Échos de jours anciens
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Dean_Moriarty
Jafou
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Échos de jours anciens
J’appartiens à la catégorie des gens qui répugnent à jeter tout ce qui n’est pas ordures et déchets avérés ! Ayant toujours eu la chance d’être largement logé, le besoin d’un tri sélectif ne s'imposait pas. Ma maison actuelle, où je vis seul, doit faire quatre cents mètres carrés de surface habitable sans compter un vaste grenier mansardé où j’entasse !
Je le fais soigneusement ; tout est trié, rangé, étiqueté ; j’en ris moi-même en me moquant de moi...
J’ai eu le malheur, l’été dernier d’y laisser une grande lucarne ouverte. Cela n’a pas trainé, un couple de pigeons, charmants volatils de parvis d’église, s’est engouffré dans l’ouverture et a aussitôt nidifié entre deux poutres. Je ne visite pas ce lieu fréquemment mais y allant dernièrement j’ai aussitôt été alerté par un large chemin constellé de blanc allant du nid à la lucarne, avec quelques débordements ! Cela m’a réjoui, pensez, de constater qu’à l’évidence ces satanés oiseaux étaient très bien nourris. J’ai vérifié l’absence de poussins dans le nid et fermé la lucarne. Puis j’ai nettoyé quelques dossiers emplis de vieux papiers. La curiosité faisant la force de l’humanité (seul vrai critère la différenciant des autres grands primates, le Bonobo en particulier), j’ai bien entendu feuilleté les dossiers ne serait-ce que pour m’en remémorer le contenu et j’ai trouvé le texte qui suit. Ma mémoire réactivée m’a confié que je l’avais rédigé pendant quatre cours de mathématiques en classe de quatrième le terminant pendant les quatre heures de colle récoltées in fine ! Je venais d’avoir treize ans le mois précédent. J’ai corrigé quelques petites choses mais en fin de compte très peu ; je le livre donc à l’état brut. Juste pour prouver à Margaux (j’avais son âge) qu’écrire n’est pas une torture délicieuse génératrice d’angoisse orthographique et/ou grammaticale !
Des Gens qui passent...
Ombres, silhouettes et sons.Visages sans noms, noms sans visages. Ballet géométrique des rues, désespérance des campagnes, désert des nuits. Joies fraichement nées ; oubli des deuils passés. Rumeur de la masse des hommes qui déferle. Nostalgie !
Gens qui passent. Sourires, larmes, espoirs et renonciation. Vanité, orgueil, envie ; Amours humbles ou glorieuses.
L’homme vit ; il va son chemin, son destin de sa naissance à sa fin. Actif en sa pensée, laborieux dans l’action, il cristallise l’image fausse de l’animal Dieu !
Gens qui passent... Masse anonyme du flux et du reflux ; mélopée accourant du fond des siècles où l’oubli est souverain.
L’homme est présent toujours, partout, dépouillé de l’individu par le travers du temps ; inassouvi. Plane sur lui le désir : avidité d’avoir et de savoir ; grâce de créer ; pour récompense ultime l’ennui...
Gens qui passent. A la recherche de la joie, du bonheur, scandée par le rythme fou des jours, des labeurs. A la recherche d’une inaction au rythme lent des morts et des cimetières fleuris.
Gens qui passent, foule immense et croissante de l’homme en marche...
--------------
Zéro heure... Une brume poussiéreuse, intense qui ramasse l’humidité nocturne et le fluide visqueux exhalé par des cheminées multiples nappe la ville.
Rue Caulaincourt, silhouette difforme et ridicule à jambes fuselées, un agent cycliste pousse sa bicyclette d’une main lasse. Lointaine La lanterne bleue du commissariat annonce le havre à la chaleur malsaine, aux odeurs d’urine.
Zéro heures... A chaque horloge dressant son faux bronze municipal. Il y a de fatidiques et rituels décalages horaires de l’une à l’autre ; en fractions de minutes ! Gare Montparnasse tout dort. Le dernier express a quitté le hall de verre fumé en cliquetant. Dans leur poste, les aiguilleurs ont garni les rampes de leur contingent de billes et les aiguilles mordront à la demande pour ces trains sans nom au contenu anonyme. L’informatique est encore à venir...
