encore une petite pour la route !
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encore une petite pour la route !
Ma dernière "Regard sur l'Avenir" a fait dire "Pfuit" à Extialis. Ça peut exprimer beaucoup de choses. Un essoufflement consterné, peut-être.
alors en voila une autre plus joyeuse (hum).
El Milagro
Le ciel était d’un bleu crispant ; odieux. Il ne pouvait pas faire un temps plus radieux. Je m’étais précipitée vers la terrasse, l’ultime baiser échangé et je demeurais là étreignant la main courante de la balustrade, cherchant à les deviner au sein de la cohorte montant vers le super-constellation de la TWA dont déjà les hélices tournaient.
Des avions, il y en avait plein le ciel d’Orly qui s’envolaient, qui se posaient, mais seul celui tout près, là, sur le tarmac, m’intéressait.
Les gens de maintenance ont débloqué les roues durant que se fermait la porte puis ils ont fait rouler l’échelle de coupée et le grand oiseau, si beau, s’est ébranlé et a entreprit de cheminer vers le seuil de piste.
Je me sentais presque en dyspnée quand a éclaté le vacarme des moteurs soudain lancés à pleine puissance. Il a roulé de plus en plus vite sur la piste puis d’un bond vigoureux s’est enlevé, le nez tendu vers le ciel et à replié sous lui toutes ces roues devenues inutiles.
Voila, ma fille Julia (il va me falloir penser à prononcer « Rulia »), est partie. Comme c’est simple, comme c’est bête ; et je me sens castrée !
Avec elle, mon gendre J(R)ulio et ma petite fille J(R)ulietta volent aussi. Cette famille est emplie d’originalité !
Et, comme Monsieur l’ex ministre, mon mari tout aussi « ex » est parti depuis bien longtemps courir une gueuse mieux maquillée que moi, je me trouve soudain seule, d’une écrasante solitude. Mais quelle idée d’aller épouser un Vénézuelien !
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Me voila revenue chez moi, un trois pièces standing avenue Montaigne. Loyer très élevé, mais je m’en moque, grâce à la prévoyance de mon père qui avait des éclairs d’intelligence entre deux beuveries, je suis propriétaire. Pas de jalousie, je vous prie, ce fut une découverte post-mortem, je n’ai rien fait pour cela, ni d’ailleurs pour être cocue et délaissée très jeune. D’autres, même plus laides que moi se seraient recasées... « Jeune femme mince, cultivée, plutôt jolie, possédant appartement et avoirs cherche homme sérieux, propre sur lui, même profil pour entrer en relation amicale et plus si affinités »! Pouah, j’ai donné ; aucun homme, jamais, n’entrera plus dans ma vie, dans mon lit, fut-ce pour une heure. En plus, je trouve, j’ai trouvé que « le petit plaisir » c’était vraiment très petit. Il y en a qui disent que non ; j’ai du tirer un mauvais ticket.
Mais j’ai Julia ; j’avais. La merveille des merveilles ; c’est Mon opinion et je ne saurais en accepter d’autres. Elle est belle, jeune (24 ans), intelligente, avocate et hélas licenciée d’espagnol, musicienne, mariée (c’est moins bien), maman d’un bébé de six mois qui lui ressemble, qui nous ressemble...
Tout de même l’Amérique du Sud me reste un peu en travers de la gorge et ne passera sûrement pas avec une seule tasse de thé. D’ailleurs, ne devrais-je pas me mettre dès à présent au maté en le buvant dans une calebasse avec une bombilla, pour la couleur locale !
D’accord, Julio est beau, typé noble hidalgo viril, instruit, sérieux et danse la salsa « como un verdadero hombre de la menor »
. C’est un planteur avec une belle hacienda et des kilomètres carrés de terres cultivées dans le bassin de l’Orénoque. Contrairement à nombre de ses pairs, il approuve totalement la réforme agraire profonde menée par son pays et s’efforce de pousser la productivité (beaucoup de tournesol) et d’en faire profiter son personnel d’exploitation. Il parait même qu’il voterait pour Chavez ! Un traitre, un renégat !
N'empêche que s’il n’était pas venu parachever des études en France, on n’en serait pas là. Mais enfin, c’est vrai, pourquoi il n’est pas allé en Espagne.
Car enfin, si elle était vraiment attirée par les oléagineux, il y a en France, un peu partout, quantité de cultivateurs de tournesol, biens de leur personne ! Même en Picardie ; ce qui n’est pas si loin de Paris.
Bon, ce qui est fait est fait. Peut-être bien qu’un de ces jours, je vais me découvrir comme une envie de visiter l’Amérique Latine ; allez savoir ! Espera que yo, querida, yo puedo.
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Le thé m’endors ; à moins que ce ne soit la télévision que j’avais machinalement allumée, mon ultime et indiscrète compagne ; il y en a que les deux excitent ! (Je devrais peut-être me trouver un chat, un beau tigré de gouttières pedigree toitures parisiennes). Une odeur de chat (puissante) dans mon appartement : réfléchir !
Une musique brutale m’a tirée de ma somnolence ; je m’ébroue : c’est un flash infos télé qui interrompt la série policière en cours de diffusion : ... « Nous venons d’être informés qu’une catastrophe aérienne viendrait de se produire au-dessus de l’Atlantique Nord. Un long courrier de la TWA, vol xxx à destination de New-York aurait brusquement connu de graves difficultés mécaniques aux deux tiers de son parcours. Les communications radio avec le commandant de bord qui avait lancé un SOS ont été brutalement coupées et on suppose que l’appareil s’est abimé en mer. Nous reviendrons à l’antenne dès que nous aurons de nouveaux détails »...
Exsangue, j’ai jailli de mon fauteuil comme un diable de boite de farces et attrapes. Non, pitié !
Vous avez-dit, j’ai bien entendu : New York ; pas Caracas. Merci Dieu que j’ignore ; merci quand même. Mon souffle revient, le sang aussi. Voila maintenant le téléphone qui sonne. Qui peut bien m’appeler ? J’ai le combiné à l’oreille... Madame Latifunda, mes hommages et mes respects, Madame, je suis Hubert de Basligne, chargé de communications au ministère des transports. Ce style ampoulé, mes enfants ; jamais ils n’oublieront que je suis une épouse de ministre, divorce ou pas et qu’on doit s’adresser à moi avec déférence ; indifférence mais déférence. Madame peut-être avez-vous eu connaissance d’une information télévisée relative à un possible accident aérien survenu sur un vol de la Cie TWA. Il apparaitrait, sous toutes réserves de vérifications en cours que vous aviez de la famille à bord. (Dieu, voila mon sang qui reflue à nouveau ; may day, may day, help, save our souls, ... _ _ _ ... !) Mais non, monsieur, j’ai bien ma fille et sa famille sur un vol TWA mais pas pour New-York, pour Caracas... - J’entends bien, Madame, j’entends bien, mais il s’agit du même avion destination New-York, Miami, Caracas , je suis sincèrement désolé. Plus d’un tiers des passagers se trouve être de nationalité française et notre ministère met dès à présent en place une cellule de crise. Si je puis me permettre, je vous envoie une voiture du ministère et Monsieur le Ministre se fera un devoir de vous accueillir personnellement dès votre arrivée. Pouvez-vous me confirmer votre adresse précise. Merci infiniment ; Madame.
