Aude... (Contes et légendes)
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Aude... (Contes et légendes)
J'avais écrit cette terrible légende pour mes stagiaires du stage BAFA de Pâques à Quillan, au bord du fleuve Aude, histoire de les mettre dans l'ambiance. Je devais la leur lire sur la rive, à deux pas des eaux vives...
Qu'en pensez-vous ?
AUDE
Aude rayonnait toute la lumière du ciel du Sud et ses yeux avaient la couleur du fleuve lorsque les neiges fondent au printemps, tout en haut, sur les sommets. Elle était fille d’un marchand d’étoffes de la cité de Carcassonne qui faisait travailler de nombreux ateliers dans la Montagne noire.
Le drapier avait coutume de visiter dans un riche équipage, les marchés où ses vendeurs faisaient étalage des toiles les plus fines et des brocarts les plus somptueux. Aude faisait parfois partie du voyage.
C’est lors d’un passage sur la foire de printemps de la petite bourgade de Quillan que la fille repéra dans la foule une paire d’yeux noirs et brûlants qui la suivait dans tous ses mouvements. Intriguée, elle s’écarta quelque peu et découvrit, derrière les badauds, un jeune homme aussi brun qu’elle était blonde. Son teint hâlé était de ceux que portent les travailleurs des campagnes ou ceux de la mer.
Elle fut saisie par l’aura de beauté qui se dégageait de son visage et veilla à se laisser distancer par le cortège paternel. Elle chemina un instant à côté de l’adolescent qui semblait ne pouvoir détacher d’elle ses yeux.
Ils n’échangèrent pas un seul mot. Il disparut soudain dans la foule et elle se retrouva perdue au milieu d’inconnus dans la chaleur et la poussière du champ de foire. Elle dut presser le pas pour rattraper son père qui paradait en compagnie des édiles du village. Elle vit à peine la paire de magnifiques chevaux andalous qui tournaient en rond, tenus à la longe par un palefrenier qu’elle aurait longuement admirés en d’autres circonstances.
L’hostellerie les accueillit. Mais, dès le repas terminé, Aude prétexta la fatigue et rejoignit l’appartement qui lui avait été réservé. Elle ne dormit pas longtemps cette nuit-là, perdue dans des rêves où les yeux du jeune homme aperçu sur la place ne quittaient toujours pas les siens.
Le lendemain était dimanche et c’est vêtue de sa plus belle robe qu’elle se rendit à la messe du matin escortée de la vieille servante qui l'accompagnait partout et lui tenait lieu de mère.
Elle n’avait pas dépassé le coin de la rue, qu’un pas leste se fit entendre dans son dos. Elle faillit défaillir lorsqu’elle se retourna. Le regard de braise du bûcheron s’accrocha à ses yeux et elle crut qu’elle ne pourrait s’en détacher. Si bien qu’elle trébucha sur l’arête d’un pavé cassé et sa brave suivante la vit tomber de tout son long sur la pierre. Mais le garçon avait bondi. Ses mains puissantes avaient saisi la taille de la belle et l’avaient remise d’aplomb. Aude, toujours dans un rêve se répandit en remerciements qu’elle bredouilla le cœur battant. L’adolescent n’était pas bavard, mais accepta de bonne grâce de cheminer avec elle jusqu’à l’église. Il répondit poliment à ses questions sans jamais la quitter du regard. La servante qui savait être discrète avait pris quelque pas d’avance et les deux jeunes gens purent ainsi faire connaissance. Pierre était fils de bûcheron et fournissait avec son père une bonne partie du village en bois d’œuvre ou de chauffe.
Quand la voiture du marchand s’arracha de la cour de l’hostellerie, au milieu de l’après-midi, ce sont leurs deux cœurs qui se déchirèrent et leurs yeux se promirent de se retrouver bientôt.
De retour à Carcassonne la vie reprit son cours. Une langueur s’empara de la jeune fille et sa servante comprit bien que le souvenir du beau jeune homme brun qu’elle avait laissé à regret à Quillan y était pour quelque chose.
Quelques jours passèrent.
Un soir où la douceur de l’air annonçait l’été, Aude était accoudée à son balcon respirant à pleins poumons le parfum des fleurs du jardin. Dans l’ombre, un mouvement attira son attention et elle faillit crier de peur. Mais le visage de Pierre le bûcheron apparut et c’est un gémissement de bonheur qui lui échappa. Un instant plus tard, le garçon était à ses pieds, la suppliant de lui pardonner pour avoir ainsi forcé sa porte. Elle le fit relever, saisit ses mains et les porta à ses lèvres.
Pierre revint souvent à Carcassonne. Chaque fois qu’il menait une charrette chargée de bois chez les charpentiers de la ville, il se glissait à la nuit dans le jardin du marchand de toile et en ressortait aux premières lueurs de l’aube.