Gare de Lyon, l’horloge a quinze secondes de retard. Le rapide de Berne vient de partir. Celui provenant de Bordeaux a déversé à Austerlitzun cheptel de gens hébétés. Sous le viaduc du Point du Jour la Seine fait danser un macabre menuet à des remous enlacçés dans la lueur d’un lampadaire...
Toutou famélique et sans nom, un ratier hume les bas de murs et fouille les poubelles. Rue La Fontaine, un chat noble dénonce son aristocratique lignée et fuit pour une nuit la distinction de sa caste. Dans un désir d’oubli du lait tiède, du feu de bois et des mains parfumées il cherche dans les filets d’air cette autre effluve plus fauve que promène sur une gouttière une chatte au pelage tigré.
Une heure... Berthe, petite fille habituellement à talons hauts, les doigts piqués de coups d’aiguilles, épandue à plat ventre sur son lit, sans grâce, sans secrets pleure avec grandiloquence l’amoureux qu’elle a éconduit. Par la lucarne de la chambre la lune contemple et... Sourit !
Place des Abesses, dans un bouge élégant, entre deux numéros éculés de strip-tease, Des gens dansent sans conviction dans six mètres carrés de lumière colorée. Accoudé au bar, Bénito, italo-corse, Smoking bleu de nuit et plastron glacé fermé d’une fausse perle songe à cette garce de bouffe qu’il faut gagner. Enfin, gagner... Pour le fisc, Bénito est artiste chorégraphique, un intermittent du spectacle, quoi. De fait, danseur mondain, gigolo et maquereau de petit rang ; parfois carambouilleur ; c’est à la demande !
Une heure ; André Nonoch, Monsieur André Nonoch, ministre un bref instant au Quai d’Orsay médite en un profond fauteuil tapissé d’Aubusson. Le gilet généreux et parsemé de cendres il rêve de conférences utiles qui aboutissent, de réunions de comités internationaux, d’interpellation à la Chambre... Pendant ce temps, celle-ci, en séance de nuit sous la pression d’une nuée d’hobbyistes, de suffragettes, d’anarchistes, l’a déjà déposé ; tout le cabinet avec lui !
Deux heures. Ernest Pringaux, le vieux Pringaux qui a toujours les pieds gelés, lampe à la main et morve au nez foule les tapis précieux des bureaux directoriaux d’une banque renommée. Là, pipe refroidie ; ici, cigare mouillé. Flotte dans l’ai d’impalpables odeurs de carbone, de vieux papiers, d’encre, d’aniline et de désinfectant. Veilleur de nuit, il veille tous ces fantômes odorants qui dans les halls évoquent sous ses pas d’imprécis revenants : là, le baron Haussmann et plus loin dans le fond Monsieur Stavisky... Deux grands qui veillent sur la ville, l’un canonisé et l’autre banqueroutier et suicidé avec complaisance et de loin !
Trois heures... Premier arrondissement : une putride odeur de décomposition végétale et de fraicheur agreste se mêle et s’épouse ; viandes sanguinolentes fleurant le carbogel, fruits aux parfums entêtants légumes sentant encore la terre ; du suif, du suint.
Trois heures, dans sa chambre Antoine, indispensable car il n’est qu’un habit est assis sur son lit de fer. Visage morose et caleçon long ! Il contemple un orteil violacé extrait à grand peine d’un soulier vernis. Dans sa bouche se mêlent avec une goute de bile les goûts des champagnes et liqueurs que les invités de monsieur ont abandonnés dans le fond de leur verre. Il n’allait pas laisser perdre. Les invités sont partis ; lui, l’Antoine anonyme mais toujours présent, inspecte écœuré cet oignon douloureux tandis que les acides montent à l’assaut.
Quatre heures... Porte d’Orléans, Porte de Versailles, Porte de St-Cloud ; feux verts, oranges, rouges. Feux verts, oranges, rouges. Feux verts, oranges, rouges ; la mécanique lumineuse bien huilée dispatche paquets par paquets dans un puissant ronflement de diesels et de souffle des Westinghouse une invasion de poids-lourds vers les quais.
