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le goéland et le lampadaire (impossible à justifié)

3 participants

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le goéland et le lampadaire (impossible à justifié) Empty le goéland et le lampadaire (impossible à justifié)

Message par jeffjoubert Sam 8 Oct - 10:05

Au delà des mers
Le goéland et le lampadaire pale

Je suis né à Balanec, petit coin de paradis non loin des côtes bretonnes. C'est sur ce rocher que l'idée de voyager prend corps au fond de mes sens. L'hiver, le vent froid viole notre île. Elle est si petite que nous éprouvons tous des difficultés à trouver un refuge. Le poisson ne manque pas, douce chair.

Balanec est vraiment un petit îlot : une
maison, un lac, et des lapins qui courent et
copulent sans vergogne dans les prairies.
Prairies, oui, ou plutôt de petits espaces verts
où de l'herbe, plus teigneuse qu'un pou, arrive
à résister au vertige des vents. Parfois, de
lourds phoques aux idées plates, viennent se
prélasser sur la côte nord, profitant ainsi des
dernières lueurs d'un soleil qui, ici, se cache
souvent derrière le gris plafond des nuages.
Sur ce petit bout de terre, le refrain de la
mer est notre seule musique, douce, belle,
quand elle brise sa course sur notre flanc. Je
grandis lentement dans ce vaste espace de
nature, sans bien comprendre la chance
unique de séjourner dans ce coin sauvage,
hostile et protégé par les hommes.
Si Dieu et le jardin d'Eden existent,
Balanec doit être une des côtes du divin, tant
sa beauté flatte notre regard.
J'aime croiser le sillage des bateaux. Leur
route les mène vers Molène, Ouessant ou
Béniguet. Les drisses claquent, les voiles
chantent et les marins semblent heureux,
secoués par les flots.
Au printemps, les couleurs changent et les
fleurs poussent, donnant leurs coeurs aux
champs : du jaune, du mauve, du violet et des
pétales blancs. Les lapins courent sur ce tapis
épais, gais, jeunes et fauves ; leurs courses
signent la frénésie du bonheur, la joie simple
de vivre de l'air vif du grand large. J'adore cette
vie sans d'autres contraintes que celles du
temps et des intempéries ; or, tout au fond de
moi sommeille cette envie de voir le monde. Le
saisir, le sentir, sortir de ma tribu et rejoindre
la civilisation, là où le cri des camions
sauvages est roi !
Je m'envole un lundi, le sourire triste. Mes
ailes battent, mon corps plane : je profite des
courants ascensionnels pour m'élever audessus
des nuages, les vents puissants
économisent mes forces. Si haut, mon point de
vue devient unique. Ivre de vitesse, je vole vers
la ville, bout de terre conquis par l'homme.
Mon ignorance décuple mon envie de
découvrir ce monde. Un monde porté par les
anciens, ceux qui ont traversé, puis sont
revenus conter, apporter parole et savoir, puis
mourir d'un dernier mot. L'innocence,
l'inconscience, l'ignorance constituent mon
état d'esprit. Aussi, après quelques milles à
bout d'aile, très loin d'être las, une étrange
odeur me pousse à arrêter mon vol. Derrière
moi, mon passé n'est plus qu'une vague de
souvenir et, devant moi, je n'aperçois rien, ne
vois rien, tout est gris puisque la toile de la
malchance a dessiné son filet.
Je m'enfonce dans la nuit, au-dessus du
continent, aveuglé par les lumières, la pluie et
un épais brouillard. Des feux avancent,
roulent ; la pluie est effacée par le bruit des
moteurs, la ville se réveille et l'aube me montre
la face cachée de l'humanité. Jamais je
n'aurais pu imaginer ce monde, ses sons et
tant d'hommes.
Je viens d'arriver sur le port, attiré par le
cri de congénères. Une meute de goélands vit
sur ce sol, se battant pour une poubelle vide et
quelques débris d'un repas arrosé. Leur accent
est différent. Ma timidité et leur mode de vie
font le reste. Je décide dans un premier temps
de rester à l'écart, immobile, indifférent à la
haine visuelle, évitant les coups de klaxons,
fier d'être voyageur. Mais la peur me serre le
ventre.
Ma vie ne tient qu'à une patte, à des ailes.
La bruine a remplacé la pluie. La rosée a levé
l'épaisse brume. L'odeur des gaz, des usines,
me donne la nausée. Comment peut-on si
facilement transformer la terre ?
