Un jour à Barcelone
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Daniel
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Un jour à Barcelone
Une petite nouvelle que je viens d'écrire pour un concours sur un forum non concurrent...
La seule exigence était "Un jour à..."
Un jour à Barcelone
Un jour à Barcelone. Un jour entier à attendre. Une longue journée jusqu’au moment où j’ai pu emprunter la passerelle du navire blanc et me faire tout petit dans le coin le plus sombre d’un pont extérieur. Le visage tourné vers le large. Comme passionné par les reflets des étoiles, sur la mer qui s’effaçait déjà dans l’obscurité.
J’ai réussi à les semer hier soir, à la nuit. Deux chiens de garde accrochés à mes talons depuis mon départ de Marseille. Deux molosses encravatés comme des politiciens. Chevalières et gourmettes. Discrets comme des citrons dans un jeu de billes.
Ils se tenaient debout dans le couloir du corail malodorant que j’avais pris à la gare Saint Charles. À quelques mètres de mon compartiment. Ils avaient suivi lorsque j’avais changé de train à Narbonne. Ils ne m’avaient pas quitté d’une semelle quand j’étais descendu à Perpignan.
Le buffet de la gare était désert et ils n’avaient pas osé entrer. Je les avais vus du coin de l’œil s’impatienter sur le trottoir pendant que j’avalais la meilleure bière de ma vie en engouffrant un jambon beurre de belle taille. Ils n’avaient pas pensé à mal quand je m’étais dirigé d’un pas nonchalant vers les vieux quartiers fleurant bon le poisson frit et le poivron grillé.
Les gitans m’avaient dévisagé et regardé passer. Petit homme sans intérêt dans un jean et un blouson usés. Les yeux fatigués par le travail. Ou l’alcool. Rien à en tirer. L’un d’eux avait même craché sur les pavés derrière mes talons.
C’est quand la bousculade a commencé, au bas de la rue, que j’ai pris mes jambes à mon cou. Aucune chance pour eux avec toute la quincaillerie qu’ils affichaient. J’étais libre.
J’ai marché en retrouvant mon souffle. Enlevé le blouson gris que j’ai glissé dans mon sac à dos. Je suis sorti de la ville comme un touriste. Un pick-up m’a embarqué dans sa caisse et posé à l’entrée de Cerbère. Heureux hasard.
Juste à attendre l’aube et prendre le premier train pour le sud. La frontière est à deux pas.
Barcelone m'a accueilli dans un demi-jour qui semblait planer sur les faubourgs et hésiter à s'installer. Puis l'express s’est enfoncé dans le ventre de la ville des lumières. Je me suis mêlé aux banlieusards pressés que vomissait le métro dans le labyrinthe de la gare souterraine. Aux visages encore tirés par la fatigue des matins gris du milieu de semaine.
En surface m’attendait une brume blême qui commençait à se déchirer tout en haut des tours de la Plaza de España pour laisser entrevoir quelques coins de bleu. Odeurs de charbon brûlé, de café et de churros tout chauds sortis de la friture.
Mes yeux ont glissé avec envie sur trois étudiantes qui riaient en dévorant une corbeille de croissants devant des tasses de chocolat fumant. Une table de bistrot posée à même le trottoir. Une pile de dossiers stockés sous l’une des chaises. J’aurais voulu prendre place avec elles. Me détendre enfin un instant. Je n’ai même pas réussi à leur sourire.
Un mouvement a attiré mon attention vers le carrefour, derrière moi, et mon cœur s’est emballé. Je me suis forcé à marcher sans changer d'allure pour tourner dans la première ruelle à angle droit. Personne ne m’a suivi. L’homme qui avait éveillé mes soupçons a continué sans jeter le moindre regard vers le passage sombre aux pavés luisants. Je suis revenu en arrière et lui ai emboîté le pas. Il a sorti un trousseau de clefs et a pénétré dans un immeuble cossu. Des plaques de médecins. J’ai soufflé.
