Et Dieu créa Zoe Sava

La recession économique de 2054 avait fait d'énormes dégâts. Après dix longues années de sévices, de crimes, de hargne, la population ne se relevait qu'en titubant, la tête dans les mains et plus méfiante que jamais.
Le terrible mal avait été croissant. Au début, on se tenait seulement sur ses gardes, mais la deuxième année, on s'était mis à soupçonner tout et n'importe quoi : son ami, son voisin, son chat, son chien, soi-même. D'après les plus récentes statistiques, le nombre de profiteurs avait triplé ou même quadruplé durant cette parenthèse sanglante. Rien de grave au prime abord. Juste du grattage par-ci par-là, des petites sommes pas remboursées qui se transformèrent peu à peu en délits, gougateries, et meurtres moraux qui firent des monstres.
Ces monstres, on les trouvait partout. C'était votre collègue qui vous empruntait un euro pour son pain, cette mère à la sortie des classes qui collectait des chèques pour l'association des parents d'élèves, l'homme qui avait attrappé votre sac dans le métro, le braqueur du coin, le cambrioleur, l'assassin, la caissière, les retraités, les banquiers, les bêtes errantes, les gamins, les hackers, les contrôleurs, les commerçants, et impôts, et sans doute le gouvernement.
Ce fut sans doute au lendemain de cette crise que commença ce qu'on peut désormais appeller la dictature de Zoé Sava.
Fin 2064. Une jeune cadreuse du câble public sort de l'ombre pour faire irruption sur les écrans de plusieurs millions de téléspectateurs, au beau milieu d'une émission de micro-trottoir bidon. On l'interroge au hasard, parmi dix français choisis au hasard. L'interview ne dure que deux minutes. Elle parle bien, elle convainc, un producteur la remarque, et elle sort un CD de deux titres l'année suivante. Une horreur de 5000000 exemplaires vendus. Mais les vieux trouvent qu'elle chante faux - et c'est le cas-, elle-même n'est pas certaine de son talent. Elle arrête. Elle s'inscrit à un parti quelconque et comme elle se sent prédestinée pour la grandeur, choisit une autre carrière: la politique.
Immédiatement, ça marche mieux. Le parti l'aime. La notoriété de la demoiselle grandit de minute en minute, tant et si bien qu'elle fait de l'ombre au parti qui trouve un prétexte et la vire. Les gens s'indignent. Ça joue la victime.
Alors elle monte au créneau, se présente aux présidentielles comme un électron libre et passe en tête au premier tour. Il faut dire que ses cabinets de com sont bétons et qu'elle a au moins trois cerveaux de plus que les autres candidats. Au second tour, elle fait un score de 55, 8% contre son adversaire, suivi d'un superbe discours d'investiture. L'adversaire lance une petite répartie, elle serre quelques poignées de mains. La voilà présidente de la République.
Immédiatement, un parti s'organise derrière elle, car un président sans parti, disons-le, ça ne tient pas debout. Il devient majoritaire à l'assemblée, le Sénat bascule de son côté. Les gens sont ravis. Quelques discours, quelques mesures sociales et anti-sociales plus tard, on décide qu'on peut bien se passer d'élections présidentielles. La France a déjà ce qu'il lui faut.
Les professeurs se mettent au travail, on réforme les programmes, la présidente est à l'honneur partout. Pour le moment, elle ne fait que des choses qui semblent justes aux uns et aux autres. Elle chamboule le monde. Même son parti change de nom.

1500 meurtres en un an.
5000 disparitions officielles.
670000 suicides.

Et Dieu créa Zoé Sava.