Les rochers sont des immeubles. Les
plaines, des parcs. Les lacs, des piscines. Pas
un seul lapin n'exprime sa joie dans la cour.
Au contraire, des chiens aux abois traînent
leur misère dans la rue. Cet espace supplante
les contes. L'imagination et les récits des
oiseaux pèlerins ne peuvent rejoindre le réel.
Je sens que la mort n'est pas loin si je reste
dans cette rue, une roue mettra un terme à
mon aventure.
Alors, penaud, je m'élève, allant droit au
ciel me battre contre les courants d'air. La cité
s'étale à perte de vue, des fumées sortent de
lourdes cheminées, des grues bleues dominent
le port et le bruit est si présent. L'absence de
silence me trouble. Balanec, mon berceau, si
paisible dans ta campagne vide, aide-moi !
Les goélands des villes se baladent sur de
nombreux toits, hurlant aux vents leur requête
d'amour, de pain et de vin. J'évite
soigneusement de me poser près d'eux, de
guerre lasse, les sentant hostiles à mon accent,
ma grâce, mes heures de vol. Tout en moi
semble les heurter. Aussi, le soir venant, je
suis heureux de trouver la lumière d'un
lampadaire. Une belle rencontre. Perché sur
cet objet, un endroit où je deviens sentinelle et
d’où je peux observer le temps et les gens sans
risquer d'être surpris, mis à terre. Posé sur
mon piédestal, je me sens fort, l'air caresse
mes plumes, mon regard descend au sol sur
les passants et leurs attitudes.
De là-haut, l'horizon n'a plus de limites.
Jamais je n'ai été aussi seul. Pourtant, je suis
heureux. Du haut de ma solitude, je regarde le
monde marcher sur les trottoirs. Les codes
sont pour moi incompréhensibles, les mots
inaudibles. Je me trouve déraciné, aspect
paradoxal, perdu, mais en quête d'absolu.
Enfin, je peux croire.
Cela peut paraître stupide, idiot, mais le
simple fait de poser mes fines pattes sur ce
lieu lumineux éclaire ma conscience. Les
contes, les discours de ces vieux goélands
fatigués prennent vie. J'arrive mieux à
comprendre leurs mises en garde. Je
comprends qu'ici la vie n'a pas de valeur. La
mort rôde dans les âmes, dans les regards. Les
goélands pleurent, leurs cris longent la mer et
partent se noyer dans l'immensité universelle.
Ces oiseaux un peu allumés, je les observe
de jour comme de nuit : ils ne ressemblent pas
à ma tribu des îles. Nous, nous vivons au
coeur du temps, les tempêtes sont reines, elles
rythment les saisons. Quand le vent se lève et
siffle, nos cris sont des chants de joie, nos
ailes nous portent sans effort, planant en
altitude. La nature nous donne le nécessaire
pour vivre, le temps passe en un vol, deux
chants et la conquête d'une âme pour
repeupler l'île de petits oisillons.
En ville, la loi est simple, seul le plus fort
gagne. Je revois encore ces deux animaux se
battre jusqu'au sang pour un bout d'os jusqu'à
ce que ce bolide sorti de nulle part les mette
d'accord, deux boules de plumes qui valsent
sur le pare-brise, puis cette flaque rouge qui se
dégage sur le sol. Cela s'est passé sous mes
yeux éclairé par les mille volts de lumière. Les
corps sont resté inertes dans la rue, les autres
voitures n’ont pas dévié pas d'un pouce leur
trajectoire, négligeant la paix de leur âme.
Agnostique, je rêve du haut de mon abri et
je ne peux pas croire qu'un créateur ait pensé
sciemment à tant d'ignominie. Pourtant, j'aime
vraiment le halo diffus de mon lampadaire, ce
flot de particules qui jaillit dès la tombée de la
nuit, éclairant d'un trait toute l'histoire de ce
petit bout de quartier. Personne ne me sort de
mon nid, les autres oiseaux ont adopté mon
choix et me laissent le septième lampadaire,
place Guérin.
J'aime rester droit des heures et des
heures à guetter la vie du dessous,
comprendre ses voix, regarder le pas des
hommes, rester digne, fier, sentinelle espionne
pour la paix de mes frères. Je sais qu'un jour,
mes ailes battront à nouveau, me porteront
sans hasard vers ce lieu où je suis né, cet îlot
charmant qui m'a offert ses saveurs, la
douceur d'être, de vivre.
Or, pour l'instant, j'apprends à voir
l'étendue de la mécanique humaine, les
ravages en chaîne créés par le développement
de ces champs de connaissance. Je sens que
