix concernait le contingentement au plus près des nouvelles entrées animales au sein de la maisonnée ! Je vous laisse imaginer le regard noir et meurtrier qui assombrissait alors le visage de la demoiselle et faisait briller d’indignation les paillettes rousses de sa peau !
Lolotte était curieuse, souvent ; apprenait vite et s’étonnait de tout avec une grande ingénuité mais en fait, se foutait éperdument de tout ce qui n’était pas ce petit monde qu’elle ne quittait (rarement !) qu’avec difficulté et réticence, avec un regard, ainsi que je l’ai déjà dit, laissant présager des instants tumultueux !
Elle avait deux grands frères, majeurs, dont l’un faisait dans le cheval et l’autre le train électrique et qui avaient autant de répugnance qu’elle à s’éloigner du paradis familial et des minijupes de leur mère. A sa naissance ils s’étaient sentis devenir pères et avait un peu disputé ce rôle exaltant (?) au géniteur authentique. Tout était petit à petit rentré dans l’ordre avec diplomatie et Lolotte était maintenant “Tata” ; tata et ravie ! Cependant, si vous voulez bien porter un instant avec moi un œil entomologique, sur ce petit monde si intéressant, vous appréhenderez, au premier regard, l’aspect monolithique de ce groupe familial
D’autres enfants vivaient encore avec et autour d’elle ; plus âgés ou plus jeunes, cela importait peu car il paraissait évident qu’une maison où tous les animaux éclopés de la vie avaient un droit imprescriptible au gîte et au couvert ne pouvait pareillement qu’accueillir les petits d’homme mal-venus, mal-aimés, dérivant, survivant dans le désordre incompréhensible des sociétés adultes !
La maison hébergeait donc divers enfants la plus part du temps, sud-méditerranéens que lui confiait le juge d’enfants sous la tutelle des services de protection de l’enfance. Le plus étonnant était que ces gosses d’origines et cultures multiples, paumés, déboussolés, privés d’amour et d’équilibre se retrouvaient un jour enfin réconciliés avec eux-même, bien des angoisses et révoltes plus tard, épanouis, souriants avec un indubitable petit air de famille au côté des autres ; l’air qu’exhalait la maison ! ...........
°°°°°°°°°°°°°°
La maman de Lolotte était Dadou ; une vieille de quarante-cinq ans, copie conforme de sa fille, avec un zeste (à peine !) de maturité ! Depuis sa prime adolescence, fille fleur et femme oiseau, elle avait la légèreté, le rire aérien, le bonheur de vivre des unes et des autres se refusant à trop voir le côté sordide et terne des choses de la vie.
Encore collégienne, elle avait vécu (mal) le divorce absurde de ses parents après longtemps de vie commune, un tantinet acerbe, et la venue au monde de six enfants ; six viols disait sa mère qui avait le grief pointu, vindicatif et durable. Six viols qui avaient du comporter quelques complaisances car la dame n’était pas du genre chétif / malingre et avait sûrement quelques besoins à assouvir ! Lorsqu’elle se laissait aller à la véhémence dans ses propos anti conjugaux elle faisait d’un geste sec claquer les bretelles de son soutien gorge telle une flamme de guerre mouillée fouettant dans le noroît au grand mat d’un vaisseau de ligne !
Bref, Dadou était venue humer l’air de la maison d’une condisciple qu’elle aimait comme une sœur, et s’en étant trouvée satisfaite, s’y était fabriqué une famille de substitution, (là aussi, ils étaient six !), entraînant son plus jeune frère dans l’aventure. Week-end après week-end, vacances courtes ou longues, tout le monde se retrouvait (déjà) concentré autour d’une vaste cheminée où flambaient des troncs d’arbre avec (encore déjà !), nombre de chats, chiens, vaches et moutons familiers.
Elle estimait devoir payer son écot et le faisait avec des sachets de soupe de poisson en poudre tout en courant apporter avec volupté au premier claquement de doigt le paquet de tabac gris et le carnet de papier gommé du chef de famille dont elle avait décidé qu’il serait désormais son père ! Et tous riaient !
Devenue (presque) grande, elle avait largué études et lycée sans son bac, à la grande indignation de sa (vraie) mère par ailleurs enseignante. Partie conquérir Paris sous de fallacieux prétextes elle avait beaucoup inquiété ses parents “adoptés” et la fratrie correspondante par des comportements pas toujours raisonnables ; on avait même, un temps, pensé aller la chercher manu- militari, mais quoi : il faut bien que la jeunesse fasse “ses” expériences, même si elles sont discutables...
En fin de compte elle avait fini par intégrer les services d’un hôpital et l’école d’infirmière adjacente et s’était retrouvée aide-soignante en attendant sa promotion future. Là se situait sa première durable erreur : elle avait épousé (Eh, pourquoi, il est adorable !) un collègue nettement plus âgé qu’elle et d’un tempérament on ne peut plus différent ; gentil garçon, au demeurant qui traînait le remords et la nostalgie d’avoir sur un coup de tête et d’orgueil mit fin à un rêve de carrière médicale et n’était qu’un infirmier (d’ une grande compétence ). Lui ayant fait les deux frères de Lolotte, il se considérait comme père de trois enfants, ses deux gamins et sa femme fleur que n’avait pas encore touché la grâce de l’âge adulte !
Un jour, abandonnant Paris, ils étaient revenus soigner les populations souffrantes à proximité de la famille tendrement adoptée. Cela avait duré un temps, mais “la’ Dadou supportait de plus en plus mal cette tutelle de fait et les sourires sarcastiques et indulgents de son époux chaque fois qu’elle tentait de prendre une initiative domestique, maternelle et libératrice !
C’est alors que louchant vers l’instituteur local, grand gratteur de guitare elle commit sa seconde mais toutefois brève erreur ! Elle imposa à son mari dans un climat de tempête, refus, mesquineries et (violences ?), un divorce en bonne et due forme qui allait entraîner des années de vengeance larvée, et partit vivre sa vie, ses gamins sous le bras, avec son guitariste passionné / passionnant.
