les comptes de la tendresse ordinaire "Les jambes de Jules"
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les comptes de la tendresse ordinaire "Les jambes de Jules"
Pour répondre au besoin de douceur de l'une d'entre vous...
Jules est un petit garçon ravissant. Je ne suis pas certaine que l'on doit dire ravissant quand l'on parle d'un petit garçon, toutefois, pour celui-ci, le mot est parfait.
Il est blond comme le blé couché avant la moisson, sa peau semble être de satin, oh, il a bien quelques taches de rousseur, mais le mot "tâche" lui, est bien vilain pour parler de ces petites étoiles qui lui constellent le nez. Mais ce qu'il a de proprement extraordinaire notre Jules, c'est ses yeux. Je n'ai jamais vu d'yeux pareils.
Il a les yeux de la couleur exacte des myosotis... Avez-vous déjà entendu cela ? Des yeux myosotis...Pas tout à fait bleus, pas tout à fait mauves, myosotis quoi... Avec, au centre de la pupille comme un reflet doré...
Ah oui, vraiment, Jules est un très beau, un ravissant petit garçon... Quand il est assis...
C'est quand il marche que les choses se gâtent... Jules est né avec une jambe plus courte de trois centimètres. Ce n'est rien me direz-vous, trois centimètres de jambes sur un mètre trente de petit garçon, ce n'est rien du tout... Ce n'est rien lorsque l'on ne marche pas...
Parce que notre Jules, dès qu'il veut marcher, sa hanche se désarticule, il nous semble, à nous qui le regardons, qu'il va tomber à chaque pas... Jules a l'habitude, penses-vous, il marche comme cela depuis toujours... Il rattrape le risque de chute avec le balancement de ses bras... Il se déhanche fermement en appuyant fort sur sa longue-jambe...Et zou, il lance son bras gauche pour équilibrer...On dirait un drôle de moulin à vent qui hésiterait à tourner des ailes...
Evidemment, cela fait bien rire tout le monde... Jules rit fort aussi, très fort.
Le plus drôle, c'est bien quand il joue au foot. Parce que Jules, jambe trop courte ou pas, il aime le foot, et du coup il joue avec l'équipe du village... Alors là, c'est formidable, quand il brinqueballe avec ce fichu ballon entre les jambes, ses bras moulinent de plus belle. Et dans les gradins, à chaque fois, le rire enfle, il rattrape le vent qui balaye la pelouse et étouffe le bruit des oiseaux... Le rire s'engouffre dans le cœur de Jules, le rire fracture le cœur de Jules... Et Jules rit, il rit encore, très fort, le plus fort possible pour couvrir le bruit de son chagrin...
Mais dans les yeux de Jules, les paillettes d'or se sont noyées...Le Papy de Jules le voit bien... C'est un Papy grognon, voyez, ce genre de papy qui marmonne quand on l'embrasse un peu fort, avec une moustache de gendarme qui pique et des cheveux tous blancs.
Et le Papy de Jules, quand il fouille dans les yeux du petit, il y voit seulement un grand lac qui se glace, qui se glace de plus en plus...
Alors hier, Papy a pris Jules par la main, il l'a fait monter dans un train et l'a emmené sans un mot... Papy bougon ne parle pas, Jules a bien essayé de savoir où ils allaient, mais Papy ronchon a juste dit : "tu verras !".
Ils sont descendus tous les deux dans une ville du sud-ouest : Bergerac, a lu Le petit en passant sur le fronton de pierre de la gare, Bergerac.
"Bergerac" dit Papy, "c'est là que l'on fabrique les timbres postes."
Jules ne dit rien, il opine de la tête, il fait un peu la moue... Après tout Papy travaillait là quand il était plus jeune... A l'imprimerie des timbres-poste, il va sans doute voir ses copains. Mais Jules ne comprend, pas du tout, pourquoi Papy veut l'emmener voir des vieux grognons comme lui...
Dans le bâtiment tout vieux et tout moche, il flotte une drôle d'odeur... Acre, une odeur qu'il connait mais dont il n'arrive pas à trouver l'origine...
"C'est l'encre !" bougonne Papy.
Le petit se promène dans les allées, Papy est en grande discussion avec un gros bonhomme, énorme, ses mains sont grandes comme la planche à découper le pain, il a des doigts gros comme des saucisses... Pas de vulgaires petites saucisses de Toulouse, non, de bonnes grosses saucisses de Morteau !