l'iode, ici, n'est pas pur et il m'est impossible
de compter le nombre de pieds et de pattes
éclairés par nos lumières.
Au bout de quelque temps, en tant que
vigile en peine, je me mets à chanter des airs
tristes. J'ignore d'où me vient l'inspiration. Je
sais simplement que ma voix s'élève, elle
s'égare dans le dédale des arrière-cours. C'est
ainsi que je comble le vide du temps, porté par
ma solitude, le lampadaire restant muet ; et,
comme tous les oiseaux, je n’ai pas besoin
d'aide pour retrouver ce sentiment de liberté.
Un battement de cils, deux battements
d'ailes et mon vol devient tout un symbole.
J'aime monter, monter, ne plus rien apercevoir
de la ville cachée par les nuages, puis plonger,
redescendre souffle coupé, vers cette mare
grisâtre, rentrer de nouveau dans l'atmosphère
froide et sèche des hommes.
Mon ombre plane au-dessus de leurs
vertus, délivrant ainsi mon noir désir de vivre.
La neige vient à mon secours. D'abord blanche,
elle tapisse l'ensemble des rues. Les flocons
descendent un à un du ciel, couvrant les
caniveaux, les trottoirs, le macadam. Les
enfants rient, les boules sifflent, heurtent des
têtes, des murs, des vitres. Je ne comprends
pas tout de suite que je suis devenu la cible de
ces garçons. Ces jeunes bêtes veulent me
déloger, leur désir est de me forcer à quitter ce
lieu et à reprendre mon vol.
J'entends encore leurs cris, je vois leurs
visages, la neige mise en boule qui frôle mon
corps, touche mon coeur. Je résiste encore un
peu au froid, à la peur. Le vent caresse mes
plumes. Inutile de résister à l'appel d'un
nouveau vol. Dans un éclair, je repars au loin,
suivant la route des îles, retrouver mon
chemin, ma route, ma famille. Je sais que, sur
Balanec, je trouverai plus d'air, moins de
trouble...
La route est longue. Je veux retrouver la
paix, jouer, flirter, admirer les couchers de
soleil, la lune qui s'efface. Mon coeur bat, j'ai
de la peine à comprendre que je ne retrouverai
plus la grâce des silences d'avant, maintenant
que j'ai perçu l'offense sans complaisance des
hommes faite à la terre.
Je vais retrouver mes frères, la mer, la
lumière des nuits d'octobre sur cet îlot qui
porte tous nos désirs depuis l'enfance. Plus
Balanec se dessine, plus l'angoisse de revoir
les miens m'étreint. J'ignore les mots qui vont
sortir de l'intérieur lors de cette nouvelle
rencontre.
L'émotion dérive dans mon corps et j'ai
peur d'être maladroit, de me terrer dans le
silence. Pas de discours, juste cette étincelle
dans le regard, la majesté de la pensée. Je suis
resté un an en ville, sur ce lampadaire. Jamais
je n'ai vu une telle concentration d’hommes, de
tels moyens pour les satisfaire dans leur
quotidien. Des portes qui s'ouvrent, des
images qui défilent, des rues qui s'animent,
des tonnes de textiles, de ferraille, d'aliments
que l'on jette, que l'on brûle, des toits et des
toits, des antennes et tant de lumière. Là-bas,
la nuit n'existe pas.
Arrivé sur mon île, je ne reconnais plus
personne. Ai-je tant changé ?
Je ne sais pas pourquoi, la communication
semble absente. Je reste des heures à planer
loin des miens ; je recherche l'isolement, la
solitude. Ici, rien n'a évolué, les jeux sont les
mêmes. Les lois et les plaisirs aussi. Or, tout
au fond de mes sens, je ressens une absence.
Près du lac, la vie court lentement, les
nénuphars se transforment en grenouilles, les
lapins se cachent et ma tribu me rejette. Je
sens la puissance de leur regard, ma
différence ; depuis que je me suis envolé sans
mot dire, mes parents feignent l'indifférence.
Je sens en moi des larmes qui me brisent le
coeur.
Sans défense, sans armes, sans mots, je
n'arrive pas à délivrer des "Je t'aime". Je suis
nu dans cette forêt de pattes, alors je vole dans
le lointain silence. Je sais que, là-bas, de
l'autre côté, la lumière brille, les goélands
crient, se battent, pleurent. Ici, je regarde la
nature, ses couleurs, ses odeurs, tout ce vert.
Des heures et des heures à sentir le poids du
silence. Je me plante sur un rocher, aux
aguets devant le reflux d'une nouvelle vague.
Partir, revenir, pour qui, pour quoi ?
Pas une seule aile ne me flatte au sein de
ma propre communauté. Je me sens rejeté.