Bien vite, le Dieu musicien, tout aussi “adorable” que le précédent se révéla sous un jour bien différend de celui des fantasmes idéalisés de notre oiseau des îles. Il était d’un conformisme affligeant, pétri de conventions petit bourgeoises et sociales, était noué d’attaches familiales et craignait sa mère ! Tout cela, convenons-en ne correspondait guère aux aspirations de simplicité marginale qui habitaient Dadou.
S’éloignant de lui, elle fut de nouveau aide soignante, s’occupa de vieux vaguement indigents et de jeunes parfois affligeants puis elle franchit un nouveau pas en pénétrant dans le monde spécial du cheval (Prononcer : Choual) par la porte d’un centre équestre.
Y-fut-elle comptable, palefrenier, lad ou apprentie monitrice, je ne sais ; cette tranche de sa biographie reste pour moi un rien nébuleuse. Toujours est-il qu’elle y rencontra un beau jeune homme de dix ans son cadet, moniteur d’équitation, dont la tignasse de feu embrasa son affectif et dont la douceur et la tendresse ferme qui transpiraient par ses yeux acheva de la conquérir : Dadou venait enfin de trouver l’homme de sa vie ! Elle se fit faire Lolotte (pardon, Charlotte !), tambour battant et l’épousa dans la foulée !
Fabou possédait une vieille et grande maison (et les dettes l’accompagnant !) qu’il avait récupérée après que son ex épouse, divorcée à l’issue d’un bref, précoce, et détestable mariage, qui se l’était vue attribuées lors du partage des biens de la communauté, eut refusé d’honorer le paiement des annuités d’un emprunt conséquent indissociable du local. Sans le sous mais pleine de joie, toute la petite famille s’y installa allègrement et y constitua bien vite l’Eden déjà cité !
Fabou, outre les demoiselles rousses, savait tout faire. Il désossait et reconstruisait en se jouant les moteurs d’automobiles ; il démontait et redressait les vieilles charpentes, consolidait les murs hésitants, soudait, plombait, calfeutrait, électrifiait, chauffait et j’en oubli encore !
Tant et si bien que, petit à petit, la maison passait de l’utile essentiel et spartiate au confort douillet et rustique ; le rêve !
A l’instar de Dadou, il n’avait pas un amour immodéré pour la stabilité professionnelle. Il avait travaillé dans une carrière à extraire, cliver et tailler des ardoises, ce qui demande une main ferme douce et précise ; il avait fait dans le moto-nautisme et l’entretien naval, dans la réparation audio-vidéo mais sa passion du cheval avait fini par le faire atterrir dans les fumiers odorants et chauds du centre équestre qui allait accueillir Dadou ! Au fil des jours, il était devenu moniteur et guide de randonnée sur toutes les pistes des alentours (voir même plus loin).
Donc, (voyez comme mon histoire est bien construite !), il y connu Dadou et de toutes façons vous l’auriez deviné sans moi ! Il n’y a pas, en effet, trente-six centres équestres où vous pouvez rencontrer la suffragette de vos rêves et entendre à pleines journées, perler ses rires d’enfant !
Un jour noir de désherbage et d’entretien une lame traîtresse de débroussailleuse s’échappa de sa machine et vint sectionner (presque) une des jambes de Fabou... Miraculeusement regreffé, rajusté, ressoudé, il récupéra sa jambe sans même claudiquer, mais une position du pied désormais défectueuse, incompatible avec les étriers, mit fin à sa carrière équestre.
Allait-on s'apitoyer, broyer du noir ? Que Nenni. Fabou fit mille boulots et intégra une entreprise qui faisait dans le préfabriqué. Il y posa, en quelques années, tant de kilomètres carrés de placo-plâtre qu’on en eu sans problème recouvert la superficie de plusieurs départements.
Pour finir et très logiquement, en osmose avec Dadou, il se consacra exclusivement, et avec autant de bonheur, à l’accueil et la résurrection de tous les enfants perdus et sans colliers qu’on voulu bien lui confier.
Bien entendu, Fabou, lui aussi, jouait de la guitare. Oh ce n’était pas Lagoya ; mais en grattant une basse électrique il prenait son pied avec six copains mordus comme lui et tout autant dénués de prétentions. Ils allaient au gré de leurs loisirs régaler de musique les petits vieux en fauteuils roulant des centres d’accueil des environs et animaient des fêtes de village, voir même le mariage d’un couple ami ! Lorsqu’il jouait, il y avait sur son visage une concentration sérieuse et inspirée qui le rendait attendrissant ; et à tous coups c’était bon : Dadou et Lolotte s’attendrissaient de bonheur en échangeant maints regards admirativement complices ! Et vous vous en souvenez peut-être, Dadou, elle en connaissait un rayon en matière de guitare !
Lolotte, elle, s’essayait à jouer de la flûte ; elle s’exhibait même, à l’occasion de la fête de son école, dans un répertoire (de sa composition, s’il vous plaît !) soutenue par la basse paternelle, elle jouait attentive et sûre d’elle avec pour le père qui se serait oublié à perdre un instant la cadence, (c’était arrivé, si, si !) ou escamoter une note un regard courroucé qui en disait long sur les reproches à venir !
°°°°°°°°°°°°°°
La nuit était d’une encre épaisse et noire, le vent au grand frais, et le bateau, bouchon ridicule tremblait de toutes ses membrures, attaqué de toutes parts dans un climat d’irréalité douloureuse !
°°°°°°°°°°°°°°
Lolotte se sentait très vieille ; elle avait grandi et mûri comme un épis de blé vigoureux entre ses parents, frères et compagnons, un hérisson rescapé du carnage routier, une rapiette amputée de sa queue, un moinillon tombé du nid, ses chiens et toutes sortes de chats mités.
Elle considérait donc qu’ayant atteint les seize années de la scolarité incontournable, il était temps qu’elle chaussât les vieilles bottes de sa mère et pense à vivre sa vie par elle-même en jetant pardessus les moulins, lycée et diplômes inutiles ! Après tout un brevet c’est honorable ; non ?
