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Message par Jafou Dim 9 Mar - 18:44

La BL

Au ras de l’herbe l’air faisait de caressantes glissades. Le ciel avait des frémissements avant-coureurs d’orage. Venues de la mer de grandes taches d’encre noire s’escrimaient à vouloir colorer et assombrir les nuages.
Crâne fortement déplumé sous une casquette de marin, yeux bleu-délavé, joues tannées hérissées de piquant mélangeant oublis du dernier rasage et nouvelles pousses, son nom n’étais pas Adonis.
Il avait les épaules étroites, voûtées, quelques plis de graisse au-dessus d’une large ceinture de toile à sangle, un pantalon sans âge ni couleur et une de ces vestes de travail noire, lustrée et inusable.
Sa main droite caressait, bien protégé dans sa poche, l’objet qu’il avait pris dans le jardin du vieil ami qu’il quittait, le laissant terminer une riche récolte à engranger en cave pour l’hiver.
Il n’aimait guère déambuler sur la chaussée médiocrement goudronnée et se tenait sur le bas-côté du chemin dans une herbe rétive et maculée de boue ; la dernière pluie n’avait pas une heure. Chaque fois qu’une pierre se présentait à lui, ce qui était fréquent, il tapait fort ses sabots de bois dessus pour les alléger de la gangue argileuse qui s’y accrochait  avec mauvaiseté ! Son pas restait vif ; il riait en pensant à tout le plaisir qu’allait lui procurer son larcin.
Le clocher de la « ville » se laissait apercevoir déchirant des nuages très bas. Beaucoup disaient : le Bourg ; pas lui ; sept cents habitants tout de même c’est plus qu’un bourg. Surtout quand, pendant l’été il vient, il passe des centaines de milliers de touristes... Et puis, un bourg cela n’a pas une église du XVème siècle à taille de cathédrale avec des vitraux d’époque et merveille des merveilles la première sculpture réalisée ici même en granit de Kersanton, la dalle funéraire et le gisant du saint patron du lieu, soutenus par les quatre évangélistes. Il s’agit bien sûr encore d’un de ces satanés saints bretons qui ne figurent dans aucun calendrier. Mais Baste, on s’en contente bien et il a donné son nom à la ville ainsi qu’à l’objet, là, dans sa poche.
Reconnaissez que c’est une bien belle ville, oui monsieur, et qu’on a plaisir et fierté à la regarder vivre, surtout dimanches, fêtes et vacances quand il y a foule à venir admirer. Le maire a fait tracer de vastes parkings aux deux extrémités de l'agglomération et aucune voiture, pas même une pétrolette n’a droit de pénétrer céans.
C’est une cité survivante de l’austérité médiévale, du temps des Ducs, toute bâtie en moellons carrés de granit gris, toits d'ardoises et portes de chêne cloutées. D’accord, c’est très sévère, pas tellement joyeux et les massifs de géraniums et de pétunias sur la grand-place ne sont pas de trop pour éviter des syndromes dépressifs chez les jeunes, comme disent les savants, le maire et les deux médecins. Le recteur, lui, ne dit rien ; juste la messe ! En outre, il ne faut pas croire ; tout ici étant antique, tout est classé. Pour enfoncer un gros clou dans un mur il faut demander l’autorisation de monsieur l’architecte des bâtiments de France. Ce qui prouve bien une fois pour toutes que ce n’est pas un bourg !
Il a franchi la porte de son antre. Quatre cents ans au moins qu’elle a cette porte en chêne massif équarri à la hache, cloutée à têtes carrées venues directement de la forge.
Il ne voit rien tant les deux fénestrons qui encadrent la porte filtrent peu de jour. D’autant plus que sur la place c’était grande lumière, de ces lumières insoutenables, électriques, qui précèdent les explosions orageuses conséquentes et que dans la venelle derrière l’église, qui abrite son logis, le soleil ne fait pas souvent visite. Lentement le regard s’habitue, se règle sur la lueur ambiante : le sol est dallé en ardoises, les murs chaulés. Il y a une cheminée respectable dont les pieds-droits et le linteau en bois sont noirs vernis par les dépôts de suie ; s’y accole un potager en faïence qui doit avoir allègrement franchi le cap des trois cents ans.
Dans le fond, on distingue un lit clos drapé de tissus rouge sombre avec son coffre, une armoire Louis Xlll bretonne sculptée de partout qui ferait le bonheur d’un antiquaire et au centre une table.
