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Message par Amiedetous Mar 21 Aoû - 15:03

J'avais beaucoup de choses à écrire depuis quelques jours, mais j'étais tellement bouleversée que je n'ai pas pu m'installer devant le clavier.

Le dix-sept au soir, mon ami m'a téléphoné. Il m'a demandé s'il pouvait passer... et j'ai refusé! Les larmes recommencent à couler pendant que je tape. Je voulais dormir tôt parce que la fatigue ne veut pas me quitter. J'étais déjà presque au lit quand il a appelé et je n'ai pas eu le courage de me rhabiller. La pensée de devoir lutter pendant une, deux, ou même trois heures contre le sommeil me répugnait tant que je lui ai répondu que je souhaitais me coucher. Or, il était déjà en route pour chez moi. Il a fait demi-tour et a affronté tout seul sa terrible nuit.

R. m'a rappelée le lendemain matin. Il annonçait sa venue. Il n'a pas eu la patience d'être arrivé pour me raconter ce qu'il avait vu à la télévision la veille et qui l'avait tant bouleversé!
Pendant la guerre du Pacifique, des soldats japonais se sont retrouvés sur une île, sans rien à manger. Ils ont d'abord dévoré leurs prisonniers, puis ils ont choisi un de leurs camarades pour leur servir de nourriture. Ils lui ont lié les pieds et les mains, l'ont couché à plat ventre et ont commencé à le découper vivant. Ils ont fait rôtir la chair qu'ils avaient prélevée, et en ont fait un repas. Ils l'ont laissé atrocement hurler de douleur pendant vingt-quatre heures, le temps pour eux de recommencer à avoir faim et de lui prélerver un autre gros morceau de chair. Ils voulaient garder le malheureux le plus longtemps possible en vie, pour que la viande reste fraîche.

Je ne peux pas écrire cette horreur sans pleurer. Mais mains tremblent en racontant cette atrocité. R. me disait qu'un des survivants japonais qui avait participé à ces repas de cannibales, et qui était devenu un très vieux monsieur, avait traquillement témoigné devant les caméras.

Je n'ai pas voulu m'empêcher de pleurer très fort. Je pleurais encore quand R. a sonné en bas de la porte, et j'ai continué après. Nous avons pris un petit déjeûner ensemble, et j'ai continué de pleurer dans ma tasse. R. n'a fait aucune remarque. Je lui en voulais de m'avoir raconté cette atrocité.
J'avais lutté pendant cinquante ans pour ne rien voir ni ne rien entendre des horreurs qu'il n'était pas obligatoire de connaître et il m'avait aussi crûment relaté une des pires choses que j'aie jamais entendue.

Des souvenirs de ma sensibilité de petite fille me revenaient et je versais des larmes sur les souffrances que mes yeux d'enfant savaient voir et contre lesquelles je m'étais protégée comme je pouvais avec les années.

Mon grand-père m'avait emmenée au Jardin d'Acclimatation (ou au zoo de Vincennes, je ne sais plus) alors que j'étais une toute petite fille. Je crois que je n'allais pas encore à l'école, ou tout juste. Je me souviens du loup, seul dans sa petite cage au sol de ciment, offert aux regards des visiteurs. Il se tenait le plus loin possible de nous. Je sentais sa souffrance et sa honte, et, pour l'épargner un peu, je détournais mon regard de lui. J'étais si triste pour lui. Je me sentais coupable d'être là, coupable de me tenir devant les barreaux. Je ne voulais pas m'approcher pour respecter son désir d'être loin de nous. Mon grand-père, croyant que c'était par peur, m'encourageait à faire des pas en avant. Il guettait les signes de plaisir sur mon visage. Je ne pouvais rien lui dire de mon incommensurable tristesse et de l'étau qui resserrait ma poitrine. Je comprenais qu'il aurait été déçu par ma réaction. Il attendait mes exclamations d'enthousiasme, comme celles des autres gosses: "Oh, regarde le loup! Et les singes, là-bas!..." Je comprenais que je n'étais qu'une petite fille qui ne pouvait rien faire pour mettre fin au scandale de animaux en cage dont on blessait la dignité en en faisant des objets à regarder. Je m'étonnais de l'insensibilité des visiteurs qui trouvaient plaisant d'être dans cet horrible endroit. J'ai pensé que je n'étais pas normale. Je ressentais fortement l'attente de mon grand-père. Il m'a fallu choisir entre épargner ce seigneur des forêts ou donner de la joie à mon pépé qui avait sacrifié son après-midi pour moi toute seule. J'ai fait ce qu'il attendait de moi: je lui ai montré un visage rayonnant de joie muette tandis que je pleurais à l'intérieur.
Puis j'ai été "contrainte" de monter à dos de chameau pour faire le tour du zoo en compagnie d'autres enfants. Je ne pensais qu'à notre monture pour laquelle je ressentais une grande compassion. Son humiliation d'être transformé en jouet pour petits parisiens me faisait mal au ventre. Je m'appliquais de mon mieux à ne regarder nulle part pour n'apercevoir aucun animal. Puis, pour éparger à mon grand-père le prix du ticket de bus, parce que je croyais que tout le monde était pauvre comme Maman, je lui ai demandé si nous pouvions rentrer à pieds. C'était très loin. De retour dans le petit logement de concierge de la rue de Varennes, j'ai fait avec animation le récit de mon "merveilleux après-midi" à ma grand-mère qui se faisait une joie de mon plaisir.