Car, contre vents et courants, mes désirs de
liberté ont pris place, devenant d'un coup
hostiles devant l'autorité que le temps a mise
en place. Vilain petit canard, je me noie dans
la torpeur d'un temps meilleur. Jadis !
Avant, nous allions tous au combat, nous
suivions les chalutiers, pour récupérer de la
godaille et des entrailles. Nous plongions d'une
falaise, avides de déguster une sardine ou un
maquereau. La vie était aussi simple que le
flux d'une rivière qui s'écoule de saison en
saison, toujours à suivre le même sens. Sans
conscience, nous avalions des milles et le
souffle d'Éole comblait tous nos sens. Un
présent des dieux, eux qui ont pensé aux
oiseaux marins. Que le ciel soit bleu ou gris,
nous peuplons l'horizon de nos cris, nos ailes
battent et notre vol prend vie. Sans notre
présence, l'océan serait bien vide !
Derrière moi, j'ai laissé les images de la
ville allumée, celles de la peur aussi. Il m'est
devenu impossible de communiquer,
d'expliquer aux miens les grandeurs et
décadences de la civilisation. Je vois encore
ces lots de poubelles où on allait pêcher notre
plat du jour puis, rassasiés, le regard immobile
sous le halo de lumière de ces grands
lampadaires, nous observions les hommes et
leurs curieuses machines.
Perdue dans ses habitudes, Balanec
devient trop petite : je n'arrive plus à trouver
ma place dans cet étroit désert ; l'agitation, la
folie de l'agglomération me manque. Le silence
commence à me blesser, l'automne ne passe
toujours pas et je me languis dans la plaine.
Depuis mon départ, malgré ce retour sur les
terres de ma naissance, un vide persistant
étreint mon âme.
Inutile de croire qu'ici, je reprendrai pied,
qu'ici, je reprendrai place. Je sens ma
différence dans leurs gestes, dans leurs yeux.
Je recommence à voler, pas très loin de
rejoindre la terre et de me poser à nouveau
place Guérin. Je vois les feux de la mer, les
artifices jaune mystère ; ma route me mène au
dessus des flots, vers le vice des villes,
maintenant que j'ai perdu le délice de l'île.
Cette balade dans le monde de la
connaissance, la découverte d’une vie moins
simple que celle qui domine Balanec, hantent
tout mon être. Pas séduit, mais saisi par
l'étendue de la technologie, troublé devant les
lois et les moeurs en cours, je n'arrive plus à
me poser détendu sur une branche pour
profiter de la nature spectacle.
J'ignore encore comment certains
voyageurs, après des années d'absence,
reviennent, se posent, racontent puis
conservent le fruit de leur expérience. Dans
mon cas, la conscience à la dérive, je ne me
permets plus de me plaire dans l'univers pur
de ce lieu qui porte mes souvenirs.
Mes désirs ont traversé la mer d'Iroise.
Inutile de dire que la quiétude de l'île devient
un poids, une misère. J'ai perdu mes repères,
mes ailes battent, mon coeur souffre de sa
retenue. Une nouvelle vague de cette envie de
fuir m'assaille, cette nécessité d'aller chercher
au fond du voyage un quotidien, un lieu où
s’égrène le temps, naît en moi.
Voir, utiliser le paysage en toute
conscience pour tenter de définir l'image de la
terre, puis se complaire à rencontrer des
peuples, trahir leurs secrets, percer le fond de
leurs songes, explorer, vivre. Le goémon couvre
toute la roche ; il sue au soleil. Le printemps
vient d'apparaître. Les fleurs mâles et femelles
s'emplissent de sève, les couleurs s'affirment
sur la rive, les oiseaux sifflent leur joie
d'exister. Tout, autour de moi, semble fabriqué
pour mener au sourire : les souris, les hommes
et les chiens.
Parfois, je rejoins le groupe pour m'amuser
à leurs côtés des courants de marée. Nous
trouvons un endroit où un passage étroit
augmente le flux et le reflux ; l'eau entre dans
ce tube, s'accélère. Nous n'avons plus qu'à
nous laisser porter, glisser dans un sens puis
dans l'autre. Chaque fois que la houle
s'approche de la côte, elle nous emporte dans
son élan, sans aucun mouvement ; la mer
nous balade sur son dos et ce jeu nous
enchante.
Nous devons calculer les risques, battre
des ailes, nous envoler au plus vite, pour ne
pas nous écraser sur les roches alentour.
Notre troupe jouit du plaisir de dévaler sans
peine ces murs liquides. La glisse dans la peau,