Ma fille peut mourir, je reste à part ; femme de ministre, à vie !
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Me voici dans un salon du ministère. Le ministre (mais comment diable s’appelle-t-il celui-là) est plein d’attention bienveillante pour moi, tout en ronds de jambe et en formule du plus délicat français grand siècle. Et nous ne sommes qu’aux Transports ; qu’est-ce que cela doit être au Quai ! il tente de me rassurer :- Nous n’avons ma chère amie (chère amie mon c... Oui) aucune précision quant à la gravité de ce regrettable accident. Le pilote a déclaré que l’appareil privé de deux moteurs, une explosion semble-t-il, et d’un morceau d’aile, perdait rapidement de l’altitude, qu’il allait tenter de le stabiliser dans les couches basses épaisses de l’atmosphère et a pu donner une position très précise avant l’interruption des communications. La Navy a aussitôt dépêché vers le point relevé une frégate rapide, deux hydravions des gardes-côtes et deux hélicoptères de l’air rescue. Tous les navires à proximité ont été déroutés sur zone. Les avions devraient y être d’un moment à l’autre. Il nous faut attendre et espérer. Onctueux, qu’il est. Tartuffe ; ta fille, ta petite fille, ton gendre même Vénézuélien ne sont pas à bord.
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Je ne sais trop dans quel hôtel historique est installé le ministère des transports, mais on peut penser que cet homme et son staff vivent bien et dirais-je luxueusement. Le décor est très dix-huitième siècle : trumeaux, parquets Versailles, plafonds à caissons peints de délicieuses scènes champêtres avec nymphes habillement peu voilées, des ors assombris, des tableaux de maîtres et les habituels meubles et sièges « d’époque » dont il semble que le Mobilier National ait un stock inépuisable. Combien diable d’hôtels et de châteaux la révolution a-t-elle vidés pour constituer ce stock ?
Devant de hautes fenêtres on a installé de façon totalement anachronique des tables en aluminium et des batteries de téléphones et d’écrans et d'impeccables secrétaires casquées de micro-téléphones semblent s’affairer dans une transe hystérique. Une grande télé murale est muette et éteinte. Plus loin un attaché au visage plein de compréhension émue, derrière un bureau marqué « Informations, Réception du public » surchargé de listes, de dossiers et d’une longue corbeille où viennent sans cesse s’empiler de nouvelles notes, échange des propos avec un homme austère qu’il appèle docteur ; un psy sans doute pour les familles affolées qui vont finir par se pointer.
Et puis il y a moi, moi toute seule avec un pauvre visage de mère courage dont la bouche tremble. Un filet de mauvaise sueur me coule lentement le long de la colonne vertébrale et je serre les fesses pour mieux contrôler mes sphincters tellement j’ai peur. Comme un bateau en papier sur une mer démontée je navigue au près dans un immense canapé Louis XV tapissé gobelins qui vue sa taille a du demander plusieurs années de travail au lissier.
Trois personnes, nez dans leur mouchoir, viennent d’entrer dans le salon, timides et impressionnées par le décor. Un huissier à chaîne bien français, prestance et bedon noble leur a apporté des chaises (en plastique !). Monsieur bons offices leur sourit tristement ce qui demande un long apprentissage et compulse des listes (qui datent d’on ne sait quand, celle d’aujourd’hui sont vides, pour l’instant. Faux, l’une est pleine, c’est celle des quatre-vingt passagers fournie par TWA.
De temps en temps, mon ministre très affairé passe en coup de vent, me fait un sourire contraint en secouant négativement la tête.
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Ahurissant, je suis morte de trouille, sans illusions, désespérée au plus profond de moi... Et je me suis endormie i On dit que la douleur morale au paroxysme peut avoir de ces effets-là ; bonhomme cerveau s’évade, se réfugie dans un monde hors d’atteinte.
C’est le son d’une voix claire qui m’a fait sursauter. L’écran mural est allumé et il y a au moins trente personnes qui semblent hypnotisée par lui.
A l’image on voit une jolie blonde en ciré jaune d’or et coiffure en chignon, appuyée à ce qui ressemble à un bastingage ce que confirme un vitrage de dunette en arrière plan, tout gris, et la vaste mer moutonnant tout autour.
La voix porte : ... / ... Ici Mae West, (il faut le faire), Associated Press qui vous parle depuis la passerelle de la frégate « Arizona » de l’US Navy, dépêchée dés l’annonce du drame vers le lieu probable où le super-constellation de la TWA a amerri. (Parce que quand on se crash on amerri) ! - Le commandant à donné l’ordre de tirer des machines toute la puissance possible et c’est à près de quarante nœuds que nous glissons sur l’Océan. Nous devrions être sur site dans environ trois heures. Nous le savons, c’est très long et désespérant pour tous ceux qui s’angoissent. Nous tenons à leur dire notre fraternel soutien. Cependant, une colonne de deux hydravions et trois hélicoptères dont celui de notre frégate nous précède et devrait avoir un visuel d’ici très peu de temps. Nous allons très régulièrement vous tenir au courant de l’évolution de cette dramatique situation. Ici Mae West pour Associated Press. Et l’écran s’est éteint...
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Je me sens épuisée, sans forces ; personne ne me verra pleurer, je n’en suis plus capable ; les ressorts sont brisés.
Mais j’ai du m’endormir encore car maintenant le salon est empli de gens et tous les lustres allumés. Près du standard il y a un groupe caractéristique d’hommes en costumes cravate sombre, des officiels qui entourent le ministre. Ils ont tous des liasses de papiers à la main qu’ils consultent et se montrent sans cesse et leur conversation est animée.
Une seconde le ministre m’a regardée puis m’a fait un sourire ; mais un bon sourire... Un Bon sourire ? Pour la seconde fois de la journée j’ai joué les ressorts ; mais, mais...