Leur bonheur aurait pu durer ainsi longtemps, si, un dimanche matin à la sortie de la messe, le drapier n’avait annoncé à sa fille qu’il souhaitait lui présenter un homme qui serait digne de devenir son époux dès qu’elle aurait l’âge d’en prendre un au printemps suivant.
Elle se força à sourire pendant l’entrevue. Le garçon était sérieux et bien mis. Sa famille possédait de grandes étendues de terre dans le Lauraguais et faisait commerce de céréales et de vin. Il avait l’air appliqué pour ses affaires, mais sa conversation fit bâiller la jeune fille et c’est sans regret qu’elle suivit son père dès qu’il prit congé.
Trois nuits plus tard, sous une lune bien ronde, Pierre la retrouva sur le balcon. Il remarqua tout de suite que son amie avait pleuré. Les sanglots remontèrent à sa gorge lorsqu’elle lui avoua que son père avait projet de la marier. Il la berça longuement dans ses bras et sécha ses larmes.
Ce que décidèrent les deux amants cette nuit-là, nul ne le sait. Mais la jeune fille eut dès le lendemain une discussion orageuse avec son père.
Elle lui affirma qu’elle n’épouserait jamais d’autre homme que celui qu’elle avait choisi elle-même. Il lui répondit qu’un bûcheron n’était pas un parti acceptable pour une fille comme elle et qu’il en serait comme il avait décidé. Leur dispute se termina par des cris et des pleurs. Le marchand promit alors de faire bastonner tout homme qui l’approcherait.
Il la fit désormais accompagner en tous lieux par un de ses employés et posta le soir même un garde dans le jardin sous la fenêtre de sa fille.
Au creux de la nuit, un baiser réveilla Aude qui avait fini par sommeiller après avoir épuisé toutes les larmes de son corps. Le gardien lui aussi s’était endormi et Pierre en avait profité pour grimper souplement jusqu’au balcon.
Quand la servante entra dans la chambre le lendemain matin, le lit était vide et la jeune fille ne répondit pas à ses appels. Étrangement, aucun de ses vêtements ne manquait. Elle fouilla la maison, puis le jardin. Puis la mort dans l’âme se décida à faire prévenir le marchand qui était parti inspecter ses entrepôts.
Toute la cité entendit les cris et les blasphèmes que jeta le drapier vers le ciel. Le garde de nuit assura qu’il n’avait vu personne passer par le jardin et jura sur tout ce qui lui était cher qu’il n’avait pas fermé l’œil jusqu’au lever du soleil. Le marchand fit fouiller la ville sans succès. Au crépuscule, il était dans une terrible colère. Il convoqua le gardien de la nuit précédente. Il lui promit une bourse pleine d’or s’il lui ramenait les fugitifs, mais dans le cas contraire, il veillerait qu’il meure dans d’atroces souffrances. Et quand celui-ci objecta que les jeunes gens ne voudraient certainement pas le suivre, il lui hurla sous le nez d'engager tous les hommes qui seraient nécessaires, mais il les voulait avant la fin de la semaine.
Le garde rassembla quelques amis à qui il promit une poignée de pièces. Il interrogea avant tout la vieille servante qui avoua qu’elle avait rencontré un jeune homme à la dernière foire du printemps dans le bourg de Quillan.
Les hommes de main commencèrent donc leur enquête en remontant le fleuve.
C’est à Limoux qu’ils retrouvèrent la trace des fugitifs. On avait aperçu un jeune homme brun qui conduisait une charrette attelée de deux chevaux de trait. Pierre le bûcheron. Tout le monde le connaissait. Il était accompagné d’un autre adolescent aux cheveux longs et blonds… qui ressemblait fort à une fille.
Pierre, se doutant qu’ils seraient poursuivis, avait abandonné les chevaux dans une prairie, près de la scierie de son père, raflé un sac de nourriture dans la maison et filé vers la montagne en tenant toujours la fille par la main.
Les hommes du drapier ne trouvèrent donc personne et tournèrent bride vers la ville pour lui rendre compte de leur échec.
Celui-ci rentra alors dans une violente colère, saisit une cravache et en cingla le visage du garde. Il lui promit encore mille morts s’il ne lui ramenait pas la tête des fugitifs d’ici peu.
Les hommes se hâtèrent donc de changer de chevaux à l’écurie du maître et repartirent à bride abattue le long de la rivière.
Arrivés à Quillan, ils se rendirent chez un correspondant du marchand qui se chargea de leur procurer une demi-douzaine de chiens réputés pour leur flair.
Ils se lancèrent sur le chemin qu’avaient emprunté les jeunes gens. La trace courait le long de la vallée et les chevaux au trot gagnaient du terrain sur les fugitifs. Les chiens trouvèrent leur piste au bout d’un moment. Un sentier gravissait la pente et conduisait au pied de la falaise. Des traces récentes de mousse décrochée et des empreintes de pas dans de la glaise au pied des roches ne pouvaient pas tromper. Les adolescents avaient grimpé par un escalier naturel.