nous profitons du soleil, de la mer si belle sous
son éclat. Seul ce jeu d'enfant me rapproche
des autres.
Après quelques frayeurs, je lutte contre les
vents, je sens leur fraîcheur, je m'élève dans
un ciel éblouissant, je voyage dans ma solitude
et retrouve ce besoin de lumière, cette
nécessité d'éclairer ma conscience, ce désir de
repartir pour un tour, loin, dans un dernier
voyage derrière l'horizon.
Dans l'univers sans partage de mes secrets,
je trouve refuge. Je pense à mon retour vers la
ville ; revoir et sentir l'énorme présence des
hommes. Je ne peux plus rester en place dans
cet espace sauvage à contempler la nature, ses
fruits et ses farces.
Les lapins peuvent courir, se reproduire,
laisser des traces dans tous les champs, je ne
m'amuse plus à les poursuivre du regard. Le
poisson n'a pas de goût. Il m'est devenu
impossible d'être satisfait du simple fait
d'exister, maintenant que j'ai croisé la folie des
hommes. Impossible de comprendre pourquoi.
Au fond de mon être, j'ai besoin d'artifices, de
lumière.
Je pense à ces nuits où je pansais mes
plaies, après m'être battu pour survivre,
manger. Je ne peux pas oublier ce voile de
lumière qui arrosait le sol, ces voix qui
montaient, le bruit sourd des véhicules qui
circulaient. Je n'arrive plus à me moquer des
mouettes, de leur taille, de leurs cris. Je veux
repartir, entrer dans un autre monde, vivre
chaque heure comme une seconde. Là-bas,
perché sur mon lampadaire, je me sentais
sentinelle devant l'éternel. Presque utile...
Partir pour ne plus revenir, quitter son nid,
son île. Aujourd'hui, le ciel est clair, la marée
basse ; je sens l'iode, l'amas d'algues qui
sèchent sous les rayons du soleil. La tribu se
tient au complet, proche de l'eau. Elle attend
que la journée s'efface.
Une dernière fois, je les regarde : ils sont
mon univers, ma vie. Cette évidence
m'apparaît être l'unique raison de les quitter.
La puissance de l'évasion renaît. J'aperçois
l'ombre de la côte, sa silhouette noire qui
bouche l'horizon, puis je me tourne. Devant
moi, il ne reste que le vide vague de la mer, un
océan de désir à parcourir.
J'ignore où s'arrête cette masse bleue. Si je
pense au lointain, je ne vois que l'eau et le ciel
qui se rapprochent tellement qu'ils finissent
par se confondre. C'est là-bas que je veux voler,
aller plus loin que mon regard, chercher les
dernières forces, puiser dans un monde
d'énergie la volonté d'avancer pour de nouveau
être saisi par la surprise, ce présent de
l'enfance, ce temps où chaque pas, chaque
battement d'ailes, chaque souffle est un
cadeau, une merveille.
J'ai envie de retrouver ma naïveté, de
m'enfoncer dans la nuit et de croire aux
histoires de fantômes et aux fées, aux sirènes
et aux sorcières. Alors, je quitte sans regrets ce
rocher qui m'héberge depuis si longtemps. Je
sais que la rive va s'en aller au fur et à mesure
que ma quête d'une image va avancer.
Mon coeur bat, mes paupières sont closes.
Je ne veux pas plonger dans ces vieux
souvenirs. Me voilà parti vers nulle part,
simplement nu. Je vole vers le fond des nuages,
ceux qui définissent l'horizon. Sur ma droite,
Ouessant et sa beauté sauvage sont les
derniers vestiges de la civilisation.
J'abandonne toute envie de m'arrêter sur
ce site et de parcourir sa côte en une dernière
visite. Je vole. L'air est doux, printanier ; le
granit dessine des animaux d'un autre temps :
sphinx, dinosaures, poissons volants ou
baleine à pattes et leurs faux air d'éléphants.
Les fleurs sont blanches, bleues, elles
transpercent le jaune vert des champs et,
devant, plus rien. Rien d'autre que l'aventure
d'aller au bout de mes forces.
Les vents de mer sont contre moi. Le
premier jour, je ne mesure pas la force à
employer. Battre continuellement des ailes,
lutter, ne jamais s'arrêter de peur de retracer
son chemin vers l'arrière. La nuit est belle, la
lune rousse souligne mes pensées. Je vais
plein ouest vers un lointain regard. Inutile de
dire que la terre s'absente sur mon chemin. Je
ne croise que mon ombre et d'autres oiseaux
marins, solitaires dans l'espace.
À présent, je croise des bancs de sardines,
ce qui aiguise mon appétit. Sans trop de