Il vient vers moi. Oh ce vertige qui me prend ; dieux et déesses des mers, prenez pitié !
Il prend ma main, me fait un clin d’œil : - Ils sont vivants...
L’écran se rallume et l’autre recommence à laïusser puis la caméra la quitte, prend de la hauteur et nous montre la mer avec posé dessus un gros avion entouré de canots pleins de gens et trois navires et les hydravions posés tout près..
Mais je n’y suis pas, je ne le voit pas. L’affreuse, l’abominable nouvelle m’avait laissée inondée tout à la fois par une peur morbide et une colère froide, meurtrière, galvanisée pour faire face à cette monstruosité. J’étais Némésis toutes voiles déployées pour faire payer à tous dans un réflexe de rage vengeresse le prix des décombres sous lesquels on m’ensevelissait.
A l’opposé, je n’ai pas supporté l’annonce du miracle !
Sitôt assimilés les mots du ministre, un rictus qui n’était pas encore sourire m’a sculpté le visage ; j’ai levé un bras, sans doute triomphal et... Suis entrée en catalepsie. J’y suis toujours !
Tout d’abord dans la foule présente et horriblement bruyante tout est passé inaperçu puis on s’est étonné face à cette statue d’affreuse gorgone, puis inquiété, alarmé. On a tenté de me parler, de faire bouger mon bras. Essayez de faire plier un membre tétanisé tendu par une force inconnue et extrême qui émet des craquements de rupture... Me faire marcher ? Impossible ; même mon regard était immobile et fixe.
C’est sur un brancard, bras tendu vers le ciel comme un blasphème et dans une ambulance que j’ai quitté les salons du ministère.
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Je suis maintenant allongée dans un lit d’hôpital avec une perfusion branchée au poignet (c’est une manie chez ses gens là dés qu’ils réceptionnent quelqu'un). Mon état demeure inchangé mais étrangement, je vois et entends tout ce qui se fait et dit autour de moi. Bon, c’est relatif puisque je ne peut bouger ni la tête ni les yeux ; mais suffisant.Il y a un homme qu’on nomme professeur, blouse blanche, visage responsable et préoccupé, plus de cinquante ans, distingué. Trois fois il a prononcé l’expression : accès soudain de schizophrénie due à un brutal traumatisme cérébral. Schizophrène toi-même !
Résumons de manière lapidaire : L’avion de ma fille tombe à l’eau ; elle se noie. Non elle est rescapée, son homme, son bébé aussi ; je meurs !
Ils ont tous quitté ma chambre. J’ai l’air d’une vraie gourde avec mon bras rigidement pointé vers le plafond. On m’a branchée sur toute une batterie d’appareils qui clignotent et émettent des bip pour prouver que je suis toujours vivante. Une aide soignante dans un fauteuil compulse sans conviction une sorte de polar tout en veillant ma précieuse personne.
J’entend mon cœur battre, le moniteur aussi. C’est d’un régulier consternant. Mais signifie que mon cerveau est irrigué. Je n’ai aucune raison de mourir et les miens sont vivants. Est-ce que je ne sentirais pas en moi comme un début d’euphorie ?
Aïe ; dieu que ça fait mal. Je dois décongeler ! Mon bras s’est abattu d’un coup... Sur la barre protectrice latérale du lit ! Il est cassé, sûr. La chienlit. Ma chambre est à nouveau envahie. Le professeur (il n’a vraiment rien d’autre à faire, celui-là) essaie de me faire bouger le reste du corps, les yeux, avec une mine gourmande. Tintin, rien ne fonctionne. Il a un geste de dépit et clame à la ronde qu’il faudrait tout de même s’occuper de ce p... de bras ! Tout à fait entre-nous, cela me parait un minimum. J’ai fini par comprendre qu’on m’avait amenée au Val de Grâce. Évidemment, l'épouse, ex, d’un ancien ministre (rien à faire pour eux, c’est à vie !). Donc le « Professeur » doit être l’un de ces généraux qui retapent des bidasses aguerris plutôt que les femmes fragiles. Fragiles ? Je t’en dirais bien un mot. De l’époque où je descendait les pistes noires tout schuss !
Ah, on vient de décider de faire une radiographie de mon bras ; logique. Mais ils veulent me véhiculer jusqu’au service idoine ; absurde. Enfin ils n’ont pas d’appareils portatifs ? Tous les services d’urgence en ont. Ah oui, mais je ne suis pas aux urgences ! Allez, comptez-vous trois et en avant petit cheval. Couloirs, ascenseurs, ça pue l'antiseptique et autre chose de désagréable. Sans doute un produit de nettoyage dix fois plus puissant que tous ceux de la télévision. Nous y voila. Dix attendent déjà brandissant attèles et plâtres, pansements et gueules un peu cassées ; on me gare dans un coin : attention, manipuler doucement.
Il y a une jolie fracture ; saloperie d’ostéoporose ! Mais en plus j’ai une superbe et profonde coupure, moi je dirais entaille, au-dessus de l’arcade sourcilière droite. Se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas faire ma radio dans ma limousine, donc trois infirmières plus tard, on m’a soulevée pour me faire glisser sur la table de radio. S’y sont si bien pris qu’ils m’ont cogné la tête contre un angle du bati de la machine. D’accord, d’accord je ne suis pas d’une souplesse extrême, mais enfin.
Je n’étais pas revenue dans ma chambre après passage chez le plâtrier que « Mon Général » pointait vers ma tempe un doigt accusateur en disant : - Mais qu’est-ce que c’est que ça. On lui explique, il lève les bras au ciel et dit d’un ton sans réplique, toujours à la cantonade : - Bon, occupez vous de ça, c’est pas beau, faut lui faire au moins huit points !. Aussitôt un interne veut prendre des dispositions pour me faire transporter vers une salle de petite chirurgie. Ah non, alors. Tiens, mes yeux fonctionnent et je les fait rouler dans tous les sens avec fureur ; du moins j’essaie. Il semble qu’une infirmière m’ait captée correctement : - On doit pouvoir lui faire ça sur place. L’interne griche, toutefois face à une infirmière expérimentée un jeune interne ne fais pas le poids !
C’est parti : désinfectant, teinture d’iode ; je pique, je noue, je coupe... Je pique, je noue, je coupe. ... / ... « Papa pique et maman coud, papa pique et maman coud... / ...
Je me sens cabossée et colorée façon Picasso deuxième époque. J’ai la venette, alors je serre les fesses de toutes les forces que je n’ai pas, parce que faudrait pas qu’à l'intérieur ça continue à fonctionner normal. Mon Général serait fichu de leur dire de me mettre un bouchon...