Et René (le gros bonhomme s'appelle René), avec ses doigts là, fait des choses absolument extraordinairement fabuleuses !
Il grave des plaques grandes comme les timbres postes, des plaques d'acier de 2 cm de côté. Avec un outil fin comme une aiguille à coudre, il trace des traits si petits qu'il est obligé de se mettre une drôle de paire de lunettes qui grossit cent fois.
Et ces milliers de traits vont faire le plus précieux, le plus magnifique des tableaux... C'est cette plaque qui, une fois terminée, sera imprégnée d'encre, et permettra d'imprimer des millions de timbres-poste.
René est le roi des artiste, bien plus fort que Picasso et Manet...
Jules est ébahi, il observe ces gros doigts fabriquer avec tellement de douceur le plus doux des papillons...
René regarde le petit par-dessus ces lorgnons et, d'un seul coup, sans crier gare, il le saisit à bras le corps et le pose comme un pain de deux livres sur le coin de son grand bureau en bois.
Il ouvre un tiroir qui grince tout ce qu'il peut et en sort une petite, toute petite enveloppe en cellophane.
"Tiens ! C'est pour toi gamin!"
Jules regarde ce bout de papier qui grésille dans les doigts.
"Ouvre donc gamin !"
Dans le creux de la main de Jules, repose un timbre... Un timbre tout bête, pas un de ceux que Jules a vu dans les vitrines en arrivant, pas un papillon multicolore ou la caravelle de Christophe Colomb, non, pas non plus l'avion de Saint Exupéry...
Un timbre tout simple. Une Marianne. Tout le monde les connaît les Marianne, il en existe des rouges et des vertes, ce sont les plus connues, il en existe aussi des jaunes, des oranges, des bleues, des brunes et mêmes des violettes.
Mais celle-ci, elle est d'une couleur étrange... Pas vraiment bleue, pas vraiment mauve... Myosotis, oui c'est cela, elle est Myosotis. De la couleur exacte des yeux de Jules. En y regardant de plus près on pourrait presqu'y voir des reflets dorés.
"Tu sais pourquoi il est là ce timbre ?" Bougonne encore René.
"Parce qu'il est raté ! Oui raté ! Bleu myosotis ! Ça n'existe pas, pas pour une Marianne !"
"Et bien je vais te dire bonhomme, ce timbre-là, il vaut une fortune ! Tu sais pourquoi ?"
Jules ne sait pas, il secoue la tête de droite à gauche.
"Il vaut une fortune parce qu'il est raté, qu'il a un défaut... Il est unique, tu comprends bonhomme, unique ! Différent de tous les autres, il est et sera toujours unique. Alors ce timbre, tu vas le mettre dans la poche de ta chemise, tout près de ton cœur. Comme ça, le jour ou tes yeux voudront changer de couleur, il te soufflera sur l'âme pour y mettre de la chaleur ! Allez file, je t'ai assez vu !"
Papy a repris la main de Jules et sans dire un mot, ils sont rentrés tous les deux. Peut-être bien que la main de Papy serrait celle de Jules un peu plus fort que d'habitude, peut être aussi que ces maudites poussières qui volètent des arbres au printemps sont venues trainer un peu trop près des yeux de Papy. En tous cas, il se mouchait beaucoup.
Depuis ce jour-là, Jules a des yeux d'un myosotis, bon dieu, c'est un vrai bonheur que cette couleur qu'il s'applique à mettre dans le cœur des autres...
Jules est un petit garçon ravissant. Je ne suis pas certaine que l'on doit dire ravissant quand l'on parle d'un petit garçon, toutefois, pour celui-ci, le mot est parfait.
Il est blond comme le blé couché avant la moisson, sa peau semble être de satin, oh, il a bien quelques taches de rousseur, mais le mot "tâche" lui, est bien vilain pour parler de ces petites étoiles qui lui constellent le nez. Mais ce qu'il a de proprement extraordinaire notre Jules, c'est ses yeux. Je n'ai jamais vu d'yeux pareils.
Il a les yeux de la couleur exacte des myosotis... Avez-vous déjà entendu cela ? Des yeux myosotis...Pas tout à fait bleus, pas tout à fait mauves, myosotis quoi... Avec, au centre de la pupille comme un reflet doré...
Ah oui, vraiment, Jules est un très beau, un ravissant petit garçon... Quand il est assis...