Une fois les chevaux lâchés à paître dans un morceau de prairie, les hommes escaladèrent à leur tour les rochers jusqu’à la crête. Là, les chiens se mirent à aboyer de plus belle. La piste était fraîche. Ils redescendirent tous en courant le versant jusqu’à l’eau claire d’un torrent.
Aude et son ami Pierre avaient trouvé refuge dans une grotte que le jeune bûcheron avait découverte des années auparavant. Elle s’ouvrait au sud, à deux pas d’une cascade qui avait creusé une piscine naturelle pleine d’une eau parfaitement pure.
Après s’être restaurés de pain et de fromage, les deux jeunes avaient décidé de se rafraîchir. Ils étaient entrés dans l’eau et se laissaient éclabousser par les fines gouttelettes que la brise douce apportait.
Les chiens s’arrêtèrent net au bord de l’eau. Les hommes essoufflés s’immobilisèrent. Médusés, ils contemplèrent un moment les deux jeunes gens nus et enlacés, irisés dans l’arc en ciel que donnaient le vent et la cascade.
Quand Aude et Pierre aperçurent leurs poursuivants, il n’était plus temps de fuir. Le garçon saisit le premier morceau de bois flotté à sa portée, cacha son amie derrière son corps et se prépara à défendre chèrement leur vie et leur amour.
Mais la lutte n’était pas égale. Roué de coups de bâtons, le garçon succomba bientôt sous le nombre. La jeune fille hurla et se mit à jeter des galets vers les assaillants en tirant son ami inconscient vers la rive. Mais elle aussi eut bientôt son compte de coups qui la laissèrent inanimée et sanglante dans la vasque d’eau pure.
À Carcassonne peu de temps avant le crépuscule, un villageois hurla en regardant la rivière. Bientôt toute la population se trouva rassemblée sur le pont et sur les berges. L’on envoya chercher l’évêque et tout le clergé et un silence de mort plana sur la ville. Le fleuve qui roulait habituellement des eaux claires où se baignaient les enfants avait démesurément gonflé et charriait, ce soir-là, des flots de sang.
Le drapier était lui aussi posté sur le pont et contemplait l’étrange phénomène. C’est à ce moment-là que, s’ouvrant un chemin dans la foule s’avancèrent cinq cavaliers. Le marchand reconnut ses hommes et s’approcha de celui qu’il avait chargé de la poursuite.
Ce dernier décrocha de sa selle un sac de toile. Sans dire un mot, il en sortit une tête aux cheveux noirs couverte des taches brunes qu’il déposa sur le parapet de pierre. La foule des badauds fit cercle dans le plus profond silence. Elle frémit pourtant quand, dans un deuxième mouvement, il tira du sac une deuxième tête par ses longs cheveux blonds ensanglantés et la déposa à côté de la première. Devant le marchand et la foule frappés de stupeur, il jeta le sac à terre et tendit la main. Le drapier sortit soudain de sa torpeur et fouillant dans sa ceinture retira une bourse de pièces d’or.
La foule resta muette lorsque les cavaliers eurent disparu. Seul un vieil homme avança vers le marchand, et sans le regarder dans les yeux, cracha à ses pieds. À ce signal toute la population reflua en lente procession et disparut bientôt comme si elle n’avait jamais été là.
Le drapier se retrouva seul au sommet du pont enjambant les eaux boueuses de sang.
Nul ne sait ce qui se passa pendant la nuit.
Le lendemain matin, quand la lavandière qui vivait au bout du pont ouvrit ses volets, elle aperçut sous l’arche la plus haute, un corps dans l’eau jusqu’aux genoux qui se balançait au rythme du courant. Elle remarqua que la rivière avait retrouvé sa belle couleur verte et sa transparence des jours d’été.
Personne ne sut dire si la colère du fleuve s’était apaisée, une fois le marchand mort de peine, ou si, tout en haut du fleuve, dans la vasque d’eau cristalline qui avait d’abord servi de baignoire, puis de suaire, aux deux jeunes amants, les loups, nombreux en ces temps anciens, avaient fait un festin cette nuit-là.
Personne ne retrouva les corps de la belle Aude et de son ami Pierre. La rivière les avait cachés et garderait le secret à jamais.
Mais si vous vous asseyez au bord de l’eau dans les gorges, un soir d’été, à l’heure où la lumière baisse et où le ciel devient rouge sang, vous entendrez, au fil du courant, le chant de la belle Aude qui égrène de tendres mots d’amour pour Pierre le bûcheron.
Re: Aude... (Contes et légendes)
c'est une histoire à conter c'est vrai. elle me rappelle une chanson (je veux mon ami pierre)
Re: Aude... (Contes et légendes)
Les fabliaux de jadis colportent nombre d'histoires de ce genre.
C'st bien écrit et bien structuré au format conte à dire. J'aime bien. Qu'en ont dit les stagiaires
C'st bien écrit et bien structuré au format conte à dire. J'aime bien. Qu'en ont dit les stagiaires
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