Dans quelques minutes le ferry va se détacher du quai et s’éloigner des lumières de la ville. Les lamaneurs décrochent les aussières. Les hélices brassent l’eau du bassin et le navire hésite un instant. Je me force à respirer calmement. Impossible qu’ils aient retrouvé ma piste. Personne ne pouvait penser que Barcelone était ma destination. Que j’avais depuis plusieurs jours réservé un premier passage vers Palma. Puis un siège d’avion vers Frankfurt. Les deux molosses ne s’étaient pas montrés très malins. Je commence à me détendre. Le bateau blanc a accéléré dans la nuit. Le vent fait voler mes cheveux qui auraient bien besoin d’un shampoing. Demain matin à l’hôtel Réal, à Mallorca. Une douche. Un coiffeur peut-être. Je deviendrai un homme tout neuf. Barcelone s’enfuit au loin, lueur confuse éclairant par le dessous les nuages épars.
Ma main est machinalement descendue jusqu’à la poche de mon blouson. Un paquet de cigarettes froissé. La dernière que j’avais gardée pour fêter ce départ. La boîte d’allumettes qui l’accompagne est vide. Une en réserve dans mon sac à dos. Là, au fond de la petite poche latérale.
Mes doigts cherchent. Rencontrent un rectangle métallique. Un briquet doré. Je le reconnais. La femme brune jouait avec le même, au départ de Marseille, en face de moi dans le compartiment, hier matin. Belle brune aux yeux bleus. Elle m’avait fait rêver un instant. Mais je n’avais pas le cœur à fantasmer, avec les deux gorilles qui m’attendaient dans le couloir.
Adieu Barcelone. Je n’ai vu que son regard méprisant, son sourire et ses cheveux dans le vent. Le Beretta n’a pas fait plus de bruit qu’un bouchon qu’on ôte à une bonne bouteille. J’ai eu tout à coup du mal à respirer. Un grand calme m’a envahi. Je n’ai pas compris pourquoi elle a posé un genou devant moi, saisi mes chevilles et les a levées jusqu’à ce que je bascule à la rencontre des eaux sombres.
Tous droits réservés © Daniel Pagés, 2011
La seule exigence était "Un jour à..."
Un jour à Barcelone
Un jour à Barcelone. Un jour entier à attendre. Une longue journée jusqu’au moment où j’ai pu emprunter la passerelle du navire blanc et me faire tout petit dans le coin le plus sombre d’un pont extérieur. Le visage tourné vers le large. Comme passionné par les reflets des étoiles, sur la mer qui s’effaçait déjà dans l’obscurité.
J’ai réussi à les semer hier soir, à la nuit. Deux chiens de garde accrochés à mes talons depuis mon départ de Marseille. Deux molosses encravatés comme des politiciens. Chevalières et gourmettes. Discrets comme des citrons dans un jeu de billes.
Ils se tenaient debout dans le couloir du corail malodorant que j’avais pris à la gare Saint Charles. À quelques mètres de mon compartiment. Ils avaient suivi lorsque j’avais changé de train à Narbonne. Ils ne m’avaient pas quitté d’une semelle quand j’étais descendu à Perpignan.
Le buffet de la gare était désert et ils n’avaient pas osé entrer. Je les avais vus du coin de l’œil s’impatienter sur le trottoir pendant que j’avalais la meilleure bière de ma vie en engouffrant un jambon beurre de belle taille. Ils n’avaient pas pensé à mal quand je m’étais dirigé d’un pas nonchalant vers les vieux quartiers fleurant bon le poisson frit et le poivron grillé.
Les gitans m’avaient dévisagé et regardé passer. Petit homme sans intérêt dans un jean et un blouson usés. Les yeux fatigués par le travail. Ou l’alcool. Rien à en tirer. L’un d’eux avait même craché sur les pavés derrière mes talons.
C’est quand la bousculade a commencé, au bas de la rue, que j’ai pris mes jambes à mon cou. Aucune chance pour eux avec toute la quincaillerie qu’ils affichaient. J’étais libre.