Quatre heures... Entre Paris et Téhéran, la chaude, la blanche où la température indique quatre degrés sous zéro, le AF Pl282, ailes humides, crachant le feu par les évents géants de ses cylindres, aveugle va sa route infinie. Agglutinées dans un commun sommeil soixante-cinq personnes dodelinent de la tête en digérant le poulet froid américain, la salade russe, le saumon du Pacifique en boite, le jambon et le rosbif anglais et encore le cube de moka qu’une hôtesse avenante et pressée a déposés plus tôt sur les bras de leur fauteuil accompagnés d’une demi bourgogne. Engourdis, assourdis, la serviette d’affaire ou l’attaché case glissés entre les jambes, ils vont refaire un nouveau monde à grand renfort de prospectus, de carnets de commande et d'espoirs exportés.
Quatre heures... Dans une bouffée de chaleur à l’odeur de métal et de dynamos bien huilées des centaines de grilles roulant sur leurs galets ouvrent vers le ciel les entrailles de la ville. Dans un bruit puéril de trompette d’enfant, un chef de train à donné le départ d’une première rame et de la ronde infernale qui le jour durant va se perpétuer dans un underground titanesque.
Cinq Heures ; Marmottant, sous la froide et étincelante lumière d’un Scialytique, perdu dans l’épais silence d’une nuit de drame, le professeur Duverger penché sur une vie en suspens tente de réaliser une greffe impossible. Il va réussir ; il réussit... Et sanglote.
Dans un tintinnabulement qui a fait fuir des cohortes de chiens errants trottant l’amble de guingois vers des refuges invisibles Les camions de la SITA monstres avides et omnivores remontent lentement les rues poursuivis par le crachotement des arroseuses et le rampement crissant des balayeuses mécaniques.
Là-bas, vers l’Orient, pâle et informe, nait la lumière laiteuse d’un jour nouveau. Des reflets zèbrent le moutonnement des toitures : ardoises brillant comme des quartz, lucarnes de cristal, cauchemar de cheminées, surplombs, paratonnerres ; dissymétrie immense et chaotique qui fume au petit jour.
Cinq heures ; ceignant la ville d’éclairs blancs, le Cercle bleu distribue aux quatre points cardinaux son fleuve de lait aux sources intarissables, normandes, alpines, charentaises. Il converge vers des millions de bébés et de vieillards édentés, voie lactée triomphale et pasteurisée...
Six heures, rue Médicis, un facteur surgi d’un car bleu entame placidement une distribution d’espoirs, d’amertume, de colères, d’adieux et de factures. Maître absolu de chaque maison immeubles et paliers, il répand avec une indifférence de monarque créancess et faillites, serments d’éternité nouvelle et vieilles éternitées soudain rompues...
Six heures. Immobile, silhouette blanche au centre d’un décor fantasmagorique de science fiction, un homme ausculte sans le voir un bloc de pechblende. Dans son regard illuminé défile l’image d’un monde en fusion où ne se différencie plus la géhenne des premiers commencements de l’éclatement des fins dernières.
Six heures... Sur toutes les routes de banlieue, dans tous les trains et bus, vomis de chaque maisons en s’ébrouant d’une torpeur nocturne, une masse polype fleurant tous les savons et tous les reliquats de somnolence, regard fixe, se rue vers la ville pour réclamer, recevoir et servir la bonne parole des temps nouveaux. Au même instant celle-ci voit naître le Verbe ; évangile étrange prêchant la mystique issue de la matière.Dans la lumière qui croit, monte les premiers versets du cantique moderne scandé par le bruit des rotatives. Sur la périphérie, dans des rugissements de sirènes et le grondement opaque des moteurs, les chaînes s’ébranlent et accélèrent : une voiture, deux, trois ; trois poutres, deux cents boulons, vingt tôles, cent mètres de nylon, quarante balais-brosses...