Il faudrait un peu se mettre à ma place, les carabins. Si nous faisons abstraction d’une certaine rigidité (qui débande toujours pas ; je deviens grossière mais ils m’énervent ; oh qu’ils m’énervent !) je suis entrée dans cette pétaudière relativement intacte et voyez où j’en suis. Je veux rentrer chez moi et entendre la voix de Julia au téléphone. Je veux... Ah un borborygme ; ça dégèle, ça dégèle.
Et cela devait arriver, j’ai soudain envie de faire pipi, ce qui prouve que par-là rien n’est gelé. Et je ne peux même pas réclamer un soutien, une aide salutaire. Non, pas lui ; voila le ministre qui vient aux nouvelles. Allez-vous en je vais faire pipi dans le lit toute honte bue. L’autre écoute, une grande ride lui barrant le front, la description en termes incompréhensibles de mon état désastreux. Il a un long regard vers moi et disparait.
Une infirmière, gentille et jolie celle-là a eu un pressentiment et a soulevé mon drap puis m’a sourit l’air navré. Mes ancêtres, pardon ; on ne contrarie pas la nature. Ils m’ont mis une couche. Je me sens humiliée jusqu’au tréfonds de mon être, mais nettement plus sèche, ceci compensant cela.
Mon dégel se poursuit, à un train de sénateur. Désormais, je plie au milieu ; ça leur a permis de m’installer dans un fauteuil roulant. Entre-nous je ne vois guère ce que cela change, mais il semble que cela leur fasse plaisir. Je parviens aussi à émettre quelques borborygmes...
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Trois jours ont passé ; je devais vraiment être congelé à cœur, à l’azote liquide, car mes progrès ne se sont pas poursuivis. On m’a fait passer un scanner global bien inutile, un IRM cérébral, un EEG ; ils ont parlé d’une ponction lombaire et j’ai aussitôt fait mes yeux furieux. Mon infirmière interprète a aussitôt dit que cela pouvait sans doute attendre. Celle-là ne doit pas être très aimée des jeunes internes qu’elle prive de leurs cobayes !
Mon Général passe deux fois par jour mais ne me regarde plus tellement il est mécontent de moi. Il est venu une fois avec un neurologue qui lui a assuré qu’au vu de mes divers examens je ne relevais absolument pas de sa spécialité. Ça j’aurais pu le leur dire ; elle est normale mémé, juste un peu débrayée, mais elle peut pas parler...
Voila mignonne nurse qui s’approche avec un gros machin noir à la main. Quoi plus encore ? Ah, il semble que ce soit un banal téléphone. Elle me demande si j’entend ; je palpite des yeux en faisant hin hin. Elle rit et me colle son truc contre l’oreille et j’entend : - Allo, maman, c’est Julia ; il parait que tu as eu un accident. On me dit que cela va s’arranger, mais tu nous a fait peur ! C’est la meilleure, celle-là ; ma fille plonge dans l’Atlantique accompagnée de quatre-vingts personnes avec un gros quadrimoteur et c’est de moi qu’elle s’inquiète ; le bouquet ! L’infirmière lui confie que je l’entend bien mais que temporairement je ne puis répondre. Alors, elle soliloque ; de toutes façons quand elle est lancée elle peut tenir une heure seule à gazouiller gentiment sans attendre aucune réponse !
... Bon, je te quitte, je te rappelle demain, bisous, bisous ; et la voila repartie sur l’autre rive de l’Océan.
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Cela fait une semaine que mon Général me garde à sa botte, mais je progresse à nouveau, j’utilise gauchement mes bras et mains ; enfin, un bras, le plâtre de l’autre est tellement lourd que je soulève et laisse aussitôt retomber.
Julia téléphone chaque jour et me gratifie d’un long couplet avant de re-franchir la mare. Elle est dans son hacienda et ne semble pas moralement atteinte par son épopée. Moi, j’ai bien réfléchi, sitôt retrouvée toute mon autonomie, j’achète des actions de la Loockeed Corp. Une entreprise qui construit des avions capables de se vomir de dix mille mètres et de se transformer en Yacht de plaisance, mérite d’être encouragée et de vous payer des dividendes !
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Trois semaines de non vie. Mais je vais enfin rentrer chez moi. Mes comportements semblent redevenus à peu près normaux. Il y a bien encore quelques séquelles par-ci par-là, cependant je parle ce qui change tout, avec un drôle de rictus, c’est vrai ; ça passera. Je marche et me tient droite ; un genou refuse de plier par instant ; ça passera. Moi, je m’en vais... Hier encore en refaisant le pansement de mon front, après avoir enlevé les points ils m’ont tellement badigeonnée d'éther que j’ai aussitôt filé dans les pommes. Et que je te gifle et te regifle. Suffit. Mon Général fait la grimace, mais j’ai été très ferme ; militairement ferme. Bien, a-t-il-dit. Mais vous devrez nous signer une décharge car le psy trouve comme moi que c’est un peu rapide ; vous pourriez encore avoir quelques troubles compulsifs. Le ministre est nettement plus compréhensif : il a déclaré hier qu’il ne fallait pas chinoiser et que j’étais à l’évidence rendue à mon autonomie. Il m’a embrassée en partant ! Ce con ; on s’est rencontré cinq, six fois dont quatre à la muette. Sa nourrice, en eut-il une, n’a jamais du lui raconter les histoires de petits cochons ou d’oies gardés ensembles !
Me voila chez moi. Résolution : jamais je ne remonterai dans un avion. Un DC4 Douglas vient de se vomir à Karachi, mal piloté dit-on. Cent cinquante morts. Il avait quarante passagers en surcharge ; mais dans ce pays-là, à moins de cent mille morts ça reste un fait divers en dernière page de la presse. Sauf s’il y a des sous à récupérer !
Problème : nos incompétents gouvernants en dépit de promesses électorales du genre « demain on rase gratis » ont désarmé / vendu le « France » et ses semblables parce que l’avenir est à Boeing. Même le super-Constellation-radeau de ma fille accomplit ses derniers vols. Tant pis, si je décide d’aller la voir, j’affrèterai un Bananier !
Bon, reprenons nos chères bonnes vieilles habitudes : Thé, fauteuil, sablés bretons pur beurre. Quoi que, ce fameux Maté ; expérimentation ? A la santé du Val de Grâce et tous ses généraux !
alors en voila une autre plus joyeuse (hum).
