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Amertume (oui, encore)

3 participants

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Amertume (oui, encore) Empty Amertume (oui, encore)

Message par Demi-Tour Mar 30 Avr - 17:30

Salut à tous!

Bon alors oui, ce texte a déjà été posté sur ce forum, mais vu qu'il en était à sa troisième version, je préfère créer un nouveau sujet. Ce qui épargnera en plus aux "nouveaux" la corvée d'une lecture des versions précédentes, surtout que les modifications, d'une version à l'autre, sont vraiment mineures (style un mot remplacé par un autre ou une virgule supprimée).

Fidèle à moi-même, je l'ai laissé "mûrir" quelques temps au fond d'un tiroir, ou plutôt au fond de mon disque dur, avant de le retravailler il y a quelques jours afin d'avoir une lecture critique. Tel qu'il est, le texte me convient, sauf que je bute sur un point, ou plutôt une phrase.
Je vous laisse donc (re)découvrir ce texte. La question sur la phrase est après le texte, car je ne souhaite pas que vous le lisiez en pendant uniquement à cela, surtout que si ça se trouve, cette phrase est très bien telle qu'elle est What a Face

Bref, bonne lecture à tous! Et bien entendu, je reste ouvert à toutes les critiques, donc n'hésitez pas (au contraire).




**********

Amertume

A Roger, qui qu’il ait été…


Je cours, à bout de souffle, les poumons en feu.
Je cherche à me redresser pour mieux respirer. L'air me manque. Mes jambes sont deux pistons qui vont et viennent dans un rythme inconscient.
Deux minutes que le bip accroché à ma ceinture a sonné alors que je tondais le gazon; qu’une soudaine montée d'adrénaline a court-circuité mon cerveau pour m’obliger à me lancer dans un sprint effréné à travers le village;que le soleil de cette chaude journée de juillet m'écrase, embrase l'air qui me sèche la gorge et m’irrite les bronches; que la semelle de mes vieux mocassins claque sur le bitume brûlant. Pas vraiment l'idéal pour courir, mais pas le temps de me changer, d'essuyer les brins d’herbe collés à mes tibias par la sueur, de m'échauffer, de même me laver les mains. Plus tard, je verrai, mais pas maintenant.
J'ahane, j'étouffe.
Enfin, au détour d'une rue, la caserne. Je m'y engouffre à toute vitesse pour attraper le micro et répondre à l'appel. Au dehors, j'entends un moteur de voiture ronfler, le couinement caractéristique de freins de vélo qu'on torture soudain, des pas précipités, et les collègues traversent le couloir en courant alors que je note le message sur la feuille d'intervention.
Une personne a fait un malaise et est tombée du haut d'un arbre. Coup classique en cette période de récolte des fruits. Dragon, l'hélicoptère de la Sécurité Civile, est au départ.
Je fonce au vestiaire pour prendre mon uniforme. Pas une seconde à perdre, je l’enfilerai en route. Le VSAB est déjà prêt. Nous ne sommes que trois cet après-midi, alors inutile d’attendre.
Je m'équipe tant bien que mal. Sur les routes tortueuses de la région, garder l'équilibre pour s’habiller dans un véhicule qui roule le plus vite possible est une pure utopie. J'ai à peine le temps de finir que le VSAB s'arrête en faisant crisser les gravillons du bas-côté de la route. Mon matériel de secours sur le dos, j'enfonce pour ainsi dire la double-porte arrière.
La victime est juste de l'autre côté du fossé, allongée comme si elle faisait la sieste à l'ombre d’un arbre. Du sang carmin marbre son visage et ses bras nus. Les quelques cueilleurs présents s'écartent.
Je m'agenouille à ses côtés. C'est un homme. Il a le physique trapu et le visage résigné des personnes habituées à courber l'échine sous le poids de la vie. Entre sa barbe naissante, ses profondes rides encrassées et sa peau burinée par le soleil, le vent et certainement la pluie, je n'arrive pas à déterminer son âge. Cinquante-cinq, soixante ans? Peut-être plus, mais une partie de moi espère que ce n'est pas le contraire. Ses vêtements sont des haillons. Il les a mis pour travailler et pourtant, sans que je puisse l’expliquer, je devine qu'ils sont portés bien plus souvent. Sans doute est-ce à cause de l'usure, ou bien de certaines tâches si vieilles qu'elles se fondent dans la couleur du tissu. C'est dingue ce que le cerveau peut remarquer dans un moment comme celui-ci. C'est peut-être une soupape, après tout, qui lâche un jet de vapeur pour me permettre de réagir de manière plus sereine.
J'ai soudain envie de rire. Je me suis fait avoir, mais la ressemblance était trop forte. L'homme cueillait des cerises, et le sang sur son visage et ses bras n'est autre que du jus mélangé à la pulpe des fruits écrasés. Aucune plaie n’est visible. Alors que je lui prends la main pour le stimuler, il ouvre les yeux et me fixe, puis son regard parcourt les environs avant de revenir se visser dans le mien.
« Vous m'entendez? » dis-je par pur réflexe.
Il acquiesce avec peine.
« J'ai fait un malaise, répond-il d'un ton serein comme s'il annonçait qu'il revient de la pêche. Mais ça va aller, j'ai l'habitude. J'en fais
souvent. »