L’odeur des métros se transforme et livre son haleine multiple et bon marché, sueur, crasse mal lavée, rut inachevé, pieds meurtris, torpeur agressive.
Sept heures. La ville se meut et engloutit sa provende humaine.
Berthe lavée, maquillée a oublié son chagrin nocturne et fait claquer sur l’asphalte humide pailletée de mica les pointes ridicules de ses hauts talons de petite main en rêvant d’un nouvel amoureux !
Au ministère des finances les portes sont entrebâillées. Duburoux a troqué son ciré, le vieux chapeau déformé qui l’accompagne et ses grosses chaussures d’employé bourgeois et économe contre un uniforme noir et un collier aux mailles de cuivre argenté. Il est maintenant un huissier austère et dédaigneux fermé pour la journée aux contingences extérieures. A l’entrée de Son couloir sur son bureau, tous les accessoires inutiles de sa charge : un téléphone muet, un tableau clouté d’ampoules éteintesEt un régiment de crayons aux mine effilées, à la parade, prêts au combat !
Sept heures. Dans les temples modernes derrière des façades austères et majestueuses, escorté de diacres armés, accompagné de regards avides, le Dieu nouveau est passé dans son ostensoir d’acier blindé... Dressé sur son autel derrierre d’épais barreaux il domine indifférent les turpitudes de son culte.
Sept heures. Prosterné face à un ciboire au pied d’un autre autel aux formes héraldiques, chétif et pourtant immense dans la vide perspective d’un temple désolé, déserté, un prêtre prie pour le troupeau misérable de tous ces gens qui passent, souvent misérables... Impérissables.
Le jour durant, des flics détestables, asservis cherchent LE JUIF... 1942
Je le fais soigneusement ; tout est trié, rangé, étiqueté ; j’en ris moi-même en me moquant de moi...
J’ai eu le malheur, l’été dernier d’y laisser une grande lucarne ouverte. Cela n’a pas trainé, un couple de pigeons, charmants volatils de parvis d’église, s’est engouffré dans l’ouverture et a aussitôt nidifié entre deux poutres. Je ne visite pas ce lieu fréquemment mais y allant dernièrement j’ai aussitôt été alerté par un large chemin constellé de blanc allant du nid à la lucarne, avec quelques débordements ! Cela m’a réjoui, pensez, de constater qu’à l’évidence ces satanés oiseaux étaient très bien nourris. J’ai vérifié l’absence de poussins dans le nid et fermé la lucarne. Puis j’ai nettoyé quelques dossiers emplis de vieux papiers. La curiosité faisant la force de l’humanité (seul vrai critère la différenciant des autres grands primates, le Bonobo en particulier), j’ai bien entendu feuilleté les dossiers ne serait-ce que pour m’en remémorer le contenu et j’ai trouvé le texte qui suit. Ma mémoire réactivée m’a confié que je l’avais rédigé pendant quatre cours de mathématiques en classe de quatrième le terminant pendant les quatre heures de colle récoltées in fine ! Je venais d’avoir treize ans le mois précédent. J’ai corrigé quelques petites choses mais en fin de compte très peu ; je le livre donc à l’état brut. Juste pour prouver à Margaux (j’avais son âge) qu’écrire n’est pas une torture délicieuse génératrice d’angoisse orthographique et/ou grammaticale !
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Des Gens qui passent...
Ombres, silhouettes et sons.Visages sans noms, noms sans visages. Ballet géométrique des rues, désespérance des campagnes, désert des nuits. Joies fraichement nées ; oubli des deuils passés. Rumeur de la masse des hommes qui déferle. Nostalgie !
Gens qui passent. Sourires, larmes, espoirs et renonciation. Vanité, orgueil, envie ; Amours humbles ou glorieuses.
L’homme vit ; il va son chemin, son destin de sa naissance à sa fin. Actif en sa pensée, laborieux dans l’action, il cristallise l’image fausse de l’animal Dieu !
Gens qui passent... Masse anonyme du flux et du reflux ; mélopée accourant du fond des siècles où l’oubli est souverain.