El Milagro
Le ciel était d’un bleu crispant ; odieux. Il ne pouvait pas faire un temps plus radieux. Je m’étais précipitée vers la terrasse, l’ultime baiser échangé et je demeurais là étreignant la main courante de la balustrade, cherchant à les deviner au sein de la cohorte montant vers le super-constellation de la TWA dont déjà les hélices tournaient.
Des avions, il y en avait plein le ciel d’Orly qui s’envolaient, qui se posaient, mais seul celui tout près, là, sur le tarmac, m’intéressait.
Les gens de maintenance ont débloqué les roues durant que se fermait la porte puis ils ont fait rouler l’échelle de coupée et le grand oiseau, si beau, s’est ébranlé et a entreprit de cheminer vers le seuil de piste.
Je me sentais presque en dyspnée quand a éclaté le vacarme des moteurs soudain lancés à pleine puissance. Il a roulé de plus en plus vite sur la piste puis d’un bond vigoureux s’est enlevé, le nez tendu vers le ciel et à replié sous lui toutes ces roues devenues inutiles.
Voila, ma fille Julia (il va me falloir penser à prononcer « Rulia »), est partie. Comme c’est simple, comme c’est bête ; et je me sens castrée !
Avec elle, mon gendre J(R)ulio et ma petite fille J(R)ulietta volent aussi. Cette famille est emplie d’originalité !
Et, comme Monsieur l’ex ministre, mon mari tout aussi « ex » est parti depuis bien longtemps courir une gueuse mieux maquillée que moi, je me trouve soudain seule, d’une écrasante solitude. Mais quelle idée d’aller épouser un Vénézuelien !
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Me voila revenue chez moi, un trois pièces standing avenue Montaigne. Loyer très élevé, mais je m’en moque, grâce à la prévoyance de mon père qui avait des éclairs d’intelligence entre deux beuveries, je suis propriétaire. Pas de jalousie, je vous prie, ce fut une découverte post-mortem, je n’ai rien fait pour cela, ni d’ailleurs pour être cocue et délaissée très jeune. D’autres, même plus laides que moi se seraient recasées... « Jeune femme mince, cultivée, plutôt jolie, possédant appartement et avoirs cherche homme sérieux, propre sur lui, même profil pour entrer en relation amicale et plus si affinités »! Pouah, j’ai donné ; aucun homme, jamais, n’entrera plus dans ma vie, dans mon lit, fut-ce pour une heure. En plus, je trouve, j’ai trouvé que « le petit plaisir » c’était vraiment très petit. Il y en a qui disent que non ; j’ai du tirer un mauvais ticket.
Mais j’ai Julia ; j’avais. La merveille des merveilles ; c’est Mon opinion et je ne saurais en accepter d’autres. Elle est belle, jeune (24 ans), intelligente, avocate et hélas licenciée d’espagnol, musicienne, mariée (c’est moins bien), maman d’un bébé de six mois qui lui ressemble, qui nous ressemble...
Tout de même l’Amérique du Sud me reste un peu en travers de la gorge et ne passera sûrement pas avec une seule tasse de thé. D’ailleurs, ne devrais-je pas me mettre dès à présent au maté en le buvant dans une calebasse avec une bombilla, pour la couleur locale !
D’accord, Julio est beau, typé noble hidalgo viril, instruit, sérieux et danse la salsa « como un verdadero hombre de la menor »
. C’est un planteur avec une belle hacienda et des kilomètres carrés de terres cultivées dans le bassin de l’Orénoque. Contrairement à nombre de ses pairs, il approuve totalement la réforme agraire profonde menée par son pays et s’efforce de pousser la productivité (beaucoup de tournesol) et d’en faire profiter son personnel d’exploitation. Il parait même qu’il voterait pour Chavez ! Un traitre, un renégat !
N'empêche que s’il n’était pas venu parachever des études en France, on n’en serait pas là. Mais enfin, c’est vrai, pourquoi il n’est pas allé en Espagne.
Car enfin, si elle était vraiment attirée par les oléagineux, il y a en France, un peu partout, quantité de cultivateurs de tournesol, biens de leur personne ! Même en Picardie ; ce qui n’est pas si loin de Paris.
Bon, ce qui est fait est fait. Peut-être bien qu’un de ces jours, je vais me découvrir comme une envie de visiter l’Amérique Latine ; allez savoir ! Espera que yo, querida, yo puedo.
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Le thé m’endors ; à moins que ce ne soit la télévision que j’avais machinalement allumée, mon ultime et indiscrète compagne ; il y en a que les deux excitent ! (Je devrais peut-être me trouver un chat, un beau tigré de gouttières pedigree toitures parisiennes). Une odeur de chat (puissante) dans mon appartement : réfléchir !
Une musique brutale m’a tirée de ma somnolence ; je m’ébroue : c’est un flash infos télé qui interrompt la série policière en cours de diffusion : ... « Nous venons d’être informés qu’une catastrophe aérienne viendrait de se produire au-dessus de l’Atlantique Nord. Un long courrier de la TWA, vol xxx à destination de New-York aurait brusquement connu de graves difficultés mécaniques aux deux tiers de son parcours. Les communications radio avec le commandant de bord qui avait lancé un SOS ont été brutalement coupées et on suppose que l’appareil s’est abimé en mer. Nous reviendrons à l’antenne dès que nous aurons de nouveaux détails »...
Exsangue, j’ai jailli de mon fauteuil comme un diable de boite de farces et attrapes. Non, pitié !
Vous avez-dit, j’ai bien entendu : New York ; pas Caracas. Merci Dieu que j’ignore ; merci quand même. Mon souffle revient, le sang aussi. Voila maintenant le téléphone qui sonne. Qui peut bien m’appeler ? J’ai le combiné à l’oreille... Madame Latifunda, mes hommages et mes respects, Madame, je suis Hubert de Basligne, chargé de communications au ministère des transports. Ce style ampoulé, mes enfants ; jamais ils n’oublieront que je suis une épouse de ministre, divorce ou pas et qu’on doit s’adresser à moi avec déférence ; indifférence mais déférence. Madame peut-être avez-vous eu connaissance d’une information télévisée relative à un possible accident aérien survenu sur un vol de la Cie TWA. Il apparaitrait, sous toutes réserves de vérifications en cours que vous aviez de la famille à bord. (Dieu, voila mon sang qui reflue à nouveau ; may day, may day, help, save our souls, ... _ _ _ ... !) Mais non, monsieur, j’ai bien ma fille et sa famille sur un vol TWA mais pas pour New-York, pour Caracas... - J’entends bien, Madame, j’entends bien, mais il s’agit du même avion destination New-York, Miami, Caracas , je suis sincèrement désolé. Plus d’un tiers des passagers se trouve être de nationalité française et notre ministère met dès à présent en place une cellule de crise. Si je puis me permettre, je vous envoie une voiture du ministère et Monsieur le Ministre se fera un devoir de vous accueillir personnellement dès votre arrivée. Pouvez-vous me confirmer votre adresse précise. Merci infiniment ; Madame.