Je lui explique qu'il ne doit pas s’agir d'un simple malaise et qu'il a fait une chute de près de trois mètres de haut. Je lui pose des questions pour juger de son état, et à ses réponses se mêle la discussion entre mon chef et le propriétaire du verger. Quelques mots attirent mon attention malgré moi. «Sdf», «saisonnier», «déclaré donc pas de souci».
Il s'appelle Roger. C'est un habitué, il vient cueillir les fruits l’été, se déplaçant de fermes en fermes à la recherche de travail. Chaque détail entre en résonnance avec les remarques que je me suis fait à propos de l’état de ses vêtements et de son visage trop abimé pour son âge.
Il grimace alors que la minerve lui enserre le cou, puis quand la planche glisse sous lui pour le maintenir bien droit. Le masque à oxygène l’incommode. Il le repousse sur son front.
« Je vais bien, fait-il, toujours aussi calme. Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas la peine de faire tout ça p... »
Il cherche ses mots. Bien que gêné par la minerve, il essaye de tourner la tête pour regarder autour de lui. Il aperçoit une demi-douzaine de pompiers d'une autre caserne venus en renfort s'affairer dans un champ un peu plus loin.
«...our moi » finit-il par dire.
Je ne comprends pas vraiment ce que cela signifie. Ou plutôt, je ne saisis pas le sens profond de ses paroles car je ne réalise pas encore. Agenouillé auprès de cet homme dans ce verger, je ne m’attends pas à prendre une telle leçon de vie, alors que quelques minutes auparavant, je passais la tondeuse en pensant à une bière bien fraîche.
« Ne dites pas ça, vous allez faire un tour en hélicoptère en plus.
- Comment ça?
- Eh bien, vous allez être évacué par hélicoptère. »
Je lis ce que je prends pour de l’étonnement dans son regard, mais je me trompe.
« Vous ne l'entendez pas? »
Je lève la tête en direction du ciel. Roger suit mon regard, scrute les nuages, et au changement d’expression de son visage, je devine qu'il distingue maintenant le battement des pales et le bruit du moteur qui approchent.
« Vous êtes sérieux? »
Il n'y a aucune joie dans ses paroles; aucune crainte non plus. Juste une terrible incrédulité. Et comme pour lui répondre, l'hélicoptère passe en rase-motte au-dessus de nous dans le vacarme assourdissant de ses turbines. L'air se fait soudain plus épais, tourbillonne, les branches s'agitent tels des bras affolés. Je regarde l'appareil décrire un grand arc de cercle au-dessus des vergers, puis se poser dans une pâture toute proche où les autres pompiers ont préparé une zone d’atterrissage. Le jaune et le rouge criard de son fuselage
détonnent avec le vert profond de la végétation.
Je me tourne à nouveau vers Roger. J'ouvre la bouche pour plaisanter mais les mots meurent sur mes lèvres. Il vient d'attraper ma main et serre le bout de mes doigts en tremblant, à la manière d'un époux qui étreint celle de sa femme sur son lit de mort. Sa prise se fait un peu plus forte pour ne pas glisser sur le latex de mes gants. Ses yeux plantés dans les miens deviennent brillants et de grosses larmes en débordent avant de rouler sur ses joues. Je n'arrive pas à me détacher de ce regard. Il me cloue sur place et, sans que je
le veuille, je m'y abandonne, plongée vertigineuse vers les tréfonds de l’âme d'un homme qui ne croit plus en être un et qui a oublié la valeur de sa vie. C'est atroce, insupportable. Inhumain.
Alors que je m'enfonce, les pièces du puzzle s'assemblent, implacables, terribles dans leur réalité et leur simplicité. Elles ne font qu'accroître la vitesse à laquelle je tombe.
Je dois réagir, me trouver un parachute pour mettre fin à cette descente infernale. Ma gorge s'est nouée, les yeux me piquent et je commence à me mordiller les lèvres. Ne pas pleurer, non…
C'est l'arrivée de l'équipe médicale qui m’arrache à ma torpeur. Je m'écarte. Mon travail s'arrête ici, les deux urgentistes vont prendre le relais. J'adresse un sourire à Roger avant de m'éloigner de quelques pas, une boule au fond de la gorge.
Collés à ma peau par la sueur, mes gants claquent comme des élastiques quand je les enlève. Je marche un peu pour récupérer. La tension retombe. Je réalise que je suis encore essoufflé de ma course de tout à l'heure. Les poumons me brûlent à nouveau et le sang me martèle les tempes, mes jambes sont douloureuses. C'est comme si mon cerveau s'était déconnecté pendant quelques minutes et décidait de se remettre en marche.
Un gars de l'autre caserne vient me parler et je lui réponds la première chose qui me passe par l'esprit. Me propose une cigarette que je refuse. M'explique qu'il s’amusait dans sa piscine avec ses gosses quand son bip a sonné, qu'il est en maillot de bain sous sa tenue, que ça commence à le démanger et que ce soir sa femme va devoir lui mettre de la crème apaisante. Je finis par sourire, car c'est ainsi. Je me laisse aller à la conversation et je réalise trop tard que des collègues brancardent Roger pour l'évacuer. Je voudrais lui faire un petit au-revoir, mais à quoi bon?
Je regarde le petit groupe s'éloigner en direction de l'hélicoptère. La douleur revient me nouer la gorge. Fait chier. Je vais ramasser le matériel pour penser à autre chose.