L’homme est présent toujours, partout, dépouillé de l’individu par le travers du temps ; inassouvi. Plane sur lui le désir : avidité d’avoir et de savoir ; grâce de créer ; pour récompense ultime l’ennui...
Gens qui passent. A la recherche de la joie, du bonheur, scandée par le rythme fou des jours, des labeurs. A la recherche d’une inaction au rythme lent des morts et des cimetières fleuris.
Gens qui passent, foule immense et croissante de l’homme en marche...
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Zéro heure... Une brume poussiéreuse, intense qui ramasse l’humidité nocturne et le fluide visqueux exhalé par des cheminées multiples nappe la ville.
Rue Caulaincourt, silhouette difforme et ridicule à jambes fuselées, un agent cycliste pousse sa bicyclette d’une main lasse. Lointaine La lanterne bleue du commissariat annonce le havre à la chaleur malsaine, aux odeurs d’urine.
Zéro heures... A chaque horloge dressant son faux bronze municipal. Il y a de fatidiques et rituels décalages horaires de l’une à l’autre ; en fractions de minutes ! Gare Montparnasse tout dort. Le dernier express a quitté le hall de verre fumé en cliquetant. Dans leur poste, les aiguilleurs ont garni les rampes de leur contingent de billes et les aiguilles mordront à la demande pour ces trains sans nom au contenu anonyme. L’informatique est encore à venir...
Gare de Lyon, l’horloge a quinze secondes de retard. Le rapide de Berne vient de partir. Celui provenant de Bordeaux a déversé à Austerlitzun cheptel de gens hébétés. Sous le viaduc du Point du Jour la Seine fait danser un macabre menuet à des remous enlacçés dans la lueur d’un lampadaire...
Toutou famélique et sans nom, un ratier hume les bas de murs et fouille les poubelles. Rue La Fontaine, un chat noble dénonce son aristocratique lignée et fuit pour une nuit la distinction de sa caste. Dans un désir d’oubli du lait tiède, du feu de bois et des mains parfumées il cherche dans les filets d’air cette autre effluve plus fauve que promène sur une gouttière une chatte au pelage tigré.
Une heure... Berthe, petite fille habituellement à talons hauts, les doigts piqués de coups d’aiguilles, épandue à plat ventre sur son lit, sans grâce, sans secrets pleure avec grandiloquence l’amoureux qu’elle a éconduit. Par la lucarne de la chambre la lune contemple et... Sourit !
Place des Abesses, dans un bouge élégant, entre deux numéros éculés de strip-tease, Des gens dansent sans conviction dans six mètres carrés de lumière colorée. Accoudé au bar, Bénito, italo-corse, Smoking bleu de nuit et plastron glacé fermé d’une fausse perle songe à cette garce de bouffe qu’il faut gagner. Enfin, gagner... Pour le fisc, Bénito est artiste chorégraphique, un intermittent du spectacle, quoi. De fait, danseur mondain, gigolo et maquereau de petit rang ; parfois carambouilleur ; c’est à la demande !
Une heure ; André Nonoch, Monsieur André Nonoch, ministre un bref instant au Quai d’Orsay médite en un profond fauteuil tapissé d’Aubusson. Le gilet généreux et parsemé de cendres il rêve de conférences utiles qui aboutissent, de réunions de comités internationaux, d’interpellation à la Chambre... Pendant ce temps, celle-ci, en séance de nuit sous la pression d’une nuée d’hobbyistes, de suffragettes, d’anarchistes, l’a déjà déposé ; tout le cabinet avec lui !
Deux heures. Ernest Pringaux, le vieux Pringaux qui a toujours les pieds gelés, lampe à la main et morve au nez foule les tapis précieux des bureaux directoriaux d’une banque renommée. Là, pipe refroidie ; ici, cigare mouillé. Flotte dans l’ai d’impalpables odeurs de carbone, de vieux papiers, d’encre, d’aniline et de désinfectant. Veilleur de nuit, il veille tous ces fantômes odorants qui dans les halls évoquent sous ses pas d’imprécis revenants : là, le baron Haussmann et plus loin dans le fond Monsieur Stavisky... Deux grands qui veillent sur la ville, l’un canonisé et l’autre banqueroutier et suicidé avec complaisance et de loin !