Ma fille peut mourir, je reste à part ; femme de ministre, à vie !
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Me voici dans un salon du ministère. Le ministre (mais comment diable s’appelle-t-il celui-là) est plein d’attention bienveillante pour moi, tout en ronds de jambe et en formule du plus délicat français grand siècle. Et nous ne sommes qu’aux Transports ; qu’est-ce que cela doit être au Quai ! il tente de me rassurer :- Nous n’avons ma chère amie (chère amie mon c... Oui) aucune précision quant à la gravité de ce regrettable accident. Le pilote a déclaré que l’appareil privé de deux moteurs, une explosion semble-t-il, et d’un morceau d’aile, perdait rapidement de l’altitude, qu’il allait tenter de le stabiliser dans les couches basses épaisses de l’atmosphère et a pu donner une position très précise avant l’interruption des communications. La Navy a aussitôt dépêché vers le point relevé une frégate rapide, deux hydravions des gardes-côtes et deux hélicoptères de l’air rescue. Tous les navires à proximité ont été déroutés sur zone. Les avions devraient y être d’un moment à l’autre. Il nous faut attendre et espérer. Onctueux, qu’il est. Tartuffe ; ta fille, ta petite fille, ton gendre même Vénézuélien ne sont pas à bord.
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Je ne sais trop dans quel hôtel historique est installé le ministère des transports, mais on peut penser que cet homme et son staff vivent bien et dirais-je luxueusement. Le décor est très dix-huitième siècle : trumeaux, parquets Versailles, plafonds à caissons peints de délicieuses scènes champêtres avec nymphes habillement peu voilées, des ors assombris, des tableaux de maîtres et les habituels meubles et sièges « d’époque » dont il semble que le Mobilier National ait un stock inépuisable. Combien diable d’hôtels et de châteaux la révolution a-t-elle vidés pour constituer ce stock ?
Devant de hautes fenêtres on a installé de façon totalement anachronique des tables en aluminium et des batteries de téléphones et d’écrans et d'impeccables secrétaires casquées de micro-téléphones semblent s’affairer dans une transe hystérique. Une grande télé murale est muette et éteinte. Plus loin un attaché au visage plein de compréhension émue, derrière un bureau marqué « Informations, Réception du public » surchargé de listes, de dossiers et d’une longue corbeille où viennent sans cesse s’empiler de nouvelles notes, échange des propos avec un homme austère qu’il appèle docteur ; un psy sans doute pour les familles affolées qui vont finir par se pointer.
Et puis il y a moi, moi toute seule avec un pauvre visage de mère courage dont la bouche tremble. Un filet de mauvaise sueur me coule lentement le long de la colonne vertébrale et je serre les fesses pour mieux contrôler mes sphincters tellement j’ai peur. Comme un bateau en papier sur une mer démontée je navigue au près dans un immense canapé Louis XV tapissé gobelins qui vue sa taille a du demander plusieurs années de travail au lissier.
Trois personnes, nez dans leur mouchoir, viennent d’entrer dans le salon, timides et impressionnées par le décor. Un huissier à chaîne bien français, prestance et bedon noble leur a apporté des chaises (en plastique !). Monsieur bons offices leur sourit tristement ce qui demande un long apprentissage et compulse des listes (qui datent d’on ne sait quand, celle d’aujourd’hui sont vides, pour l’instant. Faux, l’une est pleine, c’est celle des quatre-vingt passagers fournie par TWA.
De temps en temps, mon ministre très affairé passe en coup de vent, me fait un sourire contraint en secouant négativement la tête.
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Ahurissant, je suis morte de trouille, sans illusions, désespérée au plus profond de moi... Et je me suis endormie i On dit que la douleur morale au paroxysme peut avoir de ces effets-là ; bonhomme cerveau s’évade, se réfugie dans un monde hors d’atteinte.
C’est le son d’une voix claire qui m’a fait sursauter. L’écran mural est allumé et il y a au moins trente personnes qui semblent hypnotisée par lui.
A l’image on voit une jolie blonde en ciré jaune d’or et coiffure en chignon, appuyée à ce qui ressemble à un bastingage ce que confirme un vitrage de dunette en arrière plan, tout gris, et la vaste mer moutonnant tout autour.
La voix porte : ... / ... Ici Mae West, (il faut le faire), Associated Press qui vous parle depuis la passerelle de la frégate « Arizona » de l’US Navy, dépêchée dés l’annonce du drame vers le lieu probable où le super-constellation de la TWA a amerri. (Parce que quand on se crash on amerri) ! - Le commandant à donné l’ordre de tirer des machines toute la puissance possible et c’est à près de quarante nœuds que nous glissons sur l’Océan. Nous devrions être sur site dans environ trois heures. Nous le savons, c’est très long et désespérant pour tous ceux qui s’angoissent. Nous tenons à leur dire notre fraternel soutien. Cependant, une colonne de deux hydravions et trois hélicoptères dont celui de notre frégate nous précède et devrait avoir un visuel d’ici très peu de temps. Nous allons très régulièrement vous tenir au courant de l’évolution de cette dramatique situation. Ici Mae West pour Associated Press. Et l’écran s’est éteint...
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Je me sens épuisée, sans forces ; personne ne me verra pleurer, je n’en suis plus capable ; les ressorts sont brisés.
Mais j’ai du m’endormir encore car maintenant le salon est empli de gens et tous les lustres allumés. Près du standard il y a un groupe caractéristique d’hommes en costumes cravate sombre, des officiels qui entourent le ministre. Ils ont tous des liasses de papiers à la main qu’ils consultent et se montrent sans cesse et leur conversation est animée.
Une seconde le ministre m’a regardée puis m’a fait un sourire ; mais un bon sourire... Un Bon sourire ? Pour la seconde fois de la journée j’ai joué les ressorts ; mais, mais...
Il vient vers moi. Oh ce vertige qui me prend ; dieux et déesses des mers, prenez pitié !
Il prend ma main, me fait un clin d’œil : - Ils sont vivants...
L’écran se rallume et l’autre recommence à laïusser puis la caméra la quitte, prend de la hauteur et nous montre la mer avec posé dessus un gros avion entouré de canots pleins de gens et trois navires et les hydravions posés tout près..