Il y avait eu avec ses parents, dans la matinée, une discussion un poil plus animée qu’a l’ordinaire. Fabou avait dit, choisissant soigneusement ses mots avec une gène grandissante que si elle voulait en rester là, après tout, c’était de sa vie future, bien à elle, qu’il était question mais que vue la dureté des temps, la mauvaiseté des gens et les marmites à faire bouillir, elle aurait intérêt, au moins, à préparer quelques concours administratifs, genre poste, trésor public ou fonction territoriales diverses (pouah !) et autres gâteries du même genre.
Il en avait gros sur la patate, Fabou, à tenir des propos pareils si contraires à ses idées ; mais c’était sa gamine et un peu de sécurité financière ne peut pas vraiment faire de mal ! Dadou ne disait rien mais à se confronter ainsi à la logique et au bon sens, elle souffrait ; sûr !
Lolotte, elle, était sidérée ; muette et sidérée ? Elle avait la vague impression d’entendre parler sa grand-mère ! (maternelle, dite : Bobone !)
°°°°°°°°°°°°
De ses mains, réalisant un vieux rêve, Fabou s’était construit un bateau. Pas un Yacht de vingt-cinq mètres, non, (Eh là, comme vous vous laisseriez aller si je n’étais pas là pour calmer vos fantasmes !), juste un petit dériveur tout modeste de quatre mètres (un minimum) avec une grand-voile et un foc, de quoi s’amuser sans frimer le long de la plage les jours de petit vent, en se donnant des émotions de cap-hornier.
Cela faisait rêver Lolotte, qui se voyait déguisée en Antoine ou Alain Gerbeau l’ancêtre précurseur, défiant les quarantièmes rugissants, les calmes plats du Pot-au-Noir, contournant les icebergs du Labrador et relâchant dans l’eau tiède et bleue des lagons Pacifique parmi les palmiers et coraux primitifs !
Alors, guichetière à la poste ou la perception, employée de sous-préfecture ou secrétaire de mairie adjointe, vous pensez la perspective exaltante !
°°°°°°°°°°°°°°
Dans l’après-midi de ce jour durablement marqué d’une pierre noire, tandis que Dadou et Fabou vaquaient à de multiples choses, Lolotte se sentant trahie et abandonnée, s’était subrepticement éclipsée, avait gagné la plage, poussé le dériveur à l’eau et triomphalement entreprit de faire le tour du monde !
°°°°°°°°°°°°
Refrain :
La nuit était d’une encre épaisse et noire...
°°°°°°°°°°°°
Pour être noire, la nuit, elle l’était ! Et sous ce vent de tempête (presque !), il s'annonçait bien mal, le tour du monde de Lolotte ; sans compter que le jour étant achevé depuis longtemps, ses parents et frères affolés devaient un peu partout s’enquérir d’elle. Lolotte, une fugue ? Non, mais !
La vérité était qu’elle ne savait barrer que pour avoir distraitement vu faire son père, ce qui n’est pas la meilleure école, vous en conviendrez. Cela ne mène pas loin quand on se confronte soudain à la réalité.
Elle aurait bien aimé, toute honte bue, regagner la plage, retrouver famille, bêtes, maison et coin du feu ; cependant chaque fois qu’elle tentait d’infléchir la direction de l’esquif, elle le sentait se rebeller et pour tout dire prêt à chavirer. Trois fois elle l’avait redressé in extremis et ce n’était pas son poids, même allongée bien droite et rigide pardessus le plat bord qui pouvait compenser les velléités meurtrières du bateau !
Alors qu’elle tentait une nouvelle fois un virage de bord hasardeux, l’écoute de voile lui échappa et dans un retour fulgurant la bôme vint la heurter sous la nuque l’expulsant dans une eau plus noire que le ciel, agitée de soubresauts déments. Déjà, livré à lui-même, le dériveur s’envolait pour aller chavirer un kilomètre plus loin et Lolotte, seule dans l’hostilité de l’univers liquide, demie-groggy nageottait avec désespoir ! Loin qu’elle était, tout soudain, l’âtre flambante, pleine d’odeurs de bois, de chiens, de chats...
Une déferlante monstrueuse lui emplit la bouche d’écume salée ; la bouche et aussi un peu les poumons, l'estomac ; elle vomit et toussa. Bizarrement elle pensa qu’elle vivait un événement qu’aucune demoiselle des P. et T. ne connaîtrait jamais ; c’était (un tout, tout petit peu) réconfortant !
Une autre vague la recouvrit d’une chape sombre et visqueuse et elle s'enfonçât un instant. Des bruits de moteurs glissaient sur la surface de la mer, des bruits qui convergeaient vers elle, ou plutôt l’épave repérée du voilier et dans le ronflement criard des hors-bords il y avait comme une clameur d’épouvante !
Lolotte coula à un mètre de la surface et ses cheveux épandus autour d’elle dessinaient une méduse rousse ; c’était une eau d’été presque tiède ; elle ne respirait plus ; le fluide était partout, en elle, autour d’elle. Ce n’était pas douloureux, juste nouveau et étrange, un peu. Quelque chose en elle tentait de se souvenir que dans des temps héroïques, ses ancêtres avaient été poissons ; son corps s’essayait à retrouver les tropismes respiratoires anciens, à redevenir cœlacanthe, madrépore, éponge... Elle avait fermé les yeux, évacué toute peur ; elle se sentait un peu froid, mais bien, tandis que continuait sa descente. Les vagues lueurs de surface avaient disparues ; le son des moteurs aussi. Pourtant les canots tournaient avec rage au-dessus d’elle ; en vain. Tous ces gens qui la cherchaient, l’aimaient, la pleuraient, déjà, c’était une pensée réconfortante, délicieusement voluptueuse ; sadique mais voluptueuse !