C'est quand il marche que les choses se gâtent... Jules est né avec une jambe plus courte de trois centimètres. Ce n'est rien me direz-vous, trois centimètres de jambes sur un mètre trente de petit garçon, ce n'est rien du tout... Ce n'est rien lorsque l'on ne marche pas...
Parce que notre Jules, dès qu'il veut marcher, sa hanche se désarticule, il nous semble, à nous qui le regardons, qu'il va tomber à chaque pas... Jules a l'habitude, penses-vous, il marche comme cela depuis toujours... Il rattrape le risque de chute avec le balancement de ses bras... Il se déhanche fermement en appuyant fort sur sa longue-jambe...Et zou, il lance son bras gauche pour équilibrer...On dirait un drôle de moulin à vent qui hésiterait à tourner des ailes...
Evidemment, cela fait bien rire tout le monde... Jules rit fort aussi, très fort.
Le plus drôle, c'est bien quand il joue au foot. Parce que Jules, jambe trop courte ou pas, il aime le foot, et du coup il joue avec l'équipe du village... Alors là, c'est formidable, quand il brinqueballe avec ce fichu ballon entre les jambes, ses bras moulinent de plus belle. Et dans les gradins, à chaque fois, le rire enfle, il rattrape le vent qui balaye la pelouse et étouffe le bruit des oiseaux... Le rire s'engouffre dans le cœur de Jules, le rire fracture le cœur de Jules... Et Jules rit, il rit encore, très fort, le plus fort possible pour couvrir le bruit de son chagrin...
Mais dans les yeux de Jules, les paillettes d'or se sont noyées...Le Papy de Jules le voit bien... C'est un Papy grognon, voyez, ce genre de papy qui marmonne quand on l'embrasse un peu fort, avec une moustache de gendarme qui pique et des cheveux tous blancs.
Et le Papy de Jules, quand il fouille dans les yeux du petit, il y voit seulement un grand lac qui se glace, qui se glace de plus en plus...
Alors hier, Papy a pris Jules par la main, il l'a fait monter dans un train et l'a emmené sans un mot... Papy bougon ne parle pas, Jules a bien essayé de savoir où ils allaient, mais Papy ronchon a juste dit : "tu verras !".
Ils sont descendus tous les deux dans une ville du sud-ouest : Bergerac, a lu Le petit en passant sur le fronton de pierre de la gare, Bergerac.
"Bergerac" dit Papy, "c'est là que l'on fabrique les timbres postes."
Jules ne dit rien, il opine de la tête, il fait un peu la moue... Après tout Papy travaillait là quand il était plus jeune... A l'imprimerie des timbres-poste, il va sans doute voir ses copains. Mais Jules ne comprend, pas du tout, pourquoi Papy veut l'emmener voir des vieux grognons comme lui...
Dans le bâtiment tout vieux et tout moche, il flotte une drôle d'odeur... Acre, une odeur qu'il connait mais dont il n'arrive pas à trouver l'origine...
"C'est l'encre !" bougonne Papy.
Le petit se promène dans les allées, Papy est en grande discussion avec un gros bonhomme, énorme, ses mains sont grandes comme la planche à découper le pain, il a des doigts gros comme des saucisses... Pas de vulgaires petites saucisses de Toulouse, non, de bonnes grosses saucisses de Morteau !
Et René (le gros bonhomme s'appelle René), avec ses doigts là, fait des choses absolument extraordinairement fabuleuses !
Il grave des plaques grandes comme les timbres postes, des plaques d'acier de 2 cm de côté. Avec un outil fin comme une aiguille à coudre, il trace des traits si petits qu'il est obligé de se mettre une drôle de paire de lunettes qui grossit cent fois.
Et ces milliers de traits vont faire le plus précieux, le plus magnifique des tableaux... C'est cette plaque qui, une fois terminée, sera imprégnée d'encre, et permettra d'imprimer des millions de timbres-poste.
René est le roi des artiste, bien plus fort que Picasso et Manet...
Jules est ébahi, il observe ces gros doigts fabriquer avec tellement de douceur le plus doux des papillons...
René regarde le petit par-dessus ces lorgnons et, d'un seul coup, sans crier gare, il le saisit à bras le corps et le pose comme un pain de deux livres sur le coin de son grand bureau en bois.
Il ouvre un tiroir qui grince tout ce qu'il peut et en sort une petite, toute petite enveloppe en cellophane.
"Tiens ! C'est pour toi gamin!"
Jules regarde ce bout de papier qui grésille dans les doigts.