J’ai marché en retrouvant mon souffle. Enlevé le blouson gris que j’ai glissé dans mon sac à dos. Je suis sorti de la ville comme un touriste. Un pick-up m’a embarqué dans sa caisse et posé à l’entrée de Cerbère. Heureux hasard.
Juste à attendre l’aube et prendre le premier train pour le sud. La frontière est à deux pas.
Barcelone m'a accueilli dans un demi-jour qui semblait planer sur les faubourgs et hésiter à s'installer. Puis l'express s’est enfoncé dans le ventre de la ville des lumières. Je me suis mêlé aux banlieusards pressés que vomissait le métro dans le labyrinthe de la gare souterraine. Aux visages encore tirés par la fatigue des matins gris du milieu de semaine.
En surface m’attendait une brume blême qui commençait à se déchirer tout en haut des tours de la Plaza de España pour laisser entrevoir quelques coins de bleu. Odeurs de charbon brûlé, de café et de churros tout chauds sortis de la friture.
Mes yeux ont glissé avec envie sur trois étudiantes qui riaient en dévorant une corbeille de croissants devant des tasses de chocolat fumant. Une table de bistrot posée à même le trottoir. Une pile de dossiers stockés sous l’une des chaises. J’aurais voulu prendre place avec elles. Me détendre enfin un instant. Je n’ai même pas réussi à leur sourire.
Un mouvement a attiré mon attention vers le carrefour, derrière moi, et mon cœur s’est emballé. Je me suis forcé à marcher sans changer d'allure pour tourner dans la première ruelle à angle droit. Personne ne m’a suivi. L’homme qui avait éveillé mes soupçons a continué sans jeter le moindre regard vers le passage sombre aux pavés luisants. Je suis revenu en arrière et lui ai emboîté le pas. Il a sorti un trousseau de clefs et a pénétré dans un immeuble cossu. Des plaques de médecins. J’ai soufflé.
Dans quelques minutes le ferry va se détacher du quai et s’éloigner des lumières de la ville. Les lamaneurs décrochent les aussières. Les hélices brassent l’eau du bassin et le navire hésite un instant. Je me force à respirer calmement. Impossible qu’ils aient retrouvé ma piste. Personne ne pouvait penser que Barcelone était ma destination. Que j’avais depuis plusieurs jours réservé un premier passage vers Palma. Puis un siège d’avion vers Frankfurt. Les deux molosses ne s’étaient pas montrés très malins. Je commence à me détendre. Le bateau blanc a accéléré dans la nuit. Le vent fait voler mes cheveux qui auraient bien besoin d’un shampoing. Demain matin à l’hôtel Réal, à Mallorca. Une douche. Un coiffeur peut-être. Je deviendrai un homme tout neuf. Barcelone s’enfuit au loin, lueur confuse éclairant par le dessous les nuages épars.
Ma main est machinalement descendue jusqu’à la poche de mon blouson. Un paquet de cigarettes froissé. La dernière que j’avais gardée pour fêter ce départ. La boîte d’allumettes qui l’accompagne est vide. Une en réserve dans mon sac à dos. Là, au fond de la petite poche latérale.
Mes doigts cherchent. Rencontrent un rectangle métallique. Un briquet doré. Je le reconnais. La femme brune jouait avec le même, au départ de Marseille, en face de moi dans le compartiment, hier matin. Belle brune aux yeux bleus. Elle m’avait fait rêver un instant. Mais je n’avais pas le cœur à fantasmer, avec les deux gorilles qui m’attendaient dans le couloir.
Adieu Barcelone. Je n’ai vu que son regard méprisant, son sourire et ses cheveux dans le vent. Le Beretta n’a pas fait plus de bruit qu’un bouchon qu’on ôte à une bonne bouteille. J’ai eu tout à coup du mal à respirer. Un grand calme m’a envahi. Je n’ai pas compris pourquoi elle a posé un genou devant moi, saisi mes chevilles et les a levées jusqu’à ce que je bascule à la rencontre des eaux sombres.