Sa pensée devenait hésitante, confuse ; son corps ne bougeait plus, l’oxygène que l’eau ne libérait pas suffisamment n’irriguait plus ses neurones les privait d’énergie. Quantité de souvenirs, en nappes effrangées lui revenaient : des moments de bonheur au coin du feu, des anniversaire, des Noëls, des prétextes à fête ; ses chats, ses chiens, un renardeau arraché de haute lutte à des chasseurs qui voulaient l’occire ; deux marcassins devenant adultes, à qui, les larmes ruisselant sur ses joues, elle avait ouvert la porte du fond du jardin, direction la forêt, la liberté sauvage (?). Et tant et tant...
Au fur et à mesure que sa descente s’affirmait, elle éprouvait des sensations inconnues : le sentiment de frôlements (requins, dauphins !?), la perception de fulgurances vagues, de phosphorescences imprévues, la certitude que ce monde qui l’accueillait était empli de vie ; pas hostile.
Cela faisait, lui semblait-il, des heures qu’elle flottait ainsi entre deux eaux, entre deux vies, dans ce no mans’ land, cette antichambre du définitif et de l’irrémédiable. Dans sa tête flottait un air de flûte, des accords de guitare basse, des hennissements de chevaux (des hippocampes peut-être ?), et derrière les paupières closes, le visage rieur de Dadou...
La conscience la quitta. Elle ne fut plus qu’une molécule inerte, réincorporée au grand tout de l’Océan primitif. Pour Lolotte tout s’acheva, tout prit fin... Elle était accomplie !
C’est alors, à cet instant précis, que Lolotte se réveilla ! La nuit (refrain) était d’une encre épaisse et noire ; elle avait de nouveau cinq ans et avait inondé son lit !
© Jafou
Je vais vous conter une histoire infiniment tragique et triste. Eh, on ne peut pas toujours rigoler ou s’attendrir ! Je conseille aux dames sensibles de se munir d’ors et déjà de quelques clinex ®; ils vont servir, c’est évident !
Aller Hop !
°°°°°°°°°°°°°
Il faut le dire, Lolotte était en quelque sorte une privilégiée. Non pas que ses parents fussent particulièrement argentés ou confits en bourgeoisie bien pensante ; non ! Il s’agissait d’autre chose :
Tout d’abord, elle était jolie, d’une beauté peu standard. Sa chevelure qu’elle prétendait “blond vénitien”, flamboyait comme un coucher de soleil sur les grands lacs de l’Afrique centrale ; ses joues, son nez, ses bras étaient pailletés de taches de rousseur minuscules semées drues et serrées ; sa silhouette n’était pas encore très affirmée ; trop jeune !
Elle ressemblait à sa maman qui n’était ni rousse ni tavelée mais dont la peau prenait aussi mal le soleil que la sienne et qui rêvait dans ses jours d’utopie de shampoings au henné. Elle lui ressemblait encore par bien d’autre points : génétiques ou mimétiques, allez savoir !
Elle ressemblait à son papa qui lui avait légué le “rouge” vénitien de sa barbe et de sa crinière.
Lolotte ne vivait pas dans un hôtel particulier de Neuilly ou de Passy parmi des meubles de Boule, des fauteuils Aubusson ou des tapis des Savonneries soulignés au mur par quelque peintre XVlllè à l’académisme prude, en veine de pastorales à la grecque ! Non, non, non, non ! La maison de Lolotte était rustique grande et rurale. Pleine de coins et recoins, de marches, de poutres, de bois et de pierres ; totalement restaurée, modifiée, aménagée par son père, c’était un endroit fait pour sentir la lavande naturelle, la citronnelle, l’herbe mouillée ou fanée et la confiture chaude !
Bien sûr, on y croisait au mètre carré autant de chats, de chiens, de poissons rouges ou d’oiseaux en détresse que de bipèdes humains pourtant nombreux. Il y avait toujours un chaton pour martyriser les plantes vertes ou un chiot pendant à la mamelle de sa mère.
Un grand jardin plein d’herbe et de fleurs éparpillées au hasard, avec une piscine ronde, quelques chevaux dans un enclos, un poulailler, prolongeait l’espace habité quasiment sans solution de continuité.
Il y avait vaguement la télé, la hi-fi, le téléphone, mais ce n’était pas important ; juste parfois irritant ! Dans l’âtre de la cuisine, entre le couffin d’un chat et la panière de Pépette, chienne ancêtre, respectée de tous, ronflait tout l’hiver un gros feu de bois qui par un astucieux système hydro-thermique prenant source dans le creux des chenets, chauffait toute la maison.
La région était boisée et le bois mort donné en abondance par les voisins et amis. Gaz, électricité et autres sources d’énergie lucratives ne faisaient pas fortune chez Lolotte.
Bien que raisonnant souvent avec une grande pertinence, celle-ci vivait au sein de cet Eden miniature, naïve et candide dans un perpétuel émerveillement face à toutes les manifestations chaudes et généreuses de la vie et des arts bucoliques. Elle poussait dru et bien, avait une voix chantante très fraîche et un peu décalée, était une écolière satisfaisante, mais pas plus qu’il ne fallait, et mon Dieu, le seul moment où il fallait élever un peu la voix concernait le contingentement au plus près des nouvelles entrées animales au sein de la maisonnée ! Je vous laisse imaginer le regard noir et meurtrier qui assombrissait alors le visage de la demoiselle et faisait briller d’indignation les paillettes rousses de sa peau !
Lolotte était curieuse, souvent ; apprenait vite et s’étonnait de tout avec une grande ingénuité mais en fait, se foutait éperdument de tout ce qui n’était pas ce petit monde qu’elle ne quittait (rarement !) qu’avec difficulté et réticence, avec un regard, ainsi que je l’ai déjà dit, laissant présager des instants tumultueux !