difficulté, j'affole le groupe et je me nourris du
reste. Apparemment, l'océan est plein de
surprises, plein de richesses. Alors, j'oublie
qu'il ne me reste plus que cette sombre et
immense flaque d'eau pour me reposer.
Derrière des murs de vagues, je m'installe,
ferme les yeux et dérive. Je viens de quitter
mon monde d'habitudes pour une longue
traversée et, au fond, je n'y trouverai peut-être
que la mort...
Le réveil est doux. Je nage un peu. Puis
mes ailes me portent à nouveau vers mon désir
de vivre. Cette fois-ci, le vent me soutient,
chatouille mes plumes. Les quelques bateaux
de plaisance que je croise, traînant derrière
leur franc-bord des leurres pour une
quelconque pêche, sont les dernières marques
de l'étendue de la civilisation humaine. Je
passe au-dessus de leurs idées reçues, puis
mon vol me mène sur le coeur de la terre :
l'océan. Cette longue place vide !
Je dois lutter pour ma survie, penser aux
derniers jours, me contentant seulement
d'apprécier la nature et l'espace qu'elle nous
offre. Je suis fatigué de cette lutte insistante
entre moi et mes émois, toujours à la
poursuite du paradoxe de mon monde
intérieur. Ma nature volontaire, ce goût
nouveau de l'exploration, me pousse dans un
dernier vol au dessus de l'inconnu, fier de
m'être abandonné à mes étranges pensées.
Pourtant, je cache en mon sein d'exquises
faiblesses, un coeur de caramel et des idées
sucre d'orge, des sentiments qui ne mentent
pas. Oui, j'aime le lieu où je suis né et les êtres
aussi...
Immobile ou volage, le temps nous tue tous
à petit feu, réflexion au long cours de ce
voyage. Plus je m'approche du verdict final,
plus je m'éloigne de la peine des visages que
j'ai pu croiser dans le sillon de ma vie.
Je poursuis ma route, innocent dans ce
silence, accablé de doutes cependant. Mon vol
devient aveugle face à mon destin. Je pense à
la vie, au partage. Il est inutile d'entasser des
richesses intérieures si on ne peut en partager
les fruits.
Devant cette évidence, je poursuis mon
chemin de solitude, certain d'y trouver une
tombe. Je continue à survoler les galets ronds,
sans trop vouloir bouger mes ailes. Je garde
mon cap, m'interdisant de retraverser, de
repartir vers mes colonies et d'y fonder un
foyer.
Je passe au-dessus de cette plage et je
pense sans cesse à ceux que j'ai quitté, mais
pas oublié. Balanec, petit paradis non loin des
côtes bretonnes. Un soir, je me suis réveillé et
mon rêve s'est envolé.
Balanec, mon berceau, ma fuite dans le
temps. En te conservant dans ma mémoire, je
reste au seuil de l'adolescence pour l'éternité.
Ma vie conserve, par ces images passées, un
soupçon d'innocence. Derrière moi, l'océan se
défend, devient blanc, les vagues se veulent
rondes et fondent sur le sable.
J'entends le son de sa voix. Je regarde ce
désir bleu qui transperce le regard de ceux qui
l'aiment, puis je replonge dans mes souvenirs.
Je reviens à la vie, au-delà de la fatigue. Je
recherche un lieu pour me poser, reposer mon
esprit avant de laisser le temps vivre.
La nuit n'a plus de sens, car j'ai trouvé ma
vérité. Je suis triste dans mon chant de
solitude, mais je fonce vers le fond de ma
mémoire, là où se cachent les plaisirs et
péchés de jeunesse. J'avance sur le rail de ma
vie et mes ailes battent, paisibles, sur leur
fond de destin.
Devant moi, la lumière d'une ville prend
place. Une nuit si claire, sous la lumière
artificielle, est effrayante. Or, elle me guide,
m'attire en son centre. Je ne pense plus à rien.
Je me laisse porter par les courants aériens,
vers cette source sans fin, ce visage éclairé, ce
lieu qui vivait dans mon songe.
Je pars le conquérir, devenir sentinelle.
Jamais plus je ne verrai de lapin copuler sans
vergogne dans les champs. Dans cette
traversée j'ai acquis un chemin de
connaissance. Je le sais. J'ai cherché un
miroir, survolé la terre, frôlé des mystères.
Tout cela pour ça, retrouver un flot de
lumière. Là, perché sur un lampadaire. Trentesixième
rue, deuxième sous-sol, je viens de
trouver mon horizon. Je me pose sur mon île,
elle est ronde et éclaire.
Ainsi, nous deviendrons complices jusqu'à
ce que mes cris s'éteignent.
jeffjoubert
jeffjoubert