J'ai commencé à croire qu'il me fallait lutter contre ma sensibilité parce que c'était cela que les adultes appelaient "grandir" et que c'était ce que l'on attendait de moi.

Je suis allée à l'école. Je suis passée de classe en classe. Le jour de la rentrée scolaire de l'année où j'intégrais le Cours Moyen 2, nous venions de recevoir nos manuels. Nous devions les emporter à la maison pour les couvrir, et comme d'habitude à la même époque, je les feuilletais les uns après les autres en compagnie de mes soeurs qui faisaient pareil avec les leurs. J'en étais arrivée au livre d'histoire et je tournais les pages, intéressée par les illustrations, quand soudain mon coeur s'est retourné dans ma poitrine. Il y avait, en bas, à gauche d'une page de droite, je la vois encore, la reproduction d'une gravure qui représentait l'écartèlement de Ravaillac. J'en avais déjà trop vu avec un seul coup d'oeil. Horrifiée, je me suis appliquée une année durant, à trouver la page que la maîtresse nous indiquait en faisant bien attention à ne pas tomber sur celle-là. Arrivée à cet endroit du programme, j'ai caché l'image avec mon buvard.

Au lycée, j'ai hai monsieur Duprat, le professeur d'histoire-géographie, qui se délectait à nous détailler les tortures abominables infligées sur ordre d'Hailé Sélassié à ses opposants politiques. Je faisais tous les efforts possibles pour ne pas entendre. Je chantonnais à tue-tête à l'intérieur de moi. J'aurais bien voulu avoir le culot de me boucher les oreilles et je maudissais ma timidité qui m'empêchait de me protéger. L'étude de la Guerre de Quarante avec les atrocités nazies, au sujets desquelles j'étais trop informée à mon goût, a elle aussi été une épreuve.

J'ai raconté ces souvenirs à R. , qui est resté silencieux. Puis il m'a parlé de lui, de sa nuit blanche passée à pleurer sur les souffrances atroces et terriblement longues de la malheureuse victime japonaise. Il me disait que quoi que ce soit que l'on fasse subir à une personne ou un animal, et même une plante, c'est à son fils, à sa fille, que l'on fait subir cela. Ce soir, trois jours plus tard, R, pleure encore sur ce jeune homme dont le supplice remonte à soixante ans.

Je lui ai dit que jusqu'à présent je croyais (je voulais croire) que c'était le hasard de circonstances exceptionnellement difficiles qui faisait de l'homme un tortionnaire. Je découvrais que l'homme est mauvais par nature, pire que le pire de ce que je pouvais imaginer.
R. s'est laissé aller à la colère: "Les hommes tuent chaque jour des millions d'animaux pour les manger. Les animaux ne peuvent pas se plaindre. Mais si un seul nageur se fait attaquer par un requin, qui est chez lui, dans son milieu de vie à lui, alors tous les journaux de la planète en font état; et on part en force assassiner la pauvre bête pour "protéger" celui qui pourraient devenir sa victime potentielle. Ce ne sont pas les animaux qui sont dangereux pour l'homme, ce sont les hommes qui sont dangereux pour les animaux, et pour les autres hommes! Parfois, je souhaite qu'une gigantesque catastrophe naturelle éradique l'espèce humaine! La plus grande des catastrophes, ce n'est pas un ras-de marée ou une éruption volcanique, c'est l'humanité! Les hommes n'ont pas mérité d'être sauvés. C'est la terre qui a mérité d'être sauvée de l'homme. Pour que le monde entier, plantes et animaux vivent heureux et en paix, il faut que les hommes disparaissent!"

Après une longue pause chargée d'émotions, j'ai repris le sujet de la sensibilité. R a parlé: "Un homme sans Gefühle est une pierre. Dans ce que tu m'as lu de ton journal, il y a des gens qui utilisent le mot "coeur" pour "sensibilité". Ça peut induire en erreur. Le coeur, le nez, le pied sont des parties du corps. Les Gefühle, c'est tout ce que remarque le corps dans son ensemble. Ce que décident les Gefühle (mot qui recouvre à la fois les sens de sensibilité, émotion, compassion, intuition, instinct etc.) est toujours juste. Ce sont les Gefühle qui sauvent un homme du danger. Il n'a pas le temps d'analyser la situation au niveau du cerveau. Les Gefühle sont extrêmement intelligents."