Elle avait deux grands frères, majeurs, dont l’un faisait dans le cheval et l’autre le train électrique et qui avaient autant de répugnance qu’elle à s’éloigner du paradis familial et des minijupes de leur mère. A sa naissance ils s’étaient sentis devenir pères et avait un peu disputé ce rôle exaltant (?) au géniteur authentique. Tout était petit à petit rentré dans l’ordre avec diplomatie et Lolotte était maintenant “Tata” ; tata et ravie ! Cependant, si vous voulez bien porter un instant avec moi un œil entomologique, sur ce petit monde si intéressant, vous appréhenderez, au premier regard, l’aspect monolithique de ce groupe familial
D’autres enfants vivaient encore avec et autour d’elle ; plus âgés ou plus jeunes, cela importait peu car il paraissait évident qu’une maison où tous les animaux éclopés de la vie avaient un droit imprescriptible au gîte et au couvert ne pouvait pareillement qu’accueillir les petits d’homme mal-venus, mal-aimés, dérivant, survivant dans le désordre incompréhensible des sociétés adultes !
La maison hébergeait donc divers enfants la plus part du temps, sud-méditerranéens que lui confiait le juge d’enfants sous la tutelle des services de protection de l’enfance. Le plus étonnant était que ces gosses d’origines et cultures multiples, paumés, déboussolés, privés d’amour et d’équilibre se retrouvaient un jour enfin réconciliés avec eux-même, bien des angoisses et révoltes plus tard, épanouis, souriants avec un indubitable petit air de famille au côté des autres ; l’air qu’exhalait la maison ! ...........
°°°°°°°°°°°°°°
La maman de Lolotte était Dadou ; une vieille de quarante-cinq ans, copie conforme de sa fille, avec un zeste (à peine !) de maturité ! Depuis sa prime adolescence, fille fleur et femme oiseau, elle avait la légèreté, le rire aérien, le bonheur de vivre des unes et des autres se refusant à trop voir le côté sordide et terne des choses de la vie.
Encore collégienne, elle avait vécu (mal) le divorce absurde de ses parents après longtemps de vie commune, un tantinet acerbe, et la venue au monde de six enfants ; six viols disait sa mère qui avait le grief pointu, vindicatif et durable. Six viols qui avaient du comporter quelques complaisances car la dame n’était pas du genre chétif / malingre et avait sûrement quelques besoins à assouvir ! Lorsqu’elle se laissait aller à la véhémence dans ses propos anti conjugaux elle faisait d’un geste sec claquer les bretelles de son soutien gorge telle une flamme de guerre mouillée fouettant dans le noroît au grand mat d’un vaisseau de ligne !
Bref, Dadou était venue humer l’air de la maison d’une condisciple qu’elle aimait comme une sœur, et s’en étant trouvée satisfaite, s’y était fabriqué une famille de substitution, (là aussi, ils étaient six !), entraînant son plus jeune frère dans l’aventure. Week-end après week-end, vacances courtes ou longues, tout le monde se retrouvait (déjà) concentré autour d’une vaste cheminée où flambaient des troncs d’arbre avec (encore déjà !), nombre de chats, chiens, vaches et moutons familiers.
Elle estimait devoir payer son écot et le faisait avec des sachets de soupe de poisson en poudre tout en courant apporter avec volupté au premier claquement de doigt le paquet de tabac gris et le carnet de papier gommé du chef de famille dont elle avait décidé qu’il serait désormais son père ! Et tous riaient !
Devenue (presque) grande, elle avait largué études et lycée sans son bac, à la grande indignation de sa (vraie) mère par ailleurs enseignante. Partie conquérir Paris sous de fallacieux prétextes elle avait beaucoup inquiété ses parents “adoptés” et la fratrie correspondante par des comportements pas toujours raisonnables ; on avait même, un temps, pensé aller la chercher manu- militari, mais quoi : il faut bien que la jeunesse fasse “ses” expériences, même si elles sont discutables...
En fin de compte elle avait fini par intégrer les services d’un hôpital et l’école d’infirmière adjacente et s’était retrouvée aide-soignante en attendant sa promotion future. Là se situait sa première durable erreur : elle avait épousé (Eh, pourquoi, il est adorable !) un collègue nettement plus âgé qu’elle et d’un tempérament on ne peut plus différent ; gentil garçon, au demeurant qui traînait le remords et la nostalgie d’avoir sur un coup de tête et d’orgueil mit fin à un rêve de carrière médicale et n’était qu’un infirmier (d’ une grande compétence ). Lui ayant fait les deux frères de Lolotte, il se considérait comme père de trois enfants, ses deux gamins et sa femme fleur que n’avait pas encore touché la grâce de l’âge adulte !
Un jour, abandonnant Paris, ils étaient revenus soigner les populations souffrantes à proximité de la famille tendrement adoptée. Cela avait duré un temps, mais “la’ Dadou supportait de plus en plus mal cette tutelle de fait et les sourires sarcastiques et indulgents de son époux chaque fois qu’elle tentait de prendre une initiative domestique, maternelle et libératrice !
C’est alors que louchant vers l’instituteur local, grand gratteur de guitare elle commit sa seconde mais toutefois brève erreur ! Elle imposa à son mari dans un climat de tempête, refus, mesquineries et (violences ?), un divorce en bonne et due forme qui allait entraîner des années de vengeance larvée, et partit vivre sa vie, ses gamins sous le bras, avec son guitariste passionné / passionnant.
Bien vite, le Dieu musicien, tout aussi “adorable” que le précédent se révéla sous un jour bien différend de celui des fantasmes idéalisés de notre oiseau des îles. Il était d’un conformisme affligeant, pétri de conventions petit bourgeoises et sociales, était noué d’attaches familiales et craignait sa mère ! Tout cela, convenons-en ne correspondait guère aux aspirations de simplicité marginale qui habitaient Dadou.
S’éloignant de lui, elle fut de nouveau aide soignante, s’occupa de vieux vaguement indigents et de jeunes parfois affligeants puis elle franchit un nouveau pas en pénétrant dans le monde spécial du cheval (Prononcer : Choual) par la porte d’un centre équestre.