De retour chez moi, je finis de tondre le gazon, et comme ça ne va pas, je pars faire un tour à moto. Je roule sans but. Je roule longtemps. Je roule vite, visière ouverte, la mâchoire crispée et les yeux embués de larmes, avec en moi une indéfinissable colère qui me fait grogner en serrant les dents.
J’accélère un peu plus, sans doute avec l’espoir que le vent qui me taillade les pommettes et les yeux peut me laver, m’user la peau jusqu’aux os, m’arracher de la tête ce malaise qui me mine. Je maltraite la machine. C’est un véritable combat. Agressivité humaine contre brutalité mécanique. Le moteur enrage, la moto cherche à se rebeller, les repose-pieds raclent le bitume dans de longues gerbes d’étincelles à chaque virage un peu serré mais, bien entendu, cela ne change rien.

Voilà, c'était il y a cinq jours.
Roger est mort quarante-huit heures après son entrée à l'hôpital.
C'est la vie.
Hier, lors d’une balade à Lyon, j'ai aperçu un sdf. Il était assis sur un carton crasseux à l'ombre d'un monument, un chien sans race roulé en boule à ses pieds. Il avait mis sur le trottoir une boite rouillée contre laquelle reposait un écriteau en bois.
« Pour mangé. Merci ».
J'ai passé mon chemin. J'ai depuis une étrange amertume au fond de la gorge.