Mais je n’y suis pas, je ne le voit pas. L’affreuse, l’abominable nouvelle m’avait laissée inondée tout à la fois par une peur morbide et une colère froide, meurtrière, galvanisée pour faire face à cette monstruosité. J’étais Némésis toutes voiles déployées pour faire payer à tous dans un réflexe de rage vengeresse le prix des décombres sous lesquels on m’ensevelissait.
A l’opposé, je n’ai pas supporté l’annonce du miracle !
Sitôt assimilés les mots du ministre, un rictus qui n’était pas encore sourire m’a sculpté le visage ; j’ai levé un bras, sans doute triomphal et... Suis entrée en catalepsie. J’y suis toujours !
Tout d’abord dans la foule présente et horriblement bruyante tout est passé inaperçu puis on s’est étonné face à cette statue d’affreuse gorgone, puis inquiété, alarmé. On a tenté de me parler, de faire bouger mon bras. Essayez de faire plier un membre tétanisé tendu par une force inconnue et extrême qui émet des craquements de rupture... Me faire marcher ? Impossible ; même mon regard était immobile et fixe.
C’est sur un brancard, bras tendu vers le ciel comme un blasphème et dans une ambulance que j’ai quitté les salons du ministère.
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Je suis maintenant allongée dans un lit d’hôpital avec une perfusion branchée au poignet (c’est une manie chez ses gens là dés qu’ils réceptionnent quelqu'un). Mon état demeure inchangé mais étrangement, je vois et entends tout ce qui se fait et dit autour de moi. Bon, c’est relatif puisque je ne peut bouger ni la tête ni les yeux ; mais suffisant.Il y a un homme qu’on nomme professeur, blouse blanche, visage responsable et préoccupé, plus de cinquante ans, distingué. Trois fois il a prononcé l’expression : accès soudain de schizophrénie due à un brutal traumatisme cérébral. Schizophrène toi-même !
Résumons de manière lapidaire : L’avion de ma fille tombe à l’eau ; elle se noie. Non elle est rescapée, son homme, son bébé aussi ; je meurs !
Ils ont tous quitté ma chambre. J’ai l’air d’une vraie gourde avec mon bras rigidement pointé vers le plafond. On m’a branchée sur toute une batterie d’appareils qui clignotent et émettent des bip pour prouver que je suis toujours vivante. Une aide soignante dans un fauteuil compulse sans conviction une sorte de polar tout en veillant ma précieuse personne.
J’entend mon cœur battre, le moniteur aussi. C’est d’un régulier consternant. Mais signifie que mon cerveau est irrigué. Je n’ai aucune raison de mourir et les miens sont vivants. Est-ce que je ne sentirais pas en moi comme un début d’euphorie ?
Aïe ; dieu que ça fait mal. Je dois décongeler ! Mon bras s’est abattu d’un coup... Sur la barre protectrice latérale du lit ! Il est cassé, sûr. La chienlit. Ma chambre est à nouveau envahie. Le professeur (il n’a vraiment rien d’autre à faire, celui-là) essaie de me faire bouger le reste du corps, les yeux, avec une mine gourmande. Tintin, rien ne fonctionne. Il a un geste de dépit et clame à la ronde qu’il faudrait tout de même s’occuper de ce p... de bras ! Tout à fait entre-nous, cela me parait un minimum. J’ai fini par comprendre qu’on m’avait amenée au Val de Grâce. Évidemment, l'épouse, ex, d’un ancien ministre (rien à faire pour eux, c’est à vie !). Donc le « Professeur » doit être l’un de ces généraux qui retapent des bidasses aguerris plutôt que les femmes fragiles. Fragiles ? Je t’en dirais bien un mot. De l’époque où je descendait les pistes noires tout schuss !
Ah, on vient de décider de faire une radiographie de mon bras ; logique. Mais ils veulent me véhiculer jusqu’au service idoine ; absurde. Enfin ils n’ont pas d’appareils portatifs ? Tous les services d’urgence en ont. Ah oui, mais je ne suis pas aux urgences ! Allez, comptez-vous trois et en avant petit cheval. Couloirs, ascenseurs, ça pue l'antiseptique et autre chose de désagréable. Sans doute un produit de nettoyage dix fois plus puissant que tous ceux de la télévision. Nous y voila. Dix attendent déjà brandissant attèles et plâtres, pansements et gueules un peu cassées ; on me gare dans un coin : attention, manipuler doucement.
Il y a une jolie fracture ; saloperie d’ostéoporose ! Mais en plus j’ai une superbe et profonde coupure, moi je dirais entaille, au-dessus de l’arcade sourcilière droite. Se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas faire ma radio dans ma limousine, donc trois infirmières plus tard, on m’a soulevée pour me faire glisser sur la table de radio. S’y sont si bien pris qu’ils m’ont cogné la tête contre un angle du bati de la machine. D’accord, d’accord je ne suis pas d’une souplesse extrême, mais enfin.
Je n’étais pas revenue dans ma chambre après passage chez le plâtrier que « Mon Général » pointait vers ma tempe un doigt accusateur en disant : - Mais qu’est-ce que c’est que ça. On lui explique, il lève les bras au ciel et dit d’un ton sans réplique, toujours à la cantonade : - Bon, occupez vous de ça, c’est pas beau, faut lui faire au moins huit points !. Aussitôt un interne veut prendre des dispositions pour me faire transporter vers une salle de petite chirurgie. Ah non, alors. Tiens, mes yeux fonctionnent et je les fait rouler dans tous les sens avec fureur ; du moins j’essaie. Il semble qu’une infirmière m’ait captée correctement : - On doit pouvoir lui faire ça sur place. L’interne griche, toutefois face à une infirmière expérimentée un jeune interne ne fais pas le poids !
C’est parti : désinfectant, teinture d’iode ; je pique, je noue, je coupe... Je pique, je noue, je coupe. ... / ... « Papa pique et maman coud, papa pique et maman coud... / ...
Je me sens cabossée et colorée façon Picasso deuxième époque. J’ai la venette, alors je serre les fesses de toutes les forces que je n’ai pas, parce que faudrait pas qu’à l'intérieur ça continue à fonctionner normal. Mon Général serait fichu de leur dire de me mettre un bouchon...
Il faudrait un peu se mettre à ma place, les carabins. Si nous faisons abstraction d’une certaine rigidité (qui débande toujours pas ; je deviens grossière mais ils m’énervent ; oh qu’ils m’énervent !) je suis entrée dans cette pétaudière relativement intacte et voyez où j’en suis. Je veux rentrer chez moi et entendre la voix de Julia au téléphone. Je veux... Ah un borborygme ; ça dégèle, ça dégèle.