Trois heures... Premier arrondissement : une putride odeur de décomposition végétale et de fraicheur agreste se mêle et s’épouse ; viandes sanguinolentes fleurant le carbogel, fruits aux parfums entêtants légumes sentant encore la terre ; du suif, du suint.
Trois heures, dans sa chambre Antoine, indispensable car il n’est qu’un habit est assis sur son lit de fer. Visage morose et caleçon long ! Il contemple un orteil violacé extrait à grand peine d’un soulier vernis. Dans sa bouche se mêlent avec une goute de bile les goûts des champagnes et liqueurs que les invités de monsieur ont abandonnés dans le fond de leur verre. Il n’allait pas laisser perdre. Les invités sont partis ; lui, l’Antoine anonyme mais toujours présent, inspecte écœuré cet oignon douloureux tandis que les acides montent à l’assaut.
Quatre heures... Porte d’Orléans, Porte de Versailles, Porte de St-Cloud ; feux verts, oranges, rouges. Feux verts, oranges, rouges. Feux verts, oranges, rouges ; la mécanique lumineuse bien huilée dispatche paquets par paquets dans un puissant ronflement de diesels et de souffle des Westinghouse une invasion de poids-lourds vers les quais.
Quatre heures... Entre Paris et Téhéran, la chaude, la blanche où la température indique quatre degrés sous zéro, le AF Pl282, ailes humides, crachant le feu par les évents géants de ses cylindres, aveugle va sa route infinie. Agglutinées dans un commun sommeil soixante-cinq personnes dodelinent de la tête en digérant le poulet froid américain, la salade russe, le saumon du Pacifique en boite, le jambon et le rosbif anglais et encore le cube de moka qu’une hôtesse avenante et pressée a déposés plus tôt sur les bras de leur fauteuil accompagnés d’une demi bourgogne. Engourdis, assourdis, la serviette d’affaire ou l’attaché case glissés entre les jambes, ils vont refaire un nouveau monde à grand renfort de prospectus, de carnets de commande et d'espoirs exportés.
Quatre heures... Dans une bouffée de chaleur à l’odeur de métal et de dynamos bien huilées des centaines de grilles roulant sur leurs galets ouvrent vers le ciel les entrailles de la ville. Dans un bruit puéril de trompette d’enfant, un chef de train à donné le départ d’une première rame et de la ronde infernale qui le jour durant va se perpétuer dans un underground titanesque.
Cinq Heures ; Marmottant, sous la froide et étincelante lumière d’un Scialytique, perdu dans l’épais silence d’une nuit de drame, le professeur Duverger penché sur une vie en suspens tente de réaliser une greffe impossible. Il va réussir ; il réussit... Et sanglote.
Dans un tintinnabulement qui a fait fuir des cohortes de chiens errants trottant l’amble de guingois vers des refuges invisibles Les camions de la SITA monstres avides et omnivores remontent lentement les rues poursuivis par le crachotement des arroseuses et le rampement crissant des balayeuses mécaniques.
Là-bas, vers l’Orient, pâle et informe, nait la lumière laiteuse d’un jour nouveau. Des reflets zèbrent le moutonnement des toitures : ardoises brillant comme des quartz, lucarnes de cristal, cauchemar de cheminées, surplombs, paratonnerres ; dissymétrie immense et chaotique qui fume au petit jour.
Cinq heures ; ceignant la ville d’éclairs blancs, le Cercle bleu distribue aux quatre points cardinaux son fleuve de lait aux sources intarissables, normandes, alpines, charentaises. Il converge vers des millions de bébés et de vieillards édentés, voie lactée triomphale et pasteurisée...
Six heures, rue Médicis, un facteur surgi d’un car bleu entame placidement une distribution d’espoirs, d’amertume, de colères, d’adieux et de factures. Maître absolu de chaque maison immeubles et paliers, il répand avec une indifférence de monarque créancess et faillites, serments d’éternité nouvelle et vieilles éternitées soudain rompues...