Tous droits réservés © Daniel Pagés, 2011
Re: Un jour à Barcelone
Par mon inconscience, ou alors par ma nostalgie, je suis tombé sur le titre de ta nouvelle et ais immédiatement entamé la lecture.
Un enchaînement fluide, malgré des arrêts brutaux dans la ponctuation qui je supposes sont là pour créer du suspense.
J'ai pas immédiatement compris la chute de ta nouvelle mais en faisant une petite recherche, c'est bon. Je dois avouer que la fin est surprenante.
Juste là "Le Beretta n’a pas fait plus de bruit qu’un bouchon qu’on ôte à une bonne bouteille." Pourquoi bonne, une mauvaise fait pas le même bruit ? (à moins qu'il y ait là une figure de style ?).
J'ai bien aimé ta nouvelle, merci pour nous avoir fait partagé ce moment de lecture.
Un enchaînement fluide, malgré des arrêts brutaux dans la ponctuation qui je supposes sont là pour créer du suspense.
J'ai pas immédiatement compris la chute de ta nouvelle mais en faisant une petite recherche, c'est bon. Je dois avouer que la fin est surprenante.
Juste là "Le Beretta n’a pas fait plus de bruit qu’un bouchon qu’on ôte à une bonne bouteille." Pourquoi bonne, une mauvaise fait pas le même bruit ? (à moins qu'il y ait là une figure de style ?).
J'ai bien aimé ta nouvelle, merci pour nous avoir fait partagé ce moment de lecture.
Re: Un jour à Barcelone
la femme brune a échangé les briquets et le sien renfermait un micro ou un pisteur. dommage pour ce fuyard malin et poète. j'ai bien aimé les descriptions, tu me fais toujours voyager là où je ne suis jamais allée.
Re: Un jour à Barcelone
Tom, pourquoi pas bonne ?
une bonne bouteille fait un plop plus joyeux qu'une cuvée côteaux de Rungis, non ?
et une bonne bouteille c'est du vrai vin... enfin bon, ça a un sens
Gagné Baboue ! pendant que les gorilles se faisaient voir l'autre glissait l'émetteur briquet dans son sac !!
une bonne bouteille fait un plop plus joyeux qu'une cuvée côteaux de Rungis, non ?
et une bonne bouteille c'est du vrai vin... enfin bon, ça a un sens
Gagné Baboue ! pendant que les gorilles se faisaient voir l'autre glissait l'émetteur briquet dans son sac !!
Re: Un jour à Barcelone
Pardon Maintenant je saurais qu'en enlevant les bouchons faudra que j'écoute le son qui est produit ^^.
Re: Un jour à Barcelone
t'as le temps pour apprendre à apprécier, tom.
super, daniel, j'ai tout compris (suis pas si c... que ça finalement )
super, daniel, j'ai tout compris (suis pas si c... que ça finalement )
Re: Un jour à Barcelone
Si tu n'avais pas tout compris, ce serait parce que j'ai pas assez bien écrit... Un auteur est sensé écrire de manière à ce que le lecteur comprenne relativement facilement...
Re: Un jour à Barcelone
C'est magistral Daniel ! Avec tes récits, la porte du voyage est toujours ouverte, un régal. Je trouve que ton écriture, ici, gagne en densité et en poésie, le plaisir de la lire n'en est que plus intense. Et puis, entre les lignes, que de questions se posent sur le sens de la vie...
Re: Un jour à Barcelone
Sympas j'ai bien aimé même si je n'avais pas tout compris par rapport à l'histoire du briquet. Sinon la fin reste surprenante en bien!!
leonlio- Date d'inscription : 11/07/2011
Age : 31
Re: Un jour à Barcelone
Excellent, bien écrit, un suspens bien tenu et dynamique. Mais serai-je du genre toujours insatisfait, j'aurais aimé un peu plus long juste pour savoir le pourquoi de cette chasse à l'homme.
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