Y-fut-elle comptable, palefrenier, lad ou apprentie monitrice, je ne sais ; cette tranche de sa biographie reste pour moi un rien nébuleuse. Toujours est-il qu’elle y rencontra un beau jeune homme de dix ans son cadet, moniteur d’équitation, dont la tignasse de feu embrasa son affectif et dont la douceur et la tendresse ferme qui transpiraient par ses yeux acheva de la conquérir : Dadou venait enfin de trouver l’homme de sa vie ! Elle se fit faire Lolotte (pardon, Charlotte !), tambour battant et l’épousa dans la foulée !
Fabou possédait une vieille et grande maison (et les dettes l’accompagnant !) qu’il avait récupérée après que son ex épouse, divorcée à l’issue d’un bref, précoce, et détestable mariage, qui se l’était vue attribuées lors du partage des biens de la communauté, eut refusé d’honorer le paiement des annuités d’un emprunt conséquent indissociable du local. Sans le sous mais pleine de joie, toute la petite famille s’y installa allègrement et y constitua bien vite l’Eden déjà cité !
Fabou, outre les demoiselles rousses, savait tout faire. Il désossait et reconstruisait en se jouant les moteurs d’automobiles ; il démontait et redressait les vieilles charpentes, consolidait les murs hésitants, soudait, plombait, calfeutrait, électrifiait, chauffait et j’en oubli encore !
Tant et si bien que, petit à petit, la maison passait de l’utile essentiel et spartiate au confort douillet et rustique ; le rêve !
A l’instar de Dadou, il n’avait pas un amour immodéré pour la stabilité professionnelle. Il avait travaillé dans une carrière à extraire, cliver et tailler des ardoises, ce qui demande une main ferme douce et précise ; il avait fait dans le moto-nautisme et l’entretien naval, dans la réparation audio-vidéo mais sa passion du cheval avait fini par le faire atterrir dans les fumiers odorants et chauds du centre équestre qui allait accueillir Dadou ! Au fil des jours, il était devenu moniteur et guide de randonnée sur toutes les pistes des alentours (voir même plus loin).
Donc, (voyez comme mon histoire est bien construite !), il y connu Dadou et de toutes façons vous l’auriez deviné sans moi ! Il n’y a pas, en effet, trente-six centres équestres où vous pouvez rencontrer la suffragette de vos rêves et entendre à pleines journées, perler ses rires d’enfant !
Un jour noir de désherbage et d’entretien une lame traîtresse de débroussailleuse s’échappa de sa machine et vint sectionner (presque) une des jambes de Fabou... Miraculeusement regreffé, rajusté, ressoudé, il récupéra sa jambe sans même claudiquer, mais une position du pied désormais défectueuse, incompatible avec les étriers, mit fin à sa carrière équestre.
Allait-on s'apitoyer, broyer du noir ? Que Nenni. Fabou fit mille boulots et intégra une entreprise qui faisait dans le préfabriqué. Il y posa, en quelques années, tant de kilomètres carrés de placo-plâtre qu’on en eu sans problème recouvert la superficie de plusieurs départements.
Pour finir et très logiquement, en osmose avec Dadou, il se consacra exclusivement, et avec autant de bonheur, à l’accueil et la résurrection de tous les enfants perdus et sans colliers qu’on voulu bien lui confier.
Bien entendu, Fabou, lui aussi, jouait de la guitare. Oh ce n’était pas Lagoya ; mais en grattant une basse électrique il prenait son pied avec six copains mordus comme lui et tout autant dénués de prétentions. Ils allaient au gré de leurs loisirs régaler de musique les petits vieux en fauteuils roulant des centres d’accueil des environs et animaient des fêtes de village, voir même le mariage d’un couple ami ! Lorsqu’il jouait, il y avait sur son visage une concentration sérieuse et inspirée qui le rendait attendrissant ; et à tous coups c’était bon : Dadou et Lolotte s’attendrissaient de bonheur en échangeant maints regards admirativement complices ! Et vous vous en souvenez peut-être, Dadou, elle en connaissait un rayon en matière de guitare !
Lolotte, elle, s’essayait à jouer de la flûte ; elle s’exhibait même, à l’occasion de la fête de son école, dans un répertoire (de sa composition, s’il vous plaît !) soutenue par la basse paternelle, elle jouait attentive et sûre d’elle avec pour le père qui se serait oublié à perdre un instant la cadence, (c’était arrivé, si, si !) ou escamoter une note un regard courroucé qui en disait long sur les reproches à venir !
°°°°°°°°°°°°°°
La nuit était d’une encre épaisse et noire, le vent au grand frais, et le bateau, bouchon ridicule tremblait de toutes ses membrures, attaqué de toutes parts dans un climat d’irréalité douloureuse !
°°°°°°°°°°°°°°
Lolotte se sentait très vieille ; elle avait grandi et mûri comme un épis de blé vigoureux entre ses parents, frères et compagnons, un hérisson rescapé du carnage routier, une rapiette amputée de sa queue, un moinillon tombé du nid, ses chiens et toutes sortes de chats mités.
Elle considérait donc qu’ayant atteint les seize années de la scolarité incontournable, il était temps qu’elle chaussât les vieilles bottes de sa mère et pense à vivre sa vie par elle-même en jetant pardessus les moulins, lycée et diplômes inutiles ! Après tout un brevet c’est honorable ; non ?
Il y avait eu avec ses parents, dans la matinée, une discussion un poil plus animée qu’a l’ordinaire. Fabou avait dit, choisissant soigneusement ses mots avec une gène grandissante que si elle voulait en rester là, après tout, c’était de sa vie future, bien à elle, qu’il était question mais que vue la dureté des temps, la mauvaiseté des gens et les marmites à faire bouillir, elle aurait intérêt, au moins, à préparer quelques concours administratifs, genre poste, trésor public ou fonction territoriales diverses (pouah !) et autres gâteries du même genre.
Il en avait gros sur la patate, Fabou, à tenir des propos pareils si contraires à ses idées ; mais c’était sa gamine et un peu de sécurité financière ne peut pas vraiment faire de mal ! Dadou ne disait rien mais à se confronter ainsi à la logique et au bon sens, elle souffrait ; sûr !