Attention ce n’est pas la table en faux Louis XV et marqueterie que l’on voit trop souvent. Non, celle-là c’est l’authentique, séculaire, paysanne et bretonne. Elle fait trois offices : Table, c’est la moindre des choses ; vaisselle : dans le plateau de vingt-cinq centimètres d’épaisseur on a taillé, creusé à intervalles réguliers quatorze excavations en forme d’écuelle ; bien poncées et polies à l’huile de bras ; outil culinaire : au centre un autre grand trou vaste et profond. Le brouet du repas, potée au lard, gruau de sarrasin, (avec cidre nouveau sorti du pressoir), saucisses-purée, poisson en sauce à l’oseille du jardin, patates au beurre et au lait, arrive directement, décroché de la crémaillère de la cheminée, dans la grande marmite en fonte aussitôt vidée dans l’orifice central. A la louche, on emplit les « écuelles » et bon appétit ! Repas terminé une marmitée d’eau bouillante est balancée par le travers de la table et essorée avec une toile ; la vaisselle est faite, la table nettoyée et tous les reliefs et déchets on été mangés par les chiens ! Simple, pratique, écologique.
Une porte au droit de la cheminée dessert une soupente, une souillarde ; chez les gens distingués on dit un cellier. C’est la même chose mais tout de suite cela prend un petit air noble. Il n’y a que chez les moines que le cellier est différend. Il a franchit la porte basse en se voûtant comme un gorille. Il va aller emprisonner sa nouvelle conquête au côté de ses trois sœurs qui attendent déjà dans l’obscurité absolue, d’apprendre ce qu’il va advenir d’elles. Elles sont là toutes trois se soutenant mutuellement, leurs têtes délicatement appuyées l’une aux autres. Il ne les présente pas, elles sauront bien faire connaissance seules.. Il l’a posée près des autres sur lesquelles elle a aussitôt pris appui puis a refermé le réduit.
Bien, il va se faire une bonne potée pour son souper. Dans le saloir il a prélevé un beau cube de lard, l’a abondamment lavé pour enlever l’excès de sel et l’a déposé dans la marmite profonde et pansue en fonte à trois pieds pointus il a ajouté une forte giclée de vieux vinaigre, le sien, fait maison, et il s’attaque à la pluche : cinq grosses carottes, de la nantaise, un chou pommé du Léon avec trois navets blancs oblongs, trois oignons rouges de son jardin, une poignée de salicorne fraiche et deux pleines mains de pourpier ; du poivre de l’eau juste pour couvrir : c’est prêt.
Le voila penché devant l’âtre, gueule noire prête à s’ouvrir sur les bouches de l’enfer. Il met le feu dans une poignée de varechs bien secs et jette aussitôt sur l’embrasement une grosse poignée d’ajoncs dont l’odeur emplit instantanément la pièce, quelques attèles de chêne têtard qui reilleront vite et avec un Han de bûcheron il soulève la marmite et l’accroche à la crémaillère qui pend au mur du foyer.
Il s’est assis sur le banc de la table et se dit qu’un bon coup de cidre, de SA bouteille, lui ferait tous les biens, c’est vrai, du pur jus de fruit ça peut pas être mauvais pour la santé. On dit bien que ça agace et pourrit les dents, mais comme il n’en a plus...  Mais où diable est son bol ? Ben pardine, dans l’évier en grès qui attend qu’une bonne volonté vienne faire un peu de ménage, de vaisselle. Mais, bon : c’est pas vraiment sale ; il n’y a que lui qui s’en sert, alors !. C’est vrai, tous ces gens qui portent cravate ou pour les dames des mini jupes qu’on leur voit le derrière dès qu’elles se penchent en avant (et que ça plait pas au recteur, ah non alors), il ont des machines à laver la vaisselle ou des aides ménagères (c’est pareil), et dès qu’ils ont mis un doigt dans un bol ou une assiette, il faut laver ! L’hygiène, ils appèlent ça ; c’est de la bêtise oui, et ça coûte !
Donc, il prend son bol. Qui oserait-dire qu’il est sale ? Il sent bien un peu l'oignon de la dernière soupe mais l’oignon, surtout cru, ça marie bien avec le cidre !
Dans la cheminée, le feu a perdu beaucoup de sa vigueur. C'est un signal qui annonce que tout est cuit à point. Un nouvel effort décroche la marmite. Le couvercle soulevé, les senteurs qui montent sont exaltantes. A table, et d'abord se tremper une bonne soupe.
Il tasse dans la soupière de grès de son arrière-grand-mère des tranches de pain bis, de ces pains dits de campagne que font encore certains boulangers amoureux de leur métier et qui vous pèsent dans les douze livre. Dans la marmite il puise quelques louches de bouillon avec des reliefs de légumes et trempe abondamment sa soupe. Patient il laisse s'imprégner...