"Ouvre donc gamin !"
Dans le creux de la main de Jules, repose un timbre... Un timbre tout bête, pas un de ceux que Jules a vu dans les vitrines en arrivant, pas un papillon multicolore ou la caravelle de Christophe Colomb, non, pas non plus l'avion de Saint Exupéry...
Un timbre tout simple. Une Marianne. Tout le monde les connaît les Marianne, il en existe des rouges et des vertes, ce sont les plus connues, il en existe aussi des jaunes, des oranges, des bleues, des brunes et mêmes des violettes.
Mais celle-ci, elle est d'une couleur étrange... Pas vraiment bleue, pas vraiment mauve... Myosotis, oui c'est cela, elle est Myosotis. De la couleur exacte des yeux de Jules. En y regardant de plus près on pourrait presqu'y voir des reflets dorés.
"Tu sais pourquoi il est là ce timbre ?" Bougonne encore René.
"Parce qu'il est raté ! Oui raté ! Bleu myosotis ! Ça n'existe pas, pas pour une Marianne !"
"Et bien je vais te dire bonhomme, ce timbre-là, il vaut une fortune ! Tu sais pourquoi ?"
Jules ne sait pas, il secoue la tête de droite à gauche.
"Il vaut une fortune parce qu'il est raté, qu'il a un défaut... Il est unique, tu comprends bonhomme, unique ! Différent de tous les autres, il est et sera toujours unique. Alors ce timbre, tu vas le mettre dans la poche de ta chemise, tout près de ton cœur. Comme ça, le jour ou tes yeux voudront changer de couleur, il te soufflera sur l'âme pour y mettre de la chaleur ! Allez file, je t'ai assez vu !"
Papy a repris la main de Jules et sans dire un mot, ils sont rentrés tous les deux. Peut-être bien que la main de Papy serrait celle de Jules un peu plus fort que d'habitude, peut être aussi que ces maudites poussières qui volètent des arbres au printemps sont venues trainer un peu trop près des yeux de Papy. En tous cas, il se mouchait beaucoup.
Depuis ce jour-là, Jules a des yeux d'un myosotis, bon dieu, c'est un vrai bonheur que cette couleur qu'il s'applique à mettre dans le cœur des autres...
Inédite- Date d'inscription : 01/10/2011
Re: les comptes de la tendresse ordinaire "Les jambes de Jules"
belle histoire aussi que celle-ci. tendre comme il le faut. j'aurai cependant aimé connaitre l'âge du gamin.
une coquille là : (en rouge)
et là, le début sonne bizarre à mes oreilles (en bleu)
on sent bien que c'est une histoire à conter comme la dernière nouvelle de Daniel. les enfants doivent être sous le charme quand tu leur raconte cette histoire
une coquille là : (en rouge)
Parce que notre Jules, dès qu'il veut marcher, sa hanche se désarticule, il nous semble, à nous qui le regardons, qu'il va tomber à chaque pas... Jules a l'habitude, penses-vous, il marche comme cela depuis toujours... Il rattrape le risque de chute avec le balancement de ses bras... Il se déhanche fermement en appuyant fort sur sa longue-jambe...Et zou, il lance son bras gauche pour équilibrer...On dirait un drôle de moulin à vent qui hésiterait à tourner des ailes...
et là, le début sonne bizarre à mes oreilles (en bleu)
peut-être en ôtant le "elle"Mais celle-ci, elle est d'une couleur étrange... Pas vraiment bleue, pas vraiment mauve... Myosotis, oui c'est cela, elle est Myosotis. De la couleur exacte des yeux de Jules. En y regardant de plus près on pourrait presqu'y voir des reflets dorés.
on sent bien que c'est une histoire à conter comme la dernière nouvelle de Daniel. les enfants doivent être sous le charme quand tu leur raconte cette histoire
Re: les comptes de la tendresse ordinaire "Les jambes de Jules"
figure toi que oui, j'ai fait un carton dans un club de foot !!!
Merci pour les coquilles et autres poussins contenus dedans...
Merci pour les coquilles et autres poussins contenus dedans...
Inédite- Date d'inscription : 01/10/2011
Re: les comptes de la tendresse ordinaire "Les jambes de Jules"
C'est pour ça que lorsqu'on me traite de timbré, je me sens unique...
Très belle histoire
Très belle histoire
Aganticus- Date d'inscription : 03/12/2011
Age : 76
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