Lolotte, elle, était sidérée ; muette et sidérée ? Elle avait la vague impression d’entendre parler sa grand-mère ! (maternelle, dite : Bobone !)
°°°°°°°°°°°°
De ses mains, réalisant un vieux rêve, Fabou s’était construit un bateau. Pas un Yacht de vingt-cinq mètres, non, (Eh là, comme vous vous laisseriez aller si je n’étais pas là pour calmer vos fantasmes !), juste un petit dériveur tout modeste de quatre mètres (un minimum) avec une grand-voile et un foc, de quoi s’amuser sans frimer le long de la plage les jours de petit vent, en se donnant des émotions de cap-hornier.
Cela faisait rêver Lolotte, qui se voyait déguisée en Antoine ou Alain Gerbeau l’ancêtre précurseur, défiant les quarantièmes rugissants, les calmes plats du Pot-au-Noir, contournant les icebergs du Labrador et relâchant dans l’eau tiède et bleue des lagons Pacifique parmi les palmiers et coraux primitifs !
Alors, guichetière à la poste ou la perception, employée de sous-préfecture ou secrétaire de mairie adjointe, vous pensez la perspective exaltante !
°°°°°°°°°°°°°°
Dans l’après-midi de ce jour durablement marqué d’une pierre noire, tandis que Dadou et Fabou vaquaient à de multiples choses, Lolotte se sentant trahie et abandonnée, s’était subrepticement éclipsée, avait gagné la plage, poussé le dériveur à l’eau et triomphalement entreprit de faire le tour du monde !
°°°°°°°°°°°°
Refrain :
La nuit était d’une encre épaisse et noire...
°°°°°°°°°°°°
Pour être noire, la nuit, elle l’était ! Et sous ce vent de tempête (presque !), il s'annonçait bien mal, le tour du monde de Lolotte ; sans compter que le jour étant achevé depuis longtemps, ses parents et frères affolés devaient un peu partout s’enquérir d’elle. Lolotte, une fugue ? Non, mais !
La vérité était qu’elle ne savait barrer que pour avoir distraitement vu faire son père, ce qui n’est pas la meilleure école, vous en conviendrez. Cela ne mène pas loin quand on se confronte soudain à la réalité.
Elle aurait bien aimé, toute honte bue, regagner la plage, retrouver famille, bêtes, maison et coin du feu ; cependant chaque fois qu’elle tentait d’infléchir la direction de l’esquif, elle le sentait se rebeller et pour tout dire prêt à chavirer. Trois fois elle l’avait redressé in extremis et ce n’était pas son poids, même allongée bien droite et rigide pardessus le plat bord qui pouvait compenser les velléités meurtrières du bateau !
Alors qu’elle tentait une nouvelle fois un virage de bord hasardeux, l’écoute de voile lui échappa et dans un retour fulgurant la bôme vint la heurter sous la nuque l’expulsant dans une eau plus noire que le ciel, agitée de soubresauts déments. Déjà, livré à lui-même, le dériveur s’envolait pour aller chavirer un kilomètre plus loin et Lolotte, seule dans l’hostilité de l’univers liquide, demie-groggy nageottait avec désespoir ! Loin qu’elle était, tout soudain, l’âtre flambante, pleine d’odeurs de bois, de chiens, de chats...
Une déferlante monstrueuse lui emplit la bouche d’écume salée ; la bouche et aussi un peu les poumons, l'estomac ; elle vomit et toussa. Bizarrement elle pensa qu’elle vivait un événement qu’aucune demoiselle des P. et T. ne connaîtrait jamais ; c’était (un tout, tout petit peu) réconfortant !
Une autre vague la recouvrit d’une chape sombre et visqueuse et elle s'enfonçât un instant. Des bruits de moteurs glissaient sur la surface de la mer, des bruits qui convergeaient vers elle, ou plutôt l’épave repérée du voilier et dans le ronflement criard des hors-bords il y avait comme une clameur d’épouvante !
Lolotte coula à un mètre de la surface et ses cheveux épandus autour d’elle dessinaient une méduse rousse ; c’était une eau d’été presque tiède ; elle ne respirait plus ; le fluide était partout, en elle, autour d’elle. Ce n’était pas douloureux, juste nouveau et étrange, un peu. Quelque chose en elle tentait de se souvenir que dans des temps héroïques, ses ancêtres avaient été poissons ; son corps s’essayait à retrouver les tropismes respiratoires anciens, à redevenir cœlacanthe, madrépore, éponge... Elle avait fermé les yeux, évacué toute peur ; elle se sentait un peu froid, mais bien, tandis que continuait sa descente. Les vagues lueurs de surface avaient disparues ; le son des moteurs aussi. Pourtant les canots tournaient avec rage au-dessus d’elle ; en vain. Tous ces gens qui la cherchaient, l’aimaient, la pleuraient, déjà, c’était une pensée réconfortante, délicieusement voluptueuse ; sadique mais voluptueuse !
Sa pensée devenait hésitante, confuse ; son corps ne bougeait plus, l’oxygène que l’eau ne libérait pas suffisamment n’irriguait plus ses neurones les privait d’énergie. Quantité de souvenirs, en nappes effrangées lui revenaient : des moments de bonheur au coin du feu, des anniversaire, des Noëls, des prétextes à fête ; ses chats, ses chiens, un renardeau arraché de haute lutte à des chasseurs qui voulaient l’occire ; deux marcassins devenant adultes, à qui, les larmes ruisselant sur ses joues, elle avait ouvert la porte du fond du jardin, direction la forêt, la liberté sauvage (?). Et tant et tant...
Au fur et à mesure que sa descente s’affirmait, elle éprouvait des sensations inconnues : le sentiment de frôlements (requins, dauphins !?), la perception de fulgurances vagues, de phosphorescences imprévues, la certitude que ce monde qui l’accueillait était empli de vie ; pas hostile.
Cela faisait, lui semblait-il, des heures qu’elle flottait ainsi entre deux eaux, entre deux vies, dans ce no mans’ land, cette antichambre du définitif et de l’irrémédiable. Dans sa tête flottait un air de flûte, des accords de guitare basse, des hennissements de chevaux (des hippocampes peut-être ?), et derrière les paupières closes, le visage rieur de Dadou...