Six heures. Immobile, silhouette blanche au centre d’un décor fantasmagorique de science fiction, un homme ausculte sans le voir un bloc de pechblende. Dans son regard illuminé défile l’image d’un monde en fusion où ne se différencie plus la géhenne des premiers commencements de l’éclatement des fins dernières.
Six heures... Sur toutes les routes de banlieue, dans tous les trains et bus, vomis de chaque maisons en s’ébrouant d’une torpeur nocturne, une masse polype fleurant tous les savons et tous les reliquats de somnolence, regard fixe, se rue vers la ville pour réclamer, recevoir et servir la bonne parole des temps nouveaux. Au même instant celle-ci voit naître le Verbe ; évangile étrange prêchant la mystique issue de la matière.Dans la lumière qui croit, monte les premiers versets du cantique moderne scandé par le bruit des rotatives. Sur la périphérie, dans des rugissements de sirènes et le grondement opaque des moteurs, les chaînes s’ébranlent et accélèrent : une voiture, deux, trois ; trois poutres, deux cents boulons, vingt tôles, cent mètres de nylon, quarante balais-brosses...
L’odeur des métros se transforme et livre son haleine multiple et bon marché, sueur, crasse mal lavée, rut inachevé, pieds meurtris, torpeur agressive.
Sept heures. La ville se meut et engloutit sa provende humaine.
Berthe lavée, maquillée a oublié son chagrin nocturne et fait claquer sur l’asphalte humide pailletée de mica les pointes ridicules de ses hauts talons de petite main en rêvant d’un nouvel amoureux !
Au ministère des finances les portes sont entrebâillées. Duburoux a troqué son ciré, le vieux chapeau déformé qui l’accompagne et ses grosses chaussures d’employé bourgeois et économe contre un uniforme noir et un collier aux mailles de cuivre argenté. Il est maintenant un huissier austère et dédaigneux fermé pour la journée aux contingences extérieures. A l’entrée de Son couloir sur son bureau, tous les accessoires inutiles de sa charge : un téléphone muet, un tableau clouté d’ampoules éteintesEt un régiment de crayons aux mine effilées, à la parade, prêts au combat !
Sept heures. Dans les temples modernes derrière des façades austères et majestueuses, escorté de diacres armés, accompagné de regards avides, le Dieu nouveau est passé dans son ostensoir d’acier blindé... Dressé sur son autel derrierre d’épais barreaux il domine indifférent les turpitudes de son culte.
Sept heures. Prosterné face à un ciboire au pied d’un autre autel aux formes héraldiques, chétif et pourtant immense dans la vide perspective d’un temple désolé, déserté, un prêtre prie pour le troupeau misérable de tous ces gens qui passent, souvent misérables... Impérissables.
Le jour durant, des flics détestables, asservis cherchent LE JUIF... 1942
Re: Échos de jours anciens
Tu m'as dit une fois que tu aimais mon style "country".
Et bien moi j'aime ton style "Vieille France"!
Et bien moi j'aime ton style "Vieille France"!
Dean_Moriarty- Date d'inscription : 02/06/2011
Age : 38
Localisation : Lille
Re: Échos de jours anciens
ben dis donc, ils étaient drolement bien instruits les jeun's dans le temps. épatant
Re: Échos de jours anciens
Ta nouvelle est bien écrite mais je ne l'apprécie pas. Tout simplement parce que je n'aime pas ce style.
Mais je le répète, ta nouvelle est très bien écrite.
Mais je le répète, ta nouvelle est très bien écrite.
adrienf- Date d'inscription : 27/01/2012
Age : 29
Localisation : Belgique
Re: Échos de jours anciens
Pas tout lu (il est tard et je me suis levé super tôt), je commenterai demain (si j'ai le temps ), mais les premières lignes, si elles m'ont parues à la fois rugueuses, presque pompeuses, m'ont intrigué et donné envie de lire la suite, car je trouve que le style colle très bien avec ce qu'il est censé faire ressortir: une "vieille" France qui n'existe plus ou que par clichés, par morceaux, un peu comme un vieux meuble patiné et ciré à n'en plus pouvoir qu'on garde malgré tout.