Et cela devait arriver, j’ai soudain envie de faire pipi, ce qui prouve que par-là rien n’est gelé. Et je ne peux même pas réclamer un soutien, une aide salutaire. Non, pas lui ; voila le ministre qui vient aux nouvelles. Allez-vous en je vais faire pipi dans le lit toute honte bue. L’autre écoute, une grande ride lui barrant le front, la description en termes incompréhensibles de mon état désastreux. Il a un long regard vers moi et disparait.
Une infirmière, gentille et jolie celle-là a eu un pressentiment et a soulevé mon drap puis m’a sourit l’air navré. Mes ancêtres, pardon ; on ne contrarie pas la nature. Ils m’ont mis une couche. Je me sens humiliée jusqu’au tréfonds de mon être, mais nettement plus sèche, ceci compensant cela.
Mon dégel se poursuit, à un train de sénateur. Désormais, je plie au milieu ; ça leur a permis de m’installer dans un fauteuil roulant. Entre-nous je ne vois guère ce que cela change, mais il semble que cela leur fasse plaisir. Je parviens aussi à émettre quelques borborygmes...
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Trois jours ont passé ; je devais vraiment être congelé à cœur, à l’azote liquide, car mes progrès ne se sont pas poursuivis. On m’a fait passer un scanner global bien inutile, un IRM cérébral, un EEG ; ils ont parlé d’une ponction lombaire et j’ai aussitôt fait mes yeux furieux. Mon infirmière interprète a aussitôt dit que cela pouvait sans doute attendre. Celle-là ne doit pas être très aimée des jeunes internes qu’elle prive de leurs cobayes !
Mon Général passe deux fois par jour mais ne me regarde plus tellement il est mécontent de moi. Il est venu une fois avec un neurologue qui lui a assuré qu’au vu de mes divers examens je ne relevais absolument pas de sa spécialité. Ça j’aurais pu le leur dire ; elle est normale mémé, juste un peu débrayée, mais elle peut pas parler...
Voila mignonne nurse qui s’approche avec un gros machin noir à la main. Quoi plus encore ? Ah, il semble que ce soit un banal téléphone. Elle me demande si j’entend ; je palpite des yeux en faisant hin hin. Elle rit et me colle son truc contre l’oreille et j’entend : - Allo, maman, c’est Julia ; il parait que tu as eu un accident. On me dit que cela va s’arranger, mais tu nous a fait peur ! C’est la meilleure, celle-là ; ma fille plonge dans l’Atlantique accompagnée de quatre-vingts personnes avec un gros quadrimoteur et c’est de moi qu’elle s’inquiète ; le bouquet ! L’infirmière lui confie que je l’entend bien mais que temporairement je ne puis répondre. Alors, elle soliloque ; de toutes façons quand elle est lancée elle peut tenir une heure seule à gazouiller gentiment sans attendre aucune réponse !
... Bon, je te quitte, je te rappelle demain, bisous, bisous ; et la voila repartie sur l’autre rive de l’Océan.
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Cela fait une semaine que mon Général me garde à sa botte, mais je progresse à nouveau, j’utilise gauchement mes bras et mains ; enfin, un bras, le plâtre de l’autre est tellement lourd que je soulève et laisse aussitôt retomber.
Julia téléphone chaque jour et me gratifie d’un long couplet avant de re-franchir la mare. Elle est dans son hacienda et ne semble pas moralement atteinte par son épopée. Moi, j’ai bien réfléchi, sitôt retrouvée toute mon autonomie, j’achète des actions de la Loockeed Corp. Une entreprise qui construit des avions capables de se vomir de dix mille mètres et de se transformer en Yacht de plaisance, mérite d’être encouragée et de vous payer des dividendes !
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Trois semaines de non vie. Mais je vais enfin rentrer chez moi. Mes comportements semblent redevenus à peu près normaux. Il y a bien encore quelques séquelles par-ci par-là, cependant je parle ce qui change tout, avec un drôle de rictus, c’est vrai ; ça passera. Je marche et me tient droite ; un genou refuse de plier par instant ; ça passera. Moi, je m’en vais... Hier encore en refaisant le pansement de mon front, après avoir enlevé les points ils m’ont tellement badigeonnée d'éther que j’ai aussitôt filé dans les pommes. Et que je te gifle et te regifle. Suffit. Mon Général fait la grimace, mais j’ai été très ferme ; militairement ferme. Bien, a-t-il-dit. Mais vous devrez nous signer une décharge car le psy trouve comme moi que c’est un peu rapide ; vous pourriez encore avoir quelques troubles compulsifs. Le ministre est nettement plus compréhensif : il a déclaré hier qu’il ne fallait pas chinoiser et que j’étais à l’évidence rendue à mon autonomie. Il m’a embrassée en partant ! Ce con ; on s’est rencontré cinq, six fois dont quatre à la muette. Sa nourrice, en eut-il une, n’a jamais du lui raconter les histoires de petits cochons ou d’oies gardés ensembles !
Me voila chez moi. Résolution : jamais je ne remonterai dans un avion. Un DC4 Douglas vient de se vomir à Karachi, mal piloté dit-on. Cent cinquante morts. Il avait quarante passagers en surcharge ; mais dans ce pays-là, à moins de cent mille morts ça reste un fait divers en dernière page de la presse. Sauf s’il y a des sous à récupérer !
Problème : nos incompétents gouvernants en dépit de promesses électorales du genre « demain on rase gratis » ont désarmé / vendu le « France » et ses semblables parce que l’avenir est à Boeing. Même le super-Constellation-radeau de ma fille accomplit ses derniers vols. Tant pis, si je décide d’aller la voir, j’affrèterai un Bananier !
Bon, reprenons nos chères bonnes vieilles habitudes : Thé, fauteuil, sablés bretons pur beurre. Quoi que, ce fameux Maté ; expérimentation ? A la santé du Val de Grâce et tous ses généraux !
Re: encore une petite pour la route !
Pas mal. Je change d'expression "Chapeau". ;!D
Margaux1999- Date d'inscription : 01/06/2011
Age : 25
Localisation : Poudlard.
Re: encore une petite pour la route !
pas d'essoufflement consterné, non
un pfiou épaté, jeune homme
(je viendrai lire cette nouvelle après avoir reposé mes mirettes, moi)
un pfiou épaté, jeune homme
(je viendrai lire cette nouvelle après avoir reposé mes mirettes, moi)
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