La conscience la quitta. Elle ne fut plus qu’une molécule inerte, réincorporée au grand tout de l’Océan primitif. Pour Lolotte tout s’acheva, tout prit fin... Elle était accomplie !
°°°°°°°°°°°°°°
Alors, avez-vous bien pleuré ; vos serviettes en papier sont-elles correctement imbibées ? Bon, allez, je ne suis pas méchant, non, non ; je vais vous sortir de ce cauchemar, car...C’est alors, à cet instant précis, que Lolotte se réveilla ! La nuit (refrain) était d’une encre épaisse et noire ; elle avait de nouveau cinq ans et avait inondé son lit !
© Jafou
Re: 4 )Une aventure de Lolotte (l)
J'ai adoré.
9.5/10 car je les trouvé très emouvante
9.5/10 car je les trouvé très emouvante
Margaux1999- Date d'inscription : 01/06/2011
Age : 25
Localisation : Poudlard.
Re: 4 )Une aventure de Lolotte (l)
j'avais déjà lu ce texte quelque part et beaucoup aimé (surtout la fin). j'y reviens donc (merci margaux) avec quelques coms
et en bleu, je me demande s'il ne manque pas un "s" quelque part.
gêne (à ne pas confondre avec le gène du génome humain )Fabou avait dit, choisissant soigneusement ses mots avec une gène grandissante que si elle voulait en rester là, après tout, c’était de sa vie future, bien à elle, qu’il était question mais que vue la dureté des temps, la mauvaiseté des gens et les marmites à faire bouillir, elle aurait intérêt, au moins, à préparer quelques concours administratifs, genre poste, trésor public ou fonction territoriales diverses (pouah !) et autres gâteries du même genre.
et en bleu, je me demande s'il ne manque pas un "s" quelque part.
et là ci-dessus, je ne suis pas sûre que le point d'interrogation soit la bonne ponctuation.Lolotte, elle, était sidérée ; muette et sidérée ? Elle avait la vague impression d’entendre parler sa grand-mère ! (maternelle, dite : Bobone !)
là en bleu, je me demandais si "qu'en des temps héroïques" ne sonnerait pas mieuxQuelque chose en elle tentait de se souvenir que dans des temps héroïques, ses ancêtres avaient été poissons
froide? au froid?elle se sentait un peu froid, mais bien, tandis que continuait sa descente.
Re: 4 )Une aventure de Lolotte (l)
Bonjour. Gêne, fonction (s) <?< c'est bien évident, merci. le reste est voulu quoi que "Qu'en des temps héroïques" est peut-être plus léger..
Rédiger de façon manuscrite est un permanent conflit (voluptueux) entre l'esprit, la main, la plume et le papier (surtout pas de stylo bille). C'est très différend de la frappe directe au clavier et les fautes commises sont différentes. La relecture papier est bonne correctrice, celle à l'écran beaucoup moins, par effet de lassitude. Se relire toujours soi-même engendre du survol, car connaissant déjà on est moins attentif. Des fautes : oubli, inattention passagère, frappe, étourderie il y en aura toujours d'ou l'utilité d'un forum comme celui-ci. Il m'est arrivé de voir ma main si retardée par rapport à l'esprit que je finissait par écrire en phonétique ! Quand à l'orthographe hésitante des jeunes génération, un de mes beaux-frères,prof de fac (biologie) m'a avoué faire systématiquement donner des leçons d'orthographe et de grammaire à ses élèves doctorants en 3 è cycle. Les logiciels de correction ont de l'avenir devant eux !
Rédiger de façon manuscrite est un permanent conflit (voluptueux) entre l'esprit, la main, la plume et le papier (surtout pas de stylo bille). C'est très différend de la frappe directe au clavier et les fautes commises sont différentes. La relecture papier est bonne correctrice, celle à l'écran beaucoup moins, par effet de lassitude. Se relire toujours soi-même engendre du survol, car connaissant déjà on est moins attentif. Des fautes : oubli, inattention passagère, frappe, étourderie il y en aura toujours d'ou l'utilité d'un forum comme celui-ci. Il m'est arrivé de voir ma main si retardée par rapport à l'esprit que je finissait par écrire en phonétique ! Quand à l'orthographe hésitante des jeunes génération, un de mes beaux-frères,prof de fac (biologie) m'a avoué faire systématiquement donner des leçons d'orthographe et de grammaire à ses élèves doctorants en 3 è cycle. Les logiciels de correction ont de l'avenir devant eux !
Re: 4 )Une aventure de Lolotte (l)
moi, pas phonétique mais abrégé et surtout mal à la main qui court derrière l'espritIl m'est arrivé de voir ma main si retardée par rapport à l'esprit que je finissait par écrire en phonétique !
après le log de correction m'est indispensable pour par exemple, ne pas oublier les tirets à deux cent quatre vingt trois et un tas d'autres choses. mais si j'ai décidé d'en mettre un à "grand-mage" et ben tant pis si le correcteur me tape sur les doigts
(ps: mon fils en fac de langue fait très peu de fautes et j'utilise le stylo feutre pour ma part, ça glisse pas mal)
au plaisir
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Jeu 2 Mar - 21:58 par martin1
» mefiez vous des charlatants
Jeu 3 Oct - 16:28 par Jafou
» Une chanson de geste
Jeu 3 Oct - 16:22 par Jafou
» De retour après quelques années d'absence....
Lun 23 Sep - 21:25 par Le sombre minuit
» 5 et 6 juin...
Jeu 6 Juin - 8:09 par Jafou
» Les Imaginales
Lun 20 Mai - 20:05 par extialis
» Désinscription du forum
Dim 19 Mai - 7:29 par extialis
» Aimez-vous Bach (3è séquence)
Mar 14 Mai - 18:26 par Le sombre minuit
» L'ascension extraordinaire du Maudit
Lun 13 Mai - 19:02 par extialis