La vielle horloge à avancé de dix minutes alors il prend la soupière, ouvre la porte de la rue et vide le liquide résiduel dans le caniveau en pressant la louche sur le pain. La soupe, c'est le pain imbibé, pas du bouillon d'eau pour convalescent !
L'odeur, forte, de la potée a envahi toute la pièce. Dans son assiette, également reprise dans l'évier comme chaque jour, le cube de lard cerné de sa couronne de légumes a changé d'aspect : la partie grasse est devenue transparente après avoir délayé sa graisse dans le bouillon et la chair qui se défait en longues fibres arbore un rose délicat qui vous taquine les papilles. Cela aussi marie bien le cidre !
Les ventres repus de bonnes choses, bien naturelles ne vous tourmentent pas le sommeil. Au petit matin suivant il se sent bien, vif, léger. Un café fort, une tartine de beurre fermier, une toilette furtive mais bien suffisante, au seau, à l'eau du puits, de son puits et la journée est repartie. La nuit a nettoyé le ciel, un joli soleil donne un air de gaité à l'austère place de granit. La fourche à trois dents sur l'épaule, il est parti bêcher dans son jardin. Il lui faut apprêter une jolie plate-bande pour y enfouir ses trésors chéris. A l'automne précédent il a déjà retourné la terre avec vigueur, y enfouissant des sacs de compost de goémon lentement transformé. Pas de chimie surtout. C'est bon pour les productions vendues aux bourgeois dans les supermarchés.
Déjà il a mis en terre des oignons et des échalotes, semé des carottes, navets, poireaux, pois, haricots et choux, du pourpier à foison mais pas d'ail ; c'est pour les gens du Sud qui aiment manger pointu !
Il a compté qu'il lui fallait tracer un sillon profond long d'une dizaine de mètres. En coupant ses chéries en deux, avec celle qu'il va encore dérober aujourd'hui, il aura dix poquets espacés de cinquante centimètres de quoi permettre au miracle de se développer dans l'aisance. Il en rit de plaisir.
Le temps a passé, le printemps enfante l'été. Il surveille son jardin avec l'acuité de l'avare aux aguets. Là, sur le beau feuillage vert foncé une vilaine bestiole en livrée rayée de maitre d'hôtel, s'apprête à pondre. Courroucé il remonte toute la ligne en inspectant chaque plante. Il récolte dix autres doryphores qui vont aller brûler dans un feu de broussailles. Chaque jour il va refaire la même quête ; surtout pas de chimie sur le somptueux feuillage sombre ; après cela circule dans la sève et tout est compromis !
Dans les temps qui suivent, il sarcle, il butte, il arrose aux pieds avec l'eau du puits et s'épanouit de bonheur à l'instar de ses plantes.
Plein été. Le jour de gloire est arrivé. Il s'en délecte par avance. Tant de patience, de soins, d'inquiétudes face aux orages imprévus, vont enfin recevoir leur récompense. Il enfonce une première fois sa fourche loin du pied, profond, et pèse en force sur le manche. Merveille, voila qu'apparaissent une multitude de gros tubercules jaunes, lisses, de forme oblongue et régulière. Quarante kilos pour cinq tubercules enfouis. La nature sait être prodigue !
Grâce à cette récolte, l'an prochain il aura tout un grand champs en production. Il devra même sans doute donner la pièce (petite) à quelques gamins pour la récolte quotidienne des coléoptères chrisomélidés , prédateurs, ravageurs des pommes de terre. C'est un coût justifié.
Dans deux ans il pourra commercialiser ses trésors, en semences certifiées. Il les vendra très cher, car à quantités et qualités rares il faut accepter des prix élevés.
Sauf parfois chez "Grand Frais", vous en avez vu souvent des étals de supérettes offrant au chaland la "Belle de Locronan" ?
Jafou
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Message par extialis Dim 16 Mar - 13:09

c'est quoi la belle de locronan?
beau texte, j'ai eu l'impression de voyager dans le temps et des fois, ça fais du bien (même si je ne suis pas bretonne)
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Message par Jafou Dim 16 Mar - 14:03

Salut Extialis. Ce n'est rien d'autre qu'une pomme de terre ! (parfaite pour les frittes !). La BL., Vous connaissez 3113956870  
Jafou
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Message par extialis Dim 16 Mar - 14:11

roooh, j'adore les frites un fois  Laughing  (merci pour l'info)
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