J'ai dit à R. que je me protégeais en évitant de regarder les émissions que je savais pouvoir me bouleverser. Je choisissais de préférence des fictions dans lesquelles les "bons gagnent" et les "méchants sont punis". Il m'a répondu: "Ce n'est pas ça qu'il faut faire, car en procédant de la sorte tu restes sourde et aveugle à la réalité de l'homme et du monde. Le mal se répand sur la planète parce que vous fermez les yeux pour ne pas le voir. Il faut regarder les reportages qui font mal. Si vous savez, l'horreur incrusée dans les tripes, ce que font vraiment subir les soldats à leurs prisonniers et aux populations civiles, vous n'enverrez plus vos fils à l'armée! Tant que vous vous bercerez avec de jolies images de jeunes militaires fringuants qui vont secourir les populations victimes d'un tremblement de terre, vous continuerez de nourrir les armées du monde avec vos enfants. Si votre fils part en tant que soldat dans un pays étranger, il tuera, il violera et il torturera! Savez-vous ce que ressent une femme que l'équipage complet de trois chars, c'est-à-dire plus de vingt hommes, a frappée, insultée et violée? Savez-vous ce qui se passe dans le coeur de celle dont on a mis la maison à sac et dont on a ensuite enlevé son petit enfant pour faire avec lui... on ne sait pas quoi? Savez-vous que, par ennui, les soldats font subir des supplices inouis à des victimes prises au hasard dans les populations? Les malheureux sont bouillis vivants, sentent leur estomac éclater sous la pression des liquides qu'on leur fait ingurgiter de force avec un tuyau... je ne peux pas parler de cela... Et vos fils rient bruyamment du plaisir qu'ils prennent à ces jeux cruels! Quand allez-vous enfin ouvrir les yeux!?"

Amiedetous

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Message par Le sombre minuit Dim 16 Sep - 9:30

Hobbes ? "À l'état de nature, l'homme est un loup pour l'homme." disait-il. Ce que tu décris pourrait très bien se limiter à cela, même si la description de ces moments d'horreurs et de cruautés donne une profondeur nouvelle à un essai qui fait culpabiliser, comprendre, ou savoir. Mais il ne faut pas oublier que certains ne seront pas forcément d'accord avec cette conception de l'homme fondamentalement mauvais, qui veut à chaque instant dominer et prendre le pas sur le monde.
Il ne faut pas oublier que selon Rousseau, "l'homme naît bon, c'est la société qui le transforme." Cette vérité, même si beaucoup la trouve trop optimiste, est très intéressante. Pour ma part je la trouve juste. Je fais de la philosophie que j'appelle "de bas étage", mais quand on voit des hommes dans la nature - qui peuvent être vu comme des hommes à l'état d'animal, d'être de raison, mais ayant fort à faire avec l'instinct - on constate qu'ils ne sont que des animaux pensant, défendant leur territoire, chassant pour vivre. La société a fait de l'homme un consommateur insatisfait, un tueur du plaisir, un gastronome de la cruauté.
Enfin, tout cela à cause du Surmoi et du Ça, à tous les coups ! Freud n'était pas un idiot qui fabulait, quoi qu'on en dise !


Dernière édition par Le sombre minuit le Dim 16 Sep - 9:32, édité 1 fois
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Message par Le sombre minuit Dim 16 Sep - 9:31

En tout cas très bon texte. La fin, avec le passage à la deuxième personne du pluriel, ne s'adresse plus au personnage principal mais à tous les lecteurs, je me trompe ?
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Message par Amiedetous Dim 16 Sep - 12:11

Non, vous ne vous trompez pas.

Oui, je suis d'accord, la société détruit les enfants et continue de détruire les hommes. Tant de livres et de films le dénoncent très bien! Mais la société est aussi le résulat de ce que sont les hommes. Je ne crois pas que l'homme changera si la société ne change pas, mais je ne crois pas non plus que la société changera si les hommes ne changent pas. Il s'agit d'une influence mutuelle.

Un seul homme peut cependant beaucoup (Gandhi par exemple). Je ne crois plus à l'action politique, ni à l'engagement social. Je l'ai fait dans ma jeunesse... mais je crois encore que je peux inlassablement travailler sur moi pour, au moins dans ma famille, sur mon lieu de travail, tâcher de ne pas avoir d'influence négative. Et si je pouvais devenir un Gandhi féminin, ou un Bruno Gröning, je saurais que ma vie aura été une bonne chose.

Merci d'avoir pris le temps de lire ces deux texes.

Amiedetous

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Message par Le sombre minuit Ven 21 Sep - 14:29

Il est normal que je lise, j'aime qu'on le fasse pour moi, pourquoi ne le ferai-je pas pour les autres ? Le plus important est de commenter, ce que je ne prends pas le temps de faire pour tous les textes que je lis ; c'est une erreur.

Plus sérieusement, je pense que des gens comme Gandhi ont une force et une manière de penser qui sont différentes de nous. Ils parviennent à voir la réalité sous un autre angle leur permettant de tirer des forces là où nous ne tirons que faiblesse et vulnérabilité.
Se croire supérieur ne sert à rien, et ces personnes ne croyaient pas l'être, ils devenaient des légendes, des mythes, devant la face du monde.

L'homme est responsable de lui-même, mais il ne faut pas imputer à un individu les fautes de tous.
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