Bref, un texte à la limite du baroque, mais qui parle, justement, d'une époque baroque (notamment avec l'art rococo de la première moitié du 20eme siècle), un texte imprégné de ce qu'il décrit.
Et puis, allez savoir pourquoi, ces mêmes premières lignes m'ont tout de suite fait penser à ça:
Bref, un texte à la limite du baroque, mais qui parle, justement, d'une époque baroque (notamment avec l'art rococo de la première moitié du 20eme siècle), un texte imprégné de ce qu'il décrit.
Et puis, allez savoir pourquoi, ces mêmes premières lignes m'ont tout de suite fait penser à ça:
Dernière édition par Demi-Tour le Jeu 2 Fév - 23:55, édité 1 fois
Demi-Tour- Date d'inscription : 13/09/2011
Age : 51
Re: Échos de jours anciens
Comme c'est étrange ! moi aussi bien sûr ! mais en 1942 quand j'ai écrit ce texte, Dutronc ne chantait pas encore. Était-il né ? Lui-même se serait inspiré d'une chanson de 1902 que je ne connais pas.
Rugueux, pompeux parfois, tout à fait d'accord. Ne pas oublier que c'est un adolescent d'à peine 13 ans qui l'a écrit. C'est le texte que j'ai ressuscité, pas la "Vieille France" ni heureusement mes 13 ans dans leur contexte d'horreur.
Rugueux, pompeux parfois, tout à fait d'accord. Ne pas oublier que c'est un adolescent d'à peine 13 ans qui l'a écrit. C'est le texte que j'ai ressuscité, pas la "Vieille France" ni heureusement mes 13 ans dans leur contexte d'horreur.
Re: Échos de jours anciens
ah oui, si t'as pas menti sur ton âge tu as du les vivre ces instants terribles
Re: Échos de jours anciens
J'aimerais bien avoir un autre âge mais en réalité, à quoi ça me servirait. Je suis né le 20-12-29 ! Et ça c'est hélas incontournable. J'ai raconté à mes enfants, je raconte à mes petits enfants (par écrit même) et à mes arrières petits enfants qui grandissent, ces temps affreux où une barbarie monstrueuse a remplacé l'humanité. Aujourd'hui encore je ne peux l'évoquer sans qu'une colère impuissante et une vraie douleur s'empare de moi. Avoir 16 ans en 1945 et voir ce que j'ai vu ne fut certes pas un don du ciel !
Je recommande toujours, partout le visionnage du film de Frédéric Rossif "de Nuremberg à Nuremberg" pour que personne, jamais, n'oublie.
Je recommande toujours, partout le visionnage du film de Frédéric Rossif "de Nuremberg à Nuremberg" pour que personne, jamais, n'oublie.
Re: Échos de jours anciens
Ton texte est vraiment bien écrit... et à 13 ans !
Tu n'as pas dû grandir durant la plus belle époque que tout le Temps ait connu. L'étudier, tenter de comprendre et d'imaginer en vain de l'extérieur est déjà si compliqué et si douloureux ; que le vivre doit être atroce...
Tu n'as pas dû grandir durant la plus belle époque que tout le Temps ait connu. L'étudier, tenter de comprendre et d'imaginer en vain de l'extérieur est déjà si compliqué et si douloureux ; que le vivre doit être atroce...
mathmatha- Date d'inscription : 30/05/2011
Age : 28
Re: Échos de jours anciens
oui, je l'ai vu, ainsi que de nombreux autres. j'ai lu pas mal de bouquins aussi sur le sujet tant l'animalité de cette époque m'a choquée. j'ai cherché à comprendre à 13 ans quand j'ai visité un ancien centre de détention dans les vosges. les "docteurs" y pratiquaient des expériences atroces, j'en suis ressortie choqué. depuis, je me méfie des humains.Je recommande toujours, partout le visionnage du film de Frédéric Rossif
"de Nuremberg à Nuremberg" pour que personne, jamais, n'oublie.
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Jeu 2 Mar - 21:58 par martin1
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