Date d'inscription : 07/09/2011
Age : 54

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Message par extialis Sam 8 Oct - 16:27

j'ai commencé à lire, veux-tu que je tente de le mettre en meilleure forme, ton texte?
je finirai la lecture plus tard, mais ce que je retiens de ce début, c'est : la technologie est une vraie drogue, à tel point qu'on ne sait plus profiter de ces petits riens qui font que la vie est belle. Crying or Very sad
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Message par Jafou Sam 8 Oct - 18:20

Superbe, envoûtant, et ce n'est pas mon sang breton qui parle. Je me pose quand même une question : n'est-ce pas un peu trop long ? Si l'on veut faire une exégèse il y a beaucoup de choses dans ce texte.
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Message par jeffjoubert Lun 10 Oct - 9:10

jafou c'est une nouvelle c'est long sur l'ordinateur et court sur papier, non la longueur peu provenir du sujet, de son expression, ou de la mise en forme, merci à tous les deux de votre patience et lecture Very Happy amitiés. jeff
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Message par Jafou Lun 10 Oct - 11:29

Non j'ai pensé après coup que c'était peut-être voulu. Après tout, le Goéland en pleine interrogation existentielle se parle à lui-même et ressasse des souvenirs récurrents dans un soliloque en boucle, d'où la répétition de certains paragraphes dont seule la forme change.
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Message par jeffjoubert Mar 11 Oct - 13:51

j'ai alzaimer je ne me souviens plus très bien non la mer est ses impressions sont difficile à transcrire, merci jafou:D
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