**********

Bon, allez, maintenant la question : rien ne vous gêne dans la toute dernière phrase...?




Demi-Tour

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Message par Gallingham Jeu 2 Mai - 7:30

Bon, j'ai tout lu et je n'ai pas grand chose à dire.
Style, histoire, personnage... tout ça fonctionne plutôt bien.

La dernière phrase ne me chose pas spécialement.
Mais si tu n'en es pas satisfait, tu as sans doute tes raisons.
Essaie peut-être de la reformuler: "Depuis, une étrange amertume me brûle le fond de la gorge"? Bon, le verbe brûler est un peu fort peut-être, mais je n'ai pas pris le temps de trop me creuser la tête.
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Message par Demi-Tour Jeu 2 Mai - 7:37

Tu mets justement le doigt sur ce qui me chagrine : la place de "depuis" dans la phrase. J'ai l'impression qu'on lit : "depuis que j'ai une amertume au fond de la gorge, j'ai xxx."

En fait, jusqu'à ma dernière relecture, cette phrase ne m'a jamais gêné. Mais voilà, j'ai relu Razz. Du coup, trop perfectionniste? A chercher la petite bête, j'en invente?
Grandes questions... What a Face

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Message par Gallingham Jeu 2 Mai - 11:50

Ca doit être le coup de la Fédération Littéraire des Virgules en Colère...

Essaie:
"J'ai, depuis, une étrange amertume au fond de la gorge."
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Message par extialis Sam 4 Mai - 9:48

il y a deux fois "j'ai", c'est la seule chose qui me choque, perso

J'ai passé mon chemin. J'ai depuis une étrange amertume au fond de la gorge.
idée : j'ai passé mon chemin, mais depuis, une étrange amertume s'est installée au fond de ma gorge
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Message par Demi-Tour Sam 4 Mai - 18:32

Ben en fait j'en suis à :
"J'ai passé mon chemin. Depuis, j'ai une étrange amertume au fond de la gorge."
ET je continue à m'interroger lol!

J'aime bien cette coupure entre les 2 parties (c'est mon style, parait-il, ces phrases courtes au milieu des longues).

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Message par extialis Sam 4 Mai - 18:48

alors : "j'ai passé mon chemin. depuis, une étrange amertume s'est installée au fond de ma gorge"
re Amertume (oui, encore) 1618113353
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Message par Demi-Tour Sam 4 Mai - 19:01

Amertume (oui, encore) 1618113353...?

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Message par extialis Sam 4 Mai - 20:48

ben quoi? y a un point entre les deux phrases, jeune homme Twisted Evil
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Message par Demi-Tour Dim 5 Mai - 8:56

Je te demandais pourquoi tu as mis : "re Amertume (oui, encore) 1618113353"

What a Face

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Message par extialis Dim 5 Mai - 9:09

ah pardon Embarassed
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Message par Demi-Tour Dim 5 Mai - 11:06

Et j'ai toujours pas la réponse lol!

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Message par extialis Dim 5 Mai - 12:12

ben je te dis, moi, c'est les deux "j'ai" qui me heurtent. maintenant, c'est sûrement parce que je focalise sur la phrase Laughing (pardon : les phrases)
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Message par Gallingham Dim 5 Mai - 18:20

Smile
Je crois qu'elle a besoin de repos, Extialis.
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Message par extialis Dim 5 Mai - 18:40

ouais, dodo, lol
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Message par Demi-Tour Mar 21 Mai - 7:40

Bon, après une maturation de 15 jours, je suis revenu au texte. Et j'ai finalement retenu...





















































Depuis, j'ai une étrange amertume au fond de la gorge. Razz

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Message par Gallingham Mar 21 Mai - 8:09

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Message par extialis Mar 21 Mai - 9:44

